La lettre juridique n°519 du 14 mars 2013

La lettre juridique - Édition n°519

Éditorial

Les robots, nouveaux sujets de droit ? Pour le pire comme pour le meilleur...

Lecture: 4 min

N6090BTQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436090
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


A lire les dernières analyses économiques et industrielles, l'un des leviers pour accroître notre compétitivité et réindustrialiser la France serait d'accentuer sensiblement la robotisation industrielle (Le Point, le 8 octobre 2012). Quand les entreprises allemandes acquièrent 20 000 machines par an pour leurs industries, la France caracole à 3 000 unités. Avec 34 500 machines, soit un peu plus de 3 % du parc mondial, la faible robotisation industrielle française serait donc un handicap pour l'économie hexagonale ; pire, pour le marché du travail, des études tendant à montrer que la mécanisation serait hautement créatrice de nouveaux emplois (700 000 à 1 million d'emplois dans le monde d'ici 2016 grâce aux robots), si tant est que la France, plutôt en pointe en matière de haute technologie, prenne des parts de marché conséquentes sur ce secteur porteur. Et chacun sait, depuis Asimov et ses lois de la robotique, que la docilité des machines mêmes "intelligentes" est le gage d'une sérénité et d'une productivité hors pair -encore qu'avec un faible taux de robotisation, l'économie française soit, elle-même, fort productive-. Mais, qu'en serait il si, comme le suggèrent de plus en plus de voix, les robots, les "intelligences artificielles", avaient, eux aussi -entendez comme les humains-, des droits ?

Quand Kate Darling, chercheuse en propriété intellectuelle et en politique de l'innovation au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston, propose de "donner des droits" aux robots, au regard des "projections que nous faisons sur les robots sociaux et les liens que nous créons avec eux" (Le Monde, 14 février 2013), cela peut passer pour une lubie scientifique, pour de la science-fiction juridique... Mais, lorsque le célèbre avocat spécialiste de la propriété intellectuelle, Alain Bensoussan, enchaîne également sur la pertinence de créer un "statut juridique adapté" pour les robots, "comparable en quelque sorte à celui des personnes morales" (Planète robots n° 19), et suggère que "la jurisprudence se charge de faire évoluer la situation vers un régime spécial de responsabilité" (Planète robots n° 20), l'oreille se tend, l'attention est captée et l'écoute est entière.

Ce n'est pas la première fois que la question de l'évolution de la notion de "sujet de droit" est posée. L'exemple le plus patent est cette création purement abstraite et juridique de la personnalité morale. S'il apparaissait évident, pendant des siècles, que les seuls sujets de droit ne pouvaient être que les personnes physiques, les besoins de l'économie ont nécessité une adaptation juridique de taille, en créant une personnalité déconnectée du vivant. Par conséquent, il est difficile de circonscrire pleinement la notion de sujet de droit aux personnes, même si l'existence de la personnalité morale trouve, aussi, sa légitimité dans la collectivité humaine que constituent les personnes morales (l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, les sociétés commerciales...).

Dans le même sens, si, pendant des millénaires, seuls les Hommes pouvaient prétendre avoir des droits et les exercer, la question de la condition animale, aujourd'hui reconnue dans notre droit, et singulièrement en matière pénale, fut en débat dans notre société depuis Rousseau et Bentham. Les animaux ont, désormais, ce statut hybride qui fait qu'ils ne sont ni tout à fait sujet de droit, ne pouvant ester en justice pour revendiquer leurs droits, ni objet de droit, étant protégés contre les atteintes indignes à leur intégrité. Nombreux sont ceux (Thomas d'Aquin, Locke, Kant) qui ont justifié la consécration des "droits des animaux" par le moyen pour l'Homme de se prémunir contre les traitements cruels qu'il ne pourrait affliger à son espèce. Autrement dit, les animaux n'auraient des droits que pour autant que cela permette à l'Homme de ne pas sombrer dans l'inhumanité et de "s'assurer que des habitudes de cruauté ne s'insinuent dans notre traitement envers les êtres humains". C'est en substance ce que rappelle la chercheuse du MIT, en rappelant que "La loi a tendance à réguler aussi notre comportement d'un point de vue éthique et à décourager des agissements qui peuvent se révéler nocifs dans un autre contexte. En décourageant la maltraitance des robots sociaux, on promeut des valeurs que l'on juge bonnes pour notre société, comme bien traiter toutes les choses et les tous êtres". De quoi faire mentir Bernanos, dans La France contre les robots : "Un monde gagné pour la technique [ne serait pas] perdu pour la liberté" ! Et, là encore, il n'est point nécessaire d'être humain ou de représenter une collectivité humaine pour avoir des droits, comme il n'est pas nécessaire d'être vivant -quand le droit ne protège pas lui-même les morts-.

Par conséquent, la question de l'émergence des droits des robots, et plus particulièrement de ceux relevant de "l'intelligence artificielle" plus que des grilles-pain du matin, peut être posée, même si l'Etat de droit a déjà fort à faire avec le respect des droits des personnes, comme le montre l'activité soutenue du Conseil constitutionnel en matière de QPC, depuis maintenant trois ans d'exercice jurisprudentiel. Si, sur 255 renvois auprès du Conseil, 137 non-lieu à statuer ont été prononcés, 69 non-conformités ou non-conformités partielle ont été déclarées dont 15 en matière pénale...).

"Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger" (Première loi de la robotique d'Isaac Asimov [Les Robots, 1950]) ; "un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première loi" (Deuxième loi) ; et "un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième loi" (Troisième loi). Et, déjà, cette dernière portait en germe le droit fondamental à l'existence de la chose, pour ne pas dire à la vie du non-vivant, alors que ces trois lois tendaient, plus volontiers, à s'assurer de la nature d'"esclave" du robot...

Mais au-delà de la simple question ou construction juridique, l'octroi de droits aux robots pose également la question du rapport à l'autre qui est différent non plus par le sexe, l'ethnie, la religion ou l'orientation sexuelle, mais plus fondamentalement par sa nature de non-être. L'Homme créerait dès lors une nouvelle espèce qui lui ferait face. Et, l'anthropomorphisme à l'égard des robots que relève plusieurs études, dont celle de Peter Khan de l'Université de Washington, témoignent de cette tendance à considérer les robots comme des êtres moraux et intelligents, malgré leur nature artificielle...

newsid:436090

Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Faute inexcusable : préjudice d'agrément conditionné par une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure

Réf. : Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8812I8U)

Lecture: 11 min

N6177BTX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436177
Copier

par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 30 Mars 2013

La réparation d'un préjudice causé par la faute inexcusable donne lieu à la prise en charge de plusieurs chefs de réparation (1) : une réparation comprise dans le champ du livre IV du Code de la Sécurité sociale (CSS, art. L. 452-2 N° Lexbase : L4544IRQ (2) et L. 452-3 N° Lexbase : L5302ADQ) (3) ; et pour les préjudices non pris en charge par le livre IV, une réparation au titre du droit commun civil, au sens où l'a admis le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC, 18 juin 2010N° Lexbase : A9572EZK) (4), solution consacrée par la Cour de cassation (5). La Cour de cassation a rendu, le 28 février 2013, (6) un arrêt tout à fait essentiel, par lequel elle opère clairement une distinction entre le déficit fonctionnel permanent, réparé par la rente d'accident du travail et sa majoration (CSS, art. L. 452-2) et le préjudice d'agrément pour lequel le salarié peut réclamer une indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable de l'employeur (CSS, art. L. 452-3). En l'espèce, un salarié a travaillé de 1962 à 1997 en qualité d'ouvrier de fabrication. Il a déclaré, le 24 septembre 2007, une affection due à l'amiante que la CPAM de la Dordogne a prise en charge au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles. Les juges du fond lui ont alloué 60 000 euros au titre de l'indemnisation de ses souffrances physiques et morales et 10 000 euros au titre de l'indemnisation d'un préjudice d'agrément, parce qu'en application de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur a le droit de demander, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées et de ses préjudices esthétique et d'agrément. La Cour de cassation a prononcé la censure, au double motif que les juges du fond devaient rechercher si, au titre du préjudice d'agrément, la victime justifiait d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie et si les souffrances invoquées par elle n'étaient pas déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.
Résumé

Les juges du fond doivent rechercher si, au titre du préjudice d'agrément, la victime justifiait d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie et si les souffrances invoquées par elle n'étaient pas déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.

