La lettre juridique n°389 du 31 mars 2010 : Bancaire

[Jurisprudence] Précisions sur la résistance à la faillite (1) et le dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie

Réf. : T. com. Paris, 19 octobre 2009, aff. n° 2009031754, SAS Heart of La Défense c/ Société Eurotitrisation, SA (N° Lexbase : A2343EMQ) ; Cass. com., 9 février 2010, n° 09-10.119, Société Royal Scandinavia hôtel Nice, F-P+B (N° Lexbase : A7789ERW)

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N7247BNQ

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 07 Octobre 2010

La cession de créances professionnelles, dont l'initiative revient au sénateur Dailly (2), est une figure du droit français devenue incontournable. Codifiée sous les articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier, elle présente le formidable atout de permettre de céder des créances sans autre formalité que l'établissement d'un bordereau (C. mon. fin., art. L. 313-23), lesquelles cessions prennent effet entre les parties et sont opposables aux tiers "à la date apposée sur [ce] bordereau" (C. mon. fin., art. L. 313-27 N° Lexbase : L6399DIT). Les différents aménagements dont le texte original quasi-trentenaire a fait l'objet ont, à ne pas en douter, contribué à renforcer l'attrait de cet instrument : on peut penser, par exemple, à la précision selon laquelle la cession est opposable erga omnes nonobstant "la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs" (C. mon. fin., art. L. 313-27) (3).

La cession Dailly est un outil de financement à la finalité double. En effet, elle peut être :

  • soit une cession-escompte. En ce cas, la cession Dailly organise une opération par laquelle un établissement de crédit se porte cessionnaire d'une créance auprès de son titulaire pour un prix correspondant au capital restant dû de la créance diminué d'un coût de financement. Selon le Professeur Bonneau (4), la cession Dailly-escompte présente deux caractéristiques principales : le montant du crédit qu'elle ouvre correspond à la valeur de la créance cédée déduction faite de la rémunération du banquier et elle constitue une opération unique liant le paiement anticipé de la créance et le transfert de propriété de la créance. C'est donc une opération de crédit, parce que le paiement effectué par l'établissement de crédit permet au cédant d'obtenir des fonds avant d'avoir recouvré la créance cédée ;
  • soit une cession à titre de garantie. Il s'agit alors de mettre sur pied une opération par laquelle le cédant transfère à son créancier, en garantie du remboursement du crédit qu'il reçoit de ce dernier, la propriété d'une créance qu'il détient à l'encontre d'un tiers. La cession Dailly à titre de garantie intervient sans stipulation de prix et pour une créance dont la valeur n'est pas nécessairement liée à celle du crédit consenti.

A l'évidence, et ce même s'il doit être rangé au sein d'une institution brillamment analysée par le Professeur Crocq (5) et suscitant un engouement qu'il n'est plus utile de démontrer -la propriété-garantie (6)-, ce second mode de recours à la cession Dailly est le plus marqué de particularité : de prime abord, il y a quelque chose d'étrange à céder des flux financiers (qui correspondent à une créance) sans prix. C'est sans doute ce qui a conduit à ce que la loi précise que "même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la [cession Dailly] transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée" (C. mon. fin., art. L. 313-24 N° Lexbase : L9257DYI).

La simplicité et l'efficacité de la cession Dailly ont convaincu les professionnels de la sphère bancaire et financière de l'intérêt qu'elle présente en tant qu'instrument de garantie. C'est ainsi que, souvent, à l'occasion d'opérations de titrisation de créances commerciales, la cession Dailly à titre de garantie de créances futures joue un rôle majeur au sein des mécanismes de rehaussement de crédit (7).

Deux jurisprudences récentes, rendues par des juridictions de degré différent -le tribunal de commerce de Paris et la Cour de cassation- dans des affaires de nature très différentes -oscillant entre les financements structurés et ceux les plus simples- ont éclairé les lanternes des habitués de la cession Dailly à titre de garantie en venant préciser qu'elle résiste à la faillite du cédant (I) et les conditions dans lesquelles elle doit se dénouer (II).

