Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 20 septembre 2017, n° 392231, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7369WSQ)
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par Emilie Bokdam-Tognetti, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 05 Octobre 2017
Les Etats-Unis abritent, semble-t-il à une adresse de domiciliation de sociétés, le siège de la société de droit américain Mecatronic international llc, créée le 26 mars 2003 au Nevada, ayant pour associé à 99,99 % M. A, et dont l'objet est la fabrication, la distribution, la vente et la commercialisation de machines et pièces mécaniques. En Suisse, dans la ville de Fribourg, se trouve depuis le 13 mai 2003 une succursale de cette société, domiciliée chez un conseil et dont M. A était le directeur jusqu'au 4 juillet 2003, date à laquelle il a été remplacé par M. B, également gérant d'une trentaine d'autres sociétés. En France, enfin, existe de longue date (depuis 1986) la SA Senstronic, ayant pour objet le développement, la production et la commercialisation de tout matériel, machines, composants électriques et électroniques, et dont le président-directeur général et actionnaire à 99,99 % était, là encore, M. A.
Le 16 juillet 2003, la succursale fribourgeoise de la société Mecatronic et la SA Senstronic ont conclu une "convention d'assistance technique, commerciale et marketing et de croissance externe", avec effet rétroactif au 1er mars 2003 et par laquelle la première faisait bénéficier la seconde de son savoir-faire, détenu par M. A. La société Mecatronic a ainsi facturé à la SA Senstronic des prestations de services de 2003 à 2006.
Se fondant notamment sur les documents saisis lors d'opérations conduites sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L3180LCR) dans les locaux de la société Senstronic à Saverne, l'administration fiscale a considéré que la société Mecatronic y disposait d'un établissement stable non déclaré et a regardé son activité de conseil à la société Senstronic comme étant exercée, en réalité, à partir de ces locaux en France et comme constituant une entreprise exploitée en France dont les bénéfices relevaient de l'impôt sur les sociétés. Elle lui a adressé une mise en demeure de déclarer ces bénéfices puis diligenté une vérification de comptabilité. Des redressements en matière d'IS et de TVA, assortis de pénalités, lui ont, à l'issue de ces contrôles, été notifiés. La société a alors porté le litige sans succès devant le tribunal administratif de Strasbourg (TA Strasbourg, 25 juin 2013, n° 0905159), puis devant la cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 2 juin 2015, n° 13NC01617), dont elle conteste l'arrêt par le présent pourvoi.
Commençons par les conclusions du pourvoi dirigées contre l'arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés.
Après avoir cité le I de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L2929LCH), aux termes duquel "les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés [...] en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions", la cour a d'abord estimé que, si la société Mecatronic soutenait qu'il devait être fait application de la Convention fiscale franco-américaine (N° Lexbase : L5151IEI), il ne résultait pas de l'instruction que la société était assujettie à l'impôt sur les bénéfices aux Etats-Unis en raison de son siège social dans ce pays au titre des années en litige et en a déduit qu'elle ne pouvait, par suite, soutenir que l'imposition de ses bénéfices devait être régie par cette Convention. Puis la cour a jugé que la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (N° Lexbase : L6752BHK) était seule applicable au litige et a cité les articles de cette Convention relatifs à la notion de résident (article 4), à celle d'établissement stable (article 5) et à l'imposition des bénéfices des entreprises (article 7). Enfin, ayant examiné les éléments de fait figurant au dossier, notamment ceux révélés par des opérations de visite et de saisie réalisées dans les locaux de la société Senstronic, la cour a estimé que la société requérante devait être regardée "comme ayant en France une installation fixe d'affaires, comportant le personnel et les moyens matériels nécessaires à son fonctionnement, caractérisant un établissement stable au sens des stipulations précitées de l'article 5 de la Convention fiscale franco-suisse" et "qu'en application des dispositions combinées de l'article 209 du CGI et de ladite Convention, la société Mecatronic était dès lors imposable à l'impôt sur les sociétés en France à raison des activités réalisées à partir de cet établissement".
Vous avez informé les parties de ce que votre décision était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'inapplicabilité de la Convention fiscale franco-suisse, à défaut pour la société Mecatronic d'être résidente de Suisse au sens de cette Convention.
