Lexbase Social n°872 du 8 juillet 2021 : Social général

[Actes de colloques] L’accès aux soins des personnes âgées dépendantes : de la difficulté d’adapter sans exclure

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N8176BYH

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[Actes de colloques] L’accès aux soins des personnes âgées dépendantes : de la difficulté d’adapter sans exclure. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/69908806-cite-dans-la-rubrique-bsocial-general-b-titre-nbsp-il-acces-aux-soins-des-personnes-agees-dependante
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par Camille Bourdaire-Mignot et Tatiana Gründler, Maîtres de conférences à l’Université Paris Nanterre

le 08 Janvier 2024

 


Le 13 avril 2021, s'est tenu à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université de Lille, un colloque sur le thème « Le vieillissement, à l’épreuve des choix », sous la direction scientifique de Bérengère Legros, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Lille. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Social vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N8213BYT).

Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.


 

« Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité » [1].

Si le serment d’Hippocrate ne vise pas spécifiquement le sujet âgé, il fait une place particulière à la figure vulnérable, affaiblie, soulignant ainsi que cette singularité du sujet de soins doit être prise en compte. Elle doit l’être assurément dans la relation patient/soignant, qui constitue le versant individuel de l’accès aux soins. Mais elle doit l’être aussi, et au premier chef du reste, s’agissant du versant plus collectif de cette question, entendu comme l’organisation d’un système de santé permettant à chacun de bénéficier de soins de qualité, adaptés à son état de santé, sur l’ensemble du territoire [2]. Or, que l’on se place au niveau collectif ou individuel, ce qui frappe quand on s’intéresse au patient âgé fragile, c’est la difficulté à penser des dispositifs dont l’adaptation est rendue nécessaire par les spécificités de ce patient, sans tomber dans l’écueil de l’exclusion.

C’est cette ligne de crête - que le législateur et les acteurs du soin parcourent avec plus ou moins d’habileté - que l’on se propose d’esquisser pour montrer que le défi à relever, s’agissant du patient âgé dépendant, c’est de ne renoncer ni à la qualité des soins en les adaptant (I.) ni à l’essence de la relation de soins (II.).

I. Adapter l’organisation des soins sans renoncer à leur qualité

Usager du système de santé comme un autre, le vieux devrait bénéficier des soins les plus appropriés et des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue. Pourtant, sa fragilité peut conduire à une remise en cause de ces principes (A.). En outre, cette fragilité peut impliquer une prise en compte de spécificités médicales liées à l’âge avec la difficulté d’adapter la prise en charge sans exclure (B.).

A. Le vieux, titulaire fragile des mêmes droits

Les textes juridiques ne distinguent pas en fonction du grand âge et les vieux se voient appliquer les mêmes règles garantissant un droit à la protection de la santé, lequel implique un droit de chacun d'accéder à des soins adaptés et de qualité (CSP, art.  L.  1110-1 N° Lexbase : L4554DLA et L. 1110-5 N° Lexbase : L4249KYZ). Néanmoins, la crise sanitaire du Covid a fait émerger la tentation de conférer au critère de l’âge un rôle - de fait discriminant - dans la décision médicale. Au-delà de ce contexte exceptionnel, de manière plus permanente, force est de constater que le lieu de vie de plus de 40 % des personnes âgées dépendantes  - l’EHPAD [3] - dégrade très nettement l’accès aux soins.

Une égalité d’accès affirmée, mais fragile en pratique. Le préambule de la Constitution de 1946 précise que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé ». À travers la figure du vieux travailleur, le sujet âgé apparaît donc aux yeux du constituant comme une personne dont la santé doit  être recherchée, une personne vulnérable à cet égard. Cette disposition est interprétée comme fondant le service public constitutionnel de la santé, lequel - comme tout service public - est régi par le principe d’égalité. L’article L. 1110-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4554DLA) le confirme en consacrant « le droit fondamental à la protection de la santé [...] au bénéfice de toute personne ».  Et l’article L.  1110-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7043LN8) d'insister sur l’égal accès à la prévention et aux soins, sans discrimination en renvoyant au Code pénal (C. pén., art. 225-1 N° Lexbase : L5205IZS) qui vise, entre autres motifs discriminatoires, l’âge et la perte d’autonomie. Les textes affirment donc clairement l’égalité d’accès aux soins y compris pour les vieux, y compris lorsqu’ils sont dépendants.