D'enjeux inégaux, ces deux décisions appellent un satisfecit variable. Sans qu'elles ne révolutionnent la matière, elles y apportent des enseignements appréciables et poursuivent la construction d'un régime juridique complet pour la cession Dailly à titre de garantie, à la hauteur de la place qu'elle a pris dans les montages financiers réalisés sous l'empire du droit français.

I - Résistance à la faillite de la cession Dailly à titre de garantie

Fait suffisamment rare pour être souligné : en rendant son jugement du 19 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a tranché l'un des rares contentieux relatifs à une titrisation de droit français. Qui plus est, ce fut l'occasion d'apaiser une affaire qui agitait une large partie des milieux financiers français (et même européens) et immobiliers depuis la fin de l'année 2008.

En 2007, un véhicule ad hoc, la société par actions simplifiée Heart of La Défense, (le "SPV") avait financé l'acquisition de l'ensemble immobilier "Coeur Défense" au moyen de deux prêts remboursables in fine auprès d'une filiale du groupe Lehman Brothers. En garantie du remboursement des prêts, le SPV avait procédé à la cession Dailly à titre de garantie des créances de loyers de l'immeuble. Par la suite, les prêts avaient été titrisés via un fonds commun de créances (8). Lorsque survint la faillite du groupe Lehman Brothers, de peur de voir les investisseurs de la titrisation exiger le remboursement des prêts par anticipation (9), le SPV demanda et obtint son placement sous sauvegarde en octobre 2008. En réaction, la société de gestion du fonds concerné notifia aux locataires, dans les termes prévus par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN), la cession des créances de loyers et leur demanda de régler leur dû directement sur un compte ouvert au nom du fonds.

A l'issue de diverses procédures judiciaires, il revint au tribunal de commerce de Paris de trancher la question suivante : les droits du cessionnaire de créances cédées à titre de garantie conformément aux dispositions des articles L. 313-23 du Code monétaire et financier sont-ils affectés par l'ouverture d'une procédure de sauvegarde concernant le cédant ? Soulageant bien des esprits, le tribunal de Paris répondit par la négative ; c'est heureux. Moralité : la cession Dailly à titre de garantie est "faillite-proof" (A), ce qu'il est difficile de contester tant la solution est richement justifiée en droit (B). D'ailleurs, les arrêts rendus dans le même contentieux par la cour d'appel de Paris le 25 février 2010 (10) ne sont pas revenus sur la réponse apportée en première instance. Néanmoins, en annulant la sauvegarde dont profitait le SPV, ils la vident un peu de son enjeu dans le dossier "Coeur Défense", mais pas de son intérêt théorique général.

A - La confirmation de la résistance à la faillite des cessions Dailly à titre de garantie

Pâques approchant, c'est rien un euphémisme que de le dire, s'agissant de la résistance à l'ouverture d'une procédure collective des cessions Dailly à titre de garantie, la jurisprudence a longtemps marché sur des oeufs ! L'interrogation est légitime dès lors que les créances en cause sont des créances résultant d'un contrat à exécution successive, comme les créances cédées dans le dossier "Coeur Défense" ou des créances futures (auquel cas, l'analyse devrait être similaire).

Le premier arrêt (tristement) remarquable sur ce sujet fut celui rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 avril 2000 (11) qui énonça que "le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'égard d'un cédant fait obstacle aux droits de la banque cessionnaire sur les créances nées de la poursuite d'un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement". Cette malencontreuse inflexion se renversa peu à peu à coup d'arrêts admettant l'effet attributif d'une saisie diligentée préalablement à l'ouverture d'une procédure collective s'agissant de loyers postérieurs au jugement d'ouverture (12) ou l'innocuité du jugement d'ouverture sur les cessions de créances résultant d'un contrat à exécution non successive mais différée (13).

Cette lente évolution trouva une fin heureuse avec l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 novembre 2005 à l'attendu principal fort : "même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée [...] et [...], étant sortie du patrimoine de son cédant, son paiement n'est pas affecté par l'ouverture de la procédure collective de celui-ci postérieurement à cette date" (14).