Avant d'examiner le bien-fondé de ce moyen, vous devrez vous interroger un instant sur son caractère d'ordre public.
Si vous refusez de soulever d'office la méconnaissance du droit de l'Union européenne (v. CE, Sect., 11 janvier 1991, n° 90995, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8940AQ8, p. 9) ou encore l'incompatibilité d'une loi avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2002, n° 237275, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4688A4E, p. 721), vous jugez qu'il incombe d'office au juge de l'impôt de rapprocher la qualification d'une imposition au regard de la loi fiscale et les stipulations d'une convention fiscale bilatérale d'élimination des doubles impositions (CE Ass., 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0219AZ7, p. 233, RJF, 10/02, n° 1080, avec chronique L. Olléon, p. 755, concl. S. Austry, BDCF, 10/02, n° 120).
Ont ainsi été regardés comme d'ordre public les moyens tirés de ce qu'une telle convention fait obstacle à l'application des dispositions du I de l'article 209 B du CGI (N° Lexbase : L9776I3H) relatives à l'imposition des bénéfices provenant de sociétés établies dans un Etat à fiscalité privilégiée (même décision), de ce qu'une convention fiscale bilatérale s'oppose à une retenue à la source pratiquée sur des bénéfices distribués au sens de l'article 109 du CGI (N° Lexbase : L2060HLU) (par ex. CE 7° et 8° s-s-r., 19 décembre 1986, n° 54101, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4624AM9, RJF, 2 /87, n° 176, O. Fouquet, Rev. Sociétés, 1/87, p. 80), ou encore de ce que les stipulations d'une convention fiscale bilatérale tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur la fortune ne sont pas applicables à la TVA (CE 8° et 3° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 309278, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1082EKB, RJF, 11/09, n° 931, concl. Mme N. Escaut, BDCF, 11/09, n° 126).
En effet, dès lors que les stipulations d'une telle convention, dont l'application ne se comprend qu'en rapport avec celle des dispositions fiscales nationales, ont pour effet, selon leur contenu, non pas de rendre celles-ci, le cas échéant, illégales, mais simplement de laisser s'appliquer ou de faire obstacle à l'application de ces dispositions et fonctionnent ainsi, dans le cadre du principe méthodologique de subsidiarité, comme un système de feu bicolore à l'égard de l'application de la loi fiscale interne, vous considérez que l'application des stipulations d'une convention fiscale bilatérale met en cause le champ d'application de la loi.
On pourrait se poser un instant la question de savoir si une erreur sur l'applicabilité d'une convention fiscale bilatérale doit également être relevée d'office lorsque, comme en l'espèce où l'existence d'un établissement caractérisant une entreprise exploitée en France suffisait à appliquer l'article 209 du CGI, les stipulations dont une cour a fait application n'ont pas conduit à écarter l'application de la loi nationale ; en d'autres termes, lorsque la convention a fonctionné, eu égard à la qualification retenue, comme un feu vert et non comme un feu rouge.
Dans une telle hypothèse, on pourrait en effet être tenté de considérer que l'erreur est demeurée sans incidence sur l'application de la loi fiscale. Toutefois, une telle approche nous paraît devoir être écartée. Comme l'expliquait le président Fouquet dans ses conclusions sur l'affaire précitée jugée le 19 décembre 1986, les conventions fiscales s'intègrent à l'ordre juridique français. Dès lors, si l'application par la cour de la convention n'a pas conduit à écarter celle de la loi interne, l'exercice consistant, pour le juge de l'impôt, à regarder une convention comme applicable et à rapprocher ses stipulations de la qualification retenue dans un premier temps au regard de la loi est indissociable de la vérification, par ce juge, du champ d'application de cette loi. Regarder par erreur une convention comme applicable à un contribuable qui n'en relevait pas eu égard à sa résidence signifie que l'applicabilité de la loi non seulement n'a pas été examinée au regard des bons textes, mais que, le cas échéant, une autre convention aurait dû être prise en compte pour apprécier le champ d'application de cette loi.
Dans ces conditions, nous vous invitons à ne pas raffiner le raisonnement relatif au caractère d'ordre public d'un moyen tiré de l'applicabilité ou de l'inapplicabilité d'une convention fiscale bilatérale, selon que l'erreur commise par les juges du fond a ou non conduit à écarter l'application de la loi et la qualification de l'imposition retenue en droit interne.
