La lettre juridique n°756 du 4 octobre 2018 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Les organismes publics présumés agir en qualité d’assujetti au regard du droit à déduction de la TVA acquittée

Réf. : CJUE, 25 juillet 2018, aff. C-140/17 (N° Lexbase : A2961XYC)

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N5715BXX

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit à l’Université Toulouse-Capitole

le 03 Octobre 2018

TVA - Déduction - Organismes publics

Le droit des assujettis de déduire la TVA acquitté en amont est un principe fondamental du système commun de tva. Ce principe régulièrement reconnu par la jurisprudence de la CJUE[1] est encore au cœur de sa décision du 25 juillet 2018[2].

 

Au cours des années 2009 et 2010, une commune a fait ériger une maison de la culture. Une fois ce bâtiment construit, le centre culturel communal s’en est vu confier la gestion à titre gratuit. Au cours de l’année 2014, la commune a souhaité récupérer cet immeuble, et en assumer directement la gestion. Elle souhaitait en faire un usage aussi bien à titre gratuit, pour les besoins de la population de la commune, qu’à titre onéreux, en le louant à des fins commerciales. S’agissant de cet usage payant, la commune a expressément déclaré son intention d’émettre des factures incluant la TVA. Le ministre a estimé, par une décision du 28 mai 2014 que celle-ci ne pouvait pas bénéficier d’une régularisation de TVA puisque la commune n’avait pas acquis ce bien aux fins d’une activité économique et n’avait donc pas agi en qualité d’assujetti. La Cour suprême administrative polonaise s’interroge alors sur la question de savoir si, conformément aux articles 167, 168 et 184 de la Directive 2006/112 du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), une commune est en droit de déduire, par voie de régularisation, la TVA payée en amont sur des dépenses d’investissement, lorsque le bien d’investissement en cause a d’abord été utilisé aux fins d’une activité non soumise à la TVA, en l’occurrence dans le cadre de la réalisation de missions qui incombent à la commune en tant qu’autorité publique, et ensuite également pour effectuer des opérations imposables. Dans ces conditions, elle décide de surseoir à statuer. La CJUE a alors été amenée à répondre à cette question préjudicielle.

 

Pour la Cour, un organisme public peut bénéficier d’un droit à déduction et à régularisation de la TVA acquittée à l’occasion de l’acquisition d’un bien d’investissement. Bien que le bâtiment ait été d’abord affecté à une activité exclue du champ d’application de la TVA, cela n’excluait pas qu’il le soit à une activité assujettie. Dès lors que l’organisme public se comporte en assujetti à la TVA, le principe de neutralité suppose qu’il puisse bénéficier du droit à déduction et donc du droit à régularisation.

 

Comme le rappelle la Cour de Justice dans son arrêt du 25 juillet 2018, «seule une personne qui a la qualité d’assujetti et qui agit en tant que telle au moment où elle acquiert un bien dispose d’un droit à déduction au titre de ce bien»[3]. Partant, il résulte de ce principe que le droit à déduction n’est permis qu’à compter du moment où la qualité d’assujetti est reconnue (I). Encore faut-il que l’ensemble des conditions tenant au droit à déduction soient respectées (II). Cet arrêt vient préciser l’application de ces éléments aux personnes publiques. Surtout, il vient affirmer de manière fondamentale que la personne publique agit de manière présumée en qualité d’assujetti pour l’exercice du droit à déduction.

 

I - L’assujettissement des personnes publiques, préalable à la reconnaissance d’un droit à déduction

 

L’arrêt du 25 juillet 2018 de la CJUE se contente de rappeler que la commune est un organisme public. Et, à l’évidence, cela ne peut souffrir d’aucune contestation. Si la qualification ici ne pose pas de difficultés, l’arrêt du 22 février 2018 de la CJUE[4] a rappelé les contours de la notion d’organisme de droit public, déjà précisé dans un arrêt du 29 octobre 2015[5]. S’appuyant sur un faisceau d’indices, la Cour caractérise un organisme de public dès lors qu’il dispose de prérogatives de puissance publique, qu’il est intégré dans l’organisation de l’administration ou qu’il existe un lien organique suffisant entre une entité et un organisme de droit public tel qu’une commune.

