Le Quotidien du 10 août 2023

Le Quotidien

Actes administratifs

[Brèves] Communicabilité des documents relatifs à la méthode aléatoire employée par l’ANDPC pour diligenter des évaluations

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 24 juillet 2023, n° 462778, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A34761CQ

Lecture: 3 min

N6527BZR

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par Yann Le Foll

Le 13 Septembre 2023

► Les documents relatifs à la méthode aléatoire employée par l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) pour diligenter des évaluations doivent être communiqués à la personne qui en fait la demande.

Faits. Les requérants demandent à l’ANDPC la communication de la méthodologie qu’elle utilise pour sélectionner de manière aléatoire les actions des organismes de développement professionnel continu des professionnels de santé faisant l’objet d’une évaluation par les commissions scientifiques indépendantes.

Rappel. Il résulte des termes mêmes du premier alinéa de l’article L. 311-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L4874LAR (« une décision individuelle prise sur le fondement d'un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l'intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l'administration à l'intéressé s'il en fait la demande ») qu’il ne s’applique que lorsqu’un traitement algorithmique a fondé, en tout ou partie, une décision individuelle.

Position CE. Or, tel n’est pas le cas d’un traitement algorithmique utilisé par l’ANDPC ayant seulement pour objet de déterminer les actions d’organismes de développement professionnel continu des professionnels de santé susceptibles de faire l’objet d’une évaluation au cours d’une année, et qui ne fonde ainsi aucune décision individuelle, et notamment pas les mesures qui peuvent être prises à la suite de l’évaluation défavorable d’une action contrôlée.

Rappel bis. Le g du 2° de l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L6819LAS fait obstacle à la communication des documents administratifs présentant les critères utilisés par une autorité administrative chargée de rechercher des infractions à des obligations légales ou contractuelles pour sélectionner les personnes qu’elle envisage de contrôler, tel que le code-source d’un modèle algorithmique de ciblage des contrôles sur la base d’un profilage des personnes concernées.

Application. Les commissions scientifiques indépendantes de l’ANDPC évaluent chaque année une partie des actions de développement professionnel continu des professionnels de santé que les organismes enregistrés proposent de réaliser. Ces actions sont sélectionnées, pour partie, selon une méthode dite d’échantillonnage aléatoire, en classant les actions par ordre de priorité de façon aléatoire, tout en veillant à ce que le programme d’évaluation soit statistiquement représentatif de la structure des actions de l’année écoulée.

Position CE. Dans ces conditions, la communication des documents décrivant la méthode aléatoire employée pour diligenter des évaluations n’est pas de nature à révéler la stratégie d’évaluation de l’ANDPC dans des conditions qui pourraient porter atteinte à la recherche des manquements aux obligations pesant sur les organismes de développement professionnel continu relevant de son champ de compétence.

Décision. Il y a lieu d'enjoindre à l'ANDPC de communiquer ces documents aux requérants dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. 

À ce sujet. Lire P. Tifine, L’encadrement de l’utilisation des algorithmes par l’administration pour la prise de décisions administratives individuelles dans le cadre de la plate-forme Parcourssup, Lexbase Public, janvier 2021, n° 612 N° Lexbase : N6104BYQ.

newsid:486527

Fonction publique

[Brèves] Renforcement de l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique

Réf. : Loi n° 2023-623, du 19 juillet 2023, visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique N° Lexbase : L2155MIN

Lecture: 2 min

N6496BZM

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par Yann Le Foll

Le 02 Août 2023

► La loi n° 2023-623, du 19 juillet 2023, visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique N° Lexbase : L2155MIN, publiée au Journal officiel du 20 juillet 2023, a pour objectif de faciliter leur présence aux postes d’encadrement et de direction.

Au 1er janvier 2026, une stricte parité devra être respectée dans la nomination des emplois supérieurs des trois fonctions publiques. Les nominations dans les emplois des cabinets ministériels et les emplois du cabinet du Président de la République devront concerner 50 % de personnes de chaque sexe. Les cabinets ministériels et le cabinet du Président de la République publieront, chaque année, sur leur site internet, le nombre de femmes et d'hommes nommés dans les emplois soumis à cette obligation.

L’État et ses établissements publics, les autorités territoriales et les établissements publics de santé publieront, chaque année, le nombre de femmes et d'hommes nommés dans les emplois soumis à l'obligation de parité. Ces chiffres seront rendus publics sur le site internet du ministère chargé de la Fonction publique. En cas de non-respect de cette obligation de publication une contribution sera due, selon le cas, par le département ministériel intéressé, par la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération intercommunale concerné.

Lorsqu'ils gèrent au moins cinquante agents, les départements ministériels, les établissements publics de l'État, les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale de plus de 40 000 habitants, le Centre national de la fonction publique territoriale ainsi que les établissements publics hospitaliers publieront chaque année, sur leur site internet, les indicateurs relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ainsi qu'aux actions mises en œuvre pour les supprimer.

