Le Quotidien du 11 janvier 2023

Le Quotidien

Actualité judiciaire

[A la une] Des moyens financiers, une refonte du Code de procédure pénale et des idées pour la justice civile… Tour d’horizon des annonces faites par Éric Dupond-Moretti

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N3873BZH

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par Vincent Vantighem

Le 10 Janvier 2023

             C’était le 15 décembre dernier. Éric Dupond-Moretti avait choisi, de bon matin, d’affronter le froid glacial pour se rendre au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). À l’intérieur, la température n’était pas la même. Une centaine de magistrats surchauffés l’attendaient de pied ferme après la publication d’une lettre de leurs dirigeants – procureur et président réunis – dénonçant le manque de moyens criant et leurs problèmes récurrents. Après 45 minutes passées à défendre sa vision des choses autant que sa politique, le ministre a alors donné la parole à la salle qui ne s’est pas fait prier.

            « Vous parlez toujours de difficultés des magistrats. Mais c’est si difficile que ça de parler de souffrance au travail ? », l’attaque ainsi un juge. Avant de passer la parole à un de ses collègues racontant les personnels en pleurs qu’il croise quasi quotidiennement dans ces couloirs défraîchis. Le garde des Sceaux a répondu et a promis de revenir début janvier avec des annonces fortes. C’est celles qu’il a présentées, jeudi 5 janvier, depuis la place Vendôme. Et il a peut-être repensé à cet échange en dévoilant la mise en place à titre expérimental d’un outil permettant d’évaluer « la charge de travail des magistrats » et « objectiver plus finement leurs besoins »… La magistrature souffre. Et le ministre, deux ans après son arrivée, entend bien l’aider. Encore faut-il qu’on lui en laisse le temps… C’est ce qu’il a demandé lors de la présentation de son plan. Tour d’horizon des principales annonces.

Des milliards d’ici 2027

            Éric Dupond-Moretti est un chasseur qui s’y connaît. Et il n’oublie pas les bonnes expressions. Lorsqu’en 2020, il a annoncé un budget en hausse de 8 %, il raconte qu’on lui a rétorqué que ce ne serait « qu’un fusil à un coup ». « Eh bien non, répète-t-il aujourd’hui. Ce n’était pas un fusil à deux coups non plus. C’était un fusil à trois coups ! » voire plus… Après trois années de hausse, le ministre a indiqué que les moyens financiers seraient au rendez-vous de la justice jusqu’en 2027. Il entend ainsi faire passer le budget de 9,6 milliards par an à près de 11 milliards d’euros. Soit une hausse cumulée de 7,4 milliards sous le second quinquennat d’Emmanuel Macron. Une enveloppe nécessaire pour entretenir les prisons et surtout embaucher. Au printemps, il devrait donc défendre une loi de programmation et d’orientation pour financer l’embauche de 10 000 fonctionnaires de justice, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers dans les quatre années à venir. Leurs collègues les attendent déjà.

Une « césure » pour la justice civile

            Le rapport des États généraux de la justice l’a bien résumé : la justice civile craque de partout. Par toutes les coutures. Conséquence : les litiges parfois simples mettent pourtant des années à se régler. Le garde des Sceaux entend bien réduire les délais comme il se targue de l’avoir fait pour les mineurs avec la mise en place, récente, du Code de la justice pénale des mineurs (CJPM).

            Éric Dupond-Moretti a donc annoncé la création d’une « audience de règlement amiable » qui permettra à un juge de jouer un rôle de « conciliateur » en réunissant toutes les parties au tout début de la procédure pour tenter de trouver un accord qui ne nécessitera plus, ensuite, qu’une homologation. Surtout, il entend créer un mécanisme de « césure » afin de décharger les juges civils. Le principe : trancher le nœud du litige opposant deux parties avant de les laisser s’entendre sur les éventuelles questions d’indemnisation. L’idée paraît simple. Trop peut-être. Elle laisse pour l’instant les civilistes assez dubitatifs sur la capacité des gens opposés à s’entendre, tous seuls, sur un montant financier une fois qu’un juge aura déterminé qui a raison et qui a tort…

