La lettre juridique n°621 du 16 juillet 2015 : Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Quand la forme prévaut sur le fond

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A2160NK9)

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

le 16 Juillet 2015

Par un arrêt rendu le 3 juin 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation marque un degré supplémentaire dans la consécration de l'exigence de procès équitable et l'affirmation du principe du contradictoire. Un justiciable décide de changer d'avocat. C'est son droit, et le cas de figure est classique. Est révolue la règle ancienne, tellement protectrice de l'avocat dessaisi qu'elle pouvait apparaître comme corporatiste, selon laquelle celui-ci pouvait interdire au confrère lui succédant d'accomplir des actes au profit du client tant qu'il n'aurait pas été payé du montant de ses honoraires. Souvenons-nous que l'avocat dessaisi pouvait avoir la tentation, compréhensible mais tellement détestable, d'établir un décompte définitif de ses frais et honoraires quelque peu majorés, ce qui compliquait davantage encore la succession d'un confrère dans la défense des intérêts du client.

En cas de succession d'avocats dans un dossier, la règle est maintenant clairement établie par le règlement intérieur national des avocats (RIN) dans son article 9.2 (N° Lexbase : L4063IP8) : "l'avocat dessaisi, ne disposant d'aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l'entière connaissance du dossier".

La règle est simple, normale, évidente. Cette règle de l'article 9.2 vient préciser ici des principes essentiels plus généraux énoncés par l'article 1.3 du RIN selon lequel l'avocat doit respecter, notamment, dans l'exercice de sa profession les principes de délicatesse, de confraternité, de loyauté, de conscience et de diligence. Il en va de l'intérêt du client que sa défense ne souffre aucun retard, surtout s'il est exposé à la sanction d'une prescription, d'une péremption, ou d'autres délais de procédure impératifs. Quand bien même ce ne serait pas le cas, tout retard dans la transmission de son dossier lui est nécessairement préjudiciable.

La règle applicable porte-t-elle atteinte aux droits de l'avocat dessaisi ? Evidemment non puisqu'il lui est loisible notamment d'engager une procédure de recouvrement de ses honoraires à l'encontre de son ancien client s'il en est créancier.

Un avocat du barreau de Paris (il n'est hélas pas le seul) semblait méconnaître cette règle qui n'est pourtant plus nouvelle. Plusieurs lettres lui demandant la transmission de l'entier dossier et émanant de l'avocat lui succédant sont restées vaines. Une invitation de la commission de déontologie "succession et honoraires" à transmettre immédiatement le dossier n'a pas eu davantage d'effets. Notons au passage qu'il est symptomatique de constater que la commission de déontologie de l'Ordre des avocats du barreau de Paris comporte une section "succession et honoraires", ce qui témoigne de la rémanence de ce type de conflit.

Convoqué par la commission de déontologie pour avoir à s'expliquer sur les motifs de son refus de transmettre un dossier à l'avocat lui succédant, ce dernier n'a pas jugé utile de comparaître. Ce n'est qu'ultérieurement, et après plusieurs mois, que le client du premier avocat a pu obtenir personnellement la restitution de son dossier et ainsi le remettre à son nouvel avocat. C'est dans ces conditions qu'une procédure disciplinaire a été ouverte à l'encontre du premier avocat, tellement ignorant des principes essentiels de la profession ainsi que des règles applicables à la succession d'avocats dans un dossier, tellement désinvolte également à l'égard des instances ordinales.

Le conseil de discipline a fait preuve pourtant d'une grande mansuétude à l'égard de cet avocat en lui infligeant la peine du blâme.

Les principes (lesquels ?) n'ont pas de prix. Se considérant vraisemblablement victime d'une sanction inique, l'avocat sanctionné a relevé appel de la décision du conseil de discipline.

Par arrêt en date du 27 février 2014, la cour d'appel de Paris a cependant confirmé la décision du conseil de discipline.

Un pourvoi en cassation a donc été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait confirmé la peine du blâme infligée.

La Cour de cassation va casser l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris.

Avant d'examiner les motifs de l'arrêt de cassation, relevons pour mieux les comprendre que le Bâtonnier du barreau de Paris, en dépit de l'importance de l'affaire, ne s'était pas déplacé personnellement à l'audience de la cour d'appel, mais s'était fait représenter.

Rappelons également qu'une telle représentation du Bâtonnier lors de l'instance disciplinaire devant la cour est possible.