En tout état de cause, en l'espèce, l'arrêt de la cour n'est pas dépourvu d'un certain flou, en ce qu'elle peut sembler s'être fondée sur le dernier membre de phrase du I de l'article 209 du CGI et la combinaison du droit interne et conventionnel pour non seulement valider, mais fonder même l'imposition.
Ces éléments étant précisés, quelle était la convention fiscale bilatérale applicable dans le présent litige ?
Depuis vos décisions du 9 novembre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3592NWX ; CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 371132, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3594NWZ), RJF, 2016, n° 138 et 178, concl. Mme de Barmon, p. 253), confirmée par votre décision du 20 mai 2016 (CE 3° et 8° ch., 20 mai 2016, n° 389994, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0963RQQ, RJF, 8-9/16, n° 753, concl. E. Cortot-Boucher, p. 1049), vous interprétez les stipulations des conventions fiscales, qui définissent la notion de résident d'un Etat contractant en recourant au critère d'assujettissement à l'impôt dans cet Etat, comme excluant que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt par la loi de l'Etat concerné "à raison de leur nature ou de leur activité" puissent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations et puissent, par suite, recevoir la qualification de résidents.
En l'espèce, les motifs retenus par la cour pour conclure à l'inapplicabilité de la Convention franco-américaine du 31 août 1994, faute pour la société Mecatronic d'avoir été assujettie à l'impôt sur les bénéfices aux Etats-Unis en raison de son siège social dans ce pays au titre des années en litige, ne sont donc pas exempts de maladresse, en ce qu'elle déduit de l'absence d'assujettissement à l'impôt au titre des exercices concernés le défaut de qualité de résident, sans avoir recherché si ce défaut d'assujettissement tenait à l'activité ou au statut de la société Mecatronic, et non par exemple à une situation déficitaire. En effet, vos décisions du 9 novembre 2015 ne sauraient être interprétées comme excluant du bénéfice des conventions fiscales bilatérales toutes les personnes qui, pour quelque motif que ce soit (telle l'absence de bénéfice net), n'acquittent pas l'impôt dans l'Etat concerné au titre de l'année considérée.
Toutefois, outre que ce raccourci dans la motivation de l'arrêt de la cour n'est pas critiqué par les parties, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Mecatronic, dont M. A est associé à 99,99 % et dont le capital est donc détenu par au moins deux associés, a été enregistrée au Nevada sous la forme d'une limited liability company (llc). Or, d'une part, le Nevada exonère cette forme de société et ses associés de tout type d'impôt, notamment d'impôt sur les sociétés. D'autre part, au niveau fédéral, il semble que cette forme de société bénéficie, lorsqu'elle comporte deux membres ou plus, du traitement fiscal réservé aux partnerships et qu'elle ne constitue pas elle-même, sauf option pour le régime fiscal des corporations, un sujet de droit fiscal assujetti à l'impôt sur le revenu des sociétés.
Dans ces conditions, l'absence d'assujettissement à l'impôt de la société Mecatronic, qui n'est pas contestée en cassation, procédait bel et bien de son statut. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant la Convention fiscale franco-américaine inapplicable à la société.
Cette inapplicabilité conduisait-elle, pour autant, à appliquer la Convention fiscale du 9 septembre 1966 conclue entre la Suisse et la France ?
Pour l'application de cette Convention, comme pour l'ensemble des conventions fiscales bilatérales classiques, résidence et établissement stable sont deux notions distinctes, tant dans leur contenu que dans leur(s) fonction(s), et largement antinomiques, un peu comme le sont les notions de résidence et de source.
La résidence conventionnelle dans un Etat se définit en effet, pour les personnes morales, par l'assujettissement dans cet Etat à l'impôt sur les bénéfices à raison de leur siège ou d'un critère analogue, tel que le fait d'avoir dans cet Etat le lieu de leur administration effective (article 4) (1). En cas de conflit de résidence entre les deux Etats contractants, les conventions prévoient en général le recours au critère du siège de direction effective, ou encore à la procédure amiable.
