Le Quotidien du 21 août 2023

Le Quotidien

Peines

[Jurisprudence] De l’interprétation stricte de l’article 485-1 du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-82.994, FS-B N° Lexbase : A02149QY

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N5793BZL

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par Hélène Dantras-Bioy, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Nantes université, Laboratoire Droit et changement social, UMR CNRS 6297

Le 04 Août 2023

Mots-clés : confiscation • confiscation en valeur • confiscation du produit de l’infraction • motivation • contrôle de proportionnalité

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 19 avril 2013 affirme, pour la première fois, que l’interprétation stricte de l’article 485-1 du Code de procédure pénale implique une application restrictive de la dérogation apportée à l’obligation de motivation de la confiscation du produit de l’infraction. Lorsqu’une telle confiscation est ordonnée en valeur, elle doit non seulement être motivée, mais en outre, lorsqu’elle est exécutée sur le bien constituant le domicile familial du condamné, elle doit faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité lorsque la garantie du droit à une vie privée et familiale est invoquée.


 

Dans l’affaire d’abus de biens sociaux à l’origine de cet arrêt de la Chambre criminelle du 19 avril 2023, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion avait condamné le demandeur au pourvoi plus sévèrement qu’en première instance. Elle avait ainsi notamment doublé la durée de deux peines d’interdictions (de gérer et d’exercer une fonction publique) et ajouté une peine de confiscation en valeur du produit de l’infraction, dont l’exécution était ordonnée sur le domicile du condamné. Si l’arrêt est cassé en raison de l’illégalité des deux peines d’interdiction prononcées, son apport essentiel réside en l’affirmation par la Chambre criminelle de l’obligation pour les juges de motiver la peine de confiscation en valeur du produit de l‘infraction.

Le pourvoi reprochait à la cour d’appel (3ème branche du premier moyen) d’avoir ordonné la confiscation de l’immeuble constituant son domicile familial, alors qu’il avait déjà été lourdement condamné et que ce bien avait été acquis au moyen d’un prêt à une date antérieure aux faits reprochés. La cour d’appel aurait ainsi, selon lui, violé l’article 1 du protocole n°1 à la CESDH en portant une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, mais également (selon la 4ème branche) à son droit à une vie privée et familiale, dès lors que sa fille était domiciliée chez lui et y résidait lorsqu’elle n’était pas à l’université. La cour d’appel avait néanmoins estimé que celle-ci pouvait être hébergée chez sa mère et que les revenus de l’auteur des faits lui permettaient de financer une location.

Répondant sur la troisième branche du moyen, la Haute juridiction commence par rappeler que, lorsque la confiscation porte sur les biens qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction, elle peut effectivement être ordonnée en valeur sur tous biens du condamné (C. pén., art. 131-1, al. 3 et 9 N° Lexbase : L2210AMS). Elle rappelle ensuite que toute peine correctionnelle doit être motivée, sauf s’il s’agit de la confiscation du produit ou de l’objet de l’infraction (C. pén., art. 131-1 et C. proc. pén., art. 485-1 N° Lexbase : L7241LPU).

Puis elle affirme, et là est l’apport principal de sa décision, que « cette dérogation au principe de motivation des peines étant d’interprétation stricte, la confiscation du produit de l’infraction, lorsqu’elle est ordonnée en valeur, doit être motivée […] ». Elle examine alors les éléments relevés par les juges du fond permettant de vérifier la conformité de la justification du choix de la confiscation en valeur du produit de l’infraction au regard des critères généraux fixés par la loi pour la motivation de toute peine correctionnelle. Elle en conclut que la cour d’appel a justifié sa décision, ayant motivé la condamnation tant au regard de la gravité des faits que de la personnalité de l’auteur et de sa situation personnelle ; ce, après avoir vérifié que le bénéfice du produit des infractions dont le prévenu avait seul bénéficié était supérieur à la valeur du bien saisi.

