La lettre juridique n°389 du 31 mars 2010 : Licenciement

[Questions à...] Lettre de licenciement : employeurs, n'oubliez pas de mentionner les droits acquis au titre du Dif !... Questions à Maître Patrick Laurent, Avocat spécialiste en droit social, Cabinet Laurent

Réf. : Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.382, M. Eric Margottin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pressing 49, F-D (N° Lexbase : A0473ESC)

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[Questions à...] Lettre de licenciement : employeurs, n'oubliez pas de mentionner les droits acquis au titre du Dif !... Questions à Maître Patrick Laurent, Avocat spécialiste en droit social, Cabinet Laurent. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212584-questions-a-lettre-de-licenciement-employeurs-noubliez-pas-de-mentionner-les-droits-acquis-au-titre-
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Le principe posé par le Code du travail est sans ambages : tout salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée et ayant au moins un an d'ancienneté dans l'entreprise bénéficie chaque année d'un droit individuel à la formation, ou Dif, d'une durée de vingt heures (C. trav., art. L. 6323-1 N° Lexbase : L3634H9H). Et, en cas de licenciement, hormis l'hypothèse du licenciement pour faute lourde, l'employeur est tenu de mentionner dans la lettre de licenciement les droits que le salarié a acquis au titre de ce Dif et la possibilité de demander, pendant le préavis, à bénéficier d'une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience (VAE) ou de formation. Le cas échéant, la lettre doit mentionner les dispositions spécifiques applicables en cas d'adhésion à une convention de reclassement personnalisé.
Pour autant, le principe ainsi posé, subsistent encore certaines zones d'ombre, notamment lorsque l'on pose la question de savoir quelle est la sanction applicable en cas d'omission des droits acquis au titre du Dif dans la lettre de licenciement. Si les juges du fond semblaient jusqu'à encore très récemment tâtonner, la Cour de cassation tranche, dans un arrêt du 17 février 2010, en faveur de l'octroi au salarié ainsi lésé de dommages et intérêts (1)... En effet, dans cette affaire, un salarié ayant été licencié n'avait pas été informé de ses droits en matière de Dif dans la lettre de licenciement. Les juges du Quai de l'Horloge retiennent que "la cour d'appel a justement retenu que le manquement de l'employeur à son obligation d'informer le salarié qu'il licencie de ses droits en matière de droit individuel à la formation lui causait nécessairement un préjudice dont elle a apprécié souveraineté le montant". Autrement dit, l'omission des droits acquis au titre du Dif dans la lettre de licenciement cause nécessairement un préjudice au salarié lui ouvrant, dès lors, l'octroi de dommages et intérêts s'il saisit les tribunaux. Cet arrêt est finalement assez logique et doit inciter les employeurs à davantage de vigilance dans la rédaction de la lettre de licenciement. Eléments d'explication avec Maître Patrick Laurent, Avocat spécialiste en droit social, Cabinet Laurent. Lexbase : Quel est le cadre juridique entourant l'obligation de mentionner dans la lettre de licenciement les droits acquis par le salarié au titre du Dif ?

Patrick Laurent : La réponse est à l'article L. 6323-19 du Code du travail (N° Lexbase : L9602IED), lequel prévoit que, "dans la lettre de licenciement, l'employeur informe le salarié, s'il y a lieu, de ses droits en matière de droit individuel à la formation. Cette information comprend les droits visés à l'article L. 6323-17 (N° Lexbase : L9632IEH) et, dans les cas de licenciements visés à l'article L. 1233-65 (N° Lexbase : L1247H93), les droits du salarié en matière de droit individuel à la formation définis par l'article L. 1233-66 (N° Lexbase : L1250H98)".
Ces dispositions obligent donc à mentionner expressément dans la lettre trois choses : le nombre d'heures acquises, la possibilité pour le salarié de demander -avant la fin du préavis- à utiliser ses droits pour financer une action de bilan de compétences, de VAE ou de formation, et le fait que, si cette action est réalisée pendant l'exercice du préavis, elle se déroulera pendant le temps de travail. (C. trav., art. L. 6323-17 N° Lexbase : L9632IEH).
Elles contraignent également à y préciser, s'agissant des licenciements pour motif économique, que lorsque le salarié accepte une convention de reclassement personnalisé (CRP), les droits au Dif sont doublés (C. trav., art. L. 1233-66 N° Lexbase : L1250H98).
Enfin, on peut se demander si elles ne rendent pas indirectement nécessaire l'insertion des dispositions de l'article L. 6323-18 (N° Lexbase : L9616IEU) relatives à la "portabilité" des droits au Dif.

Lexbase : Comment expliquer que les employeurs ne respectent pas toujours cette obligation ?

