Lexbase Droit privé n°557 du 6 février 2014 : Droit rural

[Jurisprudence] Résiliation d'un bail portant sur des petites parcelles non soumis au statut du fermage

Réf. : Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-27.211, FS-P+B (N° Lexbase : A0060MDL)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Président de l'AFDR Section Lorraine

le 02 Septembre 2017

Etre ou ne pas être soumis au statut du fermage ? Telle était la question posée aux juges par le locataire de prairies. Initialement, un contrat de bail portant sur diverses parcelles, a été conclu par acte sous seing privé, le 2 janvier 1999, pour une surface totale de 9 hectares (ha) et 56 centiares (ca). Au cours de l'exécution de ce contrat, en 2003, le bailleur est décédé et les parcelles louées ont été partagées entre ses héritiers. L'un d'entre eux a fait immédiatement donation de la parcelle reçue (1 ha 4a et 40 ca) à ses deux fils. Le bail rural initial, faute de congé délivré régulièrement, a été tacitement renouvelé le 2 janvier 2008. Ainsi un nouveau bail a pris effet à cette date. Par lettre avec demande d'avis de réception du 5 avril 2008, chaque nouveau propriétaire a adressé au locataire congé pour le 31 décembre 2008. Les propriétaires sont entrés dans les parcelles le 12 mai 2009. Par la suite, le preneur a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux afin de faire déclarer nuls les congés délivrés par les propriétaires et ordonner la remise en état des parcelles de prairies notamment en les clôturant comme elles l'étaient précédemment. Le tribunal l'a débouté de ses demandes. Le locataire a interjeté appel. Par un arrêt du 4 septembre 2012 (1), la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris, après avoir rappelé que l'indivisibilité du bail initial avait cessé, et par conséquent, la nature et la superficie des parcelles louées sont susceptibles de le faire échapper aux dispositions d'ordre public relatives au statut du fermage. En outre, elle précise que les prairies naturelles louées font partie des cultures admises au titre de la polyculture. Selon l'arrêté préfectoral applicable, le seuil minimum est de 4 hectares. Par conséquent, en application de l'article L. 411-3 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L0846HPZ), dans sa version antérieure à la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 (N° Lexbase : L8466IMI), les parcelles litigieuses n'entrent pas dans le statut du fermage (I). La Cour de cassation confirme cette analyse en rejetant le pourvoi du locataire. Ainsi, les propriétaires n'ont pas à respecter la procédure de résiliation prévue par le statut du fermage pour remettre en cause le bail relatif aux parcelles de prairies, objet du litige (II). I - Des petites parcelles hors champ d'application du statut du fermage

L'essentiel est de déterminer si les biens loués constituent ou non des petites parcelles, au sens du statut du fermage car cette notion permet de délimiter le champ d'application des baux ruraux (2). Ainsi, en présence de petites parcelles, le contrat n'est pas soumis au statut du fermage, par voie de conséquence, il est régi par les dispositions de droit commun du bail, énoncées par le Code civil : le bail n'a pas une durée de neuf ans, il n'y a pas de droit au renouvellement du contrat à l'arrivée du terme contractuellement prévu, le montant du loyer n'est pas réglementairement encadré, le locataire n'a pas de droit de préemption en cas de vente des biens loués, pour ne citer que quelques particularités dont ne bénéficient pas le locataire. Dans le cas contraire, ce sont les dispositions du statut, du Livre IV du Code rural et de la pêche maritime, qui doivent être mises en oeuvre. Cette exception importante au domaine d'application du statut du fermage s'explique en raison de la lourdeur du dispositif légal qui se révèle d'un maniement compliqué, et qui n'est pas adapté aux petites parcelles. Le législateur n'a recherché à protéger au travers de ce statut que les exploitations agricoles viables et complètes, ce qui explique pourquoi certaines locations en sont exclues en raison de leur superficie ou de la nature de la culture réalisée (3).