Une refonte de la procédure pénale

            Lors de sa conférence de presse, Éric Dupond-Moretti s’est emparé d’un Code de procédure pénale dont il a soupesé les pages. Il n’existera bientôt plus sous cette forme. Comme le lui avaient réclamé notamment les syndicats de policiers, le ministre a annoncé la réécriture « à droit constant » du Code de procédure pénale avec un « comité scientifique » d’experts. Le tout sous la supervision d’un groupe de parlementaires représentant tous les bords politiques. Sur ce point, il entend légiférer par ordonnance. Le but : faciliter les procédures et donc gagner du temps, de l’argent aussi et de la qualité de travail pour tous.

            Au passage, le ministre a également annoncé l’autorisation, désormais, des perquisitions de nuit en droit commun comme c’est déjà possible aujourd’hui en matière de terrorisme ou de criminalité organisée. Ainsi que de nouveaux droits pour les personnes placées sous le statut de « témoin assisté » lors des informations judiciaires. Reste à savoir lesquels exactement…

Des responsabilités pour les chefs de juridiction

            Va-t-il parvenir à terrasser la lourdeur administrative ? C’est en tout cas l’objectif. Le ministre entend donner plus de prérogatives aux chefs de juridiction en matière immobilière, budgétaire et de ressources humaines afin de gagner du temps et de rationaliser les remontées vers les maisons centrales. Aujourd’hui, chaque initiative se heurte aux murs de procédures à remplir qui donneraient presque à la visite d’Astérix dans la maison des fous (Les douze travaux d’Astérix) un air de conte de fées.

            Et puis, le ministre veut enfin que la justice se numérise. Et pour cela, il fixe des objectifs : zéro papier pour le ministère et les juridictions civiles et pénales à l’horizon 2027. Il n’y a plus qu’à s’y mettre. Pour les justiciables, le ministre prévoit la création d’une application sur smartphone qui pourra, dit-il, leur permettre de faire une demande d’indemnisation devant le tribunal judiciaire ou une demande d’aide juridictionnelle.

Évaluer la situation dans les prisons

            La crise du Covid n’était qu’une bouffée d’oxygène pour les prisons. Après une « pause » conséquente en 2020, la surpopulation carcérale repart clairement à la hausse et bat, chaque année, de nouveaux records. Le ministre a déploré ne pas avoir de « baguette magique », mais a tout de même lancé quelques idées. La première consistera à évaluer la réforme de sa prédécesseure, Nicole Belloubet, qui avait interdit les peines d’incarcération inférieures à un mois.

            Au surplus, Éric Dupond-Moretti a réclamé que les surveillants pénitentiaires soient désormais équipés de caméras-piétons pour éviter les problèmes en détention. La mort d’Yvan Colonna, agressé derrière les barreaux d’Arles (Bouches-du-Rhône) il y a un an, n’y est sans doute pas pour rien…

            Autant d’annonces qui ont suscité des réactions de « prudence » de la part des syndicats de magistrats. En froid avec leur ministre depuis des années, ils attendent désormais de voir comment toutes ces mesures vont se décliner, tout en reconnaissant un effort budgétaire important. « Nous avons fait beaucoup. Mais il reste beaucoup à faire », avait insisté avant Éric Dupond-Moretti. C’est sans doute le seul constat sur lequel tout le monde est d’accord aujourd’hui.

newsid:483873

Assurances

[Brèves] Déchéance de garantie en cas de fausse déclaration relative au sinistre : une sanction potentiellement disproportionnée ?

Réf. : Cass. civ. 2, 15 décembre 2022, n° 20-22.836, F-B N° Lexbase : A49778ZD

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N3849BZL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 10 Janvier 2023

► La déchéance de garantie en cas de fausse déclaration relative au sinistre, que les parties peuvent librement stipuler en caractères très apparents dans un contrat d'assurance et qui n'est encourue par l'assuré que pour autant que l'assureur établit sa mauvaise foi, ne saurait constituer une sanction disproportionnée ;

c'est, en conséquence, à bon droit qu'une cour d'appel n'a pas procédé à l'examen du caractère proportionné de la déchéance de garantie encourue par l'assurée et qu'ayant constaté que celle-ci avait effectué, de mauvaise foi, de fausses déclarations sur les conséquences du sinistre, a retenu que l'assureur était fondé à se prévaloir de la déchéance de garantie stipulée au contrat.

