Le Quotidien du 24 juin 2021 : Avocats/Accès à la profession

[Brèves] Condition de réciprocité : la signature de la Charte sociale européenne renverse la charge de la preuve

Réf. : CA Angers, 18 mai 2021, n° 21/00225 (N° Lexbase : A06384SG)

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par Marie Le Guerroué

le 23 Juin 2021

► La Charte sociale européenne permet de présumer l'existence de la réciprocité exigée par les dispositions 1 de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 - conditions d'accès à la profession d'avocat pour les ressortissants d'un État étranger n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen - (N° Lexbase : L8168AID) et cette présomption renverse la charge de la preuve ; il appartient donc à ceux qui s'opposent à une inscription au barreau de prouver que dans les mêmes conditions le pays signataire s'oppose à l'inscription d'un ressortissant français.

Faits et procédure. Le Conseil de l'Ordre du Barreau d'Angers avait rejeté la demande d'admission à la prestation de serment d'avocat et d'inscription au tableau de l'Ordre présentée l’appelant après l'obtention du CAPA et la formation à l'école du Centre Ouest des Avocats. Le Conseil de l'Ordre avait estimé, pour rejeter la demande, qu’il ne remplissait pas les conditions d'accès à la profession d'avocat, notamment celle liée à la nationalité ou à la condition de réciprocité pour les ressortissants d'un État étranger n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen. L’appelant demandait à la cour d’infirmer ladite délibération du Conseil de l'Ordre.

Réponse de la cour. La Géorgie n'est ni un État membre de l'Union européenne ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Pour avoir accès à la profession d'avocat, selon les dispositions précitées, le demandeur doit donc être ressortissant d'un État qui accorde aux Français la faculté d'exercer sous les mêmes conditions la profession d'avocat. Il n'est pas contesté qu'il n'existe aucune convention d'établissement prévoyant précisément la réciprocité dans les conditions d'accès ou d'exercice de la profession d'avocat entre la France et la Géorgie. En revanche, relève la cour, la Charte sociale européenne qui a été ratifiée le 7 mai 1999 par la France et le 22 août 2005 par la Géorgie prévoit aux articles 18 :

 « Partie I et Partie II, l'engagement réciproque des États signataires à favoriser * par tous les moyens utiles *, * la réalisation des conditions propres à assurer l'exercice effectif * du * droit d'exercer sur le territoire d'une autre Partie toute activité lucrative, sur un pied d'égalité avec les nationaux de cette dernière, sous réserve des restrictions fondées sur des raisons sérieuses de caractère économique ou social* (Article 18 Partie I).

Il est ainsi prévu qu'*en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à l'exercice d'une activité lucrative sur le territoire de toute autre Partie, les Parties s'engagent : 1. à appliquer les règlements existants dans un esprit libéral ; 2. à simplifier les formalités en vigueur et à réduire ou supprimer les droits de chancellerie et autres taxes payables par les travailleurs étrangers ou par leurs employeurs ; 3. à assouplir, individuellement ou collectivement, les réglementations régissant l'emploi des travailleurs étrangers ; et reconnaissent ; 4. le droit de sortie de leurs nationaux désireux d'exercer une activité lucrative sur le territoire des autres Parties * (Article 18 Partie II). »

Conformément à la Partie III, article A, paragraphe 1, de la Charte sociale européenne révisée, il est parfaitement constant que la Géorgie comme la France se considèrent liées par les articles 18 Partie I et Partie II.

Or, la cour estime que la profession d'avocat répond parfaitement aux prévisions des 18 articles de la Charte sociale européenne s'agissant bien d'une profession lucrative. Par ailleurs, l'engagement réciproque des deux États concerne le *droit à l'exercice d'une activité lucrative*, ce qui implique nécessairement la question du droit à l'accès à l'activité lucrative. De plus, les articles 18 peuvent parfaitement s'appliquer lorsque l'accès à la profession lucrative est réglementé, comme l'est la profession d'avocat, puisqu'il est expressément fait référence à l'interprétation libérale du règlement applicable. Or, sauf à renier les engagements internationaux de la France et de la Géorgie, il convient de considérer que la Charte sociale européenne constitue l'engagement réciproque de favoriser l'accès et l'exercice d'une profession lucrative même réglementée à leurs ressortissants sur le territoire de l'autre Partie. Par conséquent, s'agissant précisément de l'accès à la profession d'avocat, la Charte sociale européenne permet donc de présumer l'existence de la réciprocité exigée par les dispositions 1 de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 et cette présomption renverse la charge de la preuve. Ce n'est donc pas au demandeur de prouver que la condition de réciprocité est remplie entre la France et la Géorgie, mais à ceux qui s'opposent à son inscription au Barreau d'Angers de prouver que dans les mêmes conditions, la Géorgie s'oppose à l'inscription d'un ressortissant français à un Barreau géorgien. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Conseil de l'Ordre du barreau d'Angers, il ne suffit pas de prouver qu'un avocat français s'est vu refuser l'inscription au Barreau de Géorgie, preuve au demeurant non rapportée, mais il faut démontrer qu'un ressortissant français remplissant l'intégralité des conditions d'accès à la profession d'avocat en Géorgie selon les règles applicables dans ce pays, s'est vu refuser l'accès à la profession pour le seul motif d'un prétendu défaut de réciprocité de la part de la France. Il apparaît ainsi que refuser l'accès à la profession d'avocat à l’appelant a pour effet de méconnaître les engagements internationaux de la France à l'égard de la Géorgie dans le cadre de la Charte sociale européenne.

Infirmation. La cour infirme la décision du Conseil de l'Ordre du barreau d'Angers du 17 décembre 2020 et ordonne l'inscription de l’intéressé au tableau du Barreau d'Angers afin de lui permettre d'exercer, après prestation de serment, la profession d'avocat.
 

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