On observe par ailleurs que certaines dispositions du Code de la santé publique invitent à la nécessaire prise en compte de la personne âgée dans l’offre de soins susceptible de la concerner plus spécifiquement [4]. Cette insistance révèle sans doute en partie la crainte de possibles entraves à l’accès aux soins pour cette population, en même temps qu'elle répond au fait que les personnes âgées paraissent moins susceptibles que d’autres d’exiger les droits dont elles sont pourtant titulaires [5] ; il faut dès lors y lire une volonté de réaffirmer l’égalité d’accès [6].

Pourtant, à l’occasion de la crise sanitaire, l’âge a pu être envisagé comme un critère d’exclusion de certains soins, dans un contexte de pénurie des ressources par rapport aux besoins. Nos voisins transalpins ont visé des âges seuils dans leurs documents officiels (85 ans en Suisse et 80 ans en Italie [7]) pour l’accès ou non aux services de réanimation des patients atteint du Covid. Si la France n’a pas été jusque-là et s’en est même défendue, l’éventualité d’un tri fondé sur l'âge a suscité une crainte tant chez les professionnels de santé qu’au sein de la population dans son ensemble. Et l’étude rétrospective des documents de bonne pratique, produits à cette période, montre que le critère de l'âge a joué un rôle inédit [8]. Ces tensions apparues dans une situation, il est vrai exceptionnelle, témoignent de la tentation de réaliser des arbitrages au détriment des vieux. Nul besoin d’ailleurs de se référer à de telles circonstances pour se rendre compte que, dans des hypothèses plus courantes, certaines personnes âgées dépendantes ont un accès restreint aux soins. On pense naturellement aux résidents d’EHPAD.

Une fragilité accrue pour les résidents d’EHPAD. On constate en effet que le lieu de vie de la personne âgée a un impact sur sa prise en charge médicale. De manière quelque peu paradoxale, lorsqu’elle est vue comme dépendante et, de ce fait, est empêchée de vivre seule, son entrée en institution, au lieu de faciliter son accès aux soins, semble l’entraver. Sans noircir le tableau à l’excès, on peut tout de même relever que les EHPAD sont sous-dotés et ce, y compris en professionnels de santé [9]. Ces établissements sont finalement peu médicalisés par rapport à une population en grand besoin [10]. Si un médecin coordonnateur - dont les pouvoirs sont assez limités [11] - est attaché à l’EHPAD, le résident relève toujours en principe de son médecin traitant. L’apparente continuité avec sa prise en charge antérieure est le plus souvent remise en cause [12] pour des raisons d’éloignement géographique ou de difficulté à se déplacer pour les résidents. À cela s’ajoute le fait que le médecin peut refuser de consulter en dehors de son cabinet. La même personne âgée dépendante vivant toujours à son domicile semble avoir un accès plus facile au médecin de ville. Et, dans l‘éventualité où sa situation semblerait exiger une prise en charge par un service d’urgences, ses proches pourraient toujours l’y conduire. À l’inverse, les EHPAD se voient opposer une organisation qui, en pratique, limite l’accès aux urgences des plus de 90 ans [13]. Une telle différence d’accès selon le lieu de vie de la personne âgée dépendante questionne [14].

Cela étant, l’accès à l’hôpital n’est pas nécessairement la panacée pour ce patient. Le rapport « Libault » notamment a souligné les effets délétères de l’hospitalisation sur le sujet âgé [15]. C’est pourquoi il envisageait, au titre des propositions, la mise en place d'un parcours de soins spécifique aux personnes âgées évitant en particulier un passage aux urgences. De telles adaptations sont sans doute le moyen d’une égalité effective d'accès aux soins pour les personnes âgées dépendantes.