 

Pour qu’une personne publique soit assujettie à la TVA, encore faut-il qu’elle agisse en tant  que telle, c’est-à-dire qu’elle exerce une activité économique. L’article 13 de la Directive du 28 novembre 2006 pose ainsi un principe d’exclusion pour les personnes publiques agissant «en tant qu’autorités publiques». Comme le remarque la Cour dans son arrêt du 25 juillet 2018, «lorsqu’un organisme public […] agit en tant qu’autorité publique, [il opère] en qualité de non assujetti»[6]. La jurisprudence a été amenée à préciser ce qu’il convenait d’entendre par le fait d’agir « en tant qu’autorité publique ». L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 17 octobre 1989, a précisé que «les organismes de droit public […] exercent des activités "en tant qu'autorités publiques" au sens de cette disposition lorsqu'ils les accomplissent dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier»[7]. Pour l’Avocat général Mischo, il s’agissait des «activités exercées […] en vertu du "pouvoir de souveraineté" », ou qui sont « accomplies au moyen d'actes ou de comportements unilatéraux qui sont l'expression de prérogatives exorbitantes du droit commun» ou encore celles «dont l'exercice est réservé exclusivement aux communes ou à d'autres organismes de droit public»[8]. Cette jurisprudence est désormais constante et a été reprise sous l’empire de la directive du 28 novembre 2006[9]. Toutefois, l’article 13 ajoute que les organismes publics seront tout de même assujettis si leur non assujettissement «conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance». Là encore, la jurisprudence de la Cour a dû en apprécier les contours. la CJCE, dans un arrêt du 16 septembre 2008, a jugé que «les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle […]»[10]. C’est donc de la nature de l’activité exercée par l’organisme public que dépendra don assujettissement ou non à la TVA, et partant son droit à déduction.

 

Au cas d’espèce, le juge n’a pas eu à s’interroger sur la nature des activités. Il a seulement relevé que l’immeuble acquis serait affecté tant à une activité exercée à titre gratuit pour les besoins de la population, qu’à une activité à «fins commerciales»[11]. Cette situation révèle bien la dualité fonctionnelle des organismes publics. Il en résulte que pour les activités à fins commerciales, un assujettissement à la TVA est nécessaire. Cela est conforme au principe d’égalité de traitement. Or, «le principe général d’égalité […] appartient aux principes fondamentaux du droit communautaire», et «ce principe veut que les situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée»[12]. En contrepartie, l’assujettissement, même partiel, ouvre droit à déduction, éventuellement partielle, de la TVA. C’est sur cette question que la décision du 25 juillet 2018 est primordiale. Elle ouvre largement ce droit au bénéfice des collectivités publiques.

 

 

II - La reconnaissance d’une présomption d’assujettissement ouvrant largement le droit à déduction

 

Tirant les conséquences de leur dualité fonctionnelle, la CJUE vient apporter des précisions utiles sur les conditions pour qu’une personne publique puisse déduire la TVA qu’elle a supportée. Cela entraîne certaines conséquences quant au droit à régularisation de la déduction de TVA.

 

La Cour rappelle que le fait déterminant le droit à déduction est l’acquisition du bien. Ce droit est ainsi ouvert, il convient de le rappeler, dès lors qu’un assujetti a agi en tant que tel, au moment de l’acquisition. Il est de jurisprudence constante qu’un assujetti dispose d’un droit à déduction de la TVA ayant grevé un bien d’investissement même si ce bien n’est pas affecté immédiatement à une activité économique[13]. Il suffit pour cela, d’une part, que le bien soit affecté à une activité économique. D’autre part, il faut que celui qui effectue des dépenses d’investissement «dans l’intention, confirmée par des éléments objectifs, d’exercer une activité économique»[14].