La Cour de cassation a signifié ainsi qu'un même préjudice ne peut être doublement indemnisé. La définition du préjudice d'agrément peut comprendre la seule privation d'une activité sportive ou de loisir déterminée, mais le salarié doit apporter la preuve d'une pratique régulière sur une période antérieure à l'accident du travail ou la maladie professionnelle. Surtout, la Cour de cassation propose une clé de répartition entre les différents postes de réparation, soit au titre de la rente (régime de base des AT/MP) ; au titre de la réparation complémentaire (visée à l'article L. 452-3) ou pour les autres chefs de réparation non pris en charge par cet article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, le droit commun de la responsabilité civile. La Cour de cassation se rapproche donc de la nomenclature dite "Dintilhac" (7).

I - Etendue de la réparation d'un accident du travail dû à la faute inexcusable

A - Réparation de droit commun des AT

L'accident du travail ouvre droit, au profit de la victime, à une prise en charge, au titre des prestations en nature ; ainsi qu'à des indemnités journalières, au titre des prestations en espèce (CSS, art. L. 434-1 N° Lexbase : L5263ADB (8) et art. L. 434-2 N° Lexbase : L7111IUW (9)).

Les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et d'une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime sont pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CSS, art. L. 431-1).

B - Réparation propre à la faute inexcusable

1 - Majoration de la rente

La victime ou ses ayants droit peuvent prétendre à une majoration de rente. Elle vient s'ajouter à la rente forfaitaire (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN et art. L. 452-2). Cette indemnisation complémentaire est plafonnée : elle ne peut excéder soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire, dans le cas d'incapacité totale. La majoration de la rente ne tend qu'à compenser le préjudice résultant de la perte de capacité ou de gain.

2 - Réparation complémentaire

Le versement de prestations en espèce et en nature est complété par d'autres prestations, en cas d'accident du travail causé par une faute inexcusable de l'employeur (CSS, art. L. 452-3). La victime peut demander à l'employeur, devant la juridiction de la Sécurité sociale, réparation :

- du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées (CSS, art. L. 452-3) ;

- de ses préjudices esthétiques et d'agrément (CSS, art. L. 452-3) ;

- du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (CSS, art. L. 452-3) (10).

Ce dernier poste correspond au poste déficit fonctionnel permanent, indemnisant un préjudice extra-patrimonial découlant d'une incapacité constatée médicalement. L'objectif est de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime : atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi douleur permanente qu'elle ressent, perte de la qualité de vie et troubles dans les conditions d'existence (11).

La caisse nationale d'Assurance maladie avait tiré la conclusion, de la décision du Conseil constitutionnel (décision QPC n° 2010-8, 18 juin 2010, préc.), que les caisses n'ont pas à faire l'avance de ces préjudices pour le compte des employeurs (12). La Cour de cassation a retenu une solution inverse : la victime peut demander à l'employeur, devant la juridiction de Sécurité sociale, la réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, mais aussi de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale (13). La caisse primaire est alors tenue de verser directement à la victime les indemnités dues (au titre des préjudices compris dans l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale) avant d'en récupérer le montant auprès de l'employeur fautif.

C - Droit commun de la réparation civile

Enfin, une réparation tirée du droit commun de la réparation civile est ouverte à la victime d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de l'employeur, selon les termes de la décision du Conseil constitutionnel QPC n° 2010-8 du 18 juin 2010 (préc.). La victime peut donc désormais demander à l'employeur la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.

Cette décision du Conseil constitutionnel a été rendue, alors même que de nombreux Rapports s'étaient interrogés sur l'évolution du droit de la réparation des victimes d'un accident du travail (14) vers un modèle de droit commun, civiliste, c'est-à-dire, accordant à la victime une réparation intégrale.

Mais, la Cour de cassation a bien montré que la décision QPC du Conseil constitutionnel n'a pas porté atteinte au principe fondamental, en droit de la réparation des accidents du travail, selon lequel la réparation est forfaitaire. Dans sa décision rendue le 4 avril 2012 (Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-10.308, FS-P+B N° Lexbase : A1246IIY), la Cour de cassation précise bien que le caractère forfaitaire de la rente n'a pas été remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (préc.), laquelle n'a pas consacré le principe de la réparation intégrale du préjudice causé par l'accident dû à la faute inexcusable de l'employeur.

II - Clé de répartition de la réparation des préjudices causés par la faute inexcusable

Il faut distinguer, d'une part, les préjudices qui peuvent être réparés par le Livre IV, notamment au titre de la réparation complémentaire (CSS, art. L. 452-3) de ce qui n'est pas susceptible d'être réparé au sens de la liste des réparations proposée par l'article L. 452-3, et sera donc réparé par le droit commun de la responsabilité civile.

Cette nécessité de distinguer selon les postes de réparation est issue de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (LFSS 2007) (N° Lexbase : L8098HT4). Jusqu'à présent, prévalait une conception globale du préjudice corporel conçu comme un ensemble d'éléments indifférenciés, conduisant à ce que les prestations puissent être recouvrées et imputées indifféremment sur les indemnités réparant les divers éléments qui le composent. La LFSS 2007 a, au contraire, consacré un système d'imputation "poste par poste", reposant sur un fractionnement du dommage corporel et une distinction des différents chefs ou postes de préjudice définis selon la nature et le type d'intérêt lésé (15).

A - Réparation dite complémentaire

En application de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de Sécurité sociale la réparation :

- du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées ;

- de ses préjudices esthétiques et d'agrément ;

- du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;

Le déficit fonctionnel temporaire, qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, n'est pas réparé par les indemnités journalières servies à la victime. Il peut donc faire l'objet d'une réparation complémentaire (16).

Mais sont exclus du champ de la réparation complémentaire (au sens de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale) :

- les frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires, les frais de transport et d'une façon générale, les frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime, ne peuvent faire l'objet d'une réparation complémentaire car ils sont pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de l'article L. 431-1 du Code de la Sécurité sociale (17) ;

- le déficit fonctionnel permanent déjà réparé par la rente (Cass. civ. 2, 14 avril 2012, n° 11-15.393, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6499IH8 et n° 11-14.311, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6498IH7) (18).

1 - Préjudice d'agrément

La privation des agréments d'une vie normale (distincte du préjudice résultant de l'incapacité permanente) justifie l'octroi d'une indemnité de caractère personnel. La jurisprudence a beaucoup fluctué sur cette question.