Pour cerner la portée de la décision, rappelons que dans le contexte jurisprudentiel tendant à imposer la motivation de toutes peines correctionnelles, un arrêt de la Chambre criminelle du 8 mars 2017 [1] précisait qu’en matière de confiscation de tout ou partie du patrimoine, le juge doit satisfaire non seulement à l’obligation de motivation générale imposée pour toute peine correctionnelle au regard des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle mais aussi doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé. Or, il est dérogé à cette double contrainte pesant sur le juge s’agissant des confiscations portant sur l’objet ou le produit de l’infraction. En premier lieu, l’article 485-1 du Code de procédure pénale prévoit une exception à l’obligation de motivation du choix de ce type de confiscations, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 [2] ayant entériné la jurisprudence qui avait consacré cette solution [3]. En second lieu, il est admis que la nécessité pour le juge de s'expliquer sur la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu est écartée lorsque la confiscation porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction [4].

La question qui se posait dans l’affaire examinée était de savoir si cette double dérogation était applicable lorsque la confiscation du produit de l’infraction est ordonnée en valeur sur un bien immobilier du condamné, le demandeur au pourvoi alléguant une atteinte disproportionnée à son droit de propriété. Or, la Chambre criminelle avait déjà affirmé à plusieurs reprises que les juges n’ont pas à justifier  de la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété par les mesures de confiscation en valeur du produit, direct ou indirect, de l'infraction dès lors que « le juge est tenu de préalablement s'assurer que la valeur du bien confisqué n'excède pas le montant du produit de l'infraction, en sorte que l'atteinte portée au droit de propriété de la personne condamnée ne peut excéder l'avantage économique tiré de l'infraction pénale et qui constitue la conséquence patrimoniale de sa commission » [5]. Peu importe, donc, que la confiscation du produit de l’infraction soit ordonnée en nature ou en valeur sur un bien du condamné, et, en l’espèce, la cour d’appel avait bien « constaté que le bien immobilier saisi est confiscable […] dès lors que le produit des infractions dont le prévenu a seul bénéficié est supérieur à la valeur de l’immeuble saisi ». Peu importait également, en conséquence, la date d’achat du bien ou le financement licite de celui-ci. Si de ce point de vue la solution de la Cour de cassation ne paraît guère innovante, c’est en revanche sur la question de la motivation du choix de la confiscation en valeur, pourtant non soulevée par le pourvoi, que la décision est remarquable.

En effet, la Haute juridiction vient affirmer, pour la première fois, qu’une telle confiscation en valeur du produit de l’infraction doit faire l’objet d’une motivation au même titre que toute peine correctionnelle. Elle justifie sa décision par le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. C’est que, en effet, l’article 485-1 du Code de procédure pénale, qui prévoit l’absence de motivation de la peine de confiscation, ne distingue pas selon que la confiscation est en nature ou en valeur. Aussi aurait-il pu être considéré que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer, et avancé qu’il convient d’appliquer un régime unique à la confiscation du produit de l’infraction, quelle que soit sa modalité spécifique d’exécution. Ce n’est pas la solution retenue par la Chambre criminelle, qui estime que l’interprétation stricte du texte doit conduire à appliquer restrictivement l’exception qu’il pose. Il en résulte que la confiscation en valeur du produit de l’infraction n’est pas la confiscation du produit de l’infraction visée par le texte permettant d’exonérer le juge de toute motivation.

La solution s’inscrit donc dans le mouvement tendant à élargir toujours davantage l’obligation de motivation de la peine pesant sur les juges. Pour autant, la cassation n’était pas encourue sur ce point, car les éléments relevés par les juges [6] permettaient à la Chambre criminelle d’opérer son contrôle et de vérifier que les critères de motivation relatifs à la gravité des faits, la personnalité du condamné et sa situation personnelle avaient été retenus.

Elle ne l’est pas non plus sur la quatrième branche du moyen qui invoquait une atteinte disproportionnée au droit à une vie privée et familiale par la confiscation du domicile familial, au regard du manquement commis. Ce grief était l’occasion pour la Haute juridiction d’affirmer l’obligation pour les juges d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire par la confiscation, lorsque cette garantie est invoquée. La précision est d’autant plus intéressante que, dans une décision du 5 mai 2021 refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité [7] au sujet de l’interprétation de l’article 131-21, alinéa 9, la Chambre criminelle avait estimé qu’il n’y avait pas de jurisprudence constante selon laquelle les juges, ordonnant une confiscation en valeur, à titre de produit direct ou indirect de l'infraction, exécutée sur le domicile familial de la personne condamnée, n’auraient pas à s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée au droit au respect de sa vie privée et familiale. En l’espèce, la Chambre criminelle a vérifié en conséquence la prise en compte de la situation personnelle de l’intéressé et la gravité concrète des faits par la cour d’appel, pour conclure que la confiscation de l’immeuble ne pouvait être regardée comme constituant une ingérence disproportionnée dans le droit invoqué par l’intéressé.