Ces indicateurs seront rendus publics sur le site internet du ministère chargé de la Fonction publique. Ils seront présentés chaque année à l'assemblée délibérante des collectivités territoriales et des établissements publics. En cas de non-respect de cette obligation de publication une contribution d’un montant forfaitaire sera due par les acteurs concernés.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Le recrutement dans la fonction publique d'État Le principe d’égal accès aux emplois publics et les discriminations interdites dans la fonction publique d'État, in Droit de la fonction publique, (dir. P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E57043KH.

newsid:486496

Fonction publique

[Questions à...] Quelle sanction disciplinaire à raison de condamnations pénales antérieures à l’exercice des fonctions ? – Questions à Pierre Esplugas-Labatut, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 3 mai 2023, n° 438248, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A88219SI

Lecture: 9 min

N5668BZX

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Le 26 Juillet 2023

Mots clés : fonctionnaire • intégration • révocation • antécédents judiciaires • réputation du service

Dans une décision rendue le 3 mai 2023, la Haute juridiction administrative a dit pour droit que des antécédents judiciaires d’un agent n’affectant pas le bon fonctionnement ou la réputation du service ne peuvent justifier sa révocation. Pour revenir sur cet arrêt qui permet de se pencher sur la vie antérieure du citoyen avant son intégration dans la fonction publique, Lexbase Public a interrogé Pierre Esplugas-Labatut, Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou*.


 

Lexbase : Quels principes régissent la vérification par l'administration de la vie « passée » du candidat fonctionnaire ?

Pierre Esplugas-Labatut : En 1927, Hauriou écrivait que « le fonctionnaire est un citoyen spécial, non assimilable à un salarié du commerce et de l’industrie, faisant de ce dernier un citoyen normal » [1]. Ces propos restent aujourd’hui tout aussi pertinents. En effet, au-delà des fonctionnaires proprement dits, tout agent public est susceptible de se voir reprocher des faits jugés répréhensibles commis même en dehors de l’exercice du service. L’explication banale est que l’agent public exerce une mission particulière de service public et à ce titre est soumis à des sujétions particulières dont l’exigence d’exemplarité.

En ce sens, les statuts de 1946 et 1959 imposaient au candidat-fonctionnaire qu’il soit de « bonne moralité ». Cette qualification étant subjective, celle-ci a été logiquement abandonnée par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3, pour lui substituer l’exigence selon laquelle les mentions portées au bulletin n° 2 du casier judiciaire du candidat (comportant la plupart des condamnations et sanctions administratives prononcées) doivent être le cas échéant compatibles avec l'exercice des fonctions (CGFP, art. L. 321-1 N° Lexbase : L6315MBI). Le but recherché est naturellement d’objectiver de manière bienvenue la nature des incompatibilités. Toutefois, une éventuelle incompatibilité ne vaut au regard de ces textes que pour l’accès à la fonction publique.

S’agissant, de la période d’activité, la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L7825K7X, dite « Déontologie », pose le principe selon lequel « l'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité » (CGFP, art. L. 121-1 N° Lexbase : L6215MBS). Cependant, une condamnation pénale n’est pas au nombre des conditions fixées par le droit positif pour entrainer de plein droit la perte de la qualité de fonctionnaire (CGFP, art. L. 550-1 N° Lexbase : L6047MBL). Seule la voie disciplinaire peut alors éventuellement justifier une sanction pour des faits commis en dehors du service, notamment liés à la vie privée. La jurisprudence administrative est à cet égard fournie pour admettre de tels cas même s’il est juste d’observer que ceux-ci remontent plutôt aux années 1970 et couvrent des situations parfois pittoresques ayant trait aux « bonnes mœurs ».

En revanche, la question reste ouverte sur la sanction disciplinaire à apporter pour des faits liés à la vie antérieure à l’exercice des fonctions des agents. C’est précisément l’intérêt de cet arrêt que de donner des éléments de réponse à cette question.

Lexbase : Comment le juge contrôle-t-il l’appréciation effectuée par l’autorité administrative sur cette vérification ?

Pierre Esplugas-Labatut : Il convient de rappeler le principe général en droit de la fonction publique selon lequel, le juge administratif procède désormais à un contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires prise par l’administration à l’égard d’un agent du service et ne se limite plus à celui de l’erreur manifeste d’appréciation [2]. Dans ce cadre, il a jugé que des comportements extra-professionnels mais concernant des corps particuliers comme les enseignants dans leurs relations avec leurs élèves, les magistrats ou les policiers dans leurs relations avec des personnes poursuivies en justice ou l’ayant été pouvaient bel et bien compromettre la dignité et l’honneur de leurs fonctions.

La situation est toutefois moins claire s’agissant d’actes antérieurs à l’exercice des fonctions des agents publics. Sans doute, existe-t-il une jurisprudence ancienne, citée par la rapporteure publique dans la présente affaire, validant la décision de refus de recrutement d’un candidat reçu à un concours mais ayant fait l’objet antérieurement d’une condamnation pénale [3]. Plus récemment, on peut aussi certes mentionner une décision du Conseil d’Etat acceptant la révocation d’un magistrat ayant fait l’objet d’une condamnation pour défaut de paiement de dettes avant l’intégration de l’intéressé [4]. Le cas des magistrats est toutefois particulier dans le sens où leur statut continue à intégrer l’exigence de « bonne moralité », sans qu’au demeurant celle-ci, curieusement à notre sens, n’ait été censurée par le Conseil constitutionnel [5]. La décision, ayant fait l’objet de cette QPC, de non-admission d’une magistrate, condamnée pour un délit antérieur en état d’ivresse, à l’Ecole nationale de la magistrature a d’ailleurs été en sens inverse invalidée au fond en première instance [6]. Il restait donc à trancher véritablement avec le présent arrêt la question de la compatibilité de condamnations pénales prononcées à l’encontre d’agents publics avec l’exercice de leurs fonctions mais avant la prise de celles-ci.