De manière générale, la Cour de cassation a fixé une ligne directrice : le préjudice d'agrément est un préjudice subjectif de caractère personnel, résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence (19).

La jurisprudence dégagée par la Cour de cassation permet de mieux cerner les contours de la notion. La victime d'un accident du travail peut prétendre à une indemnité spécifique d'agrément en raison :

- d'une altération sensible de la capacité de la victime d'accomplir des gestes banals (20) ;

- d'une difficulté de se livrer longtemps à des activités de loisirs sans ressentir des troubles (21) ;

- d'une privation des agréments d'une vie normale, les victimes étant empêchées de toute activité physique, de toute vie sociale ou familiale et soumises à d'importantes contraintes dues au traitement (Cass. civ. 2, 19 avril 2005, n° 04-30.121, FS-P+B N° Lexbase : A9750DHL (22) ; Cass. civ. 2, 11 octobre 2005, n° 04-30.360, F-P+B N° Lexbase : A8439DKR (23)).

- préjudice d'agrément comprend les troubles ressentis dans les conditions d'existence, notamment les activités sportives ou de loisir (vélo, boxe anglaise) (Cass. civ. 2, 8 avril 2012, n° 09-11.634, FS-P+B, sur le troisième moyen N° Lexbase : A5844EUY) (24).

Mais la Cour de cassation a opéré un recentrage de la notion de préjudice d'agrément :

- le préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir (Cass. civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-16.829, FS-P+B N° Lexbase : A3927EHW ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-16.120, F-P+B N° Lexbase : A1215IQ3) selon lequel "le préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs") ;

- ni le préjudice sexuel, ni les troubles dans les conditions normales d'existence ne figurent dans la liste limitative des préjudices réparables au titre de la faute inexcusable de l'employeur au sens de l'article L. 452-3 (25). Bref, le préjudice sexuel ne peut être rattaché à un préjudice d'agrément, couvert par l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale. Mais en 2010, la Cour de cassation a évolué sur la question du préjudice sexuel, estimant que le préjudice d'agrément est celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d'existence, notamment le préjudice sexuel (26). Elle a infirmé cette solution, en 2012, revenant sur sa jurisprudence initiale (27) : le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit désormais être apprécié distinctement du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d'agrément.

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation recentre le préjudice d'agrément sur l'impossibilité de pratiquer une activité spécifique de nature sportive ou de loisir, laquelle impossibilité s'apprécie in concreto.

En l'espèce, la Cour de cassation a précisé très clairement que :

- la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ;

- le préjudice d'agrément, réparable en application de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir ;

- sont réparables en application de l'article L. 452-3 du Code de Sécurité sociale les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

La nomenclature mise en place par le groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels (Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005, dir. J.-P. Dintilhac, p. 39) déjà suggéré cette solution. En raison de son caractère général, le déficit fonctionnel permanent ne se confond pas avec le préjudice d'agrément, lequel a un objet spécifique portant sur la privation d'une activité de loisirs. Le rapport (préc., p. 39) avait d'ailleurs préconisé une ventilation entre la réparation destinées à indemniser la partie patrimoniale du préjudice corporel de la part extra-patrimoniale du préjudice corporel (indemnisé par une rente), afin d'éviter une double indemnisation de la victime de ce poste.

2 - Indemnisation des souffrances physiques ou morales

Dans la mesure où le déficit fonctionnel permanent (couvert par la rente d'incapacité, versée au titre du droit commun de la réparation des AT/MP) a pour objet de réparer la douleur permanente ressentie par la victime (c'est-à-dire après consolidation), la Cour de cassation en déduit que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent. En d'autres termes, sur le fondement de la réparation complémentaire, seules seraient donc réparables les souffrances physiques ou morales endurées avant consolidation.

B - Préjudices non pris en charge par le Livre IV mais réparés par l'article 1382 du Code civil

On sait, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, que les victimes d'un accident du travail, devant les juridictions de la Sécurité sociale, peuvent demander à l'employeur la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le Livre IV du Code de la Sécurité sociale, c'est-à-dire, plus spécifiquement, non pris en charge par 'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.

1 - Préjudice sexuel

En 2012, la Cour de cassation a décidé d'exclure de ce poste de réparation le dommage sexuel, pour en faire un poste de préjudice indépendant (Cass. civ. 2, 14 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I, préc.). Le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit désormais être apprécié distinctement du préjudice d'agrément (au sens de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale).

2 - Déficit fonctionnel permanent

En revanche, le déficit fonctionnel permanent ne peut faire l'objet d'une réparation complémentaire sur le fondement de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, dans la mesure où ce préjudice est indemnisé au titre du livre IV du Code de la Sécurité sociale (Cass civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I et n° 11-15.393, FS-P+B+R+I). Il ne peut faire, également, l'objet d'une réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, en application de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 (préc.). En effet, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dont le taux d'incapacité est supérieur à 10 % indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent.


