La lettre juridique n°621 du 16 juillet 2015 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Le charitable trust est-il assimilable à un organisme à but non lucratif du point de vue du droit fiscal français ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2015, n° 369819, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5570NI7)

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par Karim Sid Ahmed, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Cergy-Pontoise

le 16 Juillet 2015

Dans un arrêt rendu le 22 mai 2015, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de s'interroger sur le caractère désintéressé de la gestion d'un charitable trust en raison de retenues à la source qui avaient été effectuées en application des articles 119 bis (N° Lexbase : L4671I77) et 187-1 (N° Lexbase : L0960IZL) du CGI sur des dividendes de source française qu'il avait perçus en 2008 et 2009 (CE 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2015, n° 369819, mentionné aux tables du recueil Lebon). Toutefois, malgré des rémunérations versées aux onze dirigeants de l'oeuvre de bienfaisance supérieures pour certaines au triple du plafond de la Sécurité sociale, la juridiction administrative a estimé qu'elles n'étaient pas disproportionnées en raison d'une part, des sujétions imposées à ces dirigeants et d'autre part, des règles spécifiques auxquelles le charitable trust est soumis dans son Etat de résidence. Ainsi, le caractère désintéressé de la gestion de celui-ci n'est pas remis en cause et, par conséquent, à l'instar d'un organisme à but non lucratif ayant sa résidence en France, il est exonéré d'impôt sur les sociétés sur les dividendes qui lui sont versés par des sociétés françaises. Au cas présent, une oeuvre de bienfaisance de droit britannique a perçu en 2008 et 2009 des dividendes de source française qui ont fait l'objet de retenues à la source au taux de 25 % en vertu des articles 119 bis alinéa 2 et 187-1 du CGI. Il paraît utile de souligner que cet organisme constitué en charitable trust poursuit un but caritatif qui, selon ses statuts (1), consiste à protéger, à préserver et à faire progresser tous ou chacun des aspects de la santé et du bien-être du genre humain, à faire progresser et à promouvoir la connaissance et l'éducation. A ce titre, il bénéficie d'un certain nombre d'avantages fiscaux prévus par la législation anglaise en matière d'impôt sur le revenu, de droits de succession et d'impôt sur les plus-values. Cependant, ils comportent une contrepartie qui consiste en la soumission du charitable trust au contrôle notamment de la High Court (2).

Par la suite, le charitable trust a contesté les retenues litigieuses devant le tribunal administratif de Montreuil qui lui a donné gain de cause dans un jugement du 13 avril 2012 en l'assimilant à une fondation française totalement exonérée d'impôt (TA Montreuil, 13 avril 2012, n° 1105206). L'administration fiscale a alors interjeté appel mais sans succès car la cour administrative de Versailles a estimé, dans un arrêt du 16 mai 2013, que "l'application à la fondation des retenues à la source litigieuses méconnaît l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne et l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2713IP8)" (CAA Versailles, 16 mai 2013, n° 12VE03005 N° Lexbase : A7463MLY).

Devant le Conseil d'Etat, le charitable trust a demandé, d'une part, à titre principal, le remboursement total des sommes versées en se fondant sur le principe de la liberté de circulation des capitaux au sein de l'Union européenne (3). Et, d'autre part, à titre subsidiaire, un remboursement partiel en application de la Convention fiscale franco-anglaise du 22 mai 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus (N° Lexbase : L5161IEU). En effet, son article 6 b) prévoit que les dividendes payés par une société ayant sa résidence fiscale en France à un résident britannique font l'objet d'une retenue qui ne peut excéder 15 % de leur montant brut.

On rappellera que le droit français (4) prévoit que le versement de dividendes à des non-résidents donne lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 du CGI. Toutefois, la perception de tels revenus échappe à l'impôt, lorsque le bénéficiaire est un organisme de bienfaisance, résident de France, dont la gestion est désintéressée et dont les activités non lucratives restent significativement prépondérantes (5). Ainsi, on l'aura compris, c'est la question de la véritable nature de la fondation anglaise (organisme à but non lucratif ou non) qui était au coeur de cette intrigante affaire.