Lexbase : De quelle manière le CE met-il en œuvre ce contrôle dans la décision du 3 mai 2023 ?

Pierre Esplugas-Labatut : En l’occurrence, un agent employé par le département de la Seine-Saint-Denis contestait la décision prise par son président de le révoquer à la suite, d’une part, de la consultation d’un dossier ne relevant pas de son champ d’intervention en vue de faire bénéficier frauduleusement l’une de ses connaissances de prestations sociales et, d’autre part, de condamnations pénales antérieures de l’intéressé pour vol avec violence et tentative de pénétrer dans un établissement pénitentiaire en s’y présentant avec une pièce d’identité qui n’était pas la sienne.

Le raisonnement suivi en l’espèce par le Conseil d’Etat est en deux temps Dans un premier, il admet, s’agissant de faits antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance de l’administration, qu’il appartient à celle-ci « d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire ».

Toutefois, dans un second temps, après avoir écarté le premier grief reproché à l’agent de consultation de dossier dont la matérialité, au terme de l’enquête judiciaire, n’était pas établie, le Conseil d’Etat considère que, eu égard, d’une part, à l'ancienneté des faits (d’ailleurs discutable car moins de cinq ans se sont écoulés entre la deuxième condamnation et l’arrêté de révocation), et, d’autre part, à leur gravité qui ne justifiait pas ou plus, pour l’autorité judiciaire, de mention des condamnations correspondantes au bulletin n° 2 du casier judiciaire, ceux-ci à eux seuls « n'affectaient pas le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l'intéressé ». Le juge administratif pratique donc une forme de « pas de tango argentin », c’est-à-dire, un pas en avant et deux pas en arrière, en acceptant sur le principe que l’administration puisse tenir compte de faits antérieurs à l’exercice du service mais en censurant aussitôt cette position au regard de l’ancienneté et la nature des faits qui conduisent à ne pas compromettre l’intérêt du service.

Lexbase : En quoi cette position du juge administratif est-elle novatrice ?

Pierre Esplugas-Labatut : Au vu de la décision d’annulation de révocation de l’agent, on serait tenté de penser que le Conseil d’Etat a tranché le fait que des agissements rattachés à la vie passée ne peuvent pas justifier une sanction disciplinaire. Il est vrai que de tels faits ne peuvent être constitutifs d’une faute professionnelle car ils sont par hypothèse sans lien avec le service ou même en dehors du service puisque l’intéressé n’était à l’époque pas encore en fonction. On peut d’ailleurs également trouver logique que des comportements fautifs ne poursuivent pas une personne toute sa vie et l’empêchent, une fois la condamnation purgée, d’exercer une activité professionnelle, et ainsi parfois de se réinsérer. Cette solution s’inscrit aussi dans la logique habituelle de l’indépendance de la répression disciplinaire et celle pénale.

Toutefois, il faut observer que le présent arrêt concerne un agent territorial n’exerçant pas de fonctions de direction, d’autorité ou sensibles. Comme indiqué précédemment, le juge administratif a toujours été plus strict concernant certains corps comme ceux des forces de l’ordre ou du secteur enseignant pour lesquels il n’a pas hésité à dégager une « exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité » [7]. Il est permis de penser que le juge pourrait tenir une position plus ferme si étaient en cause de tels métiers.

On peut aussi continuer à s’interroger si le juge administratif aurait tenu une position aussi souple de ne pas prendre en compte des condamnations pénales antérieures si celles-ci n’avaient pas été effacées ou dispensées d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire ou même si celles-ci avaient été plus récentes. De même, le Conseil d’Etat insiste bien sur le fait que les comportements incriminés antérieurs ne sauraient « à eux seuls » justifier une sanction disciplinaire. A contrario, on peut imaginer que de tels comportements couplés à une faute en lien avec le service peuvent venir en appui d’autres reproches pour fonder une sanction disciplinaire.

Enfin, ainsi que cela a été dit, la portée du présent arrêt est incertaine en ne formulant pas un principe général selon lequel ne doivent pas être pris en compte des agissements liés à une activité passée. Il est laissé à l’administration un pouvoir pour apprécier au cas par cas, sous le contrôle du juge, si ceux-ci sont de nature à mettre en cause l’intérêt du service. En cela, le Conseil d’Etat poursuit son œuvre équilibrée de donner à l’administration les moyens d’agir tout en la modérant.

 

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

[1] Précis de Droit administratif et de droit public, 11ème éd., Sirey 1927, tome 2, p. 597.

[2] CE, ass., 13 novembre 2013, n° 347704 N° Lexbase : A2475KPD.

[3] CE, Sect., 5 décembre 1930, S, Rec. p. 1040.

[4] CE, 6 juillet 2016, n° 392728 N° Lexbase : A6121RWM.

[5] Cons. const., décision n° 2012-278 QPC du 5 octobre 2012 N° Lexbase : A9016IT4.

[6] TA Paris, 21 février 2013, n° 1118574 N° Lexbase : A3685I8Y.

[7] CE, 18 juillet 2018, n° 401527 N° Lexbase : A5896XZE.

