La lettre juridique n°307 du 5 juin 2008 : Santé publique

[Jurisprudence] Le pouvoir règlementaire ne peut interdire aux chirurgiens-dentistes de mentionner sur leurs plaques et imprimés professionnels les compétences particulières qu'ils ont acquises

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 16 avril 2008, n° 302235 (N° Lexbase : A9526D7X) et n° 302236 (N° Lexbase : A9527D7Y), Association française d'implantologie

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice

le 07 Octobre 2010

L'examen des conditions dans lesquelles les praticiens (en l'espèce, les chirurgiens-dentistes) peuvent faire état des titres et diplômes qui leur sont délivrés tout au long de leur activité professionnelle, oblige à concilier des intérêts parfois contradictoires. L'intérêt des praticiens est, en effet, de "valoriser", vis-à-vis de leurs patients, les formations complémentaires qu'ils ont suivies, en affichant une compétence spécifique pour traiter certains problèmes dans des conditions différentes du chirurgien-dentiste "de base". L'intérêt des autorités ordinales, gardiennes de la déontologie de la profession, mais aussi celui des patients, est d'éviter que les praticiens fassent usage de titres qui, soit renverraient à des formations dont le contenu serait mal connu, soit pourraient induire les patients en erreur. Par deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat a annulé des dispositions réglementaires qui avaient méconnu la nécessité de permettre aux autorités ordinales de jouer leur rôle consistant à concilier l'intérêt des membres de la profession et la protection de la santé publique. Cette conciliation vise à permettre aux praticiens de solliciter la mention, sur leurs documents professionnels, des titres et compétences qu'ils ont acquis, mais aussi que les autorités ordinales examinent la réalité et le sérieux de ces titres et compétences, afin de distinguer ceux qui apportent une "plus-value professionnelle" de ceux qui ne consacrent aucune qualité particulière, voire qui peuvent tromper la clientèle sur les qualités réelles du praticien.

Le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré que le souci d'éviter que la profession de chirurgien-dentiste soit exercée comme un commerce ne justifiait pas l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles toute autre indication relative à la qualification du professionnel, autre que celle du diplôme d'Etat et de la spécialité, sans qu'il fût tenu compte du but ou de la valeur informative de ces indications. Le Conseil a, en conséquence, jugé que cette interdiction était de nature à porter, aux droits des intéressés au respect des libertés de recevoir ou de communiquer des informations, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels des restrictions peuvent être définies et que les dispositions en cause (C. santé publ., art. R. 4127-218 N° Lexbase : L9239GTD) avaient méconnu les stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4743AQQ).

Ces décisions, qui ne sont pas sans précédent, confirment une approche pragmatique qui constitue plutôt une bonne nouvelle pour les membres des professions concernées.

I - Si le législateur peut confier aux autorités ordinales le soin d'examiner au cas par cas les titres et diplômes qu'entendent faire valoir les membres de la profession...

A - La communication d'informations professionnelles par les chirurgiens-dentistes est garantie par les stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

1 - La limitation, par le Code de la santé publique, des mentions pouvant figurer sur les plaques professionnelles des chirurgiens-dentistes, a pour objet de distinguer l'information (autorisée) de la promotion publicitaire (prohibée)

La profession de chirurgien-dentiste fait partie des professions réglementées. Elle ne peut être exercée, en vertu de l'article L. 4111-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3081DLP), que par une personne titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre prévu à l'article L. 4141-3 du même code (N° Lexbase : L6073G4P). Pour les personnes ayant reçu leur formation en France, il s'agit du diplôme français d'Etat de docteur en chirurgie dentaire, ou du diplôme français d'Etat de chirurgien-dentiste.