Le jugement du 19 octobre 2009 est dans la droite ligne de l'arrêt de 2005 en ce qu'il réaffirme que les droits du cessionnaire ne sont pas affectés pas l'ouverture d'une procédure collective relative au cédant (15). Sans doute va-t-il même un peu plus loin en précisant que "même effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession des créances a transféré au cessionnaire la propriété des créances cédées à la date apposée sur le bordereau, peu important que ces créances soient des contrats à exécution successive (16)". Cette dernière mention est précieuse, car elle balaie les quelques incertitudes laissées par l'arrêt du 22 novembre 2005. Au fond, ce n'est qu'une solution de pur bon sens. Qui plus est, elle est étayée par les textes et la jurisprudence à un niveau tel qu'il est quelque peu surprenant qu'elle ait mis un an à émerger dans l'affaire "Coeur Défense" !

B - La justification de la résistance à la faillite des cessions Dailly à titre de garantie

A l'appui de la position prétorienne reprise et développée par le tribunal de commerce de Paris viennent au moins deux séries d'arguments.

La première tient au fait que la cession Dailly à titre de garantie est une véritable cession en pleine propriété ne pouvant être assimilée à un nantissement de créances, susceptible d'être paralysé par l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédant. De notre point de vue, cela résulte fort logiquement :
- de la loi qui prévoit, pêle-mêle, un "nantissement Dailly" à côté de la cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313 23), que la cession Dailly même à titre de garantie et sans stipulation de prix "transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée" (C. mon. fin. art. L. 313-24 N° Lexbase : L9257DYI) ou la possibilité pour le cessionnaire de mobiliser à son tour les créances cédées (C. mon. fin., art. L. 313 -26 N° Lexbase : L9259DYL et L. 313-30 N° Lexbase : L9263DYQ et s.) ;
- mais aussi, de la jurisprudence qui a reconnu notamment que la cession Dailly à titre de garantie ne vaut pas comme un simple nantissement (17) et qu'un bordereau Dailly est transmissible par voie d'accessoire à un fonds commun de créances (18).

Car, il faut s'en souvenir : la cession Dailly fait partie des "cas prévus par la loi" dans lesquels une cession de créance à titre de garantie n'est pas requalifiable en nantissement (19). En conséquence, on ne saurait donc se laisser abuser par la dénomination "à titre de garantie" qui ne signifie qu'une chose : que la propriété a été transférée à une fin particulière, ce qui n'ôte évidemment rien au caractère absolu du droit de propriété du cessionnaire. Cela demeure vrai, même face à l'inexistence dans la loi "Dailly" d'une proposition prévoyant expressément, comme pour les cessions à un organisme de titrisation (C. mon. fin., art. L. 214-43 N° Lexbase : L5548ICH) ou une société de crédit foncier (C. mon. fin., art. L. 515-21 N° Lexbase : L3619HZ3), que la cession conserve ses effets malgré l'ouverture d'une procédure collective relative au cédant (20). Certes, à plusieurs reprises, des amendements parlementaires habilement soufflés s'étaient efforcés d'apporter cette précision au texte. Le fait qu'ils aient été repoussés a pu quelque peu perturber le raisonnement que nous venons de dérouler. Plein de sagesse, le tribunal de commerce de Paris a su ne pas entendre les arguments avancés en ce sens : il n'en reste pas moins qu'un souci de complétude légale (21) a provoqué quelques remous dont la "place de Paris" (22) se serait sans doute passée. A méditer.

Le second type d'arguments venant accréditer le jugement parisien a à voir avec la qualification de la notification de la cession Dailly. Comme le révèle l'étude des faits de l'espèce, dans le dossier "Coeur Défense", les cessions Dailly à titre de garantie des loyers n'avaient pas été notifiées ab initio aux locataires : c'est le schéma généralement retenu en matière de financements structurés, de sorte à ce que le cédant serve de recouvreur au cessionnaire souvent incapable de s'acquitter lui-même de cette tâche. La survenance tardive de cette notification, après l'ouverture de la sauvegarde du SPV, a alimenté un débat sur le point de savoir si la notification prévue par l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN) devait être analysée comme une mesure constitutive ou de réalisation d'une garantie à laquelle s'oppose l'article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3452ICT) dès lors qu'est ouverte une sauvegarde. Pour ce qui les concerne, et nous nous devons de les rejoindre sur ce terrain, les juges consulaires ont considéré que la notification n'avait que pour seul objet la révélation au débiteur de la cession et que, peu importe le moment où elle intervient (23), la cession Dailly est opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau sans autres formalités. Au fond, à nouveau, il ne s'agit là que d'une application littérale du texte de la loi : de l'intérêt général au bonheur de quelques uns, il n'y a parfois qu'un pas.

