Lexbase Public n°223 du 17 novembre 2011 : Fonction publique

[Questions à...] Quand le juge administratif pousse à la "CDIsation" des agents publics non titulaires - Questions à Delphine Krust, avocat au barreau de Paris, SCP Krust-Penaud

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[Questions à...] Quand le juge administratif pousse à la "CDIsation" des agents publics non titulaires - Questions à Delphine Krust, avocat au barreau de Paris, SCP Krust-Penaud. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5629904-questions-a-quand-le-juge-administratif-pousse-a-la-cdisation-des-agents-publics-non-titulaires-ques
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 16 Novembre 2011

Dans une ordonnance rendue le 5 octobre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA, Cergy-Pontoise, 5 octobre 2011, n° 1107750 N° Lexbase : A0164HZ4) a dit pour droit que les agents non titulaires en poste sur un emploi permanent, après six années continues de fonction, ont vocation à bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Il use, en outre, de ses pouvoirs d'injonction pour ordonner à l'administration de proposer le renouvellement de l'engagement à durée indéterminée, ce y compris dans le cadre d'une procédure d'urgence, considérant que cette injonction ne compromet pas le caractère provisoire de ses décisions, dès lors que le juge du fond peut y mettre fin. Par ailleurs, il est à noter que les pouvoirs publics ont, eux-mêmes, pris le problème à bras le corps, puisque le Gouvernement a déposé un texte au début du mois de septembre 2011 sur la pérennisation des emplois dans la fonction publique de l'Etat, lequel consacre explicitement ce droit au renouvellement des agents de la fonction publique en CDI. Pour faire le point sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Delphine Krust, avocat au barreau de Paris, SCP Krust-Penaud. Lexbase : Pouvez vous nous rappeler brièvement les règles de recrutement des agents non titulaires de la fonction publique ?

Delphine Krust : Le recrutement des agents non titulaires dans la fonction publique est régi par les dispositions de l'article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX). Il était, à l'origine, prévu que le recrutement des agents contractuels ne pourrait être effectué que dans des hypothèses limitativement énumérées par la loi, liées, d'une part, au remplacement d'agents indisponibles ou pour faire face, temporairement et pour une durée d'une année au maximum, à la vacance d'un emploi, et, d'autre part, en cas de survenance d'un besoin occasionnel ou saisonnier, pour une durée limitée à six mois. Enfin, pouvaient être pourvus des emplois permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics par des agents contractuels, pour une durée pouvant aller jusqu'à trois années.

Jusqu'en 2005, ces contrats pouvaient légalement être reconduits, sans limitation de durée. Ce faisant, des agents non titulaires ont pu longuement occuper des emplois de la fonction publique légalement dévolus aux fonctionnaires, sans bénéficier des droits liés au statut, et, surtout, en demeurant dans une situation de grande précarité, puisqu'ils devaient régulièrement être reconduits dans leur emploi. Le législateur et le pouvoir réglementaire ont, ponctuellement, et pour des cas limités, ouvert la possibilité de recrutement d'agents contractuels pour une durée indéterminée.

Peuvent être cités, à ce titre :

- l'article 3 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L1030G8N), qui offre la possibilité de recruter par contrat à durée indéterminée les agents non titulaires engagés pour occuper des fonctions impliquant un service à temps incomplet en vertu du premier alinéa de l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), en ses dispositions relatives aux "Berkaniens" (art. 34 et 35-1) ;
- les hypothèses de reprise du personnel à l'occasion du transfert d'une activité économique.

La loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), a encore ouvert les cas de recrutement d'agents à durée indéterminée, sous la pression communautaire, mais dans des conditions strictement limitées. Outre le cas d'agents en poste de plus de cinquante ans dont le contrat a été transformé automatiquement en CDI, le législateur a prévu que l'agent occupant un emploi permanent sur le fondement des alinéas 4, 5 et 6 de la loi statutaire, ne peuvent être renouvelés que pour une durée indéterminée. Sont donc exclus du bénéfice de ce dispositif de pérennisation des emplois les agents collaborateurs ou les agents ayant enchaîné des missions ponctuelles, malgré leur nombre d'années de présence dans la fonction publique. Le projet de loi déposé le 7 septembre 2011 sur le bureau du Sénat devrait modifier les cas de recours à des agents contractuels.

Lexbase : Le législateur a-t-il explicitement prévu le droit au renouvellement des agents de la fonction publique en CDI ?

Delphine Krust : Explicitement, non. Actuellement, les agents non titulaires de la fonction publique ne bénéficient toujours d'aucun droit au renouvellement de leur contrat. Ce n'est que sous l'effet du droit communautaire qui est indifférent à la nature juridique du contrat et de son employeur, et, plus particulièrement, de la Directive (CE) 1999/70 du 28 juin 1999 concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (N° Lexbase : L0072AWL), que le droit national a été conduit à proscrire les abus de contrats à durée déterminée dans la fonction publique.

Ainsi, par la loi du 26 juillet 2005, le législateur a ouvert la possibilité aux agents non titulaires occupant des emplois permanents pour les besoins de l'administration depuis six années, de se voir pérennisés sous la forme de contrats de droit public à durée indéterminée. Mais, outre que la catégorie d'agents visés par ce mécanisme est limitée, le législateur ne consacre pas un droit au renouvellement des agents en CDI.

Pire, il n'a même prévu aucune sanction administrative ou financière pour les administrations qui abusent des contrats à durée déterminée. La seule disposition utile consiste à rendre obligatoire en cas de renouvellement la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. En d'autres termes, permettre aux employeurs publics de ne pas renouveler le contrat des agents en CDD continu depuis six années aboutit nécessairement à priver de toute effet utile le dispositif de transposition de la Directive (CE) 1999/70 par la loi du 26 juillet 2005. C'est pourquoi il nous semble que cette obligation de renouvellement du contrat, en CDI, est inhérente à l'objectif de la Directive et de la loi : prévenir de manière efficace l'utilisation abusive de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs (CJCE 7 septembre 2006, aff. C-53/04 N° Lexbase : A9491DQL).

L'aboutissement de ce processus de pérennisation a conduit les partenaires sociaux à conclure un dernier accord-cadre le 31 mars 2011 et le projet de loi précité a été déposé par le Gouvernement en septembre dernier. Il prévoit, notamment, en son article 7, que les agents en fonction depuis six années lors de l'entrée en vigueur du texte se voient obligatoirement proposer un CDI. En revanche, le droit au renouvellement n'est toujours pas prévu. Il n'est pas exclu, toutefois, que la CJUE ne l'impose.

Lexbase : Quelle est la position du juge administratif en la matière ?

Delphine Krust : Jusqu'à présent, la question du non-renouvellement des contrats des agents publics demeurait d'application délicate. Régulièrement, le juge administratif rappelle le principe traditionnel de l'absence, pour l'agent dont le contrat est arrivé à échéance, de droit au renouvellement de celui-ci (CE 1° et 4° s-s-r., 5 septembre 1990, n° 82837, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6041AQS ; CAA Paris, 6ème ch., 31 janvier 2011, n° 09PA02330 N° Lexbase : A8060GZK, AJFP, 2011, p. 187). Pour autant, les juges du fond étaient souvent amenés à examiner les conditions dans lesquelles l'autorité administrative décidait de ne pas renouveler l'engagement.

Les décisions de non-renouvellement des contrats des agents non titulaires dans leur ensemble doivent être motivées, soit par l'intérêt du service, lequel s'apprécie au regard des nécessités liées à l'organisation du service telles que les contraintes budgétaires ou la disparition ou l'évolution des besoins, soit au regard du comportement et à l'aptitude de l'agent aux fonctions et dans l'exercice de ses fonctions, ceci englobant l'inaptitude professionnelle et la faute disciplinaire (CE 3° et 5° s-s-r., 23 janvier 1981, n° 17932, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4252AKP).