(1) Bibliographie abondante : v. notamment P.-H Antonmattei, Obligation de sécurité de résultat : les suites de la jurisprudence SNECMA, Dr. soc., 2012, p. 491 ; v. Sanseverino-Godfrin, La jurisprudence favorable aux victimes d'AT/MP en fait-elle pour autant des victimes privilégiées ?, JSL, n° 328, 25 septembre 2012 (selon laquelle on assisterait à une extension de la définition de l'obligation de sécurité de résultat et du recul des limites de la présomption d'imputabilité). Sur l'action en réparation des préjudices personnels, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E3160ET9).
(2) CSS, art. L. 452-2 : "la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du livre IV. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de cette indemnité [...]".
(3) CSS, art. L. 452-3 : "indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit [...], la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de Sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle [...]". De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction sociale.
(4) Réf. bibliographiques complètes dans notre article, Réparation de la faute inexcusable : la Cour de cassation s'aligne sur le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 450 du 28 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7215BSZ) (Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R N° Lexbase : A6615HUK).
(5) Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615HUK) ; v. les obs. dans Rapport annuel 2011 de la Cour de cassation - Le risque, La doc. fr., 2012 ; N. Dedessus-Le-Moustier, Réparation des préjudices subis en cas de faute inexcusable de l'employeur, JCP éd. G, n° 29, 18 juillet 2011, 864 ; H. Groutel Accident du travail : préjudices indemnisables en cas de faute inexcusable de l'employeur, Responsabilité civile et assurances, n° 10, octobre 2011, comm. 320 ; v. nos obs., Réparation de la faute inexcusable : la Cour de cassation s'aligne sur le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo n° 450 du 28 juillet 2011 - édition sociale, préc..
(6) JCP éd. E, 2013, act. 204 ; LSQ, n° 16299, 6 mars 2013 ; SSL, n° 1575,11 mars 2013.
(7) Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005, dir. J.-P. Dintilhac.
(8) "Une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé. Son montant est fonction du taux d'incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret [...]".
(9) "Le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité [...]".
(10) Cass civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-10.308, préc. ; JCP éd. S, 2012, p. 1267, note D. Asquinazi-Bailleux et G. Vachet ; D., 2012, p. 1098, note S. Porchy-Simon ; RTD Civ., 2012, p. 539, obs. P. Jourdain, la rente majorée servie à la victime d'un d'accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur répare notamment les pertes de gains professionnels résultant de l'incapacité permanente partielle qui subsiste le jour de la consolidation.
(11) Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, juillet 2005, dir. J.-P. Dintilhac, préc., p. 38.
(12) Circulaire CNAM LR-DRP-31/2010, 7 juillet 2010.
(13) Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615HUK).
(14) Générale des Affaires Sociales, Modernisation de la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles, 1991, La doc. fr. ; R. Massé et H. Zeggar, Réflexions et propositions relatives à la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, 2001, La doc. fr. ; M. Yahiel, Vers la réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles, Rapport, avril 2002, La doc. fr. ; Cour des Comptes, La gestion du risque accidents du travail et maladies professionnelles, Rapport, février 2002 ; FNATH, livre blanc pour l'amélioration de l'indemnisation des victimes du travail.
(15) D. Bakouche, La définition du préjudice d'agrément devant la Cour de cassation in Chronique de responsabilité civile, Lexbase Hebdo n° 396 du 27 mai 2010 - édition privée (N° Lexbase : N2150BPC) (Cass. civ. 2, 8 avril 2010, n° 09-11.634, FS-P+B, sur le troisième moyen N° Lexbase : A5844EUY et n° 09-14.047, FS-P+B, sur la première branche N° Lexbase : A5886EUK).
(16) Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-14.311, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6498IH7), Bull. civ. II, n° 67 : le déficit fonctionnel temporaire, qui n'est pas au nombre des dommages couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, peut être indemnisé sur le fondement de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale.
(17) Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-18.014, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1272IIX), Bull. civ. II, n° 67. Les dépenses de santé et des frais exposés pour des déplacements nécessités par des soins qui figurent parmi les chefs de préjudice expressément couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale dès lors qu'ils sont mentionnés à l'article L. 431-1 du Code de la Sécurité sociale.
(18) Le déficit fonctionnel permanent et le retentissement professionnel de l'incapacité résultant de l'accident du travail ne peuvent être indemnisés sur le fondement de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale dès lors que la rente AT/MP (servie en application de l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale) les indemnise déjà (arrêt n° 1, pourvois n° 11-14.311 et 11-14.594, et arrêt n° 2, pourvoi n° 11-15.393). Nos obs., "Livre IV or not Livre IV, that is the question", Lexbase Hebdo n° 481 du 12 avril 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1387BTK) ; C. Bloch, Responsabilité civile, JCP éd. G, n° 46, 12 novembre 2012, doctr. 1224.
(19) Cass. Ass. plén., 19 décembre 2003, n° 02-14.783, publié (N° Lexbase : A4684DAQ), Bull. civ. n° 8. Viole les articles L. 376-1 alinéa 3 (N° Lexbase : L4530IR9), L. 454-1 (N° Lexbase : L4529IR8) du Code de la Sécurité sociale et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9), la cour d'appel qui retient, au titre des préjudices moraux extra-patrimoniaux, des sommes correspondant, d'une part, à la gêne dans les actes de la vie courante pendant l'arrêt d'activité avant la consolidation, d'autre part, au "préjudice fonctionnel d'agrément" corrélatif au déficit fonctionnel de la victime et traduisant l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence causés après la consolidation par le handicap dans les actes essentiels de la vie courante, dans les activités affectives et familiales et dans celles des activités de loisirs, excluant ainsi du recours du tiers payeur des indemnités réparant l'atteinte objective à l'intégrité physique de la victime.
(20) Cass. soc., 5 janvier 1995, n° 92-15.958, publié (N° Lexbase : A0996ABI), Bull. civ. V, n° 10. La privation des agréments d'une vie normale, distincte du préjudice objectif résultant de l'incapacité constatée, justifie l'octroi d'une indemnité de caractère personnel sur le fondement de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale. En allouant, au titre des gênes subies par la victime et affectant sa vie quotidienne, une indemnisation complémentaire au titre de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité sociale.
(21) Cass. soc., 28 mai 1998, n° 96-17.333, publié (N° Lexbase : A1933AB9). Du fait de l'accident, M. Y ne pouvait plus se livrer longtemps à des activités de loisir sans ressentir des troubles ; ayant ainsi fait ressortir que, privé des agréments d'une vie normale, il avait subi un préjudice distinct de celui résultant de l'incapacité constatée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.
(22) M. X, atteint d'une affection rendant pénibles les gestes de la vie quotidienne, s'était trouvé privé de toute activité physique, de toute vie sociale ou familiale et avait subi d'importantes contraintes dues au traitement, faisant ainsi ressortir que, privé des agréments d'une vie normale, il avait subi un préjudice subjectif de caractère personnel, distinct de celui résultant son incapacité.
(23) M. X s'était trouvé privé de toute activité physique, de toute vie sociale ou familiale et avait subi d'importantes contraintes dues au traitement, faisant ainsi ressortir que, privé des agréments d'une vie normale, il avait subi un préjudice subjectif de caractère personnel, distinct de celui résultant de son incapacité.
(24) Cass. civ. 2, 8 avril 2012, n° 09-11.634, FS-P+B sur le troisième moyen (N° Lexbase : A5844EUY) Bull. civ., n° 77. L'intéressé, victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de son employeur, soutenait qu'il ne pouvait plus s'adonner au vélo et à la boxe anglaise qu'il pratiquait auparavant, en raison d'une diminution de la force musculaire et de la sensibilité de son avant bras, a retenu que les séquelles qu'il présentait handicapaient les activités ludiques, sportives ou occupationnelles auxquelles pouvait normalement prétendre tout homme de son âge et constituaient un handicap, voire un obstacle, aux actes les plus courants de la vie quotidienne, définissant une atteinte constante à la qualité de la vie.
(25) Cass. civ. 2, 9 juillet 2009, n° 08-11.804, F-D (N° Lexbase : A7254EII) : il résulte de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale que les préjudices personnels non réparés par la rente sont celui qui est causé par les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et d'agrément ainsi que celui résultant de la perte ou de la diminution pour la victime de ses possibilités de promotion professionnelle. L'énumération qu'il prévoit est limitative.
(26) Cass. civ. 2, 8 avril 2010, n° 09-14.047, FS-P+B sur la première branche N° Lexbase : A5886EUK) ; JCP éd. S, 2010, 1262, note T. Tauran ; RTD Civ., 2010, p. 559, obs. P. Jourdain. Bull. civ. II n° 78 : au sens de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, le préjudice d'agrément est celui qui résulte des troubles ressentis dans les conditions d'existence, notamment le préjudice sexuel.
(27) Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-16.120, F-P+B (N° Lexbase : A1215IQ3). Le préjudice sexuel, qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle, doit désormais être apprécié distinctement du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d'agrément mentionné dans ce texte, lequel vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

Décision

Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8812I8U)

Textes concernés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB), L. 434-2 (N° Lexbase : L7111IUW), L. 452-2 (N° Lexbase : L4544IRQ) et L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ)

Mots-clés : Faute inexcusable, indemnisation, souffrances physiques et morales, préjudice d'agrément, appréciation, condition, victime, activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie, preuve