Reste une interrogation : une fois que le SPV aura récupéré les sommes lui revenant au titre des loyers, quel sort sera celui des sommes éventuellement reçues en excédent de ce qui lui était dû ? La réponse peut être découverte dans l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 février 2010.

II - Modalités de dénouement de la cession Dailly à titre de garantie

Bien que l'arrêt du 9 février 2010 complète utilement la décision relative à la titrisation "Coeur Défense", les faits qui sont à l'origine nous ramènent à des schémas de financement infiniment moins complexes.

Le cas est le suivant : une société (le débiteur principal) bénéficiant d'une ouverture de compte courant auprès d'un établissement de crédit (le créancier principal) cède à ce dernier en garantie du solde débiteur dudit compte courant (la créance garantie) une créance (la créance cédée) détenue sur un de ses débiteurs (le débiteur cédé). Lorsque le débiteur principal est mis en redressement judiciaire, le créancier principal déclare la créance garantie à la procédure collective, cette dernière finissant par être admise pour un montant de 67 519,02 euros (24). Le créancier principal décide alors d'agir contre le débiteur cédé en paiement de l'intégralité de la créance cédée, à savoir 283 383,65 euros. L'affaire est portée devant les tribunaux, et les juges de la cour d'appel d'Aix-en-Provence accèdent à la requête du créancier principal en condamnant le débiteur cédé à lui payer une somme de 283 383,65 euros.

C'est ce qui motive le pourvoi en cassation formé par le débiteur cédé, reprochant à la décision d'appel d'avoir fait fi de ce que la cession Dailly n'avait été faite qu'aux seules fins de garantie et que la créance cédée s'élevait en tout et pour tout à un montant de 67 519,02 euros ce qui ne pouvait justifier une condamnation à hauteur du complet paiement de la créance cédée.

Il revenait donc à la Haute juridiction de se prononcer sur les modalités de dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie. Elle le fit d'une manière assez sibylline en cassant l'arrêt d'appel et en jugeant que "la cession de créance effectuée à titre de garantie prend fin sans formalité particulière pour les sommes excédant la créance qui reste due à la banque cessionnaire par le cédant", ce qui laisse manifestement un peu de place au commentateur ! Profitons de cet espace de liberté pour comprendre en quoi une cession Dailly à titre de garantie fait naître une nécessité de répartir les flux découlant de la créance cédée (A) et apprécier les conséquences qu'en tire la Cour de cassation (B).

A - La nécessité de répartition de flux en matière de cession Dailly à titre de garantie

L'espèce qui nous retient ici puise en grande partie sa source dans un décalage apparu in fine -au moment de la réalisation de la propriété-sûreté que constituait la cession Dailly à titre de garantie de la créance cédée- entre les montants respectifs de la créance cédée et de la créance garantie : la créance garantie admise à la procédure collective du débiteur principal se trouvait alors "couverte" à hauteur d'environ 420 % (25) ! Cet écart appelle nécessairement une ventilation des sommes dues au titre de la créance cédée.

Le décalage présent dans les faits de l'espèce ne doit pas étonner, ni dans son principe ni dans son quantum. En fait de cession Dailly à titre de garantie, il relève plus de la figure imposée que de l'exception.