La qualification des biens loués est relativement facile à réaliser lors de la conclusion d'un nouveau bail. Toutefois, la question est plus délicate lors du renouvellement d'un bail, initialement soumis au statut du fermage, lorsqu'un certain nombre d'éléments ont été modifiés au cours de l'exécution du bail à renouvelé. Telle était bien la situation dans cette affaire, car le propriétaire qui avait conclu le bail en 1999, qui portait sur différentes parcelles, est décédé avant le renouvellement du contrat en 2008. Ayant plusieurs héritiers, l'actif du patrimoine du bailleur a été partagé entre ces derniers. Les parcelles louées n'ont pas été transmises à un seul héritier mais à plusieurs, dont l'un d'entre eux à fait donation de la parcelle reçue entre ses deux fils ce qui a conduit à la dissocier en deux parcelles de plus petite taille. Dans un tel contexte, le bail initial est-il toujours indivisible ?

Le bail conclu en 1999 était soumis au statut du fermage. Sa durée était donc de neuf ans ; par conséquent, le terme était fixé en 2008. Le renouvellement du contrat opère un nouveau contrat de bail, distinct du bail précédent (4). Ainsi, le rapport contractuel peut être modifié entre le premier bail et le bail renouvelé. Tel était bien le cas, puisque en raison du décès du bailleur, la propriété des parcelles louées a été "éparpillée" entre les héritiers, dont l'un a fait donation de la partie reçue en héritage à ses deux fils : il y a donc partage successoral cumulé à une donation. Dans une telle situation, la Cour de cassation considère que le fractionnement de la propriété donnée à bail, notamment à la suite d'une donation, modifie le rapport contractuel (5), conférant alors la qualité de petites parcelles aux biens loués (6). Il en est de même pour un partage réalisé en cours de bail (7), une donation-partage (8) ou bien une vente (9).

Dans ces conditions, l'indivisibilité du bail rural demeure pendant toute la durée du bail initialement conclu (10), en l'occurrence le bail sous seing privé de 1999, car toute division est inopposable au preneur en application du principe d'indivisibilité (11). Ce n'est qu'à l'arrivée du terme que l'on doit prendre en considération les modifications intervenues, notamment en ce qui concerne les surfaces exploitées par le preneur. De ce fait, si elles répondent aux critères fixés par arrêté préfectoral, le bail sera soumis au régime dérogatoire. Dans cette affaire, la parcelle de prairie, ayant fait l'objet de la donation, a une superficie inférieure à la limite retenue pour l'activité de polyculture dans le département considéré pour la constitution d'une unité économique culturale. Le bail renouvelé se situe en dehors du champ d'application du statut du fermage en application de l'article L. 411-3 du Code rural et de la pêche maritime. Le locataire ne peut prétendre remettre en cause la résiliation du contrat pour non-respect des règles prévues à cet effet par le statut du fermage.

II - La résiliation du bail dérogatoire

Seules certaines dispositions du statut du fermage ne s'appliquent pas aux petites parcelles (12), le bailleur doit résilier le contrat dans les conditions énoncées par le droit commun du bail énoncées par le Code civil, plus spécialement par les articles 1737 (N° Lexbase : L1859ABH), 1774 (N° Lexbase : L1906AB9) et 1775 (N° Lexbase : L1907ABA) de ce code (13).

Tout d'abord, il convient de relever que, lorsque le régime dérogatoire des petites parcelles s'applique en raison d'une division des biens loués au cours d'un précédent bail rural, chaque nouveau propriétaire doit réaliser les formalités requises pour demander la résiliation du bail. Puisque l'indivisibilité du bail cesse, la divisibilité de la résiliation doit être respectée (14). Celle-ci avait été effectivement mise en oeuvre dans la présente affaire, car chacun des deux frères ayant reçu en donation une partie de la parcelle de prairie litigieuse avait délivré congé au locataire.

En matière de résiliation, l'article 1775 du Code civil dispose que, même si le bail n'a pas été rédigé par écrit, le contrat ne cesse qu'à l'expiration du terme par l'effet d'un congé donné par écrit, six mois au moins à l'avance. En outre l'article 1774 du même code précise que, pour le bail d'un pré, le contrat "est censé fait pour un an". Ainsi, dans la présente affaire, le bail initial soumis au statut du fermage s'est tacitement renouvelé à défaut de congé régulièrement délivré antérieurement, le 2 janvier 2008. Chaque propriétaire a adressé un congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 5 avril 2008, pour le 31 décembre 2008. Par conséquent, les bailleurs ont donné congé au locataire plus de six mois avant le terme du bail dérogatoire, conformément aux dispositions des articles 1774 et 1775 du Code civil.