En l’espèce, la propriétaire d’un appartement qui avait été endommagé par un incendie avait été indemnisée par l'assureur de la copropriété des dommages causés à la structure de son appartement.

Elle avait assigné son assureur devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir l'indemnisation de ses objets personnels, mais celui-ci s’était prévalu d'une déchéance de garantie en raison de fausses déclarations intentionnelles de l'assurée sur les conséquences du sinistre.

Elle faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 15 octobre 2020, n° 18/03887 N° Lexbase : A78113XL) de la débouter de ses demandes tendant à la condamnation de l'assureur à l'indemniser de la destruction de ses biens mobiliers à hauteur de 47 796,43 euros, de la perte temporaire d'usage de son appartement à hauteur de 5 814,12 euros, et à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euros.

Elle faisait alors valoir, sur le fondement de l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L1625AZ9, ensemble le principe général de proportionnalité des sanctions, que toute sanction doit être proportionnée et qu'en relevant, pour infirmer le jugement entrepris qui avait écarté la déchéance encourue en la jugeant disproportionnée et dire qu'elle devait être déchue de son droit à garantie en raison de l'exagération intentionnelle des conséquences du sinistre, qu'une telle sanction n'était pas soumise à l'exigence de proportionnalité, la cour d'appel a violé les textes précités.

L’argument est écarté par la Cour suprême, qui approuve la décision des juges d’appel.

newsid:483849

Durée du travail

[Brèves] Précisions relatives à la charge de la preuve du respect des durées maximales de travail du salarié en télétravail

Réf. : Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 21-18.139, F-B N° Lexbase : A49668ZX

Lecture: 3 min

N3830BZU

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par Charlotte Moronval

Le 10 Janvier 2023

► La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur, y compris lorsque le salarié effectue son travail en télétravail.

Faits et procédure. En l’espèce, un salarié travaille deux jours par semaine sur site et trois jours chez lui, en télétravail. À la suite du décès du salarié sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail, ses ayants droit ont engagé une action à l’encontre de son employeur pour demander le paiement des heures supplémentaires non rémunérées et des dommages et intérêts pour violation du droit au repos et pour violation du droit à la vie privée et familiale.

La cour d’appel (CA Versailles, 15 avril 2021, n° 18/02866 N° Lexbase : A54604PW) les déboute de leurs demandes. Selon elle, s’il résulte des éléments produits que le salarié travaillait « beaucoup », il n'est pas démontré la violation par l'employeur de la législation sur le droit au repos, alors que le salarié effectuait deux jours en télétravail à son domicile et conservait une liberté d'organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements.

Elle ajoute que l'amplitude horaire entre le premier mail envoyé par le salarié et le dernier, sans en connaître d'ailleurs la teneur pour savoir s'il correspondait à un travail effectif de sa part, ne permet pas d'affirmer que le salarié était en permanence à son poste de travail et qu'il ne bénéficiait pas normalement de ses repos quotidiens.

La cour en déduit que les ayants droit du salarié ne justifient pas de la violation reprochée.

Les ayants droit forment un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure la position des juges du fond.  

Elle rappelle les termes de l’article L. 3131-1 du Code du travail N° Lexbase : L6963K9R, qui prévoit que : « tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives », ainsi que de l’article 1353 du Code civil N° Lexbase : L1013KZK, selon lequel : « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

En l’espèce, la position des juges du fond revenait à inverser la charge de la preuve. 

La Cour de cassation considère que ce n’est pas au salarié de prouver qu'il a travaillé en continu. C’est à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas en permanence à son poste de travail et qu’il bénéficiait normalement de ses repos quotidiens.