De manière générale, l'existence d'un décalage originel (26) en termes de montant (27) s'explique essentiellement par le souci du créancier de recevoir une garantie couvrant à coup sûr et a minima le montant en principal et accessoires de la créance garantie. Naturellement, cette exigence se trouve renforcée s'il est impossible, au jour de la cession Dailly, de connaître le montant final de la créance garantie. En l'espèce, c'était d'ailleurs le cas puisque la créance garantie consistait en une créance de compte courant, dont le propre est de varier avec le temps. Il est ainsi fort probable (28) que, dès l'origine, le montant de la créance garantie et celui de la créance cédée étaient très éloignés. Plus généralement, en pratique, les sûretés réelles et les propriétés-garanties (parmi lesquelles, les cessions Dailly à titre de garantie) sont souvent constituées pour un montant qui excède celui des créances garanties : pour le créancier, il s'agit de se ménager la plus forte probabilité de se faire payer en réalisant les sûretés diverses et variées dont il bénéficie. Toutefois, notons que le pouvoir donné au juge de réduire ou d'annuler des garanties excessives (29) vient limiter cette pratique fréquente dans les opérations de leverage buy-out.

Au-delà, le décalage est toujours susceptible de s'accroître, ou simplement d'apparaître, du simple fait de l'écoulement du temps. Plusieurs raisons peuvent l'expliquer. D'abord, le montant de la créance cédée peut varier avec le temps, à la hausse comme à la baisse : dans l'hypothèse d'un contrat à exécution successive, la variation à la baisse résulte, par exemple, des paiements réguliers effectués par le débiteur cédé. Quant à la variation à la hausse, elle intervient si, en fait de créance, est cédé un paquet de créances correspondant à des flux futurs d'activité du cédant : en cas d'activité croissante, la somme desdits flux peut s'avérer in fine largement supérieure au montant de la créance garantie (et inversement, en cas d'activité en récession) (30).

L'écart en termes de montant ainsi détecté commandait que soit déterminé la manière dont les sommes dues au titre de la créance cédée devaient se répartir entre le créancier principal (cessionnaire) et le débiteur principal (cédant). Sur ce point, l'arrêt de la Cour de cassation fait ici montre de peu d'originalité puisqu'il se contente d'appliquer -en filigrane tout du moins- le principe d'allocation dégagé dans l'arrêt précité en date du 22 novembre 2005 selon lequel la cession Dailly à titre de garantie "implique la restitution du droit cédé au cas où la créance garantie viendrait à être payée [et] n'opère qu'un transfert provisoire de la titularité de ce droit" complété par la solution de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 19 septembre 2007 (31) ayant énoncé que "le cédant d'origine peut retrouver la propriété de la créance cédée [...] (32) dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n'a plus de créance à faire valoir ou lorsqu'il y renonce".

Une fois ces deux arrêts appliqués conjointement à l'espèce commentée, il est possible de déduire :
- que les sommes correspondant à la créance cédée devaient revenir au seul créancier principal à hauteur des sommes qui lui étaient dues au titre de la créance garantie ;
- mais, qu'en revanche, toutes les sommes excédentaires doivent demeurer la propriété du débiteur principal. Au nom du principe de prohibition de l'enrichissement sans cause, rien de plus normal.

Rien n'indique que la censure de la Cour de cassation ne soit liée à la violation de ce principe cardinal par les magistrats du fond.

B - Les modalités de répartition des flux en matière de cession Dailly à titre de garantie

Dans notre espèce, les juges d'appel ont condamné le débiteur cédé à payer au créancier principal l'intégralité de la créance cédée : c'est le reproche fait par le moyen de cassation à la juridiction de second degré. Levons l'ambiguïté : juger comme l'a fait la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne revient pas forcément à s'opposer au principe de ventilation de flux que nous avons décrit précédemment. A l'appui de notre proposition, se trouve le fait que les magistrats aixois avaient eux-mêmes mis en avant qu'une cession Dailly à titre de garantie n'opérait qu'un transfert provisoire de propriété, ce qui est une référence manifeste à l'arrêt de 2005 précité. Aussi, le péché paraît-il plutôt avoir trait à la façon dont cette règle de répartition a été appliquée.