 

L’affectation à une activité est logique dans la mesure où seul l’assujettissement d’une activité à la TVA permet à un organisme d’exercer son droit à déduction. L’intentionnalité appelle davantage de précisions.

 

Si l’on s’en tient à une lecture littérale et stricte de la jurisprudence antérieure, il pouvait sembler qu’une manifestation d’intention d’affectation était nécessaire. Cette manifestation peut être explicite. Un organisme public, envisageant dès la construction d’un bien de «donner un gymnase en location à une société de droit commercial»[15] démontre clairement son intention d’agir en qualité d’assujetti. La manifestation de l’intention peut être, également, implicite. Généralement, d’ailleurs, il s’agit simplement de l’affectation immédiate à l’activité économique. L’intention doit, en tout état de cause, être confirmée par des «éléments objectifs»[16]. Autrement dit, même si l’intention n’est pas affirmée en tant que telle, elle ne fait aucun doute compte tenu de l’existence de ces éléments objectifs. Ici réside une difficulté classique. L’objectivité est toujours délicate à manier, d’autant qu’elle dépend de l’interprétation qu’en fait la juridiction de renvoi à qui «il incombe [de les] examiner»[17].

 

Surtout, le juge s’est essentiellement interrogé sur la manière de déterminer cette intentionnalité. L’exercice d’une activité économique est marquant. Tout comme l’exercice d’une activité exclu du champ d’application de la TVA marque l’intention de ne pas être assujetti à la TVA, et, partant, ne permet pas de bénéficier du droit à déduction. Ainsi, organisme public qui acquiert «un bien d’investissement en tant qu’autorité publique» agit en tant que non-assujetti[18]. Pour la Cour, «une personne non assujettie ne dispose pas du droit de déduire la TVA qu’elle a pu acquitter […], l’activité de cette personne n’entrant pas dans le champ d’application [de la TVA]»[19]. Or, dans le cas d’espèce, il ne résulte d’aucun élément que la commune ait montré son intentionnalité d’affecter le bien acquis à une activité économique, ce qui aurait pu conduire à rejeter le droit à déduction pour la commune. Pourtant, le juge opère une lecture un peu différente des décisions précitées.

 

Alors que devait être démontrée l’intention d’affecter le bien à une activité économique pour bénéficier du droit à déduction, le juge semble inverser le raisonnement. Déclarant retenir une acception large de la qualité d’assujetti[20], il indique que l’organisme public peut bénéficier du droit à déduction dès lors qu’il «n’avait pas exclu [qu’un bien] soit utilisé» pour une activité taxée, économique[21]. Il instaure donc une présomption d’affectation à une activité économique, comme cela lui était suggéré par son avocat général[22]. Il étend donc largement l’exercice du droit à déduction, ce qui a des conséquences logiques mais importantes sur le droit de régularisation de la TVA acquittée pour l’acquisition d’un bien d’investissement.

 

En vertu de l’article 184 de la Directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, «la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer». Selon l’article 185 de cette même Directive, «la régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA». Tel que le présente l’arrêt du 25 juillet, ce droit à régularisation «constitue un élément essentiel du système [de TVA] en ce qu’il a vocation d’assurer l’exactitude des déductions et donc la neutralité de la charge fiscale»[23]. Dès lors que l’organisme public se trouve dans le délai requis pour demander une régularisation de son droit à déduction, rien ne peut s’y opposer.