Les faits de la présente affaire sont régis par l'article L. 411-3 du Code rural et de la pêche maritime dans leur version antérieure à la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010. Désormais, le deuxième alinéa de ce texte prévoit que le régime du bail dérogatoire ne s'applique pas lorsque les biens loués répondent à la qualification de "petites parcelles" au sens du Livre IV de ce code, lorsque la division des biens est intervenue depuis moins de neuf ans. Ainsi, lorsqu'au cours du bail arrivé à échéance et dont le preneur espère légitimement le renouvellement en application du statut du fermage, les nouveaux propriétaires ne peuvent plus demander la résiliation en application des règles énoncées par le Code civil, ils ne pourront le faire qu'à l'issue du bail renouvelé. Autrement dit l'indivisibilité produit ses effets sur le premier bail renouvelé, et ne disparaîtra qu'à l'issue de ce second contrat. Les effets protecteurs du statut sont conservés encore pendant la durée du nouveau bail, soit pendant neuf ans encore, ce qui implique que le prix du loyer sera également encadré pendant cette même période.


(1) CA Pau, ch. soc., 4 septembre 2009, n° 3362/12 (N° Lexbase : A1500ISD).
(2) J. Lachaud, Le Dico des baux ruraux et des sociétés d'exploitation, Edilaix, 2006, V° Petites parcelles.
(3) H. Bosse-Platière, F. Collard, B. Grimonprez, Th. Tauran et B. Travely, Droit rural, coll. Droit & professionnels, Lexisnexis 213, spé. n° 170.
(4) Cass. civ. 3, 1er avril 1998, n° 96-17.028 (N° Lexbase : A2766ACG), Bull. civ. III, n° 80 ; Dr. & patr., décembre 1998, p. 106, obs. F. Roussel ; RTDCiv., 1999, p. 93, obs. J. Mestre.
(5) Cass. civ. 3, 4 janvier 1979, n° 77-14.738, publié au bulletin (N° Lexbase : A9655CEC).
(6) Cass. civ. 3, 5 avril 2006, n° 05-10.761, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9399DNG), RD rur., 2006, comm. 161, note S. Crevel, Rev. Loyers, 2006, n° 869, note B. Peignot.
(7) Cass. civ. 3, 1er octobre 2008, n° 07-17.959, FS-P+B (N° Lexbase : A5939EA9), RD rur., 2008, comm. 231, note S. Crevel, JCP éd. N, 2009, 1346, note F. Roussel, Rev. loyers, 2008, p. 557, note B. Peignot, D., 2008, p. 2599, note Forest.
(8) Cass. civ. 1, 10 décembre 1974, n° 72-11.223, publié au bulletin (N° Lexbase : A9712CGS), Gaz. Pal., 1975, I, p. 363, obs. Plancqueel ; Cass. civ. 3, 18 février 2009, n° 08-14.160, FS-P+B (N° Lexbase : A4041EDZ), Bull. civ. III, n° 45.
(9) Cass. soc., 15 avril 1948, JCP éd. G, 1949, II 5118, obs. P. Ourliac et M. de Juglart.
(10) Cass. civ. 3, 11 juin 2008, n° 07-14.441, FS-D (N° Lexbase : A0578D9B), RD rur., 2008, comm. 172, note S. Crevel.
(11) B. Grimonprez, L'indivisibilité du bail rural, RD rur., 2013, Etude 13.
(12) Plus exactement, certaines règles demeurent, comme la compétence juridictionnelle du tribunal paritaire des baux ruraux : Cass. civ. 3, 9 novembre 2011, n° 10-26.621, FS-P+B (N° Lexbase : A8915HZ9), rev. loyers, 2012, p. 19, note B. peignot, AJDI, 2012, p. 209, note S. Prigent.
(13) Cass. civ. 3, 22 avril 1976, n° 74-10.883 (N° Lexbase : A5461CI4), Bull. civ. III, n° 156.
(14) Cass. civ. 3, 22 mai 2012, n° 11-17.184, F-D (N° Lexbase : A0713IMD), RD rur., 2012, comm. 67.

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