Clairement, à la lecture de l'arrêt de 2010, l'allocation requise des sommes dues au titre de la créance cédée se fait "sans formalité particulière". Il s'agit des termes précédemment employés par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt du 19 septembre 2007, enrichi toutefois d'une précision intéressante sur le fait que l'absence de formalité vaut également "pour les sommes excédants la créance qui reste due". Le risque balayé par la Cour de cassation était le suivant : on pourrait arguer que, pour rétrocéder au cédant la part de la créance cédée lui revenant, le cessionnaire devrait procéder par voie de cession sous le régime du droit commun, à savoir celui des articles 1689 (N° Lexbase : L1799ABA) et suivants du Code civil. Exclure toute formalité au moment du dénouement d'une cession Dailly à titre de garantie présente ainsi l'intérêt significatif de ne pas contraindre les parties à organiser une quelconque signification par voie d'huissier (33), à défaut de laquelle les droits du "cédant rétrocessionnaire" pourraient se trouver affaiblis. L'absence de toute formalité (34) qui fait tout l'intérêt de la cession Dailly se trouve ainsi inscrite dans une forme de plénitude. A l'opposé, la règle devrait s'inverser s'agissant d'une cession Dailly-escompte : une rétrocession soumise au régime du Code civil, ou aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, si le rétrocessionnaire est un établissement de crédit, semble nécessaire. D'où l'intérêt de bien opérer en pratique la distinction entre les deux finalités de la cession Dailly que nous avons décrites en introduction.

L'arrêt d'appel ne contrevient pas à cette règle d'absence de formalité. Au contraire ! En commandant que l'entièreté de la créance cédée soit payée entre les mains du créancier principal cessionnaire, il milite indirectement pour un niveau zéro de formalité.

En réalité, le problème pointé du doigt par le moyen du pourvoi (et repris par les juges de cassation) est sans doute situé en légère marge des questions abordées jusqu'ici. Il est temps de lever le rideau sur des faits, moins anodins qu'il n'y paraît, ayant abouti à l'arrêt du 9 février 2010 : la cession Dailly à titre de garantie de la créance cédée avait été signifiée le lendemain de la signature du bordereau au débiteur cédé. Comme dans le contentieux "Coeur Défense", la réflexion relative à la notification vient de cette façon enrichir le débat.

La notification faisant par principe interdiction au débiteur cédé de payer la créance cédée entre les mains du cédant (35), le débiteur cédé ne pouvait plus ici payer que le seul créancier principal. A ce titre, la solution dégagée en appel prend du sens : il était concevable que le créancier principal puisse recevoir l'intégralité de la créance cédée, à charge pour lui de restituer l'excédent au débiteur principal (36). Sans qu'on puisse en être certain, c'est probablement ce mode particulier de dénouement de la cession Dailly à titre de garantie que proscrit l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 9 février 2010. Pour la Cour de cassation, il semble incomber à tout débiteur cédé -notifié de la cession Dailly, à défaut seul le cédant peut recevoir paiement- de faire le départ entre les sommes payables au créancier cessionnaire -à hauteur du montant de la créance garantie- et celles dont le seul titulaire est le cédant.

Si cette solution est celle préconisée par les juges de cassation, elle ne présente pas l'avantage de la simplicité. Certes, elle limite les flux financier. Mais, dans le même temps, l'obligation faite au débiteur cédé de ventiler ses paiements pourrait faire peser sur lui le risque de payer deux fois (37) si l'opération de ventilation était erronée, qu'un trop-payé était perçu par le cessionnaire et qu'il s'avérait après coup impossible de récupérer auprès de lui les sommes versées indûment (38). La difficulté est sans doute démultipliée en cas de cession d'une créance payable par échéances : c'est à chaque paiement que le débiteur doit alors prendre la précaution d'allouer correctement les sommes qu'il pait. Aussi, par prudence, le débiteur cédé devrait quérir une information précise sur ces aspects tant auprès du cédant que du cessionnaire avant de procéder à tout paiement : la Cour de cassation exclut les formalités, mais pas les lourdeurs ! Il est étrange qu'elle paraisse, dans de tels termes, inviter les débiteurs cédés à s'intéresser à ce point aux affaires de leurs créanciers. Fort heureusement, comme nous l'avons souligné s'agissant des faits de l'affaire "Coeur Défense", la pratique veut que les cessions Dailly à titre de garantie soient rarement notifiées. Voilà qui devrait quelque peu neutraliser les effets pervers de la solution contestable qui semble être celle retenue par la Cour de cassation.