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Procédure civile

[Jurisprudence] Procédure d'appel : l’expression d’un formalisme raisonné

Réf. : Cass. civ. 2, 8 juin 2023, trois arrêts, n° 21-22.263 N° Lexbase : A79179YU, n° 21-19.997 N° Lexbase : A79169YT, n° 21-23.684 N° Lexbase : A79209YY ; Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-15.445, FS-B N° Lexbase : A79949Z4

Lecture: 27 min

N5987BZR

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par Claire Perret, avocate au Barreau de Paris

Le 31 Juillet 2023

Le formalisme qui a cours dans les procédures d’appel n’est pas étranger, tant s’en faut, aux exigences du procès équitable, comme à l’impératif de sécurité juridique, qui suppose que le comportement procédural des parties au procès d’appel réponde à des normes prévisibles qui encadrent son déroulement.
Ainsi, si la Cour de cassation apprécie plus souplement le respect de certaines exigences formelles au sujet de procédures dérogatoires, elle ne peut, sans méconnaître les principes précités, renoncer à appliquer les sanctions prévues par le législateur en cas de manquement substantiel mettant en péril l’intérêt bien compris des justiciables.

Mots clés : appel • formalisme • constitution • droit à l’exercice d’un recours • réformation du jugement • annulation du jugement • effet dévolutif • procédure à jour fixe • appel-compétence


 

Par trois arrêts rendus le 8 juin 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation fait œuvre de pédagogie à l’attention des plaideurs négligents, tant sur les conditions dans lesquelles l’acte d’appel saisit valablement la cour que sur les obligations de notification des actes de procédure incombant à l’appelant, tout en veillant à ne pas imposer aux parties au procès d’appel un formalisme qui ne serait pas justifié par la nécessité de satisfaire aux principes directeurs du procès civil. Par un premier arrêt (n° 21-23.684), la Cour suprême, au sujet d’un recours formé contre une ordonnance de taxe d’un bâtonnier, rappelle, au visa de l’article 932 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1007H43, que la déclaration d’appel doit nécessairement être adressée au greffe de la juridiction d’appel et non à celui du tribunal ayant rendu la décision de première instance. Le deuxième arrêt (n° 21-22.263) ayant, pour sa part, trait au contenu de l’acte d’appel, confirme une jurisprudence désormais bien établie au sujet de l’effet dévolutif qui s’attache à une déclaration contenant à la fois un appel-nullité et un appel-réformation. Le troisième arrêt (n° 21-19.997), daté du même jour, revient sur les conditions d’opposabilité d’une constitution dans l’intérêt d’une partie intimée à l’avocat de l’appelant qui constitue une question distincte de celle de son traitement administratif par le greffe de la cour. Enfin, aux termes d’un arrêt en date du 14 juin 2023 (n° 21-15.445), la Chambre commerciale de la Cour de cassation met en exergue le régime procédural spécifique auquel obéit l’appel des décisions statuant exclusivement sur la compétence qui se caractérise, à certains égards, par un formalisme moins rigoureux pour les plaideurs et leurs conseils.

  • De la nécessité pour l’appelant d’adresser sa déclaration à la juridiction amenée à statuer sur son recours (Cass. civ. 2, 8 juin 2023, n° 21-23.684, F-B N° Lexbase : A79209YY)

Résumé : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle, au sujet d’une procédure sans représentation obligatoire et au visa de l’article 932 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1007H43, que la déclaration d’appel doit, à peine d’irrecevabilité, être adressée au greffe de la cour. Cette obligation ne fait pas peser sur les appelants, fussent-ils non représentés par un avocat, une charge procédurale excessive qui méconnaîtrait les exigences du procès équitable.

La solution semble relever de l’évidence. Pourtant, la Cour de cassation ne se contente pas d’un rappel laconique au sujet de la nécessité pour l’appelant d’adresser son acte de saisine à la juridiction d’appel et non à la juridiction de première instance.

Elle fait, en effet, œuvre de pédagogie en justifiant le devoir de rigueur imposé à l’appelant à ce titre, au regard des principes directeurs du procès civil dont certains ont directement trait à la garantie du procès équitable énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.

En l’espèce, deux clients mécontents relèvent appel de deux ordonnances de taxe rendues par un bâtonnier de l’ordre des avocats les ayant condamnés à payer à leur conseil diverses sommes.

L’auxiliaire de justice soulève l’irrecevabilité de l’appel ainsi formé au motif que la déclaration a été adressée au greffe du tribunal d’instance et non à celui de la cour d’appel, méconnaissant ainsi les termes de l’article 932 du Code de procédure civile.

Dans leur pourvoi, les demandeurs faisaient grief à l’arrêt d’avoir déclaré cet appel irrecevable alors que dans le cadre d’une procédure sans représentation obligatoire, l’article 932 précité instaure un formalisme allégé, destiné à mettre les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel. Or, selon eux, en jugeant l’acte de saisine irrecevable, motif pris de ce qu’il était libellé et adressé au greffier en chef du tribunal d’instance, la cour avait fait montre d’un excès de formalisme qui restreignait de manière déraisonnable leur droit d’exercer un recours et portait atteinte à l’équité de la procédure, en violation des articles 176 du décret n°91-1197 N° Lexbase : L8168AID et 932 du Code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Au soutien de cet unique moyen, les anciens clients de l’avocat faisaient également valoir le fait que leur acte de saisine avait faire l’objet d’une transmission administrative de la part du greffe du tribunal à l’attention de celui de la juridiction d’appel.