B. Le vieux, bénéficiaire de soins adaptés ?

La tendance de fond des évolutions du système de santé (notamment le passage à la tarification à l’acte [16]) est peu favorable aux patients vulnérables, dont les plus âgés, ce qui rend d’autant plus nécessaires une réflexion et une organisation tenant compte des besoins de ces patients, sans négliger toutefois le risque d’exclusion inhérent à une organisation idoine.

Une évolution du système de santé peu favorable aux vieux. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut évoquer quelques évolutions du système de santé qui paraissent peu favorables aux patients âgés. Le système de santé est traversé, en particulier à l’hôpital, par un souhait de rationalisation de l’offre, ce qui se traduit concrètement par sa raréfaction. Les mouvements des personnels soignants en témoignent. La logique à l'œuvre conduit à imposer un temps plus contraint (plus de consultations) et plus rentable (tarification à l’acte). Or, un tel rapport au temps est totalement inadapté à des patients âgés et rend leur prise en charge nécessairement malfaisante. Le développement de l’ambulatoire pour une personne âgée dépendante, ou à tout le moins fragilisée, peut apparaître également préjudiciable. Enfin, le déploiement du numérique dans le champ médical, sans être dépourvu de vertus, y compris pour le patient âgé (accès aux soins sans déplacement, suivi facilité, meilleure coordination…), est avant tout un facteur d’exclusion (maîtrise des outils, substitution à la relation, à telle enseigne que le Comité consultatif national d’éthique avait évoqué la nécessité d’une « garantie humaine en santé » [17]. Un tel système, qui tend à une standardisation de la santé, laisse peu de place à l'individualisation des pratiques, ce qui est particulièrement problématique pour le sujet âgé.

Mais depuis quelques années, on assiste à une prise de conscience de la nécessité d’adapter les soins au grand âge, ce qui s’est traduit, en 2017, par la création du Diplôme d’études spécialisées en gériatrie pour les internes [18]. Au-delà de cette spécialité, il apparaît indispensable de développer la formation de l’ensemble des professionnels de santé aux aspects gériatriques. En effet, comme le disent les gériatres, « le patient âgé est fourbe », en ce sens qu’il déjoue ce qui a été appris : souvent son métabolisme n’a pas les réactions connues et donc attendues. C’est la raison pour laquelle, au titre des évolutions favorables, il faut relever la création d’une filière gériatrique de prise en charge. L’idée est à la fois de proposer des soins adaptés aux besoins du patient et d’éviter le passage aux urgences dont on sait les effets néfastes sur les sujets très âgés. À cet égard, le Code de la santé publique (CSP, art. L. 1112-4 N° Lexbase : L6806IG8) organise une prise en charge spécifique des urgences médicales pour le patient âgé du fait de sa polypathologie et de son risque de dépendance. L’idée est de mettre en place une filière spécifique afin qu’il ne passe pas par le service des urgences, mais soit orienté vers un service hospitalier ad hoc, c’est-à-dire le service gériatrique et, à défaut, vers le service spécialisé dans le traitement de sa pathologie aiguë. Sont en priorité dirigés vers cette filière, les patients au-delà de 75 ans, âge à partir duquel la fragilité au sens gériatrique double [19].

Les préconisations du rapport « Libault » confirment cette orientation de bon aloi : éviter les passages aux urgences et même à l'hôpital, qui favorisent le syndrome de glissement. Une telle vision se heurte cependant à l’approche très hospitalo-centrée de notre système de santé, encore apparue à l’occasion de la crise sanitaire.