En dépit de la légère déception qui peut poindre à l'analyse de l'arrêt du 9 février 2010, il n'y rien d'optimiste à être convaincu que le succès de la cession Dailly à titre de garantie ne se démentira pas. Consolidées par l'affaire "Coeur Défense ", ses qualités de simplicité et de grande sécurité juridique devraient continuer à séduire les spécialistes de la structuration financière comme les établissements de crédit cherchant des solutions élémentaires pour sécuriser leurs engagements, contribuant ainsi au rayonnement de son dynamisme. Preuve, s'il en était nécessaire, que le droit français sait être attractif. Nul besoin à cet effet de se laisser séduire ne quelconque sirène : le développement d'instruments originaux est une voie que le législateur ne saurait négliger. L'histoire de notre temps n'est peut-être plus celle du combat à mort entre le baron et le légiste (39). Néanmoins, s'il entend survivre, ce dernier serait bien inspiré de faire valoir auprès du premier son talent à innover plutôt que de bercer les illusions baroniques qui voient le salut dans le mythe du législateur étranger (40).


(1) D'emblée, nous tenons à préciser que nous réprouvons l'emploi de ce terme impropre mais consacré dans la sphère financière pour désigner, grossièrement, l'ouverture d'une procédure collective. Que nos lecteurs nous pardonnent de céder à cette facilité.
(2) Sénateur à qui elle doit son nom usuel ; pour le reste de nos développements, nous parlerons donc de "cession Dailly".
(3) Ces précisions sont capitales en matière d'opérations internationales.
(4) Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 8ème éd., 2009, n° 583, p. 445.
(5) P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, 1995.
(6) Pour s'en convaincre, il suffit de lire les nouveaux chapitres ajoutés en 2009 au Code civil (avec une main plus ou moins heureuse), par l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie (N° Lexbase : L6939ICY) et qui sont relatifs à la "propriété cédée à titre de garantie" (il s'agit, à chaque fois, du dernier chapitre consacré respectivement aux sûretés réelles mobilières et immobilières).
(7) Dans les grandes lignes, et de manière générale, le rehaussement de crédit a pour objectif de diminuer le risque présenté par un portefeuille d'actifs. Pour simplifier, s'agissant d'un rehaussement fondé sur des cessions de créances futures : si à une date T, sont cédées à titre d'escompte des créances d'une valeur de 50 pour un prix de 48 (la différence correspondant à la rémunération du cessionnaire) et, à titre de garantie, les créances à naître durant le mois suivant la cession (correspondant donc à l'activité commerciale ou industrielle du cédant pendant ladite période), le cessionnaire, même s'il ne parvient pas à recouvrer les sommes correspondant aux premières créances peut toujours espérer recouvrer celles liées aux secondes qu'il n'a pas financées.
(8) Transformé par la suite en fonds commun de titrisation.
(9) Ce que permettaient les contrats de prêts, en des termes et à des conditions sur lesquels il n'y a pas lieu de revenir ici.
(10)  CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 25 février 2010, 3 arrêts n° 09/21184 (N° Lexbase : A9368ESR), n° 09/21530 (N° Lexbase : A7724ESU), et n° 09/22756 (N° Lexbase : A9371ESU).
(11) Cass. com., 26 avril 2000, Société Westpac Banking Corporation c/ Société Socpresse, publié (N° Lexbase : A5133AWZ), Bull. IV, n° 84, p. 74.
(12) Cass. mixte, 22 novembre 2002, n° 99-13.935, Mme Laurence Riffier c/ Société White SAS, publié (N° Lexbase : A0430A4P) Bull. civ., n° 7, p. 17.
(13) Cass. com., 7 décembre 2004, n° 01-10.893, Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) CUNI.CO.LE c/ Mme Denise Fievet, F-P+B (N° Lexbase : A4600DE4), Bull. IV, n° 230, p. 249.
(14) Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-15.669, M. Bruno Sapin, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Entreprise Jean Nallet c/ Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP Banque), FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7428DLP) ; parmi la profusion d'articles, commentaires et autres notes ayant proposé des vues sur cette décision : RTDCom., 2006.169, obs. D. Legeais ; JCP éd. E, 2006, 673, n° 14-15, obs. M. Cabrillac ; et Banque et Droit, mars-avril 2006, p. 67, obs. Th. Bonneau.