Aux termes de cet arrêt, la Cour suprême, au visa de ce même article 932 du Code de procédure civile, rejette le pourvoi et rappelle qu’en application de ce texte, est irrecevable la déclaration d’appel faite au greffe de la juridiction ayant rendu la décision de première instance.

Elle écarte donc le moyen tiré de la violation des exigences du procès équitable en relevant que la formalité qui incombe à l’appelant est énoncée clairement et que ce dernier peut y procéder sans s’adjoindre les services d’un avocat.

En outre, cette diligence est indispensable à la détermination de l’intention de l’appelant de former appel et, partant, participe d’une bonne administration de la justice comme de la nécessaire préservation de la sécurité juridique.

Enfin, elle rappelle que la transmission de la déclaration d’appel par le greffe du tribunal au greffe de la cour ne saurait suppléer la carence de l’appelant à cet égard sans méconnaître le principe de l’égalité qui doit prévaloir entre les justiciables.

En d’autres termes, une telle transmission ne revêt qu’un caractère purement administratif et ne peut valoir saisine régulière de la cour.

En premier lieu, bien que cette exigence relève d’un élémentaire bon sens procédural, elle semble contraster avec la relative souplesse dont fait preuve la Cour de cassation à l’égard des plaideurs dans le cadre de la procédure d’appel sans représentation obligatoire.

Que l’on songe, par exemple, à la jurisprudence de la deuxième chambre civile rendue à propos du contenu de la déclaration d’appel qui ne mentionne ni les chefs critiqués ni l’objet de l’appel et qui, pourtant, opère dévolution pour le tout, même lorsque la partie est effectivement représentée (Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456, FS-B N° Lexbase : A34268LH ; Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n° 20-13.662, FS-B+R N° Lexbase : A256044L).

À ce sujet, la Cour suprême avait excipé des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour alléger le formalisme pesant sur les plaideurs dans le cadre de ces procédures sans représentation obligatoire.

En second lieu, la cour paraît faire du respect de la formalité incombant à l’appelant en vertu de l’article 932 du Code de procédure civile une condition sine qua non de la garantie des principes du procès équitable ou, à tout le moins, de certains d’entre eux, à l’instar de l’égalité des armes, qui interdit, en pareille occurrence, que la juridiction saisie par erreur remédie elle-même à la défaillance de la partie ayant introduit un recours.

Autrement dit, le formalisme entourant les procédures d’appel coïncide parfois avec l’intérêt bien compris des justiciables et est de nature à préserver leurs droits processuels.

À retenir : il importe de prêter une attention particulière aux mentions figurant sur l’acte de notification d’un jugement de première instance relatives aux modalités d’exercice des voies de recours et, notamment, à celle ayant trait à la juridiction à laquelle doit s’adresser ce recours.

On ne saurait trop recommander aux plaideurs de s’adjoindre les services d’un avocat, à tout le moins pour la rédaction de la déclaration d’appel, s’agissant des procédures sans représentation obligatoire.

 

  • De l’absence de vocation subsidiaire de l’appel-nullité (Cass. civ. 2, 8 juin 2023, n° 21-22.263, F-B N° Lexbase : A79179YU)

Résumé : il est loisible à l’appelant de former, dans une même déclaration d’appel, un appel-nullité à titre principal, et à un appel-réformation à titre subsidiaire, aucune irrecevabilité de l’acte de saisine ne pouvant être relevée par la juridiction d’appel pour ce motif.

L’arrêt n° 21-22.263 du 8 juin 2023 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité des précédents arrêts de cette chambre au sujet de l’effet dévolutif qui s’attache à l’acte de saisine comportant un appel-nullité, en application des dispositions de l’article 542 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7230LEI.

Pour autant, il met à mal l’idée du caractère subsidiaire de l’appel-nullité maintes fois rappelé par la Cour suprême.

En l’espèce, la cour d’appel, statuant sur déféré, avait confirmé l’ordonnance d’un conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable l’appel-nullité formé à titre principal et l’appel-réformation formé à titre subsidiaire à l’encontre d’un jugement d’un conseil de prud’hommes.

Le demandeur au pourvoi, critiquant l’arrêt en ce qu’il avait confirmé ladite ordonnance, faisait valoir que dans l’hypothèse d’un appel-nullité portant sur la nullité du jugement et non sur celle de l’acte introductif d’instance, la cour d’appel, saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, était tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité ; qu’en retenant que l’appelant ne pouvait, sans encourir l’irrecevabilité de son appel, présenter dans un même acte un appel-nullité à titre principal et un appel-réformation à titre subsidiaire, elle avait méconnu les dispositions des articles 561 N° Lexbase : L7232LEL, 562 N° Lexbase : L7233LEM et 549 N° Lexbase : L6700H7B du Code de procédure civile.

La Cour suprême, au visa des articles 542 et 562 du Code de procédure civile, censure le raisonnement de la cour d’appel.

Après avoir rappelé que, conformément à ce même article 542, l’appel tend à la réformation ou à l’annulation par la cour d’appel du jugement rendu et qu’en application de l’article 562 du même code, la dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, la Cour rappelle qu’il est loisible à l’appelant de faire, dans la même déclaration d’appel, un appel-nullité principal et un appel-réformation subsidiaire.