La crise de la Covid-19 a illustré le risque d’exclusion. Les premières recommandations de bonne pratique, émises par les ARS et diverses sociétés savantes [20], portant sur la prise en charge des résidents des EHPAD atteints de Covid, ont préconisé, autant que possible, le maintien des malades dans les établissements médico sociaux dès lors qu’ils ne souffraient a priori pas d’une forme grave de la maladie. S’agissant des résidents atteints d’une forme aiguë, ces mêmes textes ont imposé une organisation centralisée et rigide qui a limité l’accès de ces résidents à l’hôpital de manière significative. En effet, cet accès était subordonné à la décision du SAMU quand celui-ci était sollicité par le médecin coordonnateur de l’établissement [21]. Dans le même temps, était organisée à la hâte une prise en charge de la fin de vie des résidents au sein des EHPAD, par l’assouplissement de protocoles d’hospitalisation à domicile [22] et de délivrance de médicaments destinés à soulager les souffrances (Doliprane en perfusion, Rivotril), en principe réservés à l‘hôpital, mais devenus indispensables pour répondre à la dyspnée. Si, par principe, on peut voir d’un œil favorable l’accompagnement d’une personne en fin de vie dans son lieu de vie habituel, en l’espèce, les situations ont été bien peu satisfaisantes. Les prises en charge ont paru largement improvisées, dans la crainte, malheureusement parfois justifiée, d’une pénurie de produits adaptés pour limiter les souffrances, alors que les résidents étaient isolés de leurs proches interdits de visite [23]. On ne peut exclure, en outre, que ces soins palliatifs se soient parfois substitués à des traitements actifs dispensés à l’hôpital qui auraient pu se révéler favorables au patient. Une telle organisation dans la gestion de la crise interroge sur le respect des droits fondamentaux des résidents, en particulier le droit à la protection de la santé, le droit à l’autonomie personnelle et, plus largement, le droit à la dignité. Si on compare le traitement réservé à ces patients à celui des non-résidents, on peut suspecter une discrimination.

L’idéal d’égalité d’accès - en termes d’universalité des droits fondamentaux - se révèle ainsi très complexe, car cette égalité ne peut se réduire à une identité parfaite des solutions retenues. Et si cet idéal conduit à proposer quelques adaptations aux patients visés, celles-ci aboutissent pour le moment à une filière de soins dégradée pour un certain nombre de personnes âgées dépendantes. En outre, en situation de crise, le risque de discriminations est élevé. On retrouve cette difficulté d’adapter sans exclure dans la relation individuelle de soins.

II. Préserver les principes de la relation de soins

Réfléchir au patient âgé permet de revenir aux fondamentaux de la relation médicale. Plus que le consentement et la question de la responsabilité médicale, ce que l’on recherche, avec les règles du colloque singulier, c’est une participation et un assentiment aux soins proposés. Dès lors, l’information ne saurait se réduire, pour ce patient en particulier, à la délivrance d’un contenu technique (A.) pas plus que l’on ne peut se satisfaire - à titre de consentement - d’une simple adhésion (B.).

A. Informer pour dialoguer

L’information. Pour le patient âgé, la finalité essentielle du devoir d’information n’est pas tant d’être placé sur un pied d’égalité avec le médecin, pour donner un consentement pleinement éclairé, que de pouvoir s’exprimer et de voir sa volonté prise en considération. Si l’obligation légale d’information du professionnel de santé est très étendue, il est nécessaire de garder à l’esprit le principe de bienfaisance qui s’impose à lui. Il en ressort, comme le montre la philosophe Marta Spranzi [24], que plus que la transparence - qui suppose de fournir toutes les informations - c’est la pertinence -  laquelle suppose une sélection des informations utiles - qui doit être recherchée au moment de l’échange avec le patient.

L’écoute. Au demeurant, les gériatres soulignent à quel point, malgré les difficultés de communication avec un patient âgé, ce devoir d’information est primordial pour lui donner la parole. Il en est en effet souvent privé, soit parce qu’il est très entouré et que ses proches parlent à sa place, soit, à l’inverse, parce qu’il est isolé et qu’il a perdu l’habitude de s’exprimer et de faire valoir son point de vue. Il conviendrait pourtant de faire de l’écoute de ce patient un acte de soin reconnu [25], et ce pour être au plus près du respect de ses volontés [26].