Liens base: (N° Lexbase : E4591ACZ)

newsid:436177

Avocats/Champ de compétence

[Focus] L'avocat honoraire, son rôle, ses missions

Lecture: 6 min

N6135BTE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436135
Copier

par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 27 Mars 2014

Dans une réponse donnée au Bâtonnier de Grenoble, la Conférence des Bâtonniers rappelle dans sa lettre mensuelle (La lettre de la Conférence, février 2013, p. 4) qu'aux termes de l'article 13.3 du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), un avocat honoraire "ne peut exercer aucun acte de la profession hormis la consultation ou la rédaction d'actes, sur autorisation du Bâtonnier". L'avocat honoraire ne dispose donc pas de prérogative d'assistance et de représentation en justice. Cette règle est d'interprétation stricte et aucune dérogation ne saurait donc lui être accordée par son Bâtonnier. Ainsi, un avocat ne pourra plus plaider pour la défense des intérêts de son client, dès lors qu'il aura été admis à l'honorariat. L'occasion est donc donnée pour Lexbase Hebdo - édition professions de revenir sur le statut de l'avocat honoraire, son rôle et ses missions. Obtention du titre. L'honorariat peut, aux termes de l'article 109 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), être accordé par le conseil de l'Ordre aux avocats ayant exercé la profession pendant vingt ans au moins et ayant donné leur démission. Ce délai est réduit dans certains cas à quinze ans par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ) :

- les avocats inscrits à un barreau et les conseils juridiques, en exercice depuis plus de quinze ans au 1er janvier 1992 et qui renoncent à faire partie de la nouvelle profession, sont autorisés à solliciter l'honorariat de leur activité professionnelle ;

- les avoués en exercice depuis plus de quinze ans à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 (N° Lexbase : L2387IP4) bénéficient de ces dispositions.

Enfin, l'avocat qui souhaite être admis à l'honorariat doit répondre à des conditions d'honorabilité. Ainsi l'honorariat peut être retiré ou refusé en cas de manquements aux principes essentiels de la profession (Cass. civ. 1, 23 juin 2011, n° 10-19.470, F-D N° Lexbase : A5382HUU). En l'espèce, par une décision du 16 décembre 2009, le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Valenciennes a rejeté la demande d'admission à l'honorariat présentée par Mme X, ancien avocat, ayant été condamnée disciplinairement par sentences désormais irrévocables des 19 mars 1997 et 26 avril 2000. L'intéressée a formé un recours contre cette décision et la cour d'appel de Douai, accédant à sa demande, énonce que les faits précédemment sanctionnés étaient demeurés ponctuels dans la carrière de l'avocat et ne justifiaient pas à eux seuls le refus de l'honorariat. L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa de l'article 13.1 du RIN : en statuant ainsi sans rechercher si ces fautes disciplinaires ne constituaient pas des manquements aux principes essentiels de la profession, manquements auxquels est attachée une interdiction de bénéficier de l'honorariat en application du texte susvisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Mais, l'honorariat ne peut être refusé ou retiré sans que l'avocat ayant demandé l'honorariat ou étant déjà honoraire ait été régulièrement convoqué devant le conseil de l'Ordre. En décidant le contraire, au motif qu'une telle décision participe des attributions générales des barreaux pour ce qui a trait à l'exercice de la profession d'avocat, alors que cette décision fait grief à l'intéressé, le juge viole l'article 13.1 du RIN (Cass. civ. 1, 26 novembre 1996, n° 94-20.846 N° Lexbase : A8660ABD).

Bien évidemment, et comme le souligne le dernier alinéa de l'article 13.1 du RIN, si le motif de retrait disparaît, l'intéressé peut présenter une nouvelle demande au conseil de l'Ordre.

Prérogatives de l'avocat honoraire. Le décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790 N° Lexbase : L6025IGA) et le RIN prévoient que l'avocat honoraire demeure soumis aux obligations résultant du serment d'avocat. Les avocats honoraires, membres de l'Ordre, sont inscrits sur la liste spéciale des avocats honoraires du barreau. Ils ont droit au port de la robe, à l'occasion des élections, cérémonies et manifestations officielles. Ils participent aux assemblées générales avec voix délibérative. Ils peuvent participer aux élections professionnelles (Cass. civ. 1, 7 avril 1987, n° 85-17.768 N° Lexbase : A6686AAU). Enfin, la qualité d'avocat honoraire ne les soustrait pas à la juridiction disciplinaire du conseil de l'Ordre, ce qui implique qu'ils demeurent attachés à leur Ordre (Cass. civ. 1, 7 avril 1987, préc.).

Les droits et devoirs de l'avocat honoraire. Conformément à l'article 13.3 du RIN, les avocats honoraires peuvent être investis par le Bâtonnier ou le conseil de l'Ordre de toute mission ou activité utile à l'administration de l'Ordre, à l'intérêt de ses membres ou à l'intérêt général de la profession. Depuis le décret du 11 décembre 2009 (N° Lexbase : L0440IGE), l'avocat honoraire ne peut plus exercer aucun acte de la profession hormis la consultation ou la rédaction d'actes, sans autorisation préalable du Bâtonnier. L'avocat honoraire peut accepter une mission de justice, d'arbitrage, d'expertise ou de médiation. Il peut également participer à une commission administrative ou à un jury d'examen ou de concours. Mais tous les actes entrant dans le monopole de la profession d'avocat lui sont interdits. Néanmoins, les juges du fond retiennent une certaine souplesse sur ce point. En effet, par un arrêt du 19 février 2013, la cour d'appel de Lyon retient qu'une activité résiduelle ne contrevient pas aux dispositions déontologiques de la profession (CA Lyon, 19 février 2013, 8ème ch., n° 11/07481  N° Lexbase : A2285I87). Dans l'espèce soumise aux juges lyonnais, par acte sous-seing privé en date du 22 décembre 1989, M. C. a renouvelé à Me V., avocat, pour une durée d'une année à compter du 1er juillet 1989 le bail d'un local à usage de "cabinet d'avocat" soumis à la loi du 1er septembre 1948. Le bail stipulant qu'il ne se renouvellera tacitement à son expiration, soit le 30 juin 1990, Me V. qui en remplissait alors les conditions a pris la qualité d'occupant maintenu dans les lieux. Mais l'avocat a fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2004. Selon le bailleur, il n'aurait plus alors bénéficié du droit au maintien dans les lieux. Dans ces conditions celui-ci lui a donné congé par exploit du 24 mars 2010 pour le 30 septembre 2010. Me V. n'obtempérant pas, M. C. l'a assigné en justice. Par jugement rendu le 6 octobre 2011, le tribunal d'instance a prononcé l'annulation du congé au motif qu'il n'était ni démontré, ni soutenu que Me V. ait transformé les locaux pour l'exercice d'une autre profession à un autre usage et que le fait qu'il ait fait valoir ses droits à la retraite ne constituait pas un changement d'affectation du local en contradiction avec les obligations du locataire nées du contrat initial. Appel a été interjeté, en vain. En effet, pour la cour d'appel il est constant que les lieux ont été loués à "usage de cabinet d'avocat", que, nonobstant sa mise à la retraite, Me V., avocat honoraire, n'a pas changé la disposition des lieux loués qui restent matériellement à usage de bureau où la clientèle est susceptible d'être reçue. L'avocat affirme, sans être contredit, que, nonobstant son âge et l'ancienneté de son départ à la retraite, il continue d'assurer un certain suivi de ses anciens dossiers, qu'il reçoit de temps à autre ses anciens clients. Il aurait donc à l'entendre souhaité conserver son cabinet afin que ses anciens clients puissent le contacter en cas de besoin, soit pour des renseignements sur une ancienne procédure, soit sur une procédure envisagée, soit pour récupérer des pièces et même des sommes restées sur un compte CARPA pour des clients qui ont changé d'adresse sans en avertir leur avocat. Une telle activité résiduelle n'apparaît pas contrevenir aux dispositions déontologiques de la profession d'avocat et permet de dire et juger que le local considéré est demeuré, en toute bonne foi de la part du locataire, à l'usage de cabinet d'avocat, les parties contractantes en 1989 n'ayant pas souhaité plus avant préciser que l'occupant des lieux loués devait nécessairement être un avocat de plein exercice et pas seulement un avocat honoraire maintenant par le biais de son cabinet une certaine activité résiduelle à la mesure de son statut.