Patrick Laurent : Dans beaucoup de PME, le Dif -bien que créé il y a près de six ans (2)- reste assez peu utilisé. Je connais des petites entreprises dans lesquelles aucun salarié ne l'a encore demandé ! Peut-être parce ces employés ne sont pas informés chaque année de leurs droits, comme pourtant leur employeur en a l'obligation, en application de l'article L. 6323-7 du Code du travail (N° Lexbase : L3643H9S).
Il n'est donc pas très étonnant que le Dif ait été parfois oublié au moment du licenciement.
Je pense, quand même, que ce genre d'oubli va devenir plus rare. D'abord, parce qu'aujourd'hui, le plafond de 120 heures (C. trav., art. L. 6323-5 N° Lexbase : L3643H9S) étant atteint, on peut s'attendre à une augmentation des demandes en cours de contrat. Ensuite, parce que la "portabilité" du Dif, nouveau droit issu de la loi du 24 novembre 2009 (3), va accroître l'intérêt des salariés pour ce dispositif.

Lexbase : Et peut-être est-ce aussi en raison de la crainte d'une sanction financière, dont le principe est désormais reconnu par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2010 ?

Patrick Laurent : Le législateur n'avait pas prévu de sanction spécifique. Les juridictions du fond en ont donc créé une, mais sur deux bases juridiques différentes :
- soit le droit à l'indemnité légale pour procédure irrégulière de licenciement ;
- soit le droit à des dommages et intérêts pour le préjudice subi.
La Cour de cassation semble avoir tranché définitivement, par cet arrêt du 17 février dernier, en faveur des dommages et intérêts.
Le recours à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) me paraît logique en droit.
Il convient de préciser que, dans ce cadre, le salarié n'a à démontrer ni le lien de causalité, ni la réalité de son préjudice engendré par la négligence de l'employeur : le manquement de celui-ci crée nécessairement un préjudice que les juges du fond doivent apprécier souverainement.
La solution pourra sembler sévère aux entreprises quand la rupture, intervenue pour faute lourde -ce qui entraîne la perte des droits au Dif-, aura ensuite été requalifiée en licenciement pour faute grave ou pour faute simple ou sans cause réelle et sérieuse.
Dans une décision de la cour d'appel de Bordeaux du 7 janvier 2010 (4), les juges ont ainsi accordé 750 euros de dommages et intérêts à une salariée licenciée pour faute grave (à l'époque des faits la faute grave était privative des droits au Dif (5)) après avoir dit la rupture sans cause réelle et sérieuse...
Par ailleurs, il faut s'attendre à la même logique s'agissant des mentions dans le certificat de travail des droits acquis au titre du Dif. (C. trav., art. L. 6323-21 N° Lexbase : L9643IEU) (6). Leur absence engendrera un préjudice, et donc des dommages et intérêts...

Lexbase : Ce défaut de sanction soulève une première "faille". N'existe-t-il pas d'autres incohérences, notamment en cas de faute grave ?

Patrick Laurent : La nouvelle loi du 24 novembre 2009, on l'a vu, oblige à mentionner dans la lettre de licenciement la possibilité d'utiliser le Dif pendant la période de préavis, alors que -par définition- dans un licenciement pour faute grave, il n'y a pas de préavis...
Pour ma part, il me paraît plus dangereux de tenter de reproduire cette mention -qui créerait un doute sur la qualification du licenciement (faute grave ou faute simple ?)- que de ne pas le faire. Attendons les premières décisions pour y voir plus clair.


(1) Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.382, M. Eric Margottin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pressing 49, F-D (N° Lexbase : A0473ESC).
(2) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Présentation de la réforme du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 120 du 13 mai 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1585ABC).
(3) Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET). Lire les obs. de Ch. Willmann, Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : de nouveaux droits en matière d'orientation et de formation professionnelle (première partie), Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5875BMK) et Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : rendre plus efficace l'organisation de l'orientation et de la formation professionnelle (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BMX).
(4) CA Bordeaux, 7 janvier 2010, n° 09/03269, SARL Algita c/ Madame Marie Josée Pelin (N° Lexbase : A2358EUU).
(5) Aujourd'hui, le salarié ne perd le bénéfice de son Dif que dans l'hypothèse d'une faute lourde.
(6) Ces mentions ont récemment été précisées (décret n° 2010-64 du 18 janvier 2010, relatif à la mention des droits acquis au titre du droit individuel à la formation dans le certificat de travail N° Lexbase : L3855IGU). Le certificat de travail doit désormais mentionner le solde du nombre d'heures acquises au titre du Dif et non utilisées, ainsi que la somme correspondant à ce solde, et l'organisme collecteur paritaire agréé compétent pour financer les actions de formation (C. trav., art. D. 1234-6 N° Lexbase : L4036IGL).

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