La notion de résidence poursuit deux fonctions. D'une part, elle sert de clé d'entrée dans le champ d'application personnel de la convention : ne peuvent bénéficier des stipulations de celle-ci que les personnes résidentes de l'un ou/et l'autre des deux Etats contractants (article 1er). D'autre part, elle constitue une clé de répartition, entre ces deux Etats, du pouvoir d'imposer les revenus de la personne morale concernée : en principe, les bénéfices d'une entreprise ne sont imposables que dans l'Etat où elle a sa résidence (article 7) (2).
La notion d'établissement stable n'est utilisée que pour dessiner le périmètre d'une exception à ce principe de répartition et fonctionne par opposition à la notion de résidence : lorsqu'une entreprise ayant son siège dans un Etat contractant où elle est assujettie à ce titre à l'impôt dispose, dans l'autre Etat, d'un établissement stable, les bénéfices rattachables à cet établissement sont imposables dans ce dernier Etat. L'établissement stable, qui fait partie juridiquement de la personne morale du résident, ne se définit donc pas au regard de l'assujettissement à l'impôt, ni d'éléments de nature statutaire tels que le siège social, mais de manière économique et matérielle comme "une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité", telle une succursale.
Les conventions fiscales bilatérales, qui ont pour objet de traiter de la répartition du pouvoir d'imposer et de l'élimination des doubles impositions des résidents des Etats contractants, n'ont, en revanche, pas pour objet de traiter des relations entre deux établissements stables d'une société. Les rapports entretenus entre deux établissements stables, situés dans un Etat A et un Etat B, d'une société qui a son siège et, partant, sa résidence dans un Etat C, sont en effet hors du champ de la convention fiscale bilatérale conclue entre A et B faute pour la société d'être résidente de l'un ou l'autre de ces Etats : cette convention est donc inapplicable pour régler le partage du droit d'imposer les bénéfices de ces deux établissements. L'attribution conventionnelle à l'Etat A ou à l'Etat B du pouvoir d'imposer les bénéfices de la société rattachables aux établissements stables qui y sont situés s'opérera au regard des stipulations des conventions les liant chacun à l'Etat C, où la société a sa résidence.
De manière plus générale, les conventions fiscales bilatérales n'ont pas été pensées pour les situations triangulaires, qui constituent un enjeu croissant dans les relations internationales.
La notion d'établissement stable d'un établissement stable, ou de sous-établissement stable, est peu élaborée et rarement évoquée en doctrine. Ce vide s'explique sans doute par le fait qu'un sous-établissement stable n'est jamais, quand il remplit les critères de l'article 5 de la convention, qu'un établissement stable de la société, personne morale unique et dont la résidence est inchangée. Il n'y a dès lors guère de difficulté de principe, pour la répartition du pouvoir d'imposer les bénéfices réalisés par la société au sein de la nouvelle installation autonome ainsi créée, à ignorer l'établissement stable "intermédiaire" qui a été, le cas échéant, à l'origine de la création de cette nouvelle succursale, et à appliquer la convention bilatérale liant l'Etat de la résidence à l'Etat dans lequel ce nouvel établissement est situé. La problématique apparaît donc moins sensible et moins délicate que celle des relations triangulaires dans lesquelles l'application de la clé d'entrée de la résidence, jointe au caractère bilatéral des conventions, conduit à méconnaître la réalité des flux financiers, par exemple dans le cas d'intérêts ou de dividendes versés par un tiers situé dans un Etat A à un établissement stable situé dans un Etat B sans transiter par le siège situé dans un Etat C, et dans lequel l'application de la convention liant A et B serait pertinente économiquement mais impossible juridiquement, tandis que l'application de la convention liant A et C se heurte économiquement à l'absence de toute entrée des revenus en cause dans l'Etat C.
L'applicabilité au litige de la Convention franco-suisse était donc, en l'espèce, subordonnée à la reconnaissance à la société Mecatronic de la qualité de résidente de Suisse (ou de résidente de France), ce qui n'a jamais été allégué. Si, à l'inverse, cette société ne dispose en France et en Suisse que d'établissements stables, elle ne saurait bénéficier de ses stipulations.