Les conseils de l'organisme britannique ont plaidé, de façon audacieuse, la thèse de l'assimilation. C'est-à-dire que selon eux les caractéristiques de l'oeuvre de bienfaisance ne différent pas fondamentalement de celles d'une association ou d'une fondation de droit français bénéficiant de l'exonération accordée par les articles 206 et 207 du CGI à raison du caractère non lucratif de leurs activités. Par conséquent, le même traitement fiscal doit lui être réservé. Les retenues à la source pratiquées constituent ainsi une restriction à la liberté de circulation des capitaux qui ne saurait être justifiée par "une différence de situation objective entre les organismes français et ceux d'un autre Etat membre". Une telle restriction a, en outre, pour conséquence de priver le charitable trust de la possibilité d'apporter la preuve qu'il pourrait prétendre, s'il était établi en France, à une exonération d'impôt sur les sociétés sur les dividendes versés par des sociétés françaises (6). Il faut se référer à l'instruction fiscale du 18 décembre 2006 pour connaître les éléments qui entrent en jeu dans la soumission ou non d'un organisme à but non lucratif aux impôts commerciaux. Il s'agit essentiellement du caractère désintéressé de la gestion ainsi que le fait qu'il ne concurrence pas les entreprises commerciales de son secteur géographique en offrant des services similaires (7).

L'administration, quant à elle, s'était attachée dans son pourvoi à remettre en cause le caractère non lucratif de l'organisme en s'appuyant sur les rémunérations jugées excessives de ses onze dirigeants. Néanmoins, l'instruction fiscale du 18 décembre 2006 (BOI 4 H-5-06 N° Lexbase : X7805ADG) permet à des organismes à but non lucratif d'échapper aux impôts commerciaux même dans l'hypothèse où ses dirigeants perçoivent des rémunérations. Mais cette possibilité est strictement encadrée car la rémunération brute mensuelle totale versée à chaque dirigeant, de droit ou de fait ne doit pas excéder les trois quarts du SMIC. Par ailleurs, le CGI, même s'il proclame qu'un organisme à but non lucratif "doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation", admet dans le même temps qu'il puisse "rémunérer trois de ses dirigeants si le montant annuel de ses ressources, majorées de celles des organismes qui lui sont affiliés et qui remplissent les conditions leur permettant de bénéficier de la présente disposition, hors ressources issues des versements effectués par des personnes morales de droit public, est supérieur à un million d'euros en moyenne sur les trois exercices clos précédant celui pendant lequel la rémunération est versée" (8).

Ainsi, les juges du Palais-Royal devaient se prononcer sur le fait de savoir si la gestion du charitable trust pouvait être qualifiée de désintéressée malgré des rémunérations supérieures, pour certaines, au triple du plafond de la Sécurité sociale (9) versées aux onze dirigeants (en 2008 et 2009) en raison de la difficulté de leur mission et compte tenu également du fait que loi française n'autorise la rémunération que de trois dirigeants au maximum. Au vu de ces éléments, qualifier la gestion du charitable trust britannique de désintéressée était loin d'être une évidence, pourtant, le Conseil d'Etat se retranchant derrière le régime contraignant des charitable trust (sujétions imposées aux dirigeants et règles spécifiques applicables à l'organisme), a considéré que ces rémunérations aux montants inhabituels dans le monde associatif et philanthropique n'étaient pas disproportionnées par rapport aux limites établies par l'article 261-7 1° d du CGI.