Par là même, elle désapprouve la cour d’appel qui, motif pris de ce que l’appel-nullité est une voie de recours d’exception fondée sur un excès de pouvoir qui ne se conçoit qu’à titre subsidiaire lorsque l’appel ordinaire est temporairement ou définitivement impossible, juge irrecevables tant l’appel-nullité principal que l’appel-réformation subsidiaire après avoir constaté que le jugement critiqué était susceptible d’appel.

En premier lieu, il importe de relever que cette solution jurisprudentielle remédie à ce que peut être regardée comme une ambiguïté du texte de l’article 542 du Code de procédure civile.

En effet, aux termes de cet article, il est précisé que l’appel tend à la réformation ou à l’annulation du jugement querellé.

Ainsi, il semble que celui-ci instaure une alternative entre annulation et réformation de la décision de première instance déférée à la cour.

On sait pourtant que cette impression est trompeuse et c’est un des mérites de l’arrêt que de le souligner.

En cela, la jurisprudence remplit véritablement son office d’interprétation des dispositions de la loi dont l’obscurité peut s’avérer facteur d’insécurité juridique.

En second lieu et comme évoqué précédemment, cet arrêt n’est pas novateur en ce que la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de rappeler que l’appel tendant à l’annulation d’un jugement emporte un effet dévolutif, de sorte que la cour d’appel ne peut refuser de statuer et de réformer le jugement entrepris. Il ne peut en aller autrement que lorsque l’acte introductif d’instance est entaché d’une irrégularité (Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-22.193, F-P N° Lexbase : A01114KC ; Cass. civ. 1, 23 novembre 2022, n° 21-19.490, FS-B N° Lexbase : A10658UY ; Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 19-11.387, F-P+B+I N° Lexbase : A05663MW ; Cass. civ. 2, 17 mai 2018, n° 16-28.390, F-B+B N° Lexbase : A4440XNR).

Cette solution est au demeurant conforme à la lettre du second alinéa de l’article 562 du Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL.

Toutefois, il convient de souligner le fait que le caractère subsidiaire de l’appel-nullité paraît désormais clairement battu en brèche puisqu’en l’occurrence, la cour d’appel avait déclaré l’acte d’appel hybride irrecevable au motif, notamment, que le jugement critiqué était susceptible de faire l’objet d’un appel ordinaire.

En effet, la solution tendant à rappeler que l’appel-nullité n’est pas une voie de recours autonome et qu’il ne peut, dès lors, se concevoir en présence d’un appel de droit commun déjà formé a longtemps prévalu (Cass. civ. 2, 8 décembre 2011, n° 10-18.413, FS-P+ B N° Lexbase : A1930H4A).

En d’autres termes, les deux finalités de l’appel mentionnées à l’article 542 du Code de procédure civile ne s’excluent pas l’une l’autre.

À retenir : il importe de ne pas négliger la voie de l’appel-nullité lors de la rédaction de l’acte de saisine, ce qui suppose d’examiner les éventuels motifs pouvant conduire à l’annulation de la décision de première instance dans le délai imparti pour interjeter appel.

 

  • Une constitution d’intimé notifiée est une constitution opposable au conseil de l’appelant (Cass. civ. 2, 8 juin 2023, n° 21-19.997, FS-B N° Lexbase : A79169YT)

Résumé : la Cour de cassation reprend une jurisprudence désormais bien établie au sujet de l’opposabilité d’un acte de constitution dans l’intérêt d’une partie intimée au conseil de l’appelant qui est conditionnée par une notification régulière de celui-ci, conformément aux dispositions de l’article 960 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0359ITH. En revanche, est sans incidence sur l’existence et l’opposabilité de cet acte à l’avocat de l’appelant le traitement administratif qui lui est réservé par le greffe de la cour d’appel. La Cour suprême rappelle également, à l’occasion de l’examen de la seconde branche du moyen du demandeur au pourvoi, que l’obligation faite à l’appelant de notifier ses conclusions dans le délai de trois mois prévu à l’article 908 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7239LET à l’avocat de l’intimé, dès lors que ce dernier s’est constitué, ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but légitime poursuivi par l’exigence ainsi formulée.

Les diligences incombant à l’appelant en vertu des articles 908 et 911 N° Lexbase : L7242LEX du Code de procédure civile ne constituent pas en elles-mêmes des atteintes injustifiées et disproportionnées au droit d’accès au juge garanti par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.

Telle est la position désormais classique de la Cour de cassation dans un contexte de plus en plus critique à l’égard du formalisme regardé comme excessif de la procédure d’appel.

En l’espèce, l’appelante avait relevé appel du jugement d’un tribunal d’instance et, dans le délai de trois mois prévu à l’article 908 du Code de procédure civile, remis ses conclusions au greffe et signifié celles-ci à la partie intimée qui avait constitué avocat avant l’expiration dudit délai.

Postérieurement à l’expiration du délai de l’article 908 du code précité, l’avocat de l’appelant avait dénoncé ses écritures à son contradicteur qui n’a pas manqué d’exciper de la caducité de la déclaration d’appel pour défaut de notification des conclusions au conseil de l’intimée dans les trois mois de la déclaration d’appel.

Le conseiller de la mise en état a suivi le raisonnement de l’intimée et, partant, a prononcé la caducité de cette déclaration.

L’ordonnance ainsi rendue a été déférée à la cour d’appel qui a appliqué la même sanction procédurale.