La loi suisse retient comme critère de rattachement personnel des sociétés, emportant assujettissement illimité à l'impôt dans cet Etat, l'implantation du siège statutaire en Suisse ou, à titre analogue, la présence dans ce pays du lieu d'administration effective de la société, entendu comme le lieu où sont généralement prises les décisions importantes concernant la direction courante de toute la société (et non pas seulement d'une de ses branches d'activité) et où s'opèrent les opérations courantes en lien avec les activités de la société propres à atteindre son objet social (3). Le lieu d'administration effective ne doit donc se confondre, ni avec la simple gestion administrative, ni avec la présence "d'un" (et non pas "du") siège de direction en Suisse. Quant aux sociétés qui n'ont pas en Suisse leur siège ou le lieu de leur administration effective, elles sont assujetties à l'impôt sur les seuls bénéfices qui y sont réalisés. Tel est le cas des bénéfices provenant de l'exploitation d'un établissement stable, que la loi suisse définit comme toute installation fixe dans laquelle s'exerce tout ou partie de l'activité de l'entreprise, de manière durable.
Pour être résidente suisse au sens de la Convention fiscale franco-suisse, une société doit donc avoir son siège dans cet Etat ou le lieu de son administration effective. En revanche, la seule circonstance qu'elle acquitte un impôt en Suisse ne suffit pas, dès lors qu'elle peut y être passible de l'impôt à raison de critères qui ne sont pas analogues au siège, tel que l'exploitation d'un établissement, et qui ne satisfont donc pas à la définition posée à l'article 4 de la Convention.
Or, la cour s'est bornée, dans son arrêt, à constater que la société Mecatronic disposait à Fribourg d'une "succursale", c'est-à-dire en principe d'un simple établissement stable. Ce n'est que dans des circonstances très particulières dans lesquelles l'implantation sous forme d'une succursale serait en réalité le véritable lieu d'administration de la société, son siège de direction effective emportant le rattachement personnel, et non pas seulement économique, de la société à la Suisse, que cette société pourrait être regardée comme résidente suisse. La cour n'a rien relevé de tel, et ne l'a pas recherché. Cela ne ressort pas non plus, en l'état, des pièces du dossier soumis aux juges du fond, dès lors notamment que l'on ne sait rien des autres implantations ou activités éventuelles de la société, qu'il a toujours été soutenu par les parties que l'implantation suisse était une succursale et que la seule circonstance, relevée par le tribunal administratif et contestée par la société, qu'elle aurait déclaré en Suisse l'intégralité des recettes procurées par son activité de conseil à Senstronic ne suffit pas à voir dans la Suisse l'Etat de résidence de la société elle-même.
Par suite, en jugeant la Convention franco-suisse applicable à la société Mecatronic, la cour a méconnu son champ d'application et commis une erreur de droit. Vous annulerez donc son arrêt en tant qu'il a statué sur les conclusions relatives à l'impôt sur les sociétés, sans qu'il soit besoin de répondre aux moyens contestant cette partie de l'arrêt.
Ainsi, en l'état, aucune convention fiscale ne paraît applicable au présent litige.
Venons-en aux moyens critiquant l'arrêt en tant que celui-ci a statué sur les rappels de TVA. Ils vous retiendront moins longtemps.
Vous examinerez d'abord les moyens contestant l'existence en France d'un établissement stable, notion à laquelle l'article 259 du CGI (N° Lexbase : L2727IG4) a recours, subsidiairement à celle du siège du prestataire, pour le rattachement territorial à la France des prestations de service et qui ne recouvre pas exactement le même contenu que celle utilisée par les conventions fiscales bilatérales.
Un établissement stable, pour l'application des règles de territorialité de la TVA, est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue des moyens en personnel et en matériel, à rendre possible la fourniture par cet établissement d'un service (CJCE, 20 févier 1997, aff. C-260/95 N° Lexbase : A9911AUM).
Or, d'une part, contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'a pas entaché son arrêt de dénaturation en relevant que les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société Senstronic à Saverne y avaient mis au jour la présence de factures émanant de la société Mecatronic et destinées à des clients hors de France, d'extraits de comptes bancaires de la société Mecatronic détenus par le gérant de la société Senstronic, de factures relatives à la succursale suisse de la société Mecatronic ainsi que de données ayant permis la réalisation des déclarations fiscales suisses de cette société, et en estimant que ces opérations avaient révélé que la société Mecatronic utilisait ces locaux pour exercer son activité. D'autre part, la cour a relevé que cette société y utilisait les moyens matériels de la société Senstronic et y disposait de personnel, en la personne de M. A. Elle a pu en déduire sans commettre d'erreur de droit que la requérante détenait en France un établissement stable pour l'application de l'article 259 du CGI.