Cela est le préalable à la recherche de la volonté.

B. Rechercher la volonté

De même que l’information ne doit pas être réduite à son aspect technique, le consentement ne doit pas être entendu comme la recherche d’une simple adhésion à l’acte médical. La personne âgée - en particulier dépendante - est susceptible de souffrir, si ce n’est de troubles cognitifs permanents, au moins de périodes de confusion post-traumatique (après une chute ou une hospitalisation par exemple). En conséquence, pour elle, il faut s’intéresser à ce que l’on recherche et à la manière dont on le recherche. Un détour par l’approche philosophique - qui distingue autonomie résiduelle, autonomie précédente et autonomie authenticité - peut nous aider à penser cette question. Du reste, cette approche n'est pas totalement inconnue du droit.

Approche philosophique. L’autonomie résiduelle consiste à tenir compte de la moindre expression de volonté présente, y compris pour un patient dont les facultés sont altérées. Celle-ci exprime encore quelque chose. Il faut donc savoir l’écouter et l’interpréter. À côté de celle-ci, la recherche de l’autonomie précédente est envisageable. Même si cette recherche recèle une part de fiction, elle consiste à se fonder sur des souhaits exprimés antérieurement, en lieu et place d’une volonté actuelle rendue impossible. Une autre voie prétend s’appuyer sur le parcours de vie de la personne âgée afin de rechercher ce que les philosophes nomment l’autonomie authenticité. Dans ce cadre, le témoignage des proches joue un rôle important pour faire le récit de cette vie [27].

Approche juridique. Or, le législateur réceptionne ces trois approches.  S’agissant  de  la volonté résiduelle - notion particulièrement importante pour le sujet âgé fragile -, la position du droit s’avère complexe : certes, dans un système de santé qui – encore plus depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (N° Lexbase : L1457AXA) - repose essentiellement sur la volonté du patient, le législateur tente de garantir une place à la volonté fût-elle altérée, et même pour un majeur protégé - dès lors que l’état de la personne lui permet de décider. Les choses sont toutefois complexes avec l’existence de zones grises, en particulier pour le patient atteint de troubles cognitifs pour lequel on peut se demander si le législateur ne le considère pas comme hors d’état d’exprimer sa volonté. Pour lui précisément d’autres volontés sont recherchées : les volontés précédente et authentique. Le législateur procède depuis 2016 à une hiérarchie claire entre elles deux. Il privilégie - pour un patient hors d’état de s’exprimer et en fin de vie - les directives anticipées qui ont désormais une force contraignante. En leur absence, c’est le témoignage de la personne de confiance, puis, celui des proches qui est sollicité, ce qui fait écho à l’autonomie authenticité. Ainsi le risque, pour le vieux souffrant d’une altération de ses facultés cognitives, est d’être considéré comme hors d’état d’exprimer sa volonté, avec, pour conséquence, une mise à l’écart de sa volonté résiduelle au profit de sa volonté précédente, voire de sa volonté authentique, lesquelles peuvent être différentes de sa volonté actuelle [28]. On pointe ici une difficulté supplémentaire pour le sujet âgé : celle de l’accès à la volonté en matière médicale.

On perçoit bien la complexité de l’accès à la volonté des personnes arrivées au terme de la vie. Il est dès lors logique que le législateur tente - même imparfaitement - d’organiser cet accès. Ce qui semble primordial est cependant de ne jamais passer à côté d’un échange encore possible avec le patient âgé - qui exige temps et écoute - et de ne pas le rendre prisonnier de choix antérieurs et de son passé. Cette complexité est d’ailleurs encore accrue dans des situations de refus de soins conduisant de manière certaine à la mort. La difficulté habituelle du soignant d’admettre un refus de soin qui peut lui sembler déraisonnable sur le plan médical est alors renforcée par celle de prendre en compte une volonté qu’il peut craindre irrationnelle.

