La lettre juridique n°389 du 31 mars 2010 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Le défaut d'homologation du contrat de rugbyman professionnel n'entraîne pas sa nullité

Réf. : Cass. soc., 17 mars 2010, n° 07-44.468, M. Santiago Delappe c/ Société Montpellier rugby club, F-P+B (N° Lexbase : A8028ETI)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Qu'il pratique le football ou le rugby, le joueur professionnel conclut avec le club qui l'emploie un contrat de travail soumis aux règles impératives du Code du travail. Ce contrat doit, en outre, respecter certaines exigences particulières édictées par des textes spéciaux propres à chacun de ces deux sports. Ces règles ont en commun d'imposer une procédure d'homologation. Si cette homologation s'applique au premier chef au contrat de travail et à ses éventuels avenants, elle concerne, en réalité, toutes les conventions qui viendraient à être conclues entre le joueur et le club professionnel et, notamment, les promesses synallagmatiques de contrat. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mars 2010, rendu dans une affaire qui intéressait un joueur de rugby professionnel. En outre, et ainsi que l'affirme la Chambre sociale dans ce même arrêt, le défaut d'homologation ne saurait entraîner la nullité de la convention, dès lors qu'aucun texte ne prévoit cette sanction.
Résumé

S'il résulte des règlements de la Ligue nationale de rugby (LNR) que tout contrat et/ou avenant conclu entre un joueur et un club professionnel, pour les joueurs sous contrat professionnel, doit impérativement être adressé à la LNR dans un délai de huit jours à compter de sa signature, aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité du contrat.

I - L'exigence d'homologation

  • Principes

Comme n'importe quel autre salarié, le rugbyman professionnel conclut avec le club qui l'emploie un contrat de travail, dont on sait qu'il est habituellement à durée déterminée (1). Ce contrat se doit, à l'évidence, d'être conforme aux dispositions impératives du Code du travail pour être valide. Au-delà, les textes propres à cette profession imposent, à l'instar de ceux applicables aux joueurs de football professionnel, une procédure d'homologation (2).

Selon l'article 13 du Titre I des règlements généraux de la ligue nationale de rugby (LNR), les contrats conclus entre un club et les joueurs professionnels "sont soumis à la procédure d'homologation, dans les conditions fixées :

- par la Convention collective du rugby professionnel ;

- le présent règlement et son annexe n° 3 relative à la procédure d'homologation".

Ce même texte dispose que "la portée de l'homologation sur l'entrée en vigueur du contrat est fixée par la Convention collective du rugby professionnel". Il précise, toutefois, que l'homologation du contrat est un préalable à la qualification du joueur dans les compétitions professionnelles organisées par la LNR (3).

La qualification de l'homologation pose de sérieuses interrogations. On est, de prime abord, tenté d'y voir une simple condition suspensive. Cette qualification semble, cependant, devoir être rejetée, dès lors que l'on admet que cette condition "est un élément adventice, dont la volonté des parties fait dépendre l'effectivité ou la survie d'une obligation qui aurait pu ne pas être assortie de cette modalité" (4). La condition ne procédant pas ici de la volonté des parties, mais d'une norme contraignante extérieure, la qualification de condition suspensive paraît exclue. Il s'agirait plutôt d'une condition de validité ou de formation du contrat (5). A dire vrai, ces discussions peuvent s'avérer superficielles, dès lors que la Cour de cassation ne paraît guère s'embarrasser de telles considérations, ainsi qu'en témoigne l'arrêt sous examen (6).

  • Les actes juridiques soumis à homologation

En l'espèce, le 2 avril 2005, la société Montpellier rugby club avait signé, avec M. X, une convention stipulant l'engagement de celui-ci à compter du 1er juillet 2005 en qualité de joueur professionnel, cet engagement devant devenir définitif en cas de réalisation de conditions relatives, notamment, au maintien au sein du top 14, à un examen médical du joueur et à la ratification de cette convention par signature d'un contrat répondant au formalisme de la ligue dans les huit premiers jours de la période officielle des mutations. Il était, par ailleurs, stipulé que la partie lésée par le non-respect de cette dernière obligation pourrait réclamer des dommages-intérêts conformément à la clause pénale prévue à l'article 7 de cette convention.

M. X ayant, le 18 mai 2005, informé la société de la signature d'un nouveau contrat de travail avec un autre club, au sein duquel il souhaitait rester pour la prochaine saison, celle-ci a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en dommages-intérêts en application de cette clause. Le joueur faisait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer au club de Montpellier la somme de 114 000 euros. Pour échapper à cette condamnation, M. X soutenait, semble-t-il, à l'appui de son pourvoi, que la convention conclue avec le club précité aurait dû être soumise à homologation et que, ne l'ayant pas été, elle était sans effets.