Toutefois, au-delà de ces diplômes et titres sanctionnant la formation de base des praticiens de l'art dentaire, des facultés de médecine et de chirurgie dentaire ont mis en place des formations continues payantes, aux termes desquelles sont délivrés des diplômes d'université qui ne sont pas des diplômes nationaux, formations que certains professionnels souhaitent voir reconnues en qualité de "spécialités". L'une de ces spécialités est officiellement reconnue : il s'agit de l'orthodontie qui est, notamment, reconnue par la délivrance d'un titre par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Elle constitue, avec la chirurgie buccale, les deux seuls titres de "formation de praticien de l'art dentaire spécialiste" figurant, pour la France, à l'annexe V de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN). Tel n'est pas le cas, en revanche, de l'implantologie (qui constitue une technique de prothèse) qu'aucun Etat membre n'a fait figurer à cette annexe.

Au titre de la déontologie, l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1930HSB) limite les indications que le chirurgien-dentiste est autorisé à mentionner sur ses imprimés professionnels, notamment ses feuilles d'ordonnances, notes d'honoraires et cartes professionnelles, relatives à "sa qualité et sa spécialité", ainsi qu'à ses "titres et fonctions reconnus par le Conseil national de l'ordre". L'article R. 4127-218 du même code (N° Lexbase : L9239GTD) interdit au chirurgien-dentiste de faire figurer sur une plaque professionnelle, à la porte de son immeuble ou de son cabinet, d'autres mentions que ses nom, prénoms, sa qualité et sa spécialité. Il peut, cependant, y ajouter l'origine de son diplôme, les jours et heures de consultation, ainsi que l'étage et le numéro de téléphone.

Dans le domaine médical, en effet, si les praticiens peuvent librement informer le public (et donc leurs éventuels patients) des prestations qu'ils proposent, ils ne peuvent, en revanche, recourir à la publicité entendue comme une démarche promotionnelle. Cette interdiction ne saurait, toutefois, réduire la liberté d'expression des personnes : la cour d'appel de Paris a, ainsi, rejeté le grief de publicité illicite articulé par des laboratoires médicaux contre un médecin auteur d'un guide critique des médicaments (CA Paris, 20 décembre 1974, Pradal, Gaz. Pal., 1975, 1, p. 148, JCP éd. E, 1975, II, 11828, JCP éd. G, 1975, II, 18056, obs. D. Nguyen-Thanh, D., 1975, jurispr., p. 312, note R. Lindon). Seule la promotion d'un produit ou d'un service relève, en effet, de la publicité illicite. En revanche, la critique scientifique demeure autorisée : le médecin qui, au cours d'une émission télévisée consacrée à l'alcoolisme, traite une marque d'apéritifs d'"ennemi public n° 1" n'excède pas les limites de la liberté d'expression et ne commet pas de dénigrement publicitaire répréhensible (TGI Paris, 14 février 1979, Gaz. Pal., 1979, 1, somm., p. 260).

En revanche, la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative, s'attache à faire respecter l'interdiction de toute démarche exclusivement promotionnelle. Ainsi, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a pu obtenir l'interdiction sous astreinte d'une campagne de publicité, faite par un distributeur non spécialisé qui utilisait la "croix verte", marque déposée par le demandeur (TGI Paris, réf., 16 juin 1987, Ordre des Pharmaciens c/ Galec, JCP éd. E, 1987, II, 15033, note A. Viandier). De même, le Conseil d'Etat a confirmé l'interdiction d'exercer pendant un an, infligée par l'ordre des pharmaciens à l'un de ses membres qui avait fait de la publicité en faveur de son officine (CE, 30 octobre 1989, n° 81161, Mme Raveneau-Sabardeil c/ Conseil national de l'ordre des pharmaciens N° Lexbase : A2160AQ3, Gaz. Pal., 1990, 2, pan. dr. adm., p. 396).

2) Le contenu de ces mentions entre dans le champ d'application des stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

L'article 10 § 1 de la CESDH reconnaît, en effet, à toute personne le droit à la liberté d'expression qui comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées, sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le paragraphe 2 du même article relève, cependant, que l'exercice de ces libertés emporte également des devoirs et responsabilités et permet de les soumettre à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsqu'elles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment à la protection de la santé.