Pour aller plus loin :

  • Rappel que la preuve du respect des temps de repos et des durées maximales du temps de travail incombe à l'employeur : v. déjà Cass. soc., 23 mai 2017, n° 15-24.507, FP-P+B N° Lexbase : A0917WEP ;
  • v. ÉTUDE : La durée quotidienne et la durée hebdomadaire de travail, La durée maximale du travail, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0330ETE.

newsid:483830

Fonction publique

[Brèves] Renoncement par une commune à l’exploitation d'une régie municipale : un reclassement des agents contractuels obligatoire !

Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 14 décembre 2022, n° 450115, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A59998Z9

Lecture: 2 min

N3819BZH

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par Yann Le Foll

Le 10 Janvier 2023

► L'autorité territoriale ayant pris la décision de renoncer à l'exploitation de la régie et de mettre fin à son activité est tenue à une obligation de reclassement des agents concernés

Principe. Il résulte du I de l'article 39-5 du décret n° 88-145, du 15 février 1988, relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale N° Lexbase : L1035G8T, que l'obligation de reclassement qu'il prévoit pèse sur l'autorité territoriale ayant pris la décision de renoncer à l'exploitation de la régie et de mettre fin à son activité.

Il appartient au président du conseil d'administration de la régie, lorsqu'il notifie à l'agent sa décision de le licencier du fait de la suppression de son emploi à la suite de la décision de l'autorité territoriale de renoncer à l'exploitation de la régie, de l'inviter à présenter une demande écrite de reclassement.

Saisie d'une telle demande, l'autorité territoriale ayant renoncé à l'exploitation de la régie est tenue de chercher à reclasser l'agent au sein de ses services en lui proposant un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi (application de CE, Sect., avis, 25 septembre 2013, n° 365139 N° Lexbase : A5989KLE, selon lequel il incombe à l’administration, avant de pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée indéterminée pour affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser l’intéressé sauf en cas de licenciement pour faute, CE, 18 décembre 2013, n° 366369 N° Lexbase : A7976KS9).

Décision CE. Dès lors, la cour administrative d'appel (CAA Lyon, 14 janvier 2021, n° 18LY03413 N° Lexbase : A48364C4) a pu sans commettre d'erreur de droit juger que les agents recrutés au sein de la régie (ensuite supprimée) par des contrats de droit public à durée indéterminée (pour exercer respectivement les fonctions de directeur et celles d'administrateur, comportant des fonctions administratives et comptables), qui n'ont bénéficié d'aucune procédure de reclassement, ont été illégalement licenciés.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les agents contractuels dans la fonction publique territoriale, Les hypothèses de licenciement des agents contractuels, in Droit de la fonction publique, (dir P. Tifine), Lexbase N° Lexbase : E32183M7.

newsid:483819

Formation professionnelle

[Brèves] Maintien de l’aide à l'embauche d’alternants jusqu’en 2027

Réf. : Min. Travail, communiqué de presse, 6 janvier 2023

Lecture: 1 min

N3904BZM

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par Charlotte Moronval

Le 10 Janvier 2023

► Le jeudi 5 janvier, le Président de la République a annoncé la prolongation de l’aide de 6 000 euros à l’embauche d’alternants de moins de trente ans jusqu’à la fin du quinquennat.

Rappel. L’aide, d’un montant de 6 000 euros, est versée à toutes les entreprises, pour les contrats conclus avec un alternant, mineur comme majeur, du 1er janvier au 31 décembre 2023, pour la première année d’exécution du contrat.

Afin de renforcer l’accès à l’apprentissage des jeunes les moins qualifiés, le président de la République annonce que cette aide se poursuivra dans les années à venir.