La suspension de l'honorariat. Le décret du 11 décembre 2009 a modifié l'article 21 du décret du 12 juillet 2005 (décret n° 2005-790 N° Lexbase : L6025IGA) afin de permettre aux avocats honoraires de cumuler leur activité professionnelle avec leur pension de retraite. En effet, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (loi n° 2008-1330 N° Lexbase : L2678IC8) a inséré un article L. 723-11-1 au Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3121ICL) autorisant ce cumul. Dans ce cas précis, l'avocat honoraire est inscrit à sa demande au tableau d'un barreau mais est dispensé de prêter le serment d'avocat. Pendant la durée de cet exercice, il n'est pas autorisé à se prévaloir de son honorariat. Enfin, à compter de la cessation de cette activité, il peut à nouveau se prévaloir de sa qualité d'avocat honoraire, à moins que celle-ci ne lui ait été retirée en application de l'article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat.

newsid:436135

Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - mars 2013

Lecture: 13 min

N6196BTN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436196
Copier

par Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat

Le 14 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, l'arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013 relatif à une vente internationale de marchandises susceptible de renouveler la question ayant trait à la conception de l'ordre public international. Maître Le More fait état, ensuite, de l'avis de l'Autorité de la concurrence relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur les marchés de la téléphonie mobile en France en date du 21 janvier 2013. Enfin, cette chronique revient sur la décision de l'Autorité de la concurrence rendue le 28 février 2013 à la suite de sa saisine, par un éditeur de sites fournissant des renseignements thématiques aux internautes, de pratiques mises en oeuvre par le groupe Google dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches.
  • Vente internationale des marchandises : quel rôle insufflé à l'ordre public international ? (Cass. civ. 1, 13 février 2013, n° 10-24.850, F-D N° Lexbase : A0631I8U)

La vente internationale de marchandises, aussi fréquente et en croissance soit-elle, donne lieu à de complexes mises en oeuvre de régimes juridiques, pour peu que les parties n'aient pas convenu du cadre juridique de leurs relations. En pratique, le cas peut être fréquent en matière de ventes successives.

En l'espèce, une société suisse Codefine fabrique des sacs, achetés par la société Solodem à la suite d'une commande des Etablissements Pierre Bernard (ci-après EPB), situés en France. Les produits sont livrés à EPB le 24 septembre 2004. EPB a connaissance, le 27 juin 2005, de graves défectuosités des sacs en raison de l'absence de stabilisation anti UV. En avril 2006, elle assigne en référé tant le fabricant que le revendeur en indemnisation de son préjudice. En octobre 2007, elle assigne, cette fois au fond, les deux sociétés sur le fondement de l'expertise judiciaire, ordonnée par le juge des référés, en réparation des préjudices subis.

Par jugement de première instance du 5 décembre 2008, faisant application de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, sur la vente internationale de marchandises (N° Lexbase : L6800BHC), le tribunal de commerce a retenu la responsabilité exclusive de la société Codefine et l'a condamnée au paiement de la somme de 27 800 euros à EPB en réparation de son préjudice matériel, de celle de 6 500 euros en réparation de son préjudice immatériel et de celle de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W).

Par arrêt du 12 janvier 2010, (CA Lyon, 3ème ch., 12 janvier 2010, n° 08/08864 N° Lexbase : A1918EUL), la cour d'appel de Lyon, faisant application de la loi suisse, désignée par la Convention de La Haye sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels du 15 juin 1955, a déclaré prescrite l'action en garantie intentée par l'acheteur final EPB à l'égard du fabricant suisse pour les défauts des sacs. En effet, l'article 246 du Code des obligations suisses prévoit que toute action en garantie pour les défauts de la chose se prescrit par un an dès la livraison de la chose faite à l'acheteur, quand bien même de dernier n'aurait découvert les défauts qu'ultérieurement. De l'avis de la cour, "ce texte n'est pas contraire à l'ordre public français, ce d'autant qu'en l'espèce, la société EPB a eu connaissance des défauts affectant les sacs dès le 27 juin 2005 et qu'elle pouvait agir dans le délai d'un an de la livraison [ayant eu lieu le 24 septembre 2004]".En revanche, le revendeur français, Solodem, est condamné à payer à son client EPB la somme de 33 248,80 euros à titre de dommages-intérêts et à celle de 6 500 euros au titre du préjudice immatériel, quand bien même elle ne serait pas à l'origine de la défectuosité des marchandises livrées. S'agissant, enfin, de l'appel en cause et en garantie formé par le revendeur Solodem à l'encontre du fabricant suisse, l'affaire est renvoyée à la mise en état en l'absence d'invocation de fondement juridique à cette action.

Le revendeur français semble alors s'être prévalu de l'application des articles 35 -conformité des marchandises- et 36 -responsabilité du vendeur- de la convention de Vienne du 11 avril 1980, sur les contrats de vente internationale de marchandises. Cependant, la question du délai, dans lequel l'acheteur doit agir en justice, n'est pas réglée par la Convention de Vienne. En effet, le délai de deux ans de l'article 39 prévu par cette Convention est un délai de dénonciation du défaut de conformité, et non un délai de prescription, qui court à compter de la remise effective des marchandises au vendeur (cf. par exemple, Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-14.588, F-D N° Lexbase : A8650IXN ; Cass. com., 3 février 2009, n° 07-21.827, F-D N° Lexbase : A9533EC3, Cont. conc. consom., n° 4, avril 2009, comm. 96). Ainsi, dans l'arrêt du 22 juin 2010, objet du pourvoi, la cour d'appel fait encore une fois application de la loi suisse, désignée par la Convention de La Haye en tant que loi de résidence habituelle du vendeur lors de la réception de la commande, pour déterminer la recevabilité de l'action et de son éventuelle prescription. Pour la cour d'appel, l'action d'appel en garantie formée par Solodem contre Codefine est également prescrite.

Dans le pourvoi, la société Solodem fait habilement valoir l'absence de motivation de l'arrêt du 22 juin 2010 quant à la possible contrariété du délai de prescription suisse au regard de la conception française de l'ordre public international. En effet, ce délai annal commence à courir dès la date de livraison des marchandises. Or, en droit français, le délai de droit commun de la prescription entre commerçants était de dix ans, ramené à cinq ans par la réforme de 2008 (C. com., art. L. 110-4 N° Lexbase : L7242IAH, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 N° Lexbase : L9102H3I). La prescription spéciale de l'action rédhibitoire est certes plus courte (deux ans), mais elle ne commence à courir qu' "à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648 N° Lexbase : L9212IDK). S'agissant de la Convention de New York du 14 juin 1974, sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises, le délai de prescription est fixé à 4 ans par son article 8. Pour autant, la spécificité de la loi suisse au regard des solutions françaises constituent-elles au regard du droit français une contrariété à l'ordre public international ?

