Lexbase Fiscal n°886 du 2 décembre 2021 : Contrôle fiscal

[Focus] Vers une fusion des statuts d’aviseur fiscal et de lanceur d’alerte ?

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par Thomas Gallice, étudiant du Master 2 Fiscalité de l’entreprise (221), Université Paris Dauphine-PSL et diplômé du Master 2 DJCE/Droit de l’entreprise, Université de Caen Normandie, sous la direction scientifique de Emmanuel Dinh, Co-directeur du Master 2 « Fiscalité de l’entreprise » à Paris Dauphine

le 01 Décembre 2021


Mots-clés : aviseurs fiscaux • lanceur d'alerte • fraude fiscale 

Alors que les 27 États membres de l’Union européenne ont jusqu’au 17 décembre 2021 pour transposer dans leur droit national la Directive n° 2019/1937/UE, du 23 octobre 2019, sur la protection des lanceurs d’alerte, le contenu de ce statut européen des « whistleblowers » pourrait bien permettre la fusion de deux statuts jusqu’à présent opposés.


 

📌 Qu’est-ce que le statut d’aviseur fiscal ?

Peu connu du grand public mais pérennisé par la loi n° 2018-898, du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR) et étendue chaque année, le statut d’aviseur fiscal permet à toute personne d’être indemnisée pour la fourniture de renseignements permettant de découvrir une fraude.

Aujourd’hui codifié à l’article L. 10-0 AC du LPF (N° Lexbase : L6492LUY), ce statut nécessite la transmission d’informations graves, décrites avec précision et de manière non anonyme.

Selon les montants estimés des impôts éludés, c’est au directeur général des finances publiques qu’incombera la décision d’attribution de l’indemnité ainsi que son montant, sur proposition du directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales.

📌 Qu’est-ce que le statut de lanceur d’alerte ?

Longtemps critiquée comme surabondante par rapport à l’existence d’organismes de contrôle gouvernementaux ou par la crainte de voir une augmentation de la délation et de la suspicion au sein des entreprises, la législation sur les lanceurs d’alerte fut adoptée pour ménager protection de ces derniers et risques d’abus.

Cette loi Sapin II du 9 décembre 2016 exige le respect de plusieurs conditions cumulatives pour se voir appliquer le statut de lanceur d’alerte. Il doit ainsi s’agir d’une personne physique, qui révèle ou signale de bonne foi et de manière désintéressée, des faits constitutifs de crimes ou délits ou de violations graves et manifestes d’un engagement international ou causant une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général et dont il a eu personnellement connaissance.

Mais en plus de ces conditions, une stricte procédure de signalement progressive des faits doit être respectée de manière à favoriser une gestion interne de l’alerte.

Il faut ainsi en premier lieu alerter le supérieur hiérarchique, et c’est seulement si ce dernier ne prend pas les diligences nécessaires dans un délai raisonnable, que le lanceur d’alerte puisse s’adresser aux autorités judiciaires ou administratives. Enfin, si ceux-ci ne traitent pas sa requête dans un délai de trois mois, alors le lanceur d’alerte peut opérer un signalement public.

📌 Pourquoi ces deux statuts sont-ils incompatibles aujourd’hui ?

Ces deux statuts se distinguent sur deux points :

  • les aviseurs fiscaux ont la possibilité d’être rémunérés là où le lanceur d’alerte doit agir de bonne foi et de manière désintéressée ;
  • les aviseurs fiscaux contactent directement l’administration fiscale pour communiquer les renseignements là où les lanceurs d’alerte doivent en premier lieu passer par la procédure d’alerte interne.

📌 Quel est l’intérêt du régime général de protection des lanceurs d’alerte par rapport à celui de l’aviseur fiscal ?

La procédure d’aviseur fiscal assure la confidentialité de l’auteur du signalement là où dans celle du lanceur d’alerte en plus de la confidentialité, une protection est garantie.

En effet, si la loi Sapin II punie toute divulgation de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l’ensemble des destinataires du signalement, d’une amende de 30 000 euros et d’un emprisonnement de deux ans, le lanceur d’alerte bénéficie également d’un statut protecteur à deux niveaux :

Au niveau civil, l’article L. 1132-3-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7446LBE) interdit à l’employeur de prendre toute mesure discriminatoire ou disciplinaire à l’encontre d’un lanceur d’alerte.

En complément de cela, la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 2016 (Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0019RWM) pose le principe d’une « nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié ».

Les lanceurs d’alerte bénéficient de surcroît d’une charge de la preuve allégée.

Au niveau pénal, ils sont protégés conformément à l’article 122-9 du Code pénal (N° Lexbase : L7395LBI) à condition que cette divulgation soit nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et qu'elle intervienne dans le respect des procédures de signalement.

En plus de cette exonération de responsabilité pénale, une sanction spécifique est prévue à l’encontre de « toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission » de l’information (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende).

📌 Transposition de la Directive européenne : vers un statut de « super informateur fiscal » ?

Seuls dix États membres avaient jusqu’alors mis en place des mesures aptes à protéger les lanceurs d’alerte, cette Directive n° 2019/1937/UE souhaite harmoniser ce statut protecteur sur l’ensemble des États membres.

Cependant, même si elle a été inspirée en partie par la loi Sapin II, des contradictions apparaissent entre les deux textes, obligeant ainsi le droit français à se mettre en conformité.

Ainsi, la Directive supprime la condition d’une connaissance personnelle des faits par le lanceur d’alerte. Des « facilitateurs » pourront donc bénéficier du mécanisme d’alerte.

De même, le délai raisonnable institué par la loi Sapin II est remis en cause, dans un souci de sécurité juridique, au profit d’un délai de 3 mois.

Mais les deux points qui sont susceptibles de rendre compatible le bénéfice du régime d’aviseur fiscal et de celui de lanceur d’alerte sont relatifs au caractère désintéressé et à la fin de la procédure hiérarchisée.

En effet, selon la directive, les motivations et intérêts du lanceur d’alerte seront indifférents. Celui-ci sera protégé quand bien même sa démarche ne serait pas désintéressée, rendant ainsi conciliable l’octroi d’une indemnité à un lanceur d’alerte en échange des informations transmises.

De la même manière, le texte européen précise que la procédure cesse d’être hiérarchisée, permettant au lanceur d’alerte de se tourner « soit en interne à l’entité juridique concernée, soit directement aux autorités nationales compétentes… ». Il pourra alors transmettre directement les informations à l’administration fiscale et cumuler les deux statuts protecteurs.

Cependant, concernant la révélation au public, la hiérarchie dans la procédure de dénonciation est toutefois maintenue, ce qui ne devrait pas occasionner de difficultés au cumul des deux statuts, l’administration fiscale n’étant pas le « public ».

Une inconnue subsiste concernant le point de savoir si la fin de cette procédure strictement progressive et interne lèvera la restriction à l’octroi de ce statut protecteur qu’aux seuls collaborateurs de l’organisme visé par l’alerte comme l’avait énoncée la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2016.

Mais si la fin de ces conditions antinomiques donnait le champ libre à l’application cumulative de ces deux statuts permettant ainsi la création de « super informateur fiscal », il convient d’en relativiser les conséquences et de se rappeler des critiques qui avaient été émises lors de la création du statut de lanceur d’alerte et de la réalité de la pratique constatée dans les années qui ont suivi.

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