Pour aller plus loin : v. Décret n° 2022-1714, du 29 décembre 2022, relatif à l'aide unique aux employeurs d'apprentis et à l'aide exceptionnelle aux employeurs d'apprentis et de salariés en contrat de professionnalisation N° Lexbase : L3185MG3, L. Poinsot, Parution du décret relatif à l’aide à l’embauche pour contrats de professionnalisation et d’apprentissage, Lexbase Social, janvier 2023, n° 929 N° Lexbase : N3792BZH.

newsid:483904

Procédure pénale

[Brèves] Précisions sur l’exécution d’une ordonnance de saisie de sommes figurant au crédit d’un compte bancaire à l’étranger

Réf. : Cass. crim., 5 janvier 2023, n° 22-81.155, F-B N° Lexbase : A154287A

Lecture: 5 min

N3895BZB

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par Helena Viana

Le 25 Janvier 2023

► Si le JLD, requis pas le procureur de la République financier dans le cadre d’une enquête préliminaire, est compétent pour ordonner une mesure de saisie de sommes figurant au crédit d'un compte bancaire, dont l'exécution doit intervenir sur le territoire d'un État étranger, il doit, pour exiger d’un établissement bancaire domicilié sur le territoire dudit État qu’il se libère des sommes saisies par virement au crédit du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignation au nom de l'AGRASC, agir selon la procédure d’entraide pénale afin d’enjoindre à cet établissement. Méconnaît les règles de compétence territoriale et de souveraineté des États la chambre de l’instruction qui confirme l’ordonnance de saisie pénal d’un JLD français notifiée, hors de toute procédure d’entraide pénale, à une banque domiciliée sur le territoire de la principauté de Monaco et enjoignant à cette dernière de se libérer des sommes saisies par virement sur le compte de l’AGRASC.

Faits et procédure. En septembre 2019 une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet financier des chefs de blanchiment de fraude fiscale concernant une ressortissante russe domiciliée à Monaco et gérante associée de deux sociétés ayant leur siège à Monaco. Le 11 mars 2021, une saisie sur les comptes bancaires de l’une de ces deux sociétés auprès de la banque monégasque pour près de 10 millions d’euros a été ordonnée par un juge des libertés et de la détention par voie d’ordonnance, notifiée le jour même au procureur puis six mois plus tard, le 15 septembre 2021, à la société et à l’établissement de crédit. Cette même ordonnance enjoignait l’établissement bancaire à consigner les sommes saisies auprès de l'AGRASC. La société a interjeté appel.

La chambre de l’instruction ayant confirmé l’ordonnance entreprise, la société a porté un pourvoi devant la Cour de cassation.

Moyens du pourvoi. Les moyens soulevés par la société demanderesse sont de deux ordres. D’une part, elle reproche à la chambre de l’instruction de n’avoir pas pu prendre la parole à la suite des réquisitions du procureur. D'autre part elle soulève des arguments relatifs à la procédure de saisie spéciale de l’article 706-154 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9507IYR.

Décision. Les deux moyens soulevés par le demandeur au pourvoi ont été rejetés par la Chambre criminelle, notamment, pour le premier d’entre eux, au motif que la société n’était que le tiers propriétaire, qualité n’ayant aucune incidence sur l’ordre de parole des parties à l’instance. Est donc sous-entendu que le tiers propriétaire n’a pas la qualité de partie. De plus, elle rappelle que la saisie a été ordonnée sur le fondement de l’article 706-153. Dès lors, le second moyen est inopérant.

En revanche, elle casse l’arrêt sur un moyen qu’elle soulève d’office.

Elle considère, au visa des articles 705 N° Lexbase : L5586LZW et 706-153 N° Lexbase : L7453LPQ du Code de procédure pénale, que si le JLD « requis par le procureur de la République financier dans le cadre d'une enquête préliminaire, est compétent pour ordonner une mesure de saisie de sommes figurant au crédit d'un compte bancaire dont l'exécution doit intervenir sur le territoire d'un État étranger, il ne peut, hors de toute procédure d'entraide pénale, exiger d'un établissement bancaire domicilié sur le territoire dudit État et auquel il a notifié l'ordonnance attaquée, qu'il se libère des sommes saisies par virement au crédit du compte ouvert à la Caisse des dépôts et consignation au nom de l'AGRASC, sans méconnaître les règles de compétence territoriale et de souveraineté des États.»