La notion d'information ainsi couverte est entendue dans un sens très large car elle couvre, non seulement, la liberté d'expression politique, philosophique ou religieuse, mais aussi l'information de nature économique, professionnelle ou artistique. Dès lors qu'une information emprunte un support destiné à la rendre publique, les stipulations de l'article 10 § 1 ont vocation à s'appliquer.

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a, notamment, fait application de l'article 10 de la CESDH en retenant comme une ingérence non justifiée par le souci de protéger les droits des tiers, l'interdiction de toute publicité faite à un vétérinaire allemand, interdiction qui réduisait de manière excessive la liberté d'information sur l'ouverture d'un service de nuit par ce vétérinaire (CEDH, 25 mars 1985, req. 10/1983/66/101, Barthold N° Lexbase : A6486AW7, Jurispr. CEDH, n° 566, p. 249).

De même, la Cour a admis l'applicabilité de l'article 10 dans le cas d'une sanction infligée à un avocat, au motif qu'il avait fait publier dans un journal une annonce donnant son nom et son adresse suivie de la mention "juriste", dans la mesure où cette annonce, dont la visée était publicitaire, fournissait aux personnes ayant besoin d'une assistance juridique des renseignements d'une utilité certaine et de nature à faciliter leur accès à la justice (CEDH, 24 février 1994, req. 8/1993/403/481, Casado Coca c/ Espagne N° Lexbase : A6616AWX, Légipresse, 1995, n° 118, III, p. 1).

Dans un arrêt plus récent (CEDH, 17 octobre 2002, Stambuck c/ Allemagne), la Cour a estimé qu'une sanction pécuniaire infligée à un médecin allemand, qui avait indiqué dans un article de presse avoir traité plus de quatre cents patients par la technique d'opération au laser avec un taux de succès de 100 %, constituait une ingérence des pouvoirs publics, allant au-delà des restrictions que le paragraphe 2 de cet article permet d'apporter.

L'on voit donc que la CEDH retient une interprétation extensive du champ d'application des stipulations de l'article 10 § 1, et que le droit de communiquer des informations garanti par ces stipulations, recouvre souvent le droit pour le praticien de promouvoir ses compétences. C'est, qu'en effet, une démarche promotionnelle comporte souvent un aspect informatif (notamment, afin de rendre crédible la prestation proposée et le prestataire lui-même), tandis que la communication d'informations a souvent une visée promotionnelle, ne serait-ce que parce qu'elle se rapporte à des informations qui présentent le praticien sous un jour favorable.

Dans les deux affaires qui ont donné lieu aux décisions du 16 avril 2008 étaient, cependant, en cause non pas des articles de presse, mais des documents professionnels tels que des notes d'honoraires, ordonnances et cartes professionnelles, ou une plaque professionnelle apposée dans la rue à l'entrée du lieu d'exercice. Il fallait donc déterminer si de tels documents constituent des supports visant à rendre publiques les informations qu'elles comportent, de nature à faire entrer les mentions qu'elles comportent dans le champ de l'article 10. L'on pouvait hésiter dans la mesure où les documents et supports en cause ne permettent de toucher qu'un public très limité : celui des passants dans la rue pour la plaque, des patients ou des personnes physiquement rencontrés pour les autres documents professionnels. Toutefois, faute pour les chirurgiens-dentistes, comme pour les médecins, de pouvoir recourir à la publicité, ce sont les rares moyens, avec la mention de leur nom et coordonnées dans un annuaire téléphonique, qui leur permettent de se faire connaître du public.

L'interdiction d'inscrire sur la plaque toute autre mention que la qualité, la spécialité lorsqu'elle est reconnue (uniquement l'orthodontie et la chirurgie bucco-faciale en France) et l'origine géographique du diplôme de chirurgien-dentiste, ainsi que la restriction consistant à ne pouvoir faire figurer sur les documents professionnels que les diplômes, titres et compétences reconnus par le conseil de l'ordre, constituent incontestablement des ingérences à la liberté d'expression puisqu'elles limitent l'information qui peut être portée à la connaissance du public. Or, celui-ci peut avoir intérêt à connaître quelle technique de prothèse un chirurgien-dentiste pratique avant de choisir celui qu'il va aller consulter dans la perspective de se faire poser des prothèses, ainsi que sa compétence en la matière.