Cette décision du 22 mai 2015 n'est pas dénuée d'importance car elle assimile le charitable trust à un organisme à but non lucratif ayant sa résidence fiscale en France. Ce qui lui permet de bénéficier des exonérations fiscales qui sont accordées à celui-ci par la loi française. Certains pourraient s'en inquiéter en pensant au rôle joué par le trust dans des montages d'évasion fiscale. Cette crainte nous paraît pourtant exagérée s'agissant du charitable trust qui sont, malgré leur nom, bien plus proche d'une association que d'un trust classique si l'on s'attache uniquement à l'objectif poursuivi. Reste que du point de vue organisationnel, l'organisation britannique, dont la gestion de ses revenus (10) est assurée par une société, diffère sensiblement d'une association française qui aurait le même objet.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat est dans le vrai lorsqu'il souligne que le charitable trust fait l'objet tout au long de son existence d'un contrôle poussé des autorités britanniques qui encadrent notamment le montant des rémunérations versées aux dirigeants (11) ou lorsqu'il prend en compte les spécificités d'un droit étranger surtout lorsqu'il s'agit du droit d'un Etat membre de l'UE ainsi que la lourdeur de la tâche des dirigeants (12). C'est ce qu'a fait également la cour administrative de Versailles dans un arrêt rendu le 4 mars 2014 (13) à propos d'une affaire où les treize dirigeants d'un fonds de pension britannique avaient perçu des rémunérations largement supérieures aux trois quarts du SMIC de sorte que l'administration fiscale française avait estimé que sa situation ne pourrait être regardée comme objectivement comparable à celle des organismes à but non lucratif établis en France dont l'objet est de servir des pensions de retraite et qui sont exonérés d'impôt sur les sociétés.

Ce que l'on peut, en revanche, reprocher à la Haute juridiction administrative, c'est la désinvolture avec laquelle elle rejette les arguments de l'administration fiscale. Elle balaie d'un revers de main le fait que les rémunérations aient été versées à onze dirigeants alors que la loi française ne permet d'en rétribuer que trois... On aurait aimé ici lire un début de justification ou un semblant d'explication. On ne peut, dès lors, que regretter l'absence d'une analyse plus fouillée qui aurait permis d'être totalement convaincu que le charitable trust se trouve bien dans une situation semblable à celle d'un organisme de bienfaisance établi en France.


(1) Les statuts les plus récents ont été agréés le 20 février 2001 par les Charity Commissioners.
(2) Cf. pour plus de détails : le Charities Act 2006.
(3) L'article 63-1 du TFUE dispose que "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
(4) CGI, art. 119 bis, al. 2.
(5) CGI, art. 206-5 c (N° Lexbase : L3027I7A) et 207-1 5° bis (N° Lexbase : L3980I3S).
(6) CGI, art. 206-5 c.
(7) S'il concurrence le secteur commercial, il faudra alors rechercher si l'organisme exerce son activité selon des modalités de gestion similaires à celles des entreprises commerciales. Pour cela, quatre éléments doivent être pris en compte, mais leur importance dans l'appréciation de la "commercialité" n'est pas la même. Ainsi, il convient d'étudier dans l'ordre décroissant : le "Produit" proposé, le "Public" visé, les "Prix " pratiqués et la "Publicité" réalisée (règle des "4 P"). Ce n'est que s'il exerce son activité selon des méthodes similaires à celles des entreprises commerciales, que l'organisme sera soumis aux impôts commerciaux de droit commun.
(8) CGI, art. 261-7 1° d (N° Lexbase : L7799I8D).
(9) Entre 66 589 et 133 177 livres sterling en 2008 et entre 67 462 et 134 923 livres sterling en 2009.
(10) Près de 200 millions d'euros en 2009 !
(11) En l'espèce, ces rémunérations importantes ont été autorisées à titre exceptionnel par la Charity Commission et la England and Wales High Court.
(12) Sachant que la Cour de justice de l'Union européenne a reconnu aux Etats membres la possibilité de fixer leurs propres critères de lucrativité.
(13) CAA Versailles, 4 mars 2014, n° 12VE03030, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9549M9K) : la juridiction estime que ces rémunérations importantes doivent être regardées comme la contrepartie des sujétions imposées par les fonctions exercées.

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