La question, à laquelle sera confrontée la cour de renvoi si elle est saisie, est délicate.

La jurisprudence en matière de dommages et intérêts punitifs est susceptible de donner des éléments de réponse. En effet, s'agissant également d'une vente internationale de marchandises, dans un arrêt du 1er décembre 2010, la Cour de cassation a précisé que "le principe d'une condamnation à des dommages et intérêts punitifs n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public", sous réserve du respect de sa proportionnalité avec le préjudice subi et les manquements aux obligations essentielles du débiteur (Cass. civ. 1, 1er décembre 2010, n° 09-13.303, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4103GMW, JDI 3, juillet 2011, 11, comm. O. Boskovic ; J. Sagot-Duvauroux, Le sort des dommages-intérêts punitifs devant le juge français, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition privée N° Lexbase : N1682BRQ). En l'espèce, la décision du juge californien, dont il était demandé l'exequatur en France, avait condamné la société française Fountaine à réparer le préjudice de ses acheteurs américains à hauteur de 1 391 650 dollars pour la remise en état du bateau acheté, de 402 084 dollars pour le remboursement des frais d'avocats (américains !) et de 1 460 000 dollars au titre des dommages punitifs, tandis que le prix de la marchandise vendu initialement s'élevait à 826 000 dollars.

Ce n'est donc pas tant les différences entre régimes juridiques nationaux qui sont déterminantes, mais bien plutôt leur proportionnalité et incidences concrètes eu égard aux justiciables français. Le fait que le revendeur français soit privé à l'égard du fabricant suisse de toute demande en réparation au moment où il a connaissance des vices cachés et alors que son client dispose, lui , d'un recours à son égard, est-il susceptible de contrarier l'ordre public international ? Rien n'est moins sûr, et ce d'autant que le revendeur français, à l'instar de son client, semble lui aussi avoir "eu connaissance des défauts affectant les sacs dès le 27 juin 2005 et [...] pouvait agir dans le délai d'un an de la livraison [ayant eu lieu le 24 septembre 2004]".

Affaire à suivre donc !

  • Avis sur la situation des opérateurs MVNO sur les marchés de la téléphonie mobile en France (Aut. conc., avis n° 13-A-02, 21 janvier 2013, relatif à la situation des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (MVNO) sur les marchés de la téléphonie mobile en France N° Lexbase : X0293AMS -ci-après l'avis "MVNO"-)

L'article L. 462-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L9004IP8) permet aux organisations professionnelles et syndicales de solliciter auprès de l'Autorité de la concurrente un avis "sur toute question de concurrence". Certes, l'activité consultative de l'Autorité s'est intensifiée ces dernières années, aidée en cela par la loi de modernisation de l'économie instaurant une faculté d'auto-saisine (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR, cf. P. Spillaert, Les avis de l'Autorité de la concurrence, Concurrences, n° 3, 2010, p. 58 et s). Force est cependant de constater que les avis sollicités par les organisations professionnelles restent minoritaires au regard des avis rendus dans le cadre des procédures de consultation dites "obligatoires" prévues aux articles L. 410-2 (N° Lexbase : L8588IBP recours à la réglementation des prix), L. 462-2 (N° Lexbase : L6625AI9 adoption d'un texte ayant des incidences en matière concurrentielle) du Code de commerce et de l'homologation par décret d'accords dérogatoires. Aux côtés des avis rendus à la demande des autorités sectorielles et parmi les procédures de consultations dites "facultatives" (C. com., art. L. 462-1, L. 461-5 N° Lexbase : L8394IBI et L. 462-5 N° Lexbase : L4970IUM), dont l'avis MVNO fait partie, les avis sollicités par les organisations professionnelles restent également moins nombreux (cf. P. Spillaert, Quelques considérations sur l'activité consultative de l'Autorité de la concurrence, Cont. conc. consom., n° 6, juin 2011, dossier 6). Cette faculté de saisine est pourtant un instrument d'autant plus pertinent que ces mêmes organisations professionnelles font parfois l'objet de sanctions pécuniaires non négligeables, comme l'illustre la récente décision n° 13-D-06 du 28 février 2013, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales et comptables sous format EDI à l'administration fiscale (N° Lexbase : X2157AMT). Malgré les engagements souscrits, le Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables et l'association dite "Expert comptable média association" se sont vus infliger des amendes s'élevant à respectivement 77 220 euros et 1 170 000 euros pour des pratiques d'abus de position dominante. Dans le cadre d'actions privées, les avis peuvent contribuer à aider une entreprise à délimiter le marché pertinent (cf. par ex., Cons. conc., avis n° 05-A-20, 9 novembre 2005, relatif à une demande présentée par le tribunal de grande instance de Paris concernant un litige opposant la société Luk Lamellen à la société Valeo N° Lexbase : X6199ADX), voire à appréhender la position dominante de l'adversaire et son potentiel abus (cf. par ex., T. com. Paris, 31 janvier 2012, n° 2009061231 N° Lexbase : A5958ER4). Pour autant, l'Autorité de la concurrence ne peut, dans le cadre de ses fonctions consultatives, se prononcer sur la qualification juridique de telle ou telle pratique d'une entreprise au regard des dispositions françaises ou communautaires de la concurrence, qu'il s'agisse d'ententes, d'abus de position dominante, de dépendance économique ou de prix abusivement bas. L'avis n'en revêt pas moins un caractère utile, en particulier dans le cadre de secteurs économiques fortement règlementés et/ou subissant un déficit de concurrence. Tel est le cas du secteur de la téléphonie mobile.

L'avis MVNO (Mobile Virtual Network Operators) a été sollicité par l'association Alternative Mobile représentant les opérateurs virtuels. Ces derniers ne possèdent pas leur propre réseau de téléphonie mobile. Ils offrent néanmoins des services de téléphonie mobile destinés au marché de détail en achetant les prestations nécessaires à l'un des opérateurs de réseau, tels que Bouygues Telecom, SFR, France Télécom/Orange et plus récemment Free Mobile qui disposent, eux, d'une licence les autorisant à utiliser des bandes de fréquences.

Cet avis s'inscrit dans la droite ligne d'un précédent avis n° 08-A-16 du 30 juillet 2008 du Conseil de la concurrence, relatif à la situation des MVNO sur le marché de la téléphonie mobile (N° Lexbase : X3920AEW), dans lequel il était déjà préconisé le renforcement de la concurrence sur le marché de gros de l'hébergement et le déverrouillage des contraintes contractuelles pesant sur les opérateurs mobiles virtuels. Malgré ces recommandations et leur croissance -relative-, entre 2008 et 2012, en termes de parts de marché (5 à 13 % du parc mobile grand public), la place incombant aux MVNO n'a pas toujours été aux centres des débats juridiques ayant trait, notamment, aux relations commerciales entre opérateurs de téléphonie mobile et fournisseurs de terminaux (cf. par ex., Cass. com., 16 février 2010, n° 09-11.968, FS-D N° Lexbase : A9275ERX, nos obs., iPhone et exclusivité : derniers rebondissements judiciaires, RDAI, 4/2010, p. 395 ; M. Depincé, La question de l'exclusivité obtenue par Orange pour la vente de l'iPhone reste en suspens, Lexbase Hebdo n° 386 du 11 mars 2010 - édition privée N° Lexbase : N4835BNE)

L'analyse est toutefois renouvelée à l'occasion de nouveaux bouleversements liés à l'arrivée sur le marché de Free Mobile et au lancement de la 4G. Or, contrairement à ce que l'arrivée d'un quatrième opérateur de réseau pouvait laisser présager, la baisse des prix, qu'a entrainée Free Mobile, ne bénéficie pas aux MVNO. Ceux-ci ne semblent pas en mesure de proposer à leur tour les offres low cost que les quatre opérateurs de réseaux ont peu à peu proposées sur le marché de détail.

