Réf. : Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-15.037, M. Claude Sauron, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7686D88)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
Indices de paternité. La cour d'appel, pour refuser d'ordonner l'expertise génétique sollicitée par le demandeur à l'action en contestation de la reconnaissance, qui se prétendait lui-même père de l'enfant, s'appuie d'abord sur la vraisemblance de la paternité de l'auteur de la reconnaissance contestée. En l'espèce, l'enfant avait fait l'objet de deux reconnaissances : la première par l'homme qui avait eu une relation avec la mère en 1996, année de la naissance de l'enfant, la seconde par son concubin, dont elle s'était séparée entre 1995 et 1996. Les juges du fond avaient retenu l'existence d'indices allant dans le sens d'une paternité de l'auteur de la première reconnaissance. La cour d'appel avait pu en conclure, comme les juges de première instance, que "dès lors que les présomptions et indices relevés étaient suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité de M. Y, il existait un motif légitime de ne pas satisfaire à la demande d'expertise biologique réclamée".
Jurisprudence antérieure. Ce faisant, la cour d'appel reprenait, en réalité, un motif légitime accepté par la Cour de cassation dans d'autres décisions. En effet, la Cour a admis, notamment, dans un arrêt du 24 septembre 2002 (2), que "les présomptions et indices graves que les juges du fond avaient relevés étaient suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité de Marino Z, sans qu'il soit nécessaire de rechercher d'autres éléments de preuve et notamment de faire droit à la demande d'expertise, superfétatoire en l'occurrence". Il s'agissait alors d'une action en établissement de la filiation ; le raisonnement consistait à dire que la filiation recherchée était suffisamment établie et que l'expertise génétique était inutile. A priori l'application du même raisonnement dans le cadre d'une action en contestation de la filiation, opérée par la cour d'appel, paraissait plus discutable. Elle pouvait, cependant, s'inspirer d'une décision de la Cour de cassation du 3 novembre 2004 (3) qui a admis, dans le cadre d'une action en contestation de reconnaissance, "que les faits invoqués par les demandeurs, non probants, ne contredisaient en rien la vraisemblance de la reconnaissance [laquelle était établie par plusieurs éléments] que la cour d'appel a ainsi caractérisé un motif légitime de ne pas procéder à une expertise biologique, neuf ans après le décès du père déclaré". Il s'agirait, autrement dit, de considérer également que lorsque la filiation contestée est établie par des éléments suffisants, l'expertise génétique ne peut être admise pour la remettre la cause. Revirement ou précision, l'arrêt du 28 mai 2008 vient contredire cette analyse puisqu'il rejette la vraisemblance de la filiation comme motif légitime fondant le refus d'ordonner une expertise. Cette décision peut être interprétée comme marquant la volonté de la Cour de cassation de revenir sur la solution admise en 2004 et de renforcer le droit à l'expertise génétique. Elle peut, également, être interprétée comme le signe d'une exigence accrue de la Cour de cassation quant à la caractérisation du motif légitime permettant d'exclure l'expertise. Les éléments relevés par les juges dans l'affaire tranchée par l'arrêt du 28 mai 2008 pouvaient, en effet, paraître moins pertinents que ceux relevés dans l'affaire tranchée par l'arrêt du 3 novembre 2004, d'autant plus que dans cette affaire la contestation de la reconnaissance intervenait neuf ans après le décès de son auteur. Il reste qu'en tout état de cause, la Cour de cassation durcit incontestablement sa position à l'égard des motifs légitimes exclusifs d'une expertise génétique.
II - Le rejet de la possession d'état
Existence d'une possession d'état. La cour d'appel avait également fondé son refus d'ordonner une expertise génétique sur la possession d'état établie au profit de l'auteur de la reconnaissance contestée. Celle-ci se caractérisait par le fait qu'il s'était comporté comme un père à l'égard de l'enfant, et qu'il avait obtenu un droit de visite et d'hébergement en 1998, et la résidence habituelle de l'enfant en 2001. La réalité affective de la filiation, que la mère et son concubin souhaitaient remettre en cause, n'était donc pas contestable.
Limitation des motifs légitimes. L'argument ne convainc cependant pas la Cour de cassation qui avait pourtant adopté une position inverse dans l'arrêt du 25 avril 2007 (4). Dans cette dernière décision, en effet, elle avait admis que la volonté constante du père d'assumer sa paternité -certes conjuguée à des difficultés matérielles pour procéder à l'expertise- permettait de caractériser le motif légitime rendant impossible l'expertise génétique. Sur ce point également, la Cour de cassation semble revenir à une position plus favorable à l'expertise génétique en réduisant le domaine d'application des motifs légitimes permettant de la refuser.
Caractère objectif des motifs légitimes. Sans doute peut-on voir dans cette évolution, la volonté de la Cour de cassation de cantonner les motifs légitimes à des éléments plus objectifs et certains. On peut, cependant, espérer qu'elle n'exclura pas complètement la possession d'état notamment dans les hypothèses dans lesquelles celle-ci sera incontestable et aura duré de nombreuses années. Lorsque tel est le cas -et particulièrement lorsque la possession d'état a duré plus de cinq ans- l'action en contestation de la filiation est, en vertu du droit issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005, irrecevable. En érigeant une telle possession d'état en motif légitime pour ne pas ordonner une expertise génétique, la Cour de cassation procédait à une intéressante anticipation de la réforme dans les procédures intentées avant l'entré en vigueur du nouveau texte ; il serait regrettable que l'arrêt du 28 mai 2008 marque la fin de cette jurisprudence opportune qui permet de protéger le lien de filiation lorsqu'il correspond à une réalité affective.
(1) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M. Y (N° Lexbase : A8717AHC), Bull. civ. I, n° 103 ; JCP éd. G, 2000, II, 10409, concl. C. Peite, note M.-C. Monsallier Saint-Mleux ; JCP éd. G, 2000, II, 10410, obs. T. Garé ; D., 2000, p. 731, note T. Garé ; D., 2001, p. 2868, note C. Desnoyer ; D., 2001, p. 976, obs. F. Granet ; RJPF, 2000-5/38, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2000, 304, obs. J. Hauser ; Defrénois, 2000, art. 37194, p. 769, obs. J. Massip ; Dr. fam., 2000, comm. n° 72, obs. P. Murat.
(2) Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-22.466, Mlle Jessica Leban c/ Mme Catherine Marius, F-P (N° Lexbase : A4910AZU), JCP éd. G, 2003, II, 10053, obs. T. Garé ; D., 2003, 1793, obs. D. Cocteau-Senn ; D., 2003, somm., 2117, obs. F. Granet- Lambrechts ; Dr. fam., 2003, comm. n° 23, note P. Murat ; Defrénois, 2003, p. 124, obs. J. Massip ; RTDCiv., 2003, 71, obs. J. Hauser.
(3) Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-11.699, Mme Eliane Hazard, épouse Coyard c/ Mme Jeannine Hazard, épouse Langlais, F-D (N° Lexbase : A7552DD3), RJPF, 2005/3.29, obs. T. Garé ; RTDCiv., 2005, 376, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8), AJ fam., 2007. 273, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2007, comm. n° 170, obs. P. Murat ; JCP éd. G, 2008, I, 102, obs. Y. Favier.
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