 

La décision de la Cour découle directement du principe de neutralité de la TVA. Ce principe possède deux acceptions. Il se rapproche d’abord du principe d’égalité de traitement. Pour la CJCE «il incombe […] aux juridictions nationales d’examiner si les Etats membres […] n’ont pas méconnu les limites de leur pouvoir d’appréciation en respectant les principes du droit communautaire, en particulier le principe d’égalité de traitement, lequel se traduit, en matière de TVA, par le principe de neutralité fiscale»[24]. Cette acception implique notamment qu’une personne publique agissant comme une personne privée, en tant qu’opérateur économique, soit assujettie à la TVA. La neutralité de la charge fiscale s’oppose à un traitement fiscal différent injustifié d’activités d’investissement identiques[25]. Elle possède ensuite une dimension plus spécifique en matière de TVA. Ce principe de neutralité suppose ainsi que l’entrepreneur soit définitivement soulagé du poids de la TVA, «quels que soient les buts ou les résultats de telles activités»[26]. Cela passe donc par une application aussi juste que possible du droit à déduction.

 

Finalement, la décision de la Cour paraît novatrice en ce qu’elle reconnaît une présomption d’assujettissement pour les collectivités, leur permettant alors de bénéficier du droit à déduction même après qu’un bien ait été affecté à une activité exclue du champ d’application de la TVA. Pourtant, elle s’inscrit pleinement dans l’objectif de la directive TVA, particulièrement au regard du principe de neutralité. Or, à partir du moment où ce droit est largement reconnu, il devient largement ouvert. Les sommes en jeu peuvent alors s’avérer considérables pour les collectivités, notamment lorsqu’il s’agit de déduire la TVA acquittée lors de l’acquisition de biens d’investissement.

 

 

 

[1] CJUE, 21 mars 2018, aff. C-533/16, point 37 (N° Lexbase : A4809XHL)

[2] CJUE, 25 juillet 2018, aff. C-140/17 (N° Lexbase : A2961XYC).

[3] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 34.

[4] CJUE, 22 février 2018, aff. C-182/17, points 45-51 (N° Lexbase : A0569XES).

[5] CJUE, 29 octobre 2015, aff. C-174/14, points 56-62 (N° Lexbase : A2298NUN).

[6] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 37.

[7]CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et 129/88 (N° Lexbase : A7343AHG).

[8] Jean Mischo, précité, point 36 et s. 

[9] CJUE, 29 octobre 2015, précit., point 70.

[10] CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07 (N° Lexbase : A3602EAN), Rec. CJCE I-07203 ; point 53. 

[11] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 17.

[12] CJCE, 19 octobre 1977, aff. C-117/76 et 16/77 (N° Lexbase : A7145AU8), Rec. CJCE, p.1753 ; CJCE, 19 octobre 1977, aff. C-124/76 et 20/77 (N° Lexbase : A7140AUY), Rec. CJCE, p.1795.

[13] CJUE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, point 19 (N° Lexbase : A7275AHW).

[14] CJUE, 22 octobre 2015, aff. C-126/14, point 20 (N° Lexbase : A8605NTU).

[15] CJUE, ordonnance, 5 juin 2014, aff. C-500/13, point 11.

[16] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 39.

[17] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 38.

[18] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 42.

[19] CJUE, 2 juin 2005, aff. C-378/02, point 33 (N° Lexbase : A4883DIP).

[20] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 54.

[21] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 59.

[22] Conclusions de l’Avocat général Juliane Kokott sur l’affaire CJUE, 25 juillet 2017, C-140/17, point 60 (N° Lexbase : A2961XYC).

[23] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 32.

[24] CJCE, 8 juin 2006, aff. C-106/05 (N° Lexbase : A7832DPR), lire en ce sens Yolande Serandour, «L'exonération de TVA des laboratoires privés d'analyses médicales selon la CJCE» , Lexbase Hebdo - Edition fiscale, n° 221, 29 juin 2006 (N° Lexbase : N0249ALS) ; Rec. CJCE p.I-5155 ; point 48.

[25] CJUE, 28 février 2018, aff. C-672/16, point 38 (N° Lexbase : A5518XE4).

[26] CJUE, 13 mars 2008, aff. C-437/06, point 25 (N° Lexbase : A3765D7L).

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