C'est donc fort logiquement que le Conseil d'Etat a relevé que "les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique, qui ont été édictées dans le but d'éviter qu'un chirurgien-dentiste ne puisse faire usage de ses titres à des fins publicitaires et afin de prémunir les patients, dans l'intérêt de la santé, contre des risques d'erreur ou de confusion dans l'interprétation des indications qui leur sont données par un chirurgien-dentiste, mettent en cause la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et entrent, par suite, dans les prévisions des stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales".

B - La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est contraire ni aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH, ni aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

1) La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est pas contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

Si la jurisprudence européenne retient du champ d'application certaines stipulations de l'article 10 § 1, elle s'attache, cependant, à préserver les droits qu'ont les Etats, en vertu du paragraphe 2 du même article, d'apporter des restrictions à l'exercice de la liberté de communication. Ainsi, après avoir relevé que "la publicité constitue, pour le citoyen, un moyen de connaître les caractéristiques des services et des biens qui lui sont offerts" (CEDH, 24 février 1994, req. 8/1993/403/481, Casado Coca c/ Espagne, précité), la Cour estime, toutefois, que les Etats doivent disposer d'une certaine marge d'appréciation pour juger de la nécessité d'une ingérence, pareille marge s'imposant spécialement en matière de publicité. Les juges relèvent, d'ailleurs, que la publicité "peut parfois faire l'objet de restrictions destinées, notamment, à empêcher la concurrence déloyale et la publicité mensongère ou trompeuse. Dans certains contextes, même la publication de messages publicitaires objectifs et véridiques pourrait subir des limitations tendant au respect des droits d'autrui, ou fondées sur les particularités d'une activité commerciale".

Ces limitations "appellent, cependant, un contrôle attentif de la cour, laquelle doit mettre en balance les exigences desdites particularités avec la publicité en cause et, à cet effet, considérer la sanction incriminée à la lumière de l'ensemble de l'affaire". La CEDH précise, à cet égard, que, "grâce à leurs contacts directs et constants avec leurs membres, les autorités ordinales ou les cours et tribunaux du pays se trouvent mieux placés que le juge international pour préciser où se situe, à un moment donné, le juste équilibre à ménager entre les divers intérêts en jeu" (CEDH, 24 février 1994, Req. 8/1993/403/481, Casado Coca c. Espagne, précité). Les autorités ordinales ont, ainsi, pour mission d'organiser la conciliation entre la mise en oeuvre de la liberté de communication au bénéfice des membres de leurs professions, et la protection de la santé publique.

La protection de la santé publique justifie, ainsi, que l'Etat exerce un certain contrôle sur les compétences, titres ou diplômes qu'un chirurgien-dentiste souhaite revendiquer publiquement afin de mieux se faire connaître. Les prestations de soins dentaires peuvent produire des effets sur l'intégrité physique du bénéficiaire. Le recours à ces prestations répond le plus souvent à une nécessité, y compris en matière de prothèses, plutôt qu'il ne satisfait à une envie. De plus, le domaine de la santé est de ceux dans lesquels il existe une forte "asymétrie de l'information" entre le professionnel et le bénéficiaire de la prestation, ce dernier n'étant pas vraiment en mesure d'apprécier la qualité de la prestation qu'il achète. L'intérêt de la santé publique justifie donc que l'Etat s'assure que les diplômes, titres ou compétences dont souhaite faire état un professionnel constituent une information pertinente.

C'est pourquoi, selon le Conseil d'Etat, "les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique qui donnent au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes compétence pour autoriser un chirurgien-dentiste à faire figurer sur ses imprimés professionnels des titres et fonctions autres que le diplôme d'Etat ou la spécialité, apportent à la liberté de communication et d'information une restriction nécessaire à la protection de la santé, destinée à assurer les patients de la qualité et de l'intelligibilité des informations portées à leur connaissance, restriction autorisée par le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". Autrement dit, subordonner la mention des titres et diplômes à la vérification préférable par un organisme tel que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes que les diplômes, titres ou compétences revendiqués présentent des garanties suffisantes, constitue une exigence proportionnée à l'objectif de santé publique poursuivi.