Il nous semble que l'analyse des décisions de la jurisprudence récente des juges du fond peut conduire à distinguer deux régimes, s'agissant du non-renouvellement des contrats des agents non titulaires : celui de droit commun concernant l'ensemble de l'absence de droit à renouvellement des contrats de ces agents, et celui du contrôle juridictionnel exercé par le juge administratif en application de la loi du 26 juillet 2005, transposant la Directive du 28 juillet 1999.

Ainsi, le juge sanctionne le refus de conclusion du contrat à durée indéterminée au motif qu'il entraînerait une dépense excessive pour le budget de la collectivité ou sur une trop longue durée (CAA Versailles, 5ème ch., 21 janvier 2010, n° 08VE00628, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5766ESD ; CAA Bordeaux, 6ème ch., 2 février 2010, n° 09BX00963, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5524HZM), ou par le fait que le poste pourrait être occupé par un fonctionnaire (TA Montpellier, 6 juillet 2009, n° 0805260). En revanche, s'agissant d'un agent non titulaire classique, le juge administratif considère que le recrutement d'un fonctionnaire justifie la décision de non renouvellement du contrat (CAA Nancy, 1ère ch., 2 juin 2005, n° 02NC00640, inédit au recueil Lebon, N° Lexbase : A7267DIY).

Dans ce deuxième cas, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans deux ordonnances des 29 août et 5 octobre 2011, a proposé une avancée importante, puisqu'il a consacré le principe selon lequel cet agent a "vocation à" se voir proposer le renouvellement de ce contrat. A notre sens, cette expression tend à aligner le sort des agents non titulaires occupant un emploi permanent pour l'administration depuis plus de six ans sur celui des agents stagiaires qui, après réussite à un examen ou à un concours, ont vocation à intégrer la fonction publique.

Mais cette promotion est encore en cours de construction. Le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur ces interprétations, et il est probable que l'intervention du législateur, si le projet de loi demeure en l'état, suffise à consacrer ce droit au contrat à durée indéterminée des agents en poste depuis six années au moins.

Lexbase : Les conséquences tirées de l'irrégularité du refus de renouvellement du contrat demeurent-elles circonscrites au cas des agents dont l'emploi est pérennisé ou s'appliquent-elles à tous les agents non titulaires ?

Delphine Krust : Il convient de bien distinguer trois stades d'analyse : le fait que l'administration ne dispose pas d'un droit à ne pas renouveler le CDD arrivé à son terme concernant l'ensemble des agents non titulaires, ce nouveau droit au renouvellement des contrats, que semble avoir dégagé le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, et la transformation de tous les CDD en CDI des agents contractuels employés depuis six années au moins.

S'agissant de la première hypothèse, le juge administratif se fait de plus en plus protecteur, nous semble-t-il, du sort des agents non titulaires de la fonction publique. Dans le deuxième cas, le juge a dégagé la notion de "vocation" des agents contractuels occupant un emploi permanent depuis plus de six ans à se voir renouvelés sous un contrat à durée indéterminée, à la fin de son engagement.

Enfin, le projet de loi devrait faire peser sur l'employeur public une véritable obligation positive, dès qu'elle entrera en vigueur, de transformer tous les contrats des agents en poste depuis six années au moins en CDI, et de trois années seulement pour les agents âgés de plus de cinquante ans. Un nouveau débat sera alors ouvert : puisqu'il s'agira d'une transformation de contrat en CDI, seule la durée sera réputée modifiée, les conditions initiales du contrat devraient demeurer inchangées. Aujourd'hui, la question est déjà posée à l'occasion du renouvellement des agents en CDI, les employeurs publics n'hésitant pas à renégocier les clauses essentielles des contrats de recrutement, notamment financières.

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