La Chambre criminelle rejette l’argument de la chambre de l’instruction selon lequel la décision du JLD était le préalable nécessaire à une demande d’entraide pénale et que rien n’indiquait que ladite décision aurait fait l’objet d’une exécution directe sur le territoire monégasque. Les juges du fond ont en effet considéré que la compétence du JLD était établie sur le fondement des articles 706-141 N° Lexbase : L7245IMB et suivants et notamment 706-153 du Code de procédure pénale et qu’il était possible dans un second temps de la rendre exécutoire sur le sol monégasque par le biais d’une demande d’entraide, notamment, sur le fondement des Conventions du Conseil de l'Europe liant Monaco à la France et organisant l'entraide pénale entre ces deux États.

Or, pour la Haute juridiction, cette analyse ne saurait prospérer dans la mesure où l’ordonnance litigieuse avait déjà été notifiée à la banque sise à Monaco et qu’elle lui enjoignait de se libérer des sommes saisies au profit de l’AGRASC.

Ainsi, elle soumet la compétence du JLD à ordonner la saisie sur un compte bancaire d’un établissement domicilié sur le territoire d’un État étranger à la condition que l’ordonnance n’ait pas été notifiée. En pareil cas, il doit, pour l’exécution de son ordonnance, agir selon la procédure d’entraide pénale.

En conséquence elle casse l’arrêt déféré devant elle et dit que la cassation aura lieu par voie de retranchement et sans renvoi.

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Atteinte aux droits du titulaire d’une marque : l’exploitant d’une place de marché en ligne peut être tenu directement responsable

Réf. : CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-148/21 et C-184/21 N° Lexbase : A903884I

Lecture: 3 min

N3771BZP

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par Perrine Cathalo

Le 10 Janvier 2023

► Un exploitant d’une place de marché en ligne peut être considéré comme faisant lui-même usage du signe identique à une marque de l’Union européenne, figurant dans l’annonce d’un vendeur tiers sur sa place de marché en ligne, lorsque l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de son site a l’impression que c’est cet exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, les produits contrefaisants en cause.

Faits et procédure. Christian Louboutin, un créateur français d’escarpins pour femme à talons hauts, affirme qu’il n’a pas donné son consentement à la mise en circulation de ces produits sur les sites Amazon. En particulier, le créateur soutient que la place de marché en ligne a fait illégalement usage d’un signe identique à la marque dont il est titulaire pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque en question est enregistrée. C’est la raison pour laquelle il a introduit deux recours au Luxembourg et en Belgique contre Amazon.

Les deux juridictions nationales se sont alors posé la question de savoir si l’exploitant d’une place de marché en ligne tel qu’Amazon pouvait être tenu directement responsable de l’atteinte aux droits du titulaire d’une marque qui résulte d’une annonce d’un vendeur tiers. C’est dans ces conditions que la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle sur l’interprétation du droit de l’Union européenne en la matière.

Décision. Par arrêt du 22 décembre 2022, la CJUE, réunie en Grande chambre, affirme qu’un tel exploitant peut effectivement être considéré comme faisant lui-même usage du signe identique à une marque de l’Union européenne, figurant dans l’annonce d’un vendeur tiers sur sa place de marché en ligne, lorsque l’utilisateur normalement informé et raisonnablement attentif de son site a l’impression que c’est cet exploitant qui commercialise, en son nom et pour son propre compte, les produits contrefaisants en cause.

La Cour rappelle ensuite le principe selon lequel l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée, comme le prévoit le Règlement (UE) n° 2017/1001, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne N° Lexbase : L0640LGS.

À cet effet, la CJUE précise que l’usage d’un signe identique à une marque par un tiers implique que ce dernier fasse un usage du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale et que le simple fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui le rende prestataire fasse lui-même usage dudit signe, même s’il agit dans son propre intérêt économique.

Les juges de la CJUE concluent qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier si le fait que le site internet de vente en ligne intègre, outre la place de marché en ligne, des offres à la vente de l’exploitant de ce site lui-même, est susceptible d’avoir pour conséquence que les utilisateurs de la place de marché en ligne aient l’impression que les annonces pour des produits en cause proviennent non pas de vendeurs tiers, mais de l’exploitant de cette place de marché et que c’est donc celui-ci qui utilise le signe en question dans le cadre de sa propre communication commerciale.