2 - La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est pas contraire aux principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation de services

Les articles 43 et 49 (N° Lexbase : L5359BCH) du Traité instituant la Communauté européenne imposent la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services. Doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de ces libertés. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a, de ces entraves, une conception très large, par exemple une action collective engagée par un syndicat ou un groupement de syndicats à l'encontre d'une entreprise, aux fins d'amener cette dernière à conclure une convention collective dont le contenu est de nature à la dissuader de faire usage de la liberté d'établissement (CJCE, 11 décembre 2007, aff. C-438/05, International Transport Worker's Federation c/ Viking Line ABP N° Lexbase : A0543D3I). Or, l'on peut penser que l'impossibilité de faire état d'un diplôme de spécialisation obtenu ou d'une compétence acquise dans un autre Etat membre peut dissuader un chirurgien-dentiste de venir s'installer en France, ou d'y accomplir des prestations de service. La CJCE admet, cependant, qu'un Etat membre adopte des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité, sous réserve, pour ces mesures, de remplir quatre conditions. La première tient au caractère non discriminatoire de ces mesures ; la deuxième à leur justification par des raisons impérieuses d'intérêt général ; la troisième à leur capacité à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et la quatrième à leur caractère proportionné, qui impose que ces mesures n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé (CJCE, 31 mars 1993, aff. C-19/92, Dieter Kraus c/ Land Baden-Württemberg N° Lexbase : A0065AWC, Rec. p. I-1663, point 32).

"La protection de la santé publique est au nombre des mesures impérieuses d'intérêt général qui peuvent justifier des restrictions et les dispositions du Code de la santé publique contestées devant vous ne sont pas discriminatoires". Ainsi, dans ses conclusions sous l'affaire "Doulamis" (CJCE, 13 mars 2008, aff. C-446/05, Ioannis Doulamis c/ Union des Dentistes et Stomatologistes de Belgique (UPR) N° Lexbase : A3766D7M), l'avocat général Yves Bot, s'il considère que l'interdiction aux chirurgiens-dentistes de faire toute publicité auprès du public pour leurs prestations constitue une restriction à ces deux libertés (établissement et libre prestation de services) en matière de soins dentaires, est cependant non discriminatoire et justifiée par des exigences impérieuses d'intérêt général. Il fonde sa position sur la nécessaire confiance qui doit exister entre patient et praticien compte tenu des particularités des prestations de service de santé, notamment du caractère asymétrique de l'information dans leurs relations.

Dans les deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat adopte la même position en considérant que, si les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique "constituent une entrave à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, elles s'appliquent de manière non discriminatoire, et apportent à ces libertés [...] une restriction justifiée par un objectif de santé publique, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci".

Ajoutons que les dispositions de la Directive 2005/36/CE précitée ne portent que sur le diplôme qui permet l'exercice de la profession et ne donnent aucune indication sur les informations que les praticiens peuvent faire figurer concernant leurs autres titres, diplômes ou qualifications. En outre, l'implantologie n'est pas au nombre des spécialités en matière d'art dentaire dont elle traite. La Directive 2005/36/CE ne fait donc pas, par elle-même, obstacle à ce qu'un organisme national tel que le Conseil national de l'ordre s'assure au cas par cas que les diplômes, titres ou qualifications revendiqués en matière d'implantologie par un chirurgien-dentiste traduisent une vraie compétence. Or cette exigence est toute à la fois utile et proportionnée à l'objectif de santé publique poursuivi.