Rappelons enfin que le Bâtonnier, à peine de cassation, doit être entendu en ses observations et que mention doit en être faite dans l'arrêt de la cour d'appel.

Les motifs de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 3 juin 2015 méritent d'être cités : "attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X, avocat, a été poursuivi à la requête du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, pour avoir manqué aux obligations édictées par l'article 9 du règlement intérieur national et aux principes essentiels de délicatesse, confraternité et diligences édictées par son article 1.3, notamment en persistant de nombreux mois, malgré de multiples demandes, dans son refus de transmettre le dossier d'une cliente à un confrère qui lui succédait ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche : attendu que M. X fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre une sanction disciplinaire pour des manquements à ses obligations professionnelles alors, selon le moyen qu'en condamnant M. X à une peine disciplinaire, après avoir relevé que l'avocat représentant du Bâtonnier a présenté des observations, mais sans préciser si le Bâtonnier avait été empêché, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID). Mais attendu que le Bâtonnier disposait, en cas d'indisponibilité qui se déduisait de son absence à l'audience, de la faculté de se faire substituer ; que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : Vu l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et des libertés fondamentales, ensemble l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) ; Attendu que l'arrêt mentionne que le Bâtonnier a été entendu en ses observations ; Qu'en procédant ainsi, sans préciser si le Bâtonnier avait, en outre, déposé des conclusions écrites préalablement à l'audience et, si tel avait été le cas, sans constater que le professionnel poursuivi en avait reçu communication afin d'être en mesure d'y répondre utilement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; Par ces motifs, [...] casse et annule [...] l'arrêt rendu le 27 février 2014".

Nous ne pouvons qu'être indéfectiblement attachés au respect des droits de la défense, et en particulier aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi bien sûr qu'au sacro-saint principe du respect du contradictoire.

Avec l'arrêt du 3 juin 2015, un degré supplémentaire est atteint dans la consécration de l'exigence de procès équitable et l'affirmation du principe du contradictoire : la violation de ces principes intangibles doit être sanctionnée non seulement lorsqu'elle est avérée, mais lorsque la Cour de cassation n'est pas en mesure de vérifier qu'ils n'ont pas été violés, en l'absence de mention spécifique dans l'arrêt des juges du fond.

En l'espèce, le Bâtonnier, par la voix de son représentant, avait été entendu en ses observations par la cour d'appel. Ne l'aurait-il pas été et mention n'en aurait-elle pas été faite dans l'arrêt, celui-ci encourrait inéluctablement la cassation.

Le fait que le Bâtonnier ait été entendu en ses observations ne laisse nullement présumer qu'il aurait déposé des conclusions écrites. L'arrêt doit néanmoins être cassé.

Peut-être le Bâtonnier avait-il déposé des conclusions écrites, et dans l'affirmative, peut-être ces conclusions n'avaient-elles pas été régulièrement communiquées à l'avocat poursuivi ?

Les principes n'ont pas de prix.

Gageons que la cliente concernée par ce problème de succession d'avocats dans un dossier, si elle avait connaissance de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 3 juin 2015, ne pourrait que s'incliner devant cette notion de violation hypothétique des règles du procès équitable et du principe du contradictoire.

La procédure disciplinaire des avocats est d'une rare complexité, au point que nombre de Bâtonniers qui n'ont plus aujourd'hui qu'un rôle d'autorité de poursuite, hésitent à la mettre en oeuvre face à des comportements d'avocats qui contreviennent à des règles déontologiques, mais de façon jugée peu grave.

Faut-il être découragé par cette complexité procédurale ? Assurément non, une solution existe.

Elle n'est pas dans le principe du droit au procès équitable, ni dans celui du principe du contradictoire, mais dans la mention qu'ils ont été respectés.

La solution est dans le traitement de texte, lequel permet de répertorier les mentions obligatoires et tous les pièges de la procédure, de les enregistrer dans un canevas, et ainsi de prévenir toute omission.

Un pré-arrêt de cour d'appel statuant sur un recours formé contre un conseil régional de discipline des avocats pourrait ainsi comporter la mention "le Bâtonnier de l'Ordre a été entendu en ses observations mais n'a pas déposé de conclusions écrites, de sorte que ses conclusions n'ont pas été notifiées à l'avocat poursuivi".

L'arrêt serait ainsi à l'abri de la cassation, peu important à cet égard que des conclusions aient été effectivement déposées mais non communiquées.

Quand la forme prévaut sur le fond, les droits fondamentaux ne sont pas nécessairement préservés.

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