On pouvait effectivement s'interroger sur le fait de savoir si cette convention devait être soumise à homologation. A priori, celle-ci paraît plutôt concerner le contrat de travail et ses éventuels avenants. Les textes applicables ne sont toutefois pas des plus clairs. Visant parfois le seul contrat et ses avenants, il se réfère, par ailleurs, à d'autres actes juridiques. Ainsi, l'article 2.2 de l'Annexe 3 aux règlements de la LNR dispose que "tout contrat, avenant, convention, contre-lettre, accord particulier, modification du contrat, non soumis à homologation dans les conditions prévues par la Convention collective du rugby professionnel et la réglementation de la LNR, et porté à la connaissance de la Commission juridique de la LNR, sera passible [de certaines sanctions]" (7). De même, l'article 2.2 du Titre 1 de la Convention collective du rugby professionnel vise "tout contrat, avenant, accord entre un Club et un joueur".

A lire ces textes, il apparaît que la procédure d'homologation n'a pas pour seul objet le contrat de travail stricto sensu et ses éventuels avenants. Par voie de conséquence, le joueur avait sans doute raison de considérer que la convention qu'il avait conclue avec le club de Montpellier devait être soumise à homologation. La Cour de cassation va d'ailleurs lui donner raison sur ce point, tout en rejetant néanmoins sa prétention, sur le fondement de la sanction de l'absence d'homologation.

II - L'absence d'homologation

  • Le rejet de la nullité de la convention

Pour la Cour de cassation, "s'il résulte des règlements de la Ligue nationale de rugby (LNR) que tout contrat et/ou avenant conclu entre un joueur et un club professionnel, pour les joueurs sous contrat professionnel, doit impérativement être adressé à la LNR dans un délai de huit jours à compter de sa signature, aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité du contrat".

Par conséquent, "la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé le contrat et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ayant constaté que le joueur professionnel, lié au club d'Agen, avait signé, hors de la période des mutations, une convention avec le club de Montpellier par laquelle il s'engageait à jouer pour ce dernier club la saison suivante, a exactement décidé que l'absence d'homologation par la ligue nationale de rugby d'une telle convention, laquelle s'analysait en un pré-contrat, n'était pas de nature à affecter sa validité et que le joueur était tenu de respecter les engagements qu'il avait souscrits de sorte que le non respect de ses obligations justifiait l'application de la clause de dédit".

Deux principaux enseignements peuvent être tirés de cette décision. Tout d'abord, l'homologation n'est pas uniquement applicable au contrat de travail stricto sensu et à ses éventuels avenants. C'est toute convention intervenant entre un joueur et un club professionnel qui doit respecter cette exigence (8). Ensuite, le défaut d'homologation n'a pas pour effet d'entraîner la nullité du contrat.

Cette solution peut, de prime abord, troubler, dans la mesure où, dans plusieurs décisions antérieures, la Chambre sociale a jugé que, faute d'homologation, le contrat était dépourvu d'effets (9). On pourrait tenter d'expliquer cette dissonance en avançant que l'absence d'effets n'est pas assimilable à la nullité. Pour être juridiquement juste (10), cette affirmation ne constitue pas l'explication la plus pertinente. Dans les arrêts précités, étaient en cause des joueurs de football professionnels. Or, la Charte du football professionnel stipule expressément, en son article 256, que "tout contrat, ou avenant de contrat, non soumis à l'homologation ou ayant fait l'objet d'un refus d'homologation par la commission juridique est nul et de nul effet". Là est la différence fondamentale puisque, ainsi que le relève expressément la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, "aucun texte ne prévoit que le non-respect de ces règles est sanctionné par la nullité" (11).

On pourra s'étonner d'une telle affirmation dans la mesure où l'article 2.2 du Titre II de la Convention collective du rugby professionnel stipule que "tout contrat, avenant, accord entre un Club et un joueur non homologué est dépourvu d'existence et d'effets, sous réserve des dispositions de l'article 2.3.8.b ci-après relatives aux cas de refus d'homologation pour raisons financières". Mais il est vrai que, conclue le 29 mars 2005, cette convention n'est entrée en vigueur que le 1er juillet 2005 (art. 2.1.1 du Titre I), soit quelque temps après les faits de l'espèce. En d'autres termes, la solution retenue par la Cour de cassation dans la présente espèce doit être tenue pour inapplicable aujourd'hui, puisque l'on a un texte qui sanctionne le non-respect de l'homologation par la "nullité". Il faut, en outre, rappeler que le règlement de la LNR renvoie expressément à cette convention s'agissant de la détermination de la "portée" de cette formalité. Cette portée est désormais on ne peut plus clairement définie. Il aurait sans doute été souhaitable que la Cour de cassation se réfère aux textes "applicables aux faits de l'espèce". Pour ne l'avoir pas fait, la solution peut conduire à certaines conjectures : erreur ? Mise à l'écart des stipulations de la convention collective pour privilégier les seuls règlements de la LNR ?

  • Sort du contrat

L'absence d'homologation de la convention par la LNR n'étant pas de nature à en affecter la validité, celle-ci devait recevoir application et le joueur se devait donc de respecter les engagements qu'il y avait souscrits. Pour ne pas l'avoir fait, il s'est rendu coupable d'une inexécution contractuelle qui, comme telle, pouvait donner lieu à l'attribution de dommages-intérêts à l'autre partie contractante.

La désinvolture du joueur est d'autant plus étonnante que la convention renfermait une clause pénale que les juges du fond ne se sont pas privés d'appliquer, approuvés en cela par la Cour de cassation. Curieusement, cette clause pénale devient, dans la décision de la Chambre sociale, une "clause de dédit". On ne peut manquer de s'attarder sur ce changement de terminologie dans la mesure où il est classiquement enseigné qu'il ne faut pas confondre la clause de dédit avec la clause pénale (12). Distinction essentielle, notamment au regard du fait qu'à la différence de la seconde, la première ne saurait voir son montant modéré par le juge. Cela étant, et faute d'éléments plus précis sur le libellé de la clause en question, on se gardera d'aller plus loin.

On s'accordera, en revanche, avec la Cour de cassation pour considérer que la convention litigieuse était un "pré-contrat" ou, pour reprendre une terminologie plus classique, un "avant-contrat". Plus précisément, cette convention pouvait être qualifiée de promesse synallagmatique de contracter. Sans doute les parties s'étaient-elles mises d'accord sur les éléments essentiels du futur contrat. Ce n'était, toutefois, pas le contrat définitif car la conclusion de ce dernier nécessitait l'accomplissement de certaines formalités, au premier rang desquelles figurait l'homologation.

Il faut, pour conclure, relever qu'en application de l'article 46 ter du Titre I du règlement de la LNR, "il est interdit à un joueur (ou entraîneur) de conclure avant le 1er février 2010 un accord avec un club professionnel consistant en un engagement réciproque à conclure un contrat de travail pendant la période officielle des mutations (ou à toute autre date notamment pour les entraîneurs) en vue de la saison sportive 2010/2011 et/ou des saisons sportives suivantes". Cette disposition, applicable depuis le 2 avril 2009, apparaît, de par sa rigueur, contestable. Elle évite toutefois aux joueurs qui s'engagent à la légère, la même mésaventure que celle rencontrée par M. X.


(1) Il s'agit plus précisément d'un contrat à durée déterminée "d'usage" dont on apprend, à la lecture de la Convention collective du rugby professionnel qu'il est "obligatoire", par "souci d'équité sportive" (art. 1.1, du Titre 1). L'obligation ainsi faite de recourir au contrat à durée déterminée et, qui plus est, au contrat "d'usage" est extrêmement contestable, tant en droit qu'en fait.
(2) Exigence d'homologation qui participerait, elle aussi, de "l'équité sportive" (cf. le texte cité à la note précédente). Il faudrait s'interroger sur la conformité de cette procédure à la liberté du travail et à la liberté d'entreprendre. Mais on peut admettre qu'elle participe d'un légitime souci de protection du joueur professionnel.
(3) L'homologation relève de la compétence de la commission juridique de la LNR, après avis favorable de la DNACG au plan financier.
(4) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, § 1219.
(5) Ce qui conduirait à considérer que tant que l'homologation n'a pas été donnée, le contrat n'est pas formé et que l'on se trouve donc en présence d'un autre acte juridique ou en phase précontractuelle.
(6) Elle a, toutefois, par le passé, analysé l'homologation comme une condition suspensive (Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-44.851, Association Les Chamois niortais et autre c/ M Steck, publié N° Lexbase : A0302ABS).
(7) En l'occurrence des peines d'amende.
(8) Sans que l'on sache très bien où se situe la limite. Ainsi, le contrat de vente par lequel le joueur cède son automobile à son club doit-il être soumis à homologation ? On pourra avancer que sont seuls concernés les contrats organisant la relation de travail entre le joueur et son club.
(9) Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-44.851, préc. ; Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-42.638, M. Chatrefoux c/ M. Reau, ès qualités de liquidateur du Club olympique du Puy, et autres, publié (N° Lexbase : A9319ABR).
(10) Remarquons que l'absence d'effets est plus conforme à la qualification de condition suspensive, tandis que la nullité renvoie plutôt à celle de condition validité.
(11) C'est donc la "nullité" qui est ici visée et non "l'absence d'effets". Condition suspensive là, l'homologation serait une condition de validité ici. A notre sens, et nonobstant la référence à la nullité, c'est sans doute la qualification de condition suspensive que privilégie la Cour de cassation puisqu'elle fait produire effets à la convention, nonobstant l'absence d'homologation.
(12) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc., § 481.


Décision

Cass. soc., 17 mars 2010, n° 07-44.468, M. Santiago Delappe c/ Société Montpellier rugby club, F-P+B (N° Lexbase : A8028ETI)

Rejet, CA Montpellier, 4ème ch. soc., 18 juillet 2007

Textes concernés : règlements de la ligue nationale de rugby ; convention collective du rugby professionnel

Mots-clefs : joueur de rugby professionnel ; conclusion d'un avant-contrat ; homologation ; défaut ; nullité (non) ; inexécution ; sanctions

Lien base : (N° Lexbase : E7649ES4)

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