Au soutien de son pourvoi, l’appelante faisait valoir qu’elle avait satisfait à son obligation de notification de ses conclusions à l’intimée en les lui signifiant dès lors que le traitement administratif par le greffe de la constitution de l’intimée était postérieur à la remise de ses conclusions au greffe et à leur signification, ce qui pouvait légitimement lui faire croire que la notification de la constitution était irrégulière au jour desdites remise et signification de ses écritures. Elle estimait qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 908 et 911 du Code de procédure civile dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL.

Par la seconde branche de son moyen, l’appelante soutenait qu’en sanctionnant par une caducité le défaut de notification de ses conclusions à l’avocat de l’intimée dans le délai de l’article 908 précité, la cour d’appel avait fait montre d’un formalisme excessif et, en conséquence, porté une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge garanti par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au moyen d’un raisonnement devenu classique.

Elle rappelle, tout d’abord, que l’obligation de notification des conclusions de l’appelant à l’avocat de l’intimé dans le délai de l’article 908 résulte des dispositions explicites de l’article 911 du Code de procédure civile.

Cette formalité incombant à l’appelant découle du fait qu’en vertu de la notification de l’acte de constitution de l’intimé qui lui est faite, en application de l’article 960 du Code de procédure civile, cet acte lui est opposable, nonobstant les aléas inhérents au traitement administratif de la constitution par le greffe.

Ce faisant, la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir retenu que ce traitement, laissé aux bons soins du greffe, est sans incidence procédurale sur l’existence, la date et l’opposabilité de la constitution notifiée à l’avocat de l’appelant.

La date de notification de l’acte de constitution à retenir pour l’avocat de l’appelant ne souffre, en effet, d’aucune ambiguïté dans la mesure où celle-ci coïncide avec l’accusé de réception RPVA du message contenant cette notification, généré de manière automatique.

Par conséquent, l’avocat de l’appelant ne pouvait prétendre ignorer l’existence procédurale de son contradicteur.

Par la suite, la Cour suprême reprend les critères de restriction du droit d’accès à un juge du second degré admis par la Cour européenne des droits de l’Homme, au premier rang desquels, sa prévisibilité aux yeux du justiciable, l’existence d’une charge excessive pesant sur le plaideur en raison des erreurs éventuellement commises en cours de procédure et le caractère excessif du formalisme entourant cette restriction.

Or, en l’occurrence, les diligences incombant à l’appelant en application de l’article 911 précité répondent à l’objectif légitime de préservation des droits de la défense de l’intimé qui est assuré, par là même, de disposer de l’intégralité de son délai pour conclure, prévu à l’article 909 du même code.

En effet, il importe de souligner qu’une signification des conclusions de l’appelant à la partie intimée fait courir le délai dont celle-ci dispose pour conclure, de sorte que l’avocat constitué dans ses intérêts doit supporter, dans ce cas de figure, l’aléa inhérent à la transmission des écritures de son contradicteur par son client qui ne mesure pas nécessairement les incidences procédurales d’une telle signification.

La formalité imposée à l’appelant n’est ainsi nullement imprévisible et répond à un souci d’équité puisqu’il est constant qu’elle résulte de manière non équivoque de l’article 911 susmentionné, éclairé par la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Le formalisme qui caractérise cette obligation n’est donc nullement excessif au regard du but légitime poursuivi, étant précisé que l’appelant dispose toujours, en vertu du texte applicable, d’une alternative entre notification de ses conclusions à l’avocat de l’intimé et signification de celles-ci à la partie, en fonction de la date de la notification de la constitution qui lui est faite.

Dans un premier temps, il convient de revenir sur le fait que cet arrêt reprend, comme évoqué précédemment, une solution désormais classique au sujet des conditions d’opposabilité de l’acte de constitution à l’avocat de l’appelant (Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-12.959, F-P+B+I N° Lexbase : N3902BY8).

À ce sujet, l’intérêt pratique que revêt l’arrêt du 8 juin 2023 réside dans le fait qu’il est expressément précisé que le traitement administratif de la constitution par le greffe et les difficultés qu’il est susceptible de générer ne sont pas de nature à dispenser l’appelant des obligations qui lui sont imposées par l’article 911 du Code de procédure civile.

Dans un second temps, il est permis, à la lumière de la jurisprudence actuelle, d’inférer de l’irrégularité d’une notification d’un acte de constitution à l’avocat de l’appelant l’inopposabilité de celle-ci, lui autorisant alors la signification de ses écritures à la partie intimée.

En effet, cette notification obéit au formalisme imposé par l’article 960 du Code de procédure civile précité.

C’est, en substance, ce qu’a rappelé la deuxième chambre civile de la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 25 mars 2021 (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 18-13.940, F-P N° Lexbase : A67304M9).

Ce rappel permet de conforter l’idée que la Cour de cassation fait ici la preuve d’un formalisme de bon aloi dans l’intérêt des justiciables puisqu’en accord avec les exigences de l’équité, elle impose célérité et diligence à l’appelant comme à l’intimé, lesquels ne peuvent arguer des aléas inhérents au travail du greffe pour se soustraire à leurs obligations.

À retenir : on ne saurait trop recommander à l’avocat de l’appelant de veiller, au cours du délai mentionné à l’article 908 du Code de procédure civile, à toute notification qui lui serait faite au moyen du réseau virtuel privé des avocats. Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai que ce dernier peut être assuré de satisfaire à l’obligation qui lui est imposée de notifier ses conclusions au moyen d’une signification à l’attention de la partie intimée.