Conclusion

Quand on étudie la situation des personnes âgées fragiles sous l’angle de l’accès aux soins, leur sort paraît peu enviable. Pourtant, l’étude offre une occasion de se réjouir, car les pistes d'amélioration évoquées (soins adaptés aux différents âges de la vie, temps d’échange dans le colloque singulier…) sont susceptibles de profiter à tout usager du système de santé. Finalement, en interrogeant l'accès aux soins dans sa double dimension - organisation du système de santé et relation de soin - le patient âgé vulnérable invite à retrouver le sens des principes essentiels qui le fondent. Ainsi les vieux apparaissent comme une chance pour l’ensemble des patients.


[1] Extrait du serment d’Hippocrate, dans sa version révisée en 2012, dans laquelle le terme « affaiblies » a été ajouté.

[2] Aujourd’hui, l’accès aux soins repose sur deux déterminants principaux : la disponibilité de l’offre et son accessibilité financière. Les pouvoirs publics en avaient d’ailleurs pleinement conscience au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, en même temps qu’était consacré dans la Constitution de 1946 le droit à la protection de la santé, était mise en place la Sécurité sociale, avec sa branche assurance maladie. Ces dispositifs n’ont toutefois pas permis de résoudre les inégalités en fonction des ressources des personnes, notamment en raison des restes à charge, qu’ils soient dus aux franchises médicales, aux tickets modérateurs ou à l’essor du secteur 2, autant d’éléments conduisant à accroître l’importance de la part relevant de l’assurance santé privée. Si ce dernier aspect est au cœur de l’actualité de la dépendance, il fera l’objet d’une autre contribution (J.-P. Tricoit, Le cinquième risque dépendance, in ce colloque N° Lexbase : N8138BY3), la présente (dont la forme orale a été conservée) se limitant, pour sa part, s’agissant de l’aspect collectif de l’accès aux soins, au volet tenant à la disponibilité de l’offre.

[3] Les établissements publics et privés accueillent près de 750 000 personnes âgées dépendantes sur le territoire national (note du Conseil scientifique du 30 mars 2020, Les Ehpad, une réponse urgente, efficace et humaine, spéc. p. 2).

[4] L’article R. 3224-5, III, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3377LG8) précise ainsi que le projet territorial de santé mentale doit répondre aux problématiques des populations à risques spécifiques que sont les personnes âgées notamment. Quant à l’article L. 1112-4 de ce même code (N° Lexbase : L6806IG8), il dispose que les établissements de santé et médico sociaux doivent mettre en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent et à assurer les soins palliatifs exigés par leur état, le dernier alinéa du texte prenant soin d’insister sur le fait que « les obligations prévues pour [c]es établissements […] s’appliquent notamment lorsqu’ils accueillent des mineurs, des majeurs protégés par la loi ou des personnes âgées ».

[5] Pour y veiller, l’article L. 311-5 du Code de l’action sociale et des familles (N° Lexbase : L4912LWT) prévoit la désignation d’une personne qualifiée susceptible d’aider le résident à faire valoir ses droits.

[6] Elle constitue certainement aussi la trace d’une prise de conscience des besoins possiblement spécifiques de cette population, v. infra.

[7] SIAARTI, Recommandations du 6 mars 2020 d’éthique clinique pour l’admission aux traitements intensifs et leur suspension dans des conditions exceptionnelles d’équilibres entre les exigences et les ressources disponibles ; Académie suisse des sciences médicales, Société suisse de médecine intensive, Pandémie Covid-19 : Triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie des ressources, 24 mars 2020.

[8] V. C. Bourdaire-Mignot, T. Gründler, L’âge comme critère d’exclusion de l’accès aux soins ?