II - ...il ne saurait, en revanche, permettre à ces mêmes autorités d'opposer une interdiction systématique à la mention de titres et qualités professionnelles

A - L'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives au diplômes d'Etat et à la spécialité est contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH et, probablement, aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

1) L'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives au diplômes d'Etat et à la spécialité est contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

Dans les deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat, après avoir rappelé que l'article R. 4127- 218 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9239GTD) a pour effet "d'interdire à un chirurgien-dentiste de mentionner sur sa plaque professionnelle d'autres titres ou diplômes que son diplôme d'Etat et sa spécialité", considère que "le souci d'éviter que la profession de chirurgien-dentiste soit exercée comme un commerce ne justifie, toutefois, pas l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles toutes autres indications relatives à la qualification du patrimoine autre que celle du diplôme d'Etat et de la spécialité, sans qu'il soit tenu compte du but ou de la valeur informative de ces indications". Le Conseil en conclut que cette interdiction est de nature à porter aux droits des intéressés au respect des libertés de communication et d'informations garanties par les stipulations de l'article 10 de la CESDH "une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels des restrictions peuvent être définies". Les dispositions de l'article R. 4127- 218 précité sont donc contraires à ces stipulations en tant qu'elles interdisent toutes mentions et ne se bornent pas, à la différence de celles de l'article R. 4127-216 du même code, à subordonner l'inscription de ces mentions à l'autorisation du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

L'interdiction générale de mention telle que celle qui est édictée pour la plaque professionnelle est donc disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi de protection de la santé publique. En effet, il peut être intéressant et important pour un patient de savoir qu'un chirurgien-dentiste pratique telle ou telle méthode de prothèse, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une méthode présentant des dangers particuliers pour la santé publique. Il lui sera aussi utile, dans le choix du praticien, de savoir qu'il dispose de diplômes, titres ou reconnaissance d'une qualification se rapportant à cette pratique, même si ceux-ci n'ont pas été délivrés par l'Etat, dès lors que les conditions de leur octroi garantissent un niveau suffisant de compétence.

2) Une telle interdiction est, également, probablement contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

Dans ses conclusions sous les deux décisions du 16 avril 2008, Mme de Salins a estimé que l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives aux diplômes d'Etat et à la spécialité était, également, contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE. Le Conseil d'Etat, préférant retenir le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH, ne s'est, cependant, pas prononcé sur ce point.

Il n'en demeure pas moins que dans la mesure où rien ne permet d'affirmer que l'implantologie présenterait des dangers tels pour la santé publique que son exercice devrait être sérieusement encadré, l'interdiction générale et absolue de la mentionner comme spécialité ne peut qu'être contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE puisqu'elle peut, notamment, avoir pour conséquence de dissuader un chirurgien-dentiste diplômé dans ce domaine de s'installer dans un Etat membre qui ne lui permet pas de faire mention de ce diplôme. Il y a donc bien là une restriction à la liberté d'établissement et une interdiction générale et absolue ne saurait être proportionnée par rapport à un objectif de protection de santé publique, ne serait-ce qu'en raison, précisément, de son caractère absolu qui refuse toute proportion.

Constitue, ainsi, une entrave au droit d'établissement et à la libre prestation de services en ce qu'elle peut être de nature à "freiner" la constitution d'une clientèle, l'interdiction absolue de mentionner sur une plaque professionnelle un diplôme, titre ou compétence en matière d'implantologie. En outre, l'objectif de protection de la santé publique qu'elle poursuit pourrait être atteint par une mesure de restriction plus limitée qui, certes, répond à une exigence impérieuse d'intérêt général, mesure de restriction plus limitée qui consiste à permettre à un organisme national de s'assurer que le contenu et les modalités de délivrance des diplômes ou qualifications revendiqués traduisent une vraie compétence.

B - La solution retenue, qui encadre les pouvoirs des autorités ordinales tout en les protégeant, est proche des solutions retenues en matière de pouvoir de police

1 - La solution retenue, qui n'est pas sans précédents, encadre les pouvoirs des autorités ordinales tout en les protégeant

La solution retenue par le Conseil d'Etat dans les décisions du 16 avril 2008 n'est pas sans précédents. En effet, le Conseil avait déjà annulé des décisions du Conseil national de l'ordre qui s'apparentaient à une interdiction générale et absolue de faire mention des diplômes obtenus.