Pour aller plus loin : v. F. Fajgenbaum et Th. Lachacinski, Louboutin : quand la marque se fait concept et inversement, Lexbase Affaires, juillet 2018, n° 559 N° Lexbase : N4787BXL.

 

newsid:483771

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Livraison de terrains à bâtir par une personne physique et notion de démarches actives de commercialisation foncière

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 9 décembre 2022, n° 459206, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A11948YU

Lecture: 5 min

N3774BZS

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par Marie-Claire Sgarra

Le 10 Janvier 2023

Le Conseil d’État est revenu, dans le cadre d’un litige relatif à une livraison de terrains à bâtir à la notion de démarches actives de commercialisation foncière ;

► Sont incluses dans cette notion des démarches entreprises dans le cadre d’une opération d’aménagement d’une ampleur telle qu’elles ne sauraient relever de la simple gestion d’un patrimoine privé.

Les faits :

  • les requérants ont cédé à une société, dont ils sont tous les deux associés, une parcelle de terrains à bâtir ;
  • ils ont soumis la plus-value réalisée à cette occasion au régime des plus-values des particuliers ;
  • à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que le profit tiré de cette opération devait être soumis à l’IR dans la catégorie des BIC, ainsi qu'à la TVA ;
  • le TA de Toulouse a rejeté la demande des requérants tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’IR et des rappels de TVA consécutifs à ces rectifications ;
  • la CAA de Bordeaux a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement partiel intervenu en cours d'instance en matière d’IR ainsi que la décharge totale des rappels de TVA en litige, et rejeté le surplus de leurs conclusions d'appel ;
  • le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il statue sur les rappels de TVA ; les requérants demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il statue sur les suppléments d'impôt sur le revenu restant en litige.

Principes :

  • sont soumises à la TVA les livraisons de biens effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (CGI, art. 256 N° Lexbase : L5704MAI) ;
  • sont assujetties à la TVA les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au CGI, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention ; les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (CGI, art. 256 A N° Lexbase : L3557IAY) ;
  • les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent ; sont considérés comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels les constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme (CGI, art. 257 N° Lexbase : L7636MD8).

Pour l'application de ces dispositions, la livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique. Relèvent également de telles démarches celles entreprises dans le cadre d'une opération d'aménagement d'un terrain à bâtir, d'une ampleur telle qu'elles ne sauraient relever de la simple gestion d'un patrimoine privé.

En appel, pour accorder la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, la CAA de Bordeaux a jugé qu'avant de céder les terrains en cause, les requérants n'avaient mis en œuvre aucune démarche active de commercialisation foncière similaire à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services et que, par suite, en procédant à la cession de ces terrains, ils ne pouvaient être regardés comme ayant exercé une activité économique.

Solution du CE. En estimant, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que les démarches entreprises par les requérants avant la cession des parcelles en cause n'étaient pas au nombre des démarches actives de commercialisation foncière et que, par suite, ils ne pouvaient être regardés comme ayant exercé une activité économique en procédant à cette cession, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni, par voie de conséquence, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

Le pourvoi du ministre est rejeté.

Précisions.

► La CJUE avait considéré qu'il importait de rechercher si le vendeur avait entrepris « des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services ». Les juges de l'UE privilégient un critère mettant en œuvre la comparaison entre ce qui a été effectué par l'intéressé, dans le cadre de cette vente, et les moyens mis en œuvre par un entrepreneur dans l'accomplissement de son activité économique (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180/10, Jaroslaw Slaby c/ Minister Finansów N° Lexbase : A7298HXL) ;

► Le CE a repris cette jurisprudence en jugeant que lorsqu’elle procède, non de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, la vente par une personne physique d’un terrain à bâtir est soumise à la TVA (CE, 3°-8° ch. réunies, 9 juin 2020, n° 432596, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A15483NN).

Lire en ce sens les conclusions de la Rapporteur publique, K. Ciavaldini, La vente de terrains à bâtir est soumise à la TVA lorsqu’elle procède de démarches actives de commercialisation foncière, Lexbase Fiscal, juin 2020, n° 829 N° Lexbase : N3801BYG.

 

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