Les pleins et les déliés des recommandations éthiques au temps du Covid, Retraite et société, Inclusion ou exclusion des personnes âgées ? Les dynamiques à l’œuvre en droit et dans d’autres disciplines, à paraître.

[9] V. en ce sens le rapport « Libault », Concertation grand âge et autonomie, mars 2019, spéc. p. 40.

[10] Selon le rapport d’information du Sénat, n° 341, EHPAD : quels remèdes ?, 7 mars 2018, spéc. p. 36, le personnel médical ne constitue que 2 % du personnel qui s’occupe des résidents. Et un rapport plus récent, revenant sur la crise Covid souligne la nécessité de renforcer la médicalisation des EHPAD (Rapport final, Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, mars 2021, spéc. proposition 28, p. 163).

[11] Les pouvoirs de prescription du médecin coordonnateur, initialement limités aux cas d’urgence, risques vitaux et risques exceptionnels et collectifs, ont été légèrement étendus en 2019 à toute prescription médicamenteuse lorsque le médecin traitant n’est pas en mesure d’assurer une consultation dans l’établissement, conseil téléphonique ou téléprescription (v. CASF, art. D. 312-158 N° Lexbase : L0086LRM issu du décret n° 2019-714 du 5 juillet 2019, portant réforme du métier de médecin coordonnateur en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes N° Lexbase : Z301858P, art. 2).

[12] Le rapport de la Mission indépendante nationale, remis en mars 2021, et revenant sur la gestion de la crise a d’ailleurs évoqué le « rôle quasi-exclusif et partiellement fictif du médecin traitant » au sein des EHPAD et appelé à la clarification du rôle du médecin coordonnateur ainsi qu‘au renforcement de ses effectifs (Rapport final de la Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, mars 2021, proposition 27, p. 163).

[13] V. sur ce point C. Manaouil, Réflexions sur le tri des patients en période de crise sanitaire, Dalloz Actualités, 30 avril 2020.

[14] Il convient toutefois de ne pas s’arrêter au seul accès à l’établissement hospitalier, mais de se soucier de l’accès effectif aux soins. Il y aurait en effet peu d’intérêt à conduire aux urgences un résident qui, faute de prise en charge, viendrait à mourir dans un couloir.

[15] Rapport « Libault », Concertation grand âge et autonomie, op. cit..

[16] La tarification à l’acte est un mode de financement des établissements de santé, issu du plan hôpital 2007. Cette réforme a consisté à substituer à la dotation globale des établissements une dotation déterminée exclusivement par les actes facturables effectivement réalisés. Ceci conduit à valoriser les actes techniques qui ne sont pas ceux dont le patient âgé a le plus besoin.

[17] CCNE, Contribution à la révision de la loi de bioéthique, avis n° 129, septembre 2018, spéc. p. 102 et s..

[18] Au préalable, seul le diplôme d'études spécialisées complémentaires existait. Cette récente spécialité est toutefois encore peu attractive (en ce sens, v. le rapport « Libault » (op. cit.) selon lequel « seuls 129 des 379 postes de praticiens hospitaliers mis au concours en gériatrie en 2017 ont été pourvus », p. 40).

[19] D. Dreuil et D. Boury, Fragilité gériatrique. Enjeux épistémologiques, cliniques et éthiques, in M.-J. Thiel (dir.), L’automne de la vie. Enjeux éthiques du vieillissement, Strasbourg, France, Presses universitaires de Strasbourg, coll. Chemins de l’éthique, p. 40.