Soulignons que les critiques par lesquelles la société invoque les critères de dépendance posés par le courant de votre jurisprudence "Interhome" (CE Sect., 20 juin 2003, n° 224407, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2710C9A, RJF, 10/03, n° 1147, chr. L. Olléon, p. 751, et concl. S. Austry, BDCF, 10/03, n° 130) sont inopérantes : il ne s'est en effet jamais agi, dans la présente affaire, de considérer la société française comme un établissement stable de la société américaine, mais de constater que cette dernière disposait, dans les locaux de la société française, personne morale indépendante dont les bénéfices n'ont pas été regardés comme réalisés par ou pour la contribuable, d'un tel établissement à partir duquel elle était en mesure de rendre ses services.
La cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant sans incidence, sur l'applicabilité du délai spécial de reprise de six ans prévu lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises, la circonstance que l'administration avait connaissance de son activité en France à travers le contrat de prestation de services l'unissant à la société Senstronic, dont elle avait obtenu communication lors d'une vérification de comptabilité de cette société.
Enfin, le dernier moyen, tiré d'une erreur de droit à avoir jugé la procédure de taxation d'office applicable alors que l'administration n'avait pas répondu à la demande de la société, formulée à la suite de la mise en demeure de déclarer ses résultats, tendant à ce qu'on lui adresse des formulaires de déclaration, ne saurait prospérer.
D'une part, aucune obligation d'envoi de ces formulaires, disponibles sur internet et dans les centres des impôts pour tout contribuable qui souhaite s'en procurer, ne pèse sur l'administration en cas de mise en demeure (v. CE plén., 11 juillet 2011, n° 317024, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0239HWR, RJF, 10/11, n° 1063, concl. L. Olléon, BDCF, 10/11, n° 117). D'autre part, aucune obligation de mise en demeure de régulariser sa situation préalablement à la taxation d'office à la TVA ne pesait, en l'espèce, sur l'administration fiscale. En effet, il résulte de la combinaison des articles L. 66 (N° Lexbase : L8954IQP) et L. 68 (N° Lexbase : L7397I8H) du LPF que l'interdiction prévue par ce dernier article de mettre en oeuvre la taxation d'office sans mise en demeure préalable ne s'applique pas aux taxes sur le chiffre d'affaires (CE plén., 21 juin 1985, n° 41313, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2844AMB, RJF, 8-9/85, n° 1222). Or, vous avez jugé que, lorsque l'administration adresse à un contribuable, alors qu'elle n'y est pas tenue, une mise en demeure de déclarer ses revenus, la circonstance qu'elle applique la procédure de taxation d'office sans attendre l'expiration du délai de trente jours ne prive le contribuable d'aucune garantie dont il puisse se prévaloir et est sans incidence sur la régularité du redressement (CE 8° et 3° s-s-r., 12 mars 2014, n° 360299, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9180MG4, RJF, 6/14, n° 599, concl. B. Bohnert, BDCF, 6/14, n° 58).
Les conclusions du pourvoi relatives à la partie du litige se rapportant à la TVA ne pourront donc être accueillies.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 2 juin 2015 en tant qu'il s'est prononcé sur les conclusions de la société Mecatronic relatives à l'impôt sur les sociétés et à la contribution additionnelle à cet impôt ;
- au renvoi de l'affaire, dans cette mesure, à cette cour ;
- et au rejet du surplus des conclusions du pourvoi.
(1) La notion de "résident d'un Etat contractant" est définie à l'article 4 comme désignant "toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue".
(2) "1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables au dit établissement stable". La notion d'"entreprise d'un Etat contractant" est, quant à elle, définie à l'article 3 comme désignant "une entreprise exploitée par un résident d'un Etat contractant".
(3) E. von Streng, N. de Gottrau, C. de Kalbermatten, Suisse, Dossiers internationaux Francis Lefebvre, 6ème édition, pp. 27 ss.
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