Faisant application de l'article 13 du décret n° 67-671 du 22 juillet 1967, portant Code de déontologie des chirurgiens-dentistes (désormais repris à l'article R. 4127-16 précité), le Conseil avait, ainsi, censuré un refus "général et absolu" opposé aux praticiens souhaitant mentionner sur leurs imprimés professionnels les titres de "postgraduate" délivrés par les établissements d'enseignement supérieurs étrangers, notamment aux Etats-Unis. Il avait jugé qu'en opposant cette position de principe, le Conseil national de l'ordre avait illégalement refusé de se livrer à l'appréciation qui lui incombait en méconnaissance de l'article 13 susvisé (CE, 16 mars 1988, n° 62730, Lasry N° Lexbase : A7611APL, au Recueil p. 122). Plus récemment, le Conseil d'Etat a jugé illégale une décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes en date du 9 décembre 2005 consistant, par principe et sans se livrer à un examen au cas par pas de leur contenu et des modalités de leur délivrance, à ne plus autoriser la mention par les chirurgiens-dentistes sur leurs documents professionnels des diplômes d'université qu'ils ont obtenus (CE, 21 septembre 2007, n° 291117, M. Mailhac N° Lexbase : A4132DYP et n° 291508, M. Mamou N° Lexbase : A4133DYQ). Dans ces décisions, le Conseil a considéré qu'en "décidant ainsi, de manière générale et absolue, de ne pas autoriser la mention des diplômes d'universités quels que soient leur contenu et les modalités de leur délivrance, le Conseil national ne s'était pas livré à l'appréciation qui lui incombait en n'indiquant pas les diplômes pouvant figurer sur les imprimés professionnels, et avait méconnu les dispositions précitées de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique". Aucune mesure ne peut donc avoir pour effet d'exclure toute forme d'examen individuel, par le Conseil national de l'ordre, des titres et diplômes dont les praticiens veulent faire état, tout en interdisant toute mention de ces titres et diplômes.

En revanche, le Conseil d'Etat avait admis la légalité d'un refus opposé à un praticien qui souhaitait mentionner un diplôme d'université dont il était titulaire, alors que le guide d'exercice professionnel publié par le Conseil national en avril 1992 prévoyait que les diplômes susceptibles d'être mentionnés étaient seulement ceux qui avaient été délivrés par une faculté de chirurgie dentaire, à l'exclusion donc de ceux délivrés par une faculté de médecine (CE, 5 avril 1996, n° 148125, Bessis N° Lexbase : A8666ANB). De même, le Conseil avait admis la légalité d'une sanction prise par la section disciplinaire du Conseil national faisant application du guide d'exercice professionnel de 1997, en tant qu'il impose aux chirurgiens-dentistes désirant faire figurer le titre de "docteur" sur leurs imprimés d'obtenir, à cette fin, une autorisation du Conseil national, et faute d'une telle autorisation, de n'utiliser que le titre de "chirurgien-dentiste" (CE, 4° et 5° s-s-r., 15 juillet 2004, n° 221103, M. Sabek N° Lexbase : A6384DXQ).

Les décisions du 16 avril 2008 se distinguent, cependant, de ces précédents, en ce qu'elles ne sanctionnent pas directement le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. En effet, ces décisions sanctionnent, d'abord, le pouvoir réglementaire qui, par les dispositions de l'article R. 4127-218 précité, a permis au Conseil national de l'ordre d'opposer une interdiction générale et absolue à la mention de certains diplômes. Le Conseil national est, ainsi, seulement sanctionné en ce qu'il a fait application d'une disposition réglementaire qui le privait finalement de la possibilité d'examiner, au cas par cas, la réalité et le sérieux des diplômes mis en avant par les praticiens. En annulant donc les dispositions de l'article R. 4127-218, le Conseil d'Etat encadre la compétence du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes tout en la protégeant : en effet, s'il rappelle au Conseil le devoir qui est le sien d'examiner, au cas par cas, la réalité et le sérieux des diplômes mis en avant par les membres de la profession, il consacre, dans le même temps, sa mission d'organisation de cette profession et la protège face à la tentation du pouvoir réglementaire de se substituer aux autorités ordinales dans l'exercice de cette mission.