De la même manière, certaines conditions techniques propres aux caractéristiques des contrats liant les MVNO à leurs opérateurs hôtes ne rendent pas possible jusqu'à présent la mise sur le marché d'offres de services haut de gamme utilisant la 4G, à l'instar des opérateurs hôtes.

Face à ces risques de marginalisation des MVNO sur le marché de la téléphonie mobile français, l'Autorité exhorte les opérateurs de réseaux à se conformer aux engagements pris devant l'ARCEP et s'inscrivant dans les préconisations de l'avis de 2008 de l'Autorité de concurrence afin qu'aucune "barrière technique ou tarifaire [ne soit] artificiellement érigée par les opérateurs de réseau au risque de désavantager les MVNO dans la dynamique de la concurrence". Une attention particulière est portée au respect chronologique de ces engagements. L'absence de restriction à la liberté commerciale de leurs MVNO, l'accueil des full MVNO sur leur réseau et l'accueil favorable à toute demande d'accès à des tarifs raisonnables doivent s'appliquer avant (nous soulignons) le lancement des premières offres commerciales 4G.

De quels instruments juridiques les MVNO disposent-ils pour contraindre leurs opérateurs hôtes, qui sont par ailleurs leurs partenaires commerciaux incontournables, à se conformer dans le temps à ces préconisations ? Or, la réponse judiciaire, même dans les procédures d'urgence que constituent la sollicitation de mesures conservatoires devant l'Autorité de concurrence ou le référé devant le juge commercial, est en décalage avec le temps économique de marchés aussi rapidement évolutifs. Dans ces rapports de force, on mesure à la fois l'importance et la relative impuissance des autorités sectorielles à apporter des réponses satisfaisantes en temps réel.

  • Services de référencement Google et concurrence (Aut. conc., décision n° 13-D-07, 28 février 2013, relative à une saisine de la société E-Kanopi N° Lexbase : X2355AM8)

Le contentieux Google devant l'Autorité de la concurrence ne cesse de se renouveler en droit de la concurrence depuis les procédures intentées par Navx, opérateur actif à l'époque dans l'offre sur internet de dispositifs de contournement des contrôles routiers. Après avoir sollicité avec succès le rétablissement de son compte AdWords dans le cadre de mesures conservatoires (Aut. conc., décision n° 10-MC-01, 30 juin 2010, relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx N° Lexbase : X7365AGU), l'Autorité de concurrence imposait un certain nombres d'engagements à Google dans le fonctionnement de son service de référencement payant sur internet (appelé entre autres AdWords) relatif aux dispositifs de contournement des contrôles routiers en France, et ce pour promouvoir transparence et prévisibilité pour les annonceurs de ce service (Aut. conc., décision n° 10-D-30, 28 octobre 2010, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité sur Internet N° Lexbase : X3971AHK). Dans le même temps, Google s'engageait "volontairement" à appliquer ces mêmes améliorations et principes à l'ensemble de ses politiques de contenus AdWords au-delà du secteur des bases de données radars. Quelques semaines plus tard, l'Autorité de la concurrence rendait son avis sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne (Aut. conc., avis n° 10-A-29, 14 décembre 2010 N° Lexbase : X9116AH4).

Sans doute ces développements laissaient espérer à E-Kanopi une issue heureuse à sa plainte du 10 juin 2010 auprès de l'Autorité de la concurrence contre Google du fait de la rupture brutale de ses contrats AdSense et AdWords, de la discrimination et des abus d'éviction, dont elle ferait l'objet et du non-respect, enfin, par Google des engagements pris dans le cadre de la décision du 28 octobre 2010 (T. com. Paris, 3 août 2010, aff. n° 2010051258 N° Lexbase : A2335I9D).

La plainte est rejetée, faute pour la plaignante de s'être appuyée sur des éléments suffisamment probants pour caractériser une violation des règles de concurrence nationales.

L'Autorité se réfère en particulier aux actions privées, intentées par E-Kanopi, pour conférer à la résiliation des contrats AdWords et AdSense l'absence de tout caractère anticoncurrentiel. Si dans le cadre d'une ordonnance de référé du tribunal de commerce du 3 août 2010, E-Kanopi a bien obtenu le rétablissement temporaire de ses comptes, ceux-ci étaient résiliés après que le tribunal de commerce, par jugement au fond du 23 mai 2011, eut constaté la réalité des manquements commis par E-Kanopi (T. com. Paris, 23 mai 2011, aff. n° 2010073374 N° Lexbase : A2336I9E). C'est le modèle d'acquisition de clients qui est principalement mis en cause par Google pour justifier l'arrêt des comptes de son ancien partenaire. En imposant le téléchargement de logiciels sur ses sites thématiques, vers lesquels les internautes sont attirés par les annonces AdWords, E-Kanopi altérait l'expérience de l'internaute dans ses recherches sur internet et contrevenait par là même aux règles contractuelles édictées par Google pour ses services.

Pour autant, la présente décision laisse un arrière-goût d'inachevé. En effet, s'agissant des engagements souscrits par Google pour promouvoir transparence et prévisibilité de sa politique de publicité payante sur internet, un double langage de l'acteur dominant est mis en lumière à l'occasion de cette affaire. Tandis qu'elle souligne la portée limitée de ses engagements devant le juge civil dans le cadre de la procédure d'appel en cours devant la dixième chambre du Pôle 5 de la cour d'appel de Paris, Google réaffirme sa volonté "d'appliquer totalement" les engagements souscrits en séance devant l'Autorité. Après en avoir pris bonne note, l'Autorité met en garde en soulignant sa vigilance quant à leur respect (points 84 à 86). Ce n'est pas pour autant à une décision d'engagements, mais bien plutôt à une décision de rejet qu'E-Kanopi a abouti. Le contrôle du respect des engagements souscrits devant l'Autorité de la concurrence semble difficile à mettre en oeuvre en pratique. Le prochain épisode se situera donc plutôt sur le terrain de l'action privée, en ce qui concerne cette affaire du moins.

newsid:436196

Fiscalité financière

[Textes] Loi de finances pour 2013 et fiscalité des revenus du capital (Partie II) : régime des stock-options, attribution d'actions gratuites et carried interests

Réf. : Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013, art. 11 (N° Lexbase : L7971IUR)

Lecture: 11 min

N6221BTL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436221
Copier

par Olivier Ramond, Professeur des universités et avocat à la cour

Le 14 Mars 2013

Dans un précédent article (1), nous nous étions intéressés aux profondes modifications introduites par la loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR) en matière de fiscalité des revenus du capital (intérêts, plus-values et dividendes). Cette deuxième partie se donne pour objectif de présenter et discuter les nouvelles dispositions induites par la loi de finances pour 2013 vis-à-vis des régimes quasi-salariaux spécifiques que sont celui des stock-options, des attