Lexbase Affaires n°437 du 24 septembre 2015 : Bancaire

[Le point sur...] L'été studieux du monopole bancaire

Réf. : Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 13-88.557, FS-D (N° Lexbase : A7728NM8) et loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, art. 167 (N° Lexbase : L4876KEC)

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par Alexandre Bordenave, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

le 24 Septembre 2015

"De monopolium argentariis nunquam satis".
Trouvant son fondement positif dans le droit communautaire, en particulier aux articles 5 de la Directive 2006/48/CE et 1 4° de la Directive 2000/46/CE, le monopole bancaire fait l'objet d'une conception extensive par le législateur français qui, s'il s'est dépossédé de sa souveraineté monétaire au profit de l'Eurosystème (1), en fait un véritable instrument de l'ordre public économique de direction en réservant aux seuls établissements de crédit et sociétés de financement la réalisation habituelle des opérations de banques définies par l'article L. 311-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2512IXC) (2).
Vraisemblablement, ce supplément gaulois de rigidité alimente la très régulière actualité du monopole bancaire à la française. Le mois de juillet 2015 l'a illustré à nouveau :
- au plan prétorien, avec un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2015, qui a apporté quelques enseignements quant à portée territoriale du monopole bancaire français ;
- et au plan législatif, avec l'article 167 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite "Macron", qui est venue enrichir la déjà riche constellation des exceptions à ce monopole. A l'occasion de cette chronique de rentrée, nous nous proposons ainsi d'étudier successivement ces deux développements relatifs au monopole bancaire, à savoir l'arrêt précité du 8 juillet 2015 (I) et le nouveau crédit interentreprises résultant de la loi Macron (II), le tout brossant le tableau contrasté d'un principe strict admettant des exceptions toujours nombreuses.

I - Précisions quant à la portée territoriale du monopole bancaire français

L'imbroglio juridico-financier ayant abouti à ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation statue le 8 juillet 2015 est à la fois des plus complexes, en ce qu'il a impliqué la commission d'un grand nombre d'actes successifs, et des plus élémentaires, puisque qu'une reductio permet de ramener ces actes à des écrans de fumée.

Pour dire simplement les choses, un directeur d'agence bancaire avait été condamné en appel à un an de prison avec sursis pour complicité (entre autres) d'exercice illégal de la profession de banquier parce qu'il avait mis en relation, contre perception d'une somme d'argent, l'un de ses clients et l'auteur principal d'une violation du monopole bancaire ayant consisté à recevoir des fonds d'un client pour les placer à l'étranger. La remise des fonds avait été réalisée depuis un compte en Suisse jusqu'au Luxembourg en passant par une banque du Royaume-Uni. Compte tenu de ce schéma, le prévenu contestait devant la Cour de cassation l'application du monopole bancaire français au nom du fait que les opérations incriminées avaient été accomplies hors de France. Il revenait donc à la Chambre criminelle de se prononcer quant à la portée territoriale du monopole bancaire français, ce qu'elle fit (A), en offrant donc quelques pistes à la réflexion du praticien (B).

A - La soumission au monopole bancaire français d'opérations de banques commises au moins pour partie en France

Le monopole bancaire ressort du droit pénal (C. mon. fin., art. L. 571-3 N° Lexbase : L4250AP4). En conséquence, en vertu de l'article 113-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2123AML), il n'est applicable qu'aux infractions commises sur le territoire de la République, étant entendu que "l'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire" (C. pénal, art. 113-2, al. 2).

En l'espèce, pour l'essentiel, les opérations de banques litigieuses ont été réalisées à l'étranger : en Suisse, au Royaume-Uni et au Luxembourg. Néanmoins, il apparaît dans le même temps que les discussions initiales entre la victime et l'auteur principal, permises par l'entremise du complice qui s'est pourvu en cassation, ont eu lieu en France. Partant de ce constat, la Chambre criminelle considère que c'est à bon droit que les juges du fond ont soumis l'ensemble des opérations au monopole bancaire dès lors que ces opérations "ont été, au moins en partie, réalisées en France".

Au cas présent, si cette position peut paraître sévère, elle n'en demeure pas moins une juste et élémentaire application de l'article précité du Code pénal, en particulier dans un environnement où la localisation d'opérations à l'étranger est facilitée par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Reste à savoir, de façon plus générale, comment rattacher, "au moins en partie", une opération de banque au territoire national, en particulier devant la relative inadaptation à la matière bancaire des critères généraux de localisation du contrat dégagés par le droit international privé. On admet généralement qu'il convient de se référer :

- au lieu de conclusion du contrat donnant naissance à l'opération litigieuse, même si la jurisprudence a depuis longtemps abandonné toute présomption en la matière au profit du lieu d'exécution. Ce critère a pu jouer en l'espèce, puisqu'on devine que la "convention individuelle de rémunération de compte courant" en cause avait pu être signée en France ;

- au lieu d'exécution du contrat, que l'on infère de la devise de l'opération, du lieu du compte... Les choses étaient moins claires à ce sujet en l'espèce, absence de clarté qui était précisément recherchée par les multiples interpositions intervenues dans l'opération globale, même si les juges du fond ont retenu que l'impulsion fut malgré tout donnée de France.

Au fond, ce qu'affirme l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juillet 2015, sans que cela ne constitue nécessairement une surprise ou une réelle nouveauté (3), c'est que saupoudrer d'extranéité une opération caractérisée comme une opération de banque par le droit français ne suffit pas pour échapper au monopole bancaire national.

B - Les perspectives pratiques ouvertes par l'arrêt du 8 juillet 2015

L'arrêt commenté mérite, à notre sens, que les praticiens rompus aux opérations bancaires internationales s'interrogent a minima sur certains schémas parfois mis en oeuvre pour ne pas se placer sous les fourches caudines du monopole bancaire français.

En effet, des établissements étrangers cherchent parfois à développer une activité de crédit en France sans se heurter à notre monopole bancaire. Pratiquement, cela implique le plus souvent l'adjonction à la transaction d'un élément d'extranéité pour s'efforcer de caractériser une localisation de l'opération de financement hors de France. Cela peut être le cas d'un schéma de fronting bank, dans lequel une banque européenne pouvant prêter en France sur le fondement de la libre prestation de service accorde un crédit à un emprunteur français pour les besoins d'un financement en France avant de céder sa créance de remboursement du prêt ainsi accordé à une entité non agréée au sens du monopole bancaire français. Une telle opération est aisément réalisable à partir de tout pays (4) où, contrairement à la position des tribunaux français, la cession d'une telle créance non échue n'entre pas elle-même dans le giron du monopole bancaire local.

Un tel schéma est-il plus critiquable depuis que la Chambre criminelle a rendu son arrêt du 8 juillet 2015 ? Nous ne le pensons pas, pour au moins deux raisons. La première est que ce schéma est normalement réalisé en parfaite conformité avec les règles d'un monopole bancaire d'un Etat membre de l'Union européenne et que l'on peine donc à voir en quoi les tribunaux (ou les autorités de tutelle) français pourraient s'y attaquer ; la seconde tient à ce qu'il ne faut pas perdre de vue que les faits de l'arrêt du 8 juillet 2015 dégageaient une odeur de soufre manifeste, ce qui ne constitue pas, à proprement parler, un critère juridique mais ne peut qu'influencer défavorablement au moins les juges du fond. Il y a tout lieu de penser qu'une opération telle que celle que nous avons décrite, même si elle cherche à se conformer au monopole bancaire français par contournement (ce qui n'est pas un oxymore), ne subirait pas les mêmes foudres judiciaires.

Néanmoins, comme nous le soulignions, a minima, il faudra continuer, et sans doute faire preuve d'une vigilance accrue en la matière, à veiller à ce que, dans un tel schéma, aucune opération "primaire" n'intervienne en France en impliquant la partie non régulée ; par exemple, en invitant ladite partie à ne pas participer à des réunions sur notre territoire national. Enfin, que l'on se garde bien de critiquer l'hypocrisie ou l'artificialité de tels schémas, contraints par une législation française ayant perdu de vue que, dans une opération de crédit, la banque prend normalement plus de risques que l'emprunteur, aune à laquelle l'à-propos d'une législation en matière de monopole bancaire doit se mesurer. Une audacieuse réforme globale du monopole bancaire français, actuellement objet de nombreuses réflexions (5), permettant la réalisation d'opérations de crédit par des entités non régulées (6), soulagera tout le monde de ces circonvolutions.

Sans constituer cette réforme globale, l'exception nouvelle au monopole bancaire instaurée pour le crédit interentreprises ouvre une voie, partielle certes.

II - Instauration d'une exception nouvelle monopole bancaire français pour le crédit interentreprises

Disposition fort commentée par la presse économique, résultant d'un travail législatif intelligent ayant vu un amendement proposé par un député de l'opposition être intégré (quoique fortement retouché) à un projet de loi gouvernemental, l'article 167 de la loi "Macron" a créé une nouvelle brèche dans le monopole bancaire en permettant que, sous certaines conditions, certaines entreprises puissent accorder des prêts à moins de deux ans à des entreprises "avec lesquelles elles entretiennent des liens économiques le justifiant" (C. mon. fin. , art. L. 511-6, 3 bis N° Lexbase : L3123KGR). Après avoir rappelé les enjeux de cette réforme (A), nous passerons brièvement en revue les critères imposées par la loi pour bénéficier de cette nouvelle exception (B).

A - Les enjeux de la nouvelle exception au monopole bancaire

Depuis 2008, revient comme une antienne que, en France, le credit crunch enfanté par la crise financière a sévèrement touché les petites et moyennes entreprises (PME), tout comme les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ces dernières peineraient à trouver les financements nécessaires à leur développement, voire tout simplement au maintien de leur activité. C'est pour répondre à ce défi que le législateur a adopté plusieurs séries de mesures en faveur de l'accès au financement des PME/ETI, en particulier la loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009, relative à l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et au fonctionnement des marchés financiers (N° Lexbase : L8707IE9) ou encore l'ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014, relatif au financement participatif (N° Lexbase : L3580I3Y).

La réforme "Macron" s'inscrit dans cette veine, avec une préoccupation identique. Elle procède d'une intuition élémentaire : une entreprise peut avoir intérêt à prêter sa trésorerie disponible à un de ses partenaires commerciaux, un fournisseur par exemple, en trouvant dans ce prêt un bon emploi d'une ressource peut-être sous-employée et une façon de contribuer à la bonne santé financière d'une entreprise importante dans sa propre chaîne de production.

Jusqu'alors, s'il était (évidemment) possible d'accorder des délais de paiement, correspondant bien à une opération de crédit, sans tomber sous le joug du monopole bancaire (7), le crédit interentreprises sous d'autres formes ne faisait pas l'objet d'une exception en la matière. Il est donc louable que le législateur ait agi pour que ce soit le cas, même si l'on peut tout de même craindre que, par un effet pervers, cette mesure, que d'aucuns qualifient de fausse bonne idée (8), ne tende à transformer le plus gros donneur d'ordre d'une entreprise en son plus gros créancier financier. C'est sans doute cette crainte, que l'on pourrait cependant estimer largement purgée par le recours au concept d'abus de dépendance économique (9), qui a présidé à l'imposition de nombreuses conditions pour bénéficier de la nouvelle exception au monopole bancaire créée par la loi "Macron".

B - Les conditions draconiennes de la nouvelle exception au monopole bancaire

Généreuse d'apparence, la dérogation au monopole bancaire offerte au crédit interentreprises est pourtant redoutable dans les conditions qu'elle impose.

Premièrement, le prêteur doit être une société par actions ou une société à responsabilité limitée dont les comptes font l'objet d'une certification par un commissaire aux comptes, critère dont on peine un peu à voir la pertinence. Est, par ailleurs, annoncé un décret en Conseil d'Etat pour fixer les conditions et les limites (sans doute encore trop peu nombreuses aux yeux du législateur...) dans lesquelles ces sociétés peuvent octroyer ces prêts.

Deuxièmement, le prêt doit avoir une durée maximale de deux ans, être accessoire à l'activité principale du prêteur, ne peut avoir pour effet d'imposer à un partenaire commercial des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux définis aux articles L. 441-6 (N° Lexbase : L1780KGZ) et L. 443-1 (N° Lexbase : L1981I3R) du Code de commerce et être formalisé dans un écrit.

Troisièmement, l'emprunteur doit être une microentreprise, ou une PME/ETI. Il doit faire approuver la conclusion de tout prêt de la sorte en respectant la procédure des conventions réglementées (10). Il doit également mentionner le montant de tout prêt ainsi conclu dans son rapport de gestion et obtenir de son commissaire aux comptes une attestation à ce sujet (11).

Quatrièmement, des liens économiques justifiant le prêt doivent exister entre l'emprunteur et le prêteur, critère pertinent (quoique difficile à cerner) puisqu'il s'agit bien d'une exception en faveur du crédit interentreprises.

Cinquièmement, enfin, pour ne pas précipiter cette exception dans les bras de la grande finance, les créances détenues à ce titre par le prêteur ne pourront, à peine de nullité, être acquises par un organisme de titrisation, un fonds professionnel spécialisé ou faire l'objet de contrats constituant des instruments financiers à terme ou transférant des risques d'assurance à ces mêmes organismes ou fonds.

L'exception nouvelle témoigne donc, à nouveau, de la méthode des petits pas et tout porte à croire, le bon sens le commande également, que les principaux bailleurs de fonds des PME/ETI françaises demeureront les banques.

Studieux été, donc, pour le monopole bancaire français. Si ses jours sont peut-être comptés, avec de nouvelles exceptions poignant à l'horizon, que l'on pense à la réforme déjà annoncée du financement participatif ou à la possibilité offerte aux fonds européens d'investissement de long terme d'octroyer des prêts (12), il y a fort à parier que ce sera encore prétexte à parler encore et toujours de lui, comme a tenu à le rappeler le pastiche d'adage mis en incipit par votre serviteur.


(1) TFUE, art. 282 (N° Lexbase : L2598IPW).
(2) Cf. C. mon. fin., art. L. 511-5 (N° Lexbase : L2550IXQ). Pour sa part, le droit communautaire n'inclut pas dans ce monopole les opérations de crédit et l'émission de moyens de paiement autres que la monnaie électronique.
(3) Cass. civ., 6 juillet 1959, RCDIP, 1959, 708.
(4) Ce qui est le cas de la plupart des Etats membres de l'Union européenne.
(5) Par ex., H. de Vauplane, Le monopole bancaire sert-il encore à quelque chose ?, Revue Banque, 2015, n° 782.
(6) Qui, au demeurant, ne devrait pas créer de problèmes majeurs en termes de politique monétaire puisque lesdites entités ne pourront statutairement prêter qu'en fonds disponibles quand les banques, elles, auront toujours le privilège de la création monétaire.
(7) C. mon. fin., art. L. 511-7, I, 1 (N° Lexbase : L1240I4P).
(8) A. Masounave, Le crédit interentreprises, une fausse bonne idée ?, Revue Banque, 2015, n° 782.
(9) C. com., art. L. 440-2 (N° Lexbase : L8161IRP).
(10) Mais le Code monétaire et financier ne vise que les dispositions applicables aux sociétés anonymes et aux sociétés à responsabilité limitée, sans mentionner celles concernant les sociétés par actions simplifiées : une bizarrerie (pour ne pas autre chose) législative de plus.
(11) Le texte n'étant pas très clair, ces conditions pourraient aussi s'appliquer au prêteur.
(12) Règlement n° 2015/760 du 29 avril 2015, relatif aux fonds européens d'investissement à long terme, art. 10 (N° Lexbase : L6422I8D).

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