(15) En l'occurrence, la sauvegarde dont faisait l'objet le SPV.
(16) Nous soulignons.
(17) Com., 28 mai 1996, n° 94-10.361, Banque nationale de Paris (BNP) c/ M Giffard, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Eurohaul et autre (N° Lexbase : A9592ABU).
(18) Cass. com., 16 octobre 2007, n° 06-14.675, Société civile immobilière (SCI) des Dames Visitandines, FS-P+B (N° Lexbase : A8061DY9), X. de Kergommeaux, E. Barres & A. Bordenave, La transmission d'un "bordereau Dailly" à un fonds commun de créances : arrêt du 16 octobre 2007 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Revue trimestrielle de droit financier, 2007, n° 4, p.124.
(19) Cf. Com., 19 décembre 2006, n° 05-16.395, Société Disques investissements audio vidéo (DIVA), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9943DS3), F. Auckenthaler, Cession de créance en garantie : le serpent de mer se déchaîne, JCP éd. E, 2007, n° 2187 ; L. Aynes, D., 2007, p. 961, C. Larroumet, D., 2007, p. 344, G. Mégret, La Cour de cassation tranche : pas de fiducie sans texte..., Lexbase Hebdo n° 250 du 29 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N1071BAW).
(20) Voir en ce sens : F. Credot & T. Samin, Coeur Défense, un dossier emblématique d'application de la loi Dailly, Revue Banque, janvier 2010, p. 81 et s.
(21) "L'inflation se grossit de l'enflure", disait Carbonnier.
(22) Pour reprendre l'expression consacrée.
(23) Moment que le Code monétaire et financier laisse à la discrétion du cessionnaire (C. mon. fin, art. L. 313-28).
(24) Et non 203 372,17 euros comme le créancier principal le demandait.
(25) Pour mémoire : la créance garantie s'élevait (in fine) à 67 519,02 euros.
(26) Qui existerait au jour de la cession Dailly à titre de garantie.
(27) D'autres décalages sont susceptibles d'apparaître comme le décalage temporel entre l'échéance de la créance garantie et celle de la créance cédée auquel l'article 2364 du Code civil (N° Lexbase : L6529HWQ) fait référence en matière de nantissement de créance ; nous ne les évoquerons pas plus longuement ici.
(28) Pour ne pas dire : certain.
(29) Ce pouvoir du juge est prévu par l'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) qui dispose que "pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue [pour soutien abusif] les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge".
(30) Les titrisations de créances commerciales s'appuient généralement sur ce mécanisme.
(31) Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 04-18.372, M. Christian Bègue, F-P+B (N° Lexbase : A4151DYE), RTDCom., 2008, 162, obs. D. Legeais ; Banque et Droit, novembre -décembre, 2007, 30, obs. Th. Bonneau.
(32) Nous reviendrons sur le contenu laissé en blanc ici un peu plus bas.
(33) Ou une acceptation par ce dernier en la forme des actes authentiques, ayant toutes deux pour objet de faire en sorte que "le cessionnaire soit saisi à l'égard des tiers" (C. civ., art. 1690 N° Lexbase : L1800ABB).
(34) Outre, encore une fois, la signature d'un bordereau.
(35) En ce sens, on a pu la rapprocher de la défense faite au tiré de payer une lettre de change : Jeantin, P. Le Cannu, T. Granier, Droit commercial - Instruments de paiement et crédit / Titrisation, Dalloz, 7ème éd., 2004, n° 490, p. 326.
(36) En application du principe de répartition que nous avons développé plus haut.
(37) En application de l'article 1240 du Code civil (N° Lexbase : L1353ABQ).
(38) Voir, dans le même sens, X. Delpech, Dénouement de la cession Dailly à titre de garantie, D., 2010, p. 578.
(39) Pour pasticher une citation de Michelet.
(40) Cf. J. Carbonnier (encore et toujours !), A beau mentir qui vient de loin, ou le mythe du législateur étranger, in Essai sur les lois, Defrénois, 2ème éd., 1995, p. 191.

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