À l’attention de l’avocat de l’intimé, il est conseillé de notifier, au moyen d’un message distinct, l’acte de constitution à l’avocat de l’appelant et de doubler ce message d’un second destiné au greffe avec copie à l’avocat de cet appelant.

  • De la spécificité du régime de la procédure sur appel-compétence des articles 84 et suivants du code de procédure civile (Cass. com., 14 juin 2023, n° 21-15.445, FS-B N° Lexbase : A79949Z4)

Résumé : Aux termes de son arrêt en date du 14 juin 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a notamment rappelé que la procédure d’appel relative aux jugements statuant exclusivement sur la compétence obéit à un régime procédural spécifique prévu aux articles 84 N° Lexbase : L1424LGT et suivants du Code de procédure civile qui diffère en partie de celui mentionné aux articles 917 N° Lexbase : L0969H4N et suivants du même code ayant trait à la procédure à jour fixe. Par conséquent, le fait que la copie de la requête adressée au premier président de la cour d’appel ne soit pas jointe à l’assignation délivrée aux intimés n’est pas de nature à rendre l’appel irrecevable.

L’arrêt du 14 juin 2023 de la Chambre commerciale offre l’illustration d’un formalisme atténué, s’agissant de la procédure d’appel applicable aux jugements de première instance statuant exclusivement sur la compétence.

C’est le moyen du pourvoi incident et, notamment, sa seconde branche qui requiert à cet égard l’attention du lecteur.

En l’espèce, il était reproché à l’arrêt d’avoir déclaré l’appel recevable alors qu’en cas de représentation obligatoire, l’appel d’un jugement statuant sur la compétence est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe et que dans ce cadre procédural, copies de la requête adressée au premier président et de son ordonnance sont jointes à l’assignation délivrée aux intimés, à peine d’irrecevabilité de l’appel.

La cour d’appel n’avait pas fait droit à cette demande d’irrecevabilité et c’est ce qui justifiait l’introduction de la seconde branche du moyen du pourvoi incident.

La Cour suprême écarte ce moyen et, partant, approuve le raisonnement des juges du fond, motif pris de ce que la procédure relative à l’appel-compétence emprunte certes à la procédure à jour fixe pour l’instruction et le jugement de l’appel, conformément aux dispositions de l’article 920 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6857LEP, mais obéit néanmoins à un régime spécifique, comme le confirme l’examen des articles 84 et suivants du même code.

À ce titre, la requête adressée au premier président de la cour d’appel, qui ne doit pas contenir la justification d’un péril, ne vise qu’à obtenir une date d’audience en vue de l’assignation qui doit, par la suite, être délivrée aux intimés.

C’est la raison pour laquelle l’assignation délivrée (à laquelle sont jointes la déclaration d’appel, l’ordonnance sur requête, les conclusions d’appel sur la compétence et les pièces) suffit à satisfaire à l’obligation d’information des intimés quant à la date et l’enjeu du litige auquel ils sont attraits.

En premier lieu, il convient de saluer la relative souplesse dont la Cour de cassation fait ici preuve, dès lors qu’est assurée une complète information des intimés au sujet de l’objet du litige dont la juridiction d’appel a été saisie.

En second lieu, cette position, quoique bienvenue, ne laisse pas de surprendre si on la compare avec celle qui prévaut au sujet d’autres procédures à jour fixe.

Ainsi, à titre d’exemple, il a été jugé que l’appel dirigé contre un jugement d’orientation était irrecevable, en application de l’article 920 du Code de procédure civile, dès lors que la copie de la requête adressée au premier président n’était pas jointe à l’assignation (Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-21.833, FS-P+B N° Lexbase : A2026X8K).

La même rigueur s’impose, au regard de la lettre du texte de l’article 920, lorsque l’appelant omet de joindre à l’assignation qu’il fait délivrer aux intimés la copie de l’ordonnance l’autorisant à assigner à jour fixe, la deuxième chambre civile ayant écarté, aux termes de son arrêt du 20 mai 2021, le moyen tiré de la violation des exigences du procès équitable (Cass. civ. 2, 20 mai 2021, n° 19-19.258 et n° 19-19.259, F-P N° Lexbase : A80294S8).

En définitive, il apparaît que le sort finalement réservé à l’appel par la Chambre commerciale, aux termes de l’arrêt du 14 juin 2023, s’explique par le régime dérogatoire prévu aux articles 84 et suivants du Code de procédure civile qui fait de la requête adressée au premier président de la cour une simple modalité d’obtention d’une date d’audience.

Dès lors, le fait que les intimés ne se voient pas remettre la copie de la requête avec l’assignation qui leur est délivrée n’est pas de nature à les priver d’une information qui leur est nécessaire dans le cadre du litige, contrairement à l’absence d’annexion à l’acte de la requête comportant un argumentaire au sujet de l’existence d’un péril justifiant que l’affaire soit appelée à une date fixe que le président de la juridiction d’appel détermine.  

Autrement dit, l’absence d’exigence de justification d’un péril légitime l’application d’un formalisme moins rigoureux pour l’appelant.

À retenir : il convient, pour éviter toute contestation ultérieure, de joindre l’ensemble des actes ayant trait à la demande d’autorisation d’assigner à jour fixe adressée au premier président de la cour d’appel.

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