[20] Parmi les textes publiés lors de la première vague de la crise Covid, on peut relever les recommandations suivantes : Haut Conseil de la Santé Publique, Avis provisoire du 14 mars 2020 ; Haut Conseil de la santé publique, Avis relatif à la prévention et à la prise en charge des patients à risque de formes graves de Covid-19 ainsi qu’à la priorisation des tests diagnostiques », 31 mars 2020, 25 p ; ministère des Solidarités et de la Santé, Guide méthodologique de préparation à phase épidémique, 16 mars 2020, p. 54 ; le communiqué du publié le 6 avril 2020. ministère des Solidarités et de la Santé, Consignes et recommandations concernant l’appui des établissements de santé aux établissements hébergeant les personnes âgées dépendantes, 31 mars 2021, p. 9 ; ministère des Solidarités et de la Santé, fiche ARS, Stratégie de prise en charge des personnes âgées en établissements et à domicile dans le cadre de la gestion de l’épidémie de Covid-19, 30 mars 2020, p. 9 ; ministère des Solidarités et de la Santé, ARS, Lignes directrices pour la prise en charge en ville des patients symptomatiques en phase épidémique de Covid-19, 20 mars 2020, p. 56 ; Conseil scientifique, Les EHPAD. Une réponse urgente, efficace et humaine, 30 mars 2020, p. 6 ; Conseil national de l’ordre des médecins, Décisions médicales dans un contexte de crise sanitaire et d'exception, communiqué publié le 6 avril 2020, p. 4 ; ARS Ile de France, Décision d’admission des patients en unités de réanimation et unités de soins critiques dans un contexte d’épidémie à Covid-19, 19 mars 2020, p. 8 ; ministère des Solidarités et de la Santé, DGCS Covid-19, Employeurs et directeurs d’établissements ou services accueillant des personnes âgées ou handicapées. Informations sur la conduite à tenir envers les professionnels et publics (familles et personnes accueillies) en phase épidémique de coronavirus Covid-19, 20 mars 2020, p. 9 ; résumé RPMO Éthique réanimation Covid-19, 16 mars 2020, p. 4 ; recommandation professionnelle multidisciplinaire opérationnelle (RPMO), Aspects éthiques et stratégiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques (SC) en contexte de pandémie Covid-19, Pistes d’orientation provisoires, 24 mars 2020.

[21] Fiche ARS, 30 mars 2020, p. 6. Le rapport final de la Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques relève une forme d’autocensure des EHPAD et de non-recours à la filière hospitalière (rapport précité, mars 2021, p. 99).

[22] Arrêté du 1er avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020, prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire (N° Lexbase : L6237LWW).

[23] En juillet 2021, l’effectivité du droit de visite n’était toujours pas garantie. V. Covid-19. Les Ehpad veulent « revivre la vie d’avant », Ouest France, 2 juillet 2021.

[24] M. Spranzi, Décision partagée et information : de la transparence à la pertinence, Décisions médicales en fin de vie et information au patient et aux proches, APHP, 8 avril 2019, Hôpital Georges Pompidou, Paris.

[25] Comme l'a relevé le rapport « Libault » (précité) « Écouter pour entendre, dialoguer avec la personne présentant des troubles cognitifs en particulier, n’est actuellement pas reconnu comme un acte alors qu’écouter est un acte soignant majeur » (p. 167). L’écoute fait partie des obligations déontologiques du médecin, qui doit, au terme de l’article R. 4127-7 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8701GTG), y consacrer du temps, pour tout patient sans distinction.

[26] L’information est l’occasion d’un échange. Elle doit toujours être adaptée au patient. Sur un point précis le Code de la santé publique (CSP, art. R. 5121-149 N° Lexbase : L0057I4U) a par exemple prévu que l’information figurant dans les notices de médicaments tienne compte « de la situation particulière des […] personnes âgées » en raison du risque accru, chez ces patients, d’interactions médicamenteuses.

[27] M. Spranzi, Respect de l’autonomie et liberté : quelle place pour la « liberté d’indifférence », Eric Favereau et V. Fourner (coord.), Le principe d’autonomie en éthique clinique dix ans plus tard, Centre d’éthique clinique, 2016, p. 23.

[28] C. Bourdaire-Mignot, C. Etchegaray, T. Gründler, O. Lesieur, Accéder à la volonté des personnes âgées en fin de vie. Regards croisés sur les directives anticipées, Journal de médecine légale, 2021, n° 1, vol. 64, p. 65-76.

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