 

[1] Cass. crim., 8 mars 2017, n° 15-87.422, FS-P+B N° Lexbase : A4469T3W.

[2] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[3] Not. Cass. crim., 31 janvier. 2018, n° 17-81.876, F-P+B N° Lexbase : A4714XCL.

[4] Not. Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B N° Lexbase : A3814SPX, ou encore réc. Cass. crim., 29 novembre 2022, n° 21-85.579, F-D N° Lexbase : A45438W8.

[5] Cass. crim., 5 mai 2021, n° 20-86.529, F-D N° Lexbase : A33454RC ; préc. v. Cass. crim., 3 mai 2018, n° 17-82.098, F-P+B N° Lexbase : A4386XME ; Cass. crim., 15 mai 2019, n° 18-84.494, FS-P+B+I N° Lexbase : A1614ZBE

[6] Une motivation unique pour toutes les peines prononcées pouvant suffire.

[7] V. aussi, pour un autre aspect des questions soulevées, note 4.

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Avocats

[Jurisprudence] Critiquer n'est pas diffamer : quelques rappels à propos de la liberté de parole de l'avocat

Réf. : Cass. civ. 2, 20 avril 2023, n° 21-22.206, F-B N° Lexbase : A22669QY

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N5606BZN

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par Tom Bonnifay, Avocat associé, Vouland-Grazzini & Associés

Le 28 Juillet 2023

Mots-clés : jurisprudence • avocat • diffamation • liberté • critique

L'arrêt commenté nous rappelle que si l'avocat s'expose à des sanctions civiles lorsque les écritures qu'il produit en justice sont diffamante, injurieuses ou outrageantes, il est en revanche protégé par le principe de l'immunité judiciaire établi par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lorsqu'il ne fait qu'apporter une appréciation négative, même virulente ou excessive, sur les écritures de son adversaire.


 

La rhétorique d'un avocat peut être excessive sans être répréhensible. L'arrêt commenté (Cass. civ. 2, 20 avril 2023, n° 21-22.206, F-B) nous rappelle que si l'avocat s'expose à des sanctions civiles lorsque les écritures qu'il produit en justice sont diffamante, injurieuses ou outrageantes, il est en revanche protégé par le principe de l'immunité judiciaire établi par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse N° Lexbase : Z69519IK lorsqu'il ne fait qu'apporter une appréciation négative, même virulente ou excessive, sur les écritures de son adversaire.

La liberté de parole de l'avocat et ses limites

Longtemps, les Bâtonniers rappelaient aux jeunes stagiaires, sur le point de devenir avocats, les mots d'un magistrat. Ceux que l'illustre avocat général Portail prononça devant le Parlement de Paris le 21 janvier 1707 : « il est des espèces où l’on ne peut défendre la cause sans offenser la personne, attaquer la justice sans déshonorer la partie, expliquer les faits sans se servir de termes durs. Dans ces cas, les faits injurieux, dès qu’ils sont exempts de calomnie, sont la cause même. La partie qui s’en plaint doit plutôt accuser le dérèglement de sa conduite, que l’indiscrétion de l’avocat ».

En d'autres termes, les droits de la défense ne seraient pas garantis si la liberté de parole des avocats à la barre n'était pas reconnue et même protégée.

C'est à ce souci de protection des droits de la défense que répond le principe de l'immunité judiciaire établi par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [1]. Devant les tribunaux, les discours prononcés et les écrits produits par les avocats, tout comme ceux des parties, des témoins et des experts, ne peuvent donner lieu « à aucune action en diffamation, injure ou outrage » (Cass. crim., 14 novembre 2006, n° 06-83.120, F-P+F N° Lexbase : A7971DSZ, Bull. crim. n° 283 ; Cass. crim., 8 juin 1999, n° 96-82.519, Bull. crim. n°127).

Cette protection s'applique devant toutes les juridictions (juridictions civiles[2], arbitrales,[3]  pénales[4]...) et couvre les paroles et tous les écrits soumis à l’appréciation du juge : assignations, citations directes, conclusions, mémoires[5].

L'immunité de la défense n'a cependant pas une portée absolue.

Premièrement, une procédure pénale peut être engagée à l'encontre d'un avocat qui tient des propos injurieux, outrageants ou diffamatoires sans lien avec l'affaire (ex : pour une partie ayant qualifié son contradicteur de « fasciste » dans le cadre d'une procédure de faux et d'usage de faux : Cass. crim., 27 septembre 2000, n° 99-87.929 N° Lexbase : A3303AUU, Bull. crim. n° 280).

Deuxièmement, l'immunité pénale ne s'étend pas aux poursuites disciplinaires (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B N° Lexbase : A9400NNH, Bull. 2015, I, n°196 ; Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B N° Lexbase : A9400NNH, Bull. civ. I, n° 296 ; Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495 et n° 09-69.266 N° Lexbase : A8644GBR ; Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 03-13.353, FS-P N° Lexbase : A5236DA8).

En d'autres termes, « un avocat peut donc faire l'objet de poursuites disciplinaires, alors même que les propos qu'il a tenus à l'audience ne peuvent faire l'objet de poursuites pénales ; une telle situation s'est rencontrée à plusieurs reprises dans la pratique judiciaire » (F. Saint-Pierre, Pratique de la défense pénale, LGDJ, 2020, p. 288).

Troisièmement, les discours injurieux, outrageants ou diffamatoires peuvent faire l'objet de sanctions civiles.

Ainsi, lors du jugement du fond de l'affaire, le tribunal peut prononcer la suppression des termes outrageants, diffamatoires ou injurieux tenus lors de l'audience ou écrits dans les conclusions des parties.

C'est ce que l'on appelait autrefois le « bâtonnement ».

Le tribunal peut également condamner l'auteur au paiement de dommages-intérêts à la demande de la victime (loi du 29 juillet 1881, art. 41, al. 4 - Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 01-16.881, FS-P+B N° Lexbase : A8255DBD, Bull. civ. II, no 183).

Les faits

Les faits de l'arrêt commenté s'inscrivent dans ce dernier cas de figure.

Dans le cadre d'une procédure de contestation d'honoraires, le conseil de l'appelant avait déposé des conclusions en réplique dans lesquelles il relevait que « les écritures des sieurs X imposent une réponse, omettant largement la réalité des faits et procédant d'une mauvaise foi qui confine à l'escroquerie ».

Saisie de conclusions en ce sens, la première présidente avait considéré que le fait d'assimiler les demandes et moyens d'une partie à une escroquerie constituait une diffamation.

En conséquence, elle avait ordonné la cancellation des termes « et procédant d'une mauvaise foi qui confine à l'escroquerie ».

Elle avait également condamné l'intéressé au paiement de 500 euros de dommages-intérêts à titre de réparation à chacun des intimés au motif que « le fait d'être présenté comme ayant la volonté d'obtenir un avantage indu par le fruit d'une action malhonnête, en utilisant un terme qualifiant une infraction cause un préjudice moral, puisqu'il remet gravement en cause l'intégrité de ceux qui sont visés. »

L'ordonnance du premier président de la cour d'appel était frappée d'un pourvoi en cassation.

Le requérant faisait notamment valoir qu'il n'avait fait qu'émettre une appréciation générale sur l'argumentation développée par la partie adverse, sans alléguer de fait précis, ce qui excluait toute diffamation.

La problématique et la solution

Critiquer les écritures de son contradicteur en lui reprochant « une mauvaise foi qui confine à l'escroquerie » constitue-t-il une diffamation au sens des articles 41 et 29, alinéa 1er, de la loi sur la liberté de la presse ?

Dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation répond par la négative en soulignant que « les propos litigieux ne contenaient pas l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération [...] ».

Elle casse sans renvoi l'ordonnance de la première présidente de la juridiction d'appel.

Quelques mots d'explications

On sait que l'exercice de la faculté de prononcer la suppression des écrits sur le fondement de l'article 41, alinéa 4, susvisé relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. civ. 1, 7 février 1990, n° 87-10.887 N° Lexbase : A2595AHL, Bull. 1990, I, n° 37 ; Cass. civ. 2, 22 mars 2006, n° 04-13.933, FS-P+B sur le premier moyen N° Lexbase : A7931DN3).

La Cour de cassation opère toutefois un contrôle sur le caractère diffamatoire des propos dont la suppression est ordonnée.

Rappelons que la diffamation est définie par l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Il importe peu que la diffamation soit présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation (ex : Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 01-12.638, F-P+B N° Lexbase : A8243DBW ; Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-13.320, F-D N° Lexbase : A7912DWX).

Pour que l’élément matériel de l’infraction soit caractérisé, la jurisprudence exige seulement :

  • d’une part, que le fait allégué ou imputé, qu’il soit vrai, faux ou imaginaire (Cass. crim., 22 mai 1990, n° 87-81387 N° Lexbase : A5647CIY, Bull. n° 211 ; Cass. crim., 16 décembre 1986, n° 85-96.064 N° Lexbase : A6823AAX, Bull. n° 374), soit « précis » et « de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire » (Cass. ass. plén., 25 juin 2010, n° 08-86.891 N° Lexbase : A2834E3D) ;
  • d’autre part, que ce fait soit de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps visé(e), de telles atteintes pouvant résulter aussi bien des « allégations d'infractions pénales » que des « mises en cause qui visent le mode de vie, les activités professionnelles et sociales, la vie politique ». (P. Auvret, JurisClasseur Communication, Fasc.3130 : Diffamation, n°40 et s.).

La Cour de cassation apprécie strictement le caractère diffamatoire des propos.

Ainsi, elle a pu estimer que « le fait (pour un avocat) de qualifier des critiques comme purement morosives signifie seulement qu'elles sont tardives et qu'elles sont mises en avant à des fins dilatoires et n'ont pour but que d'obtenir un délai, ce dont il résulte qu'elles ne revêtent aucun caractère diffamatoire » (Cass. civ. 1, 11février 2010, n° 08-21.742, FS-D N° Lexbase : A7735ERW).

À l'inverse, elle a confirmé la décision d'une cour d'appel qui avait déclaré diffamatoire les écrits d'une partie « qui insinuaient que la société S. avait déclaré des créances outrageusement majorées, se rendant ainsi coupable de faux et usage ainsi que de tentative d'escroquerie au jugement » (Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-13.320, F-D N° Lexbase : A7912DWX).

Si l'on revient à notre affaire, on constate que le rédacteur des conclusions avait seulement émis une appréciation fortement négative sur les écritures de l’adversaire sous la forme d’une comparaison avec une escroquerie. Formulation certainement excessive, mais qui n’imputait en réalité aucune escroquerie à l’adversaire.

D'autant qu'on concevait mal comment une escroquerie aurait pu résulter d’écritures échangées en appel.

Cette critique ne pouvait faire l'objet d'une preuve ou donner lieu à un débat contradictoire.

Les conditions de la diffamation au sens de l'article 29 de la loi sur la liberté de la presse n'étaient donc pas remplies.

Conclusion

Les dispositions relatives à l'immunité judiciaire sont voisines de celles qui concernent les parlementaires.

Le Bâtonnier Raymond Martin y voyait un symbole, la preuve d'un lien évident entre l'avocat et la démocratie (R. Martin, Déontologie de l'avocat, LexisNexis Litec, 9ème édition, page 20). Il est vrai qu'il n'y a pas de système judiciaire équitable sans avocat indépendant (CEDH, 22 mars 2017, n°8932/05, Sialkowska c/ Pologne), c'est-à-dire de plaideur libre de « se comporter de manière virulente, excessive et même de mauvaise foi » (Ch. Bigot, Pratique du droit de la presse, 2020, n° 333.24).

Aucune société démocratique ne peut tolérer de limitation de ce droit en dehors de cas tout à fait exceptionnels (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01, Kyprianou c/ Chypre N° Lexbase : A9564DLS).

La Cour de cassation vient nous rappeler que de telles limitations doivent être appréciées strictement.

A retenir. Les écrits que l'avocat produit devant les tribunaux sont en principe protégés par le principe de l'immunité judiciaire établi par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ils ne peuvent donner lieu à aucune action pénale ou civile.

Ces écrits peuvent toutefois être supprimés, et leur rédacteur condamné à des dommages-intérêts, si le tribunal estime qu'ils sont diffamatoires, injurieux ou outrageants.

Toutefois, ne peut être considérée comme diffamante, et donc donner lieu à suppression et dommages-intérêts, une appréciation fortement négative des écritures de l’adversaire exprimée sous la forme d’une comparaison avec une escroquerie, en l'absence d'allégation d'un fait précis.


[1]Ce texte reprend les dispositions de l'article 23 de la loi du 17 mai 1819 sur la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication.

[2] Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 15-12.150, F-P+B N° Lexbase : A4401QDD.

[3] CA Paris, 27 janvier 1988, D., 1988, page 180 note Mayer.

[4] Cass. crim., 13 mai 1933, Bull. crim. n° 111 ; Cass. crim., 23 décembre 1986, Bull. crim. n° 391.

[5] Cass. crim., 10 août 1883, Bull. crim. n° 207 ; Cass. crim., 1er décembre 1987, n° 86-92314 N° Lexbase : A6986CEH.

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Sociétés

[Brèves] SARL et sociétés par actions : jusqu’à quand pouvez-vous reconstituer vos fonds propres ?

Réf. : ANSA, avis n° 23-025, du 7 juin 2023

Lecture: 2 min

N6508BZ3

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par Perrine Cathalo

Le 02 Août 2023

► Au terme du délai de quatre ans prévu par l’article L. 225-48 du Code de commerce, si les capitaux propres ne sont pas reconstitués, après réduction de capital, la société risque une demande de dissolution, à moins qu’intervienne une augmentation de capital, laquelle peut intervenir sans limites de temps. Dans ce cas, la société bénéficie d’un délai supplémentaire de deux ans pour reconstituer ses capitaux propres.

Contexte. Le 7 juin dernier, le Comité juridique de l’ANSA a été amené à se prononcer sur l’interprétation de l’article L. 225-48 du Code de commerce N° Lexbase : L2371LRA, modifié par l’article 14 de la loi « DDADUE » (loi n° 2023-171, du 9 mars 2023,  portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture N° Lexbase : L1222MHQ), qui évoque le cas d’une augmentation de capital suivant une réduction de capital qui n’aurait pas été suivie d’une reconstitution des capitaux propres.

Pour mémoire, ce texte allonge le délai de régularisation à quatre exercices comptables au lieu de deux en l’état du droit et permet à la société, une fois passé ce délai, d’échapper à la sanction de la dissolution judiciaire même si ses capitaux propres demeurent inférieurs à la moitié du capital social.

Discussion. Selon une première interprétation, l’ANSA affirme que l’augmentation de capital doit intervenir à l’intérieur du délai de quatre ans suivant la première assemblée générale extraordinaire, qui constitue l’unique période de reconstitution des capitaux propres. Cette hypothèse reviendrait donc à admettre un nouveau délai de deux ans de reconstitution courant à compter de l’augmentation de capital.

Selon une seconde interprétation, le Comité juridique constate que le texte indique seulement que l’augmentation de capital intervient « par la suite » sans que soit imposée une date limite ; la société pourrait donc bénéficier sans limites de temps d’un nouveau délai de deux ans suivant l’augmentation de capital.

Avis. Le Comité juridique de l’ANSA conclut finalement que si les capitaux propres ne sont pas reconstitués, après réduction de capital, au terme du délai de quatre ans, la société risque une demande de dissolution (C. com., art. L. 225-48, al. 6), à moins qu’intervienne une augmentation de capital, laquelle peut intervenir sans limites de temps. Dans ce cas, la société bénéficie d’un délai supplémentaire de deux ans pour reconstituer ses capitaux propres.

Pour en savoir plus : v. P. Cathalo, Insuffisance de capitaux propres : assouplissement du régime de sanctions, Lexbase Affaires, juillet 2023, n° 766 N° Lexbase : N6479BZY.

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