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint, d'ailleurs, la position qu'avait adoptée le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes lui-même, à l'occasion de la rédaction du guide d'exercice professionnel dans sa version de 1997. Ce guide était fondé sur l'idée que le Conseil national ne s'opposait pas, par principe, à la mention des titres et diplômes et il prévoyait explicitement un examen au cas par cas. On peut citer le passage suivant figurant à la rubrique "diplômes universitaires" : "Compte tenu du niveau de ces diplômes délivrés par les universités dans le cadre de leur autonomie et de leur apport à une formation supérieure, le Conseil national de l'ordre ne s'oppose pas à ce que les détenteurs en fassent mention sur tous les documents professionnels. Toutefois, l'autorisation n'est pas automatique et est subordonnée à l'aval du Conseil national. Cependant, dans les disciplines où existent des diplômes nationaux sanctionnant une formation spéciale (orthopédie dento-faciale et chirurgie buccale), la mention d'un diplôme n'est pas tolérée pour ne pas créer de confusion dans l'esprit du patient".

2 - Une solution proche des solutions retenues en matière de pouvoir de police

Dans ses conclusions sous la décision précitée du 21 septembre 2007, le commissaire du Gouvernement M. Olson estimait que "la cohérence de la jurisprudence conduit à exclure que le Conseil national prenne une mesure générale et absolue d'interdiction de mentionner tous les diplômes et titres obtenus par les praticiens dans le cadre des formations qu'ils suivent au cours de leur carrière", avant d'ajouter que "un peu comme en matière d'encadrement des pouvoirs de police, votre jurisprudence se montre rétive aux décisions restreignant de manière générale et absolue l'exercice d'une liberté ou d'un droit ".

Il existe, en effet, une présomption d'illégalité des interdictions générales et absolues, car leur étendue tend à prouver que l'autorité administrative n'a pas tenu compte des circonstances de fait, et qu'elle a soumis à un régime uniformément rigoureux des activités effectivement dangereuses pour l'ordre public, et d'autres qui étaient loin de présenter le même risque. L'on trouve, ainsi, de nombreux exemples d'annulation de mesures de police comportant des interdictions générales et absolues, notamment en matière de police municipale (à propos de la police des photographes filmeurs, de nombreux maires ont interdit l'exercice dans la rue de cette profession. En principe, de telles interdictions à portée générale et absolue sont illégales : CE, 20 février 1960, Ville de Rouen c/ Laboratoires photographiques Lucas frères, Rec. Lebon, p. 154 ; CE, 15 octobre 1965, n° 58885, Préfet de police c/ Alcaraz et Mme Tanasijevic N° Lexbase : A0661B8Y, Rec. Lebon, p. 516, AJDA,1965, II, p. 662, concl. J. Kahn ; voir aussi, à propos de la police des marchands ambulants : CE, 26 avril 1993, Commune de Méribel-les-Allues c/ Société Banan'Alp N° Lexbase : A9319AM4, aux Tables, p. 654).

Toutefois, s'il y a une présomption d'illégalité de toutes les interdictions qui sont considérées par le Conseil d'Etat comme générales et absolues, cela ne veut pas dire, pour autant, que toutes les interdictions générales et absolues soient forcément illégales. Il peut, en effet, arriver que le trouble à l'ordre public soit tel qu'il n'y ait pas d'alternative : il n'y a alors aucune illégalité (CE, 13 mars 1968, Ministre de l'Intérieur c/ Epoux Leroy, au Recueil p. 179, AJDA, 1968, p. 240, chron. J. Massot et J.-L. Dewost, p. 221, à propos également de la police des photographes filmeurs).

Tel n'était pas le cas dans les affaires qui ont fait l'objet des décisions du 16 avril 2008, puisque rien ne permettait d'affirmer que l'implantologie présentait des dangers tels pour la santé publique que son exercice devait être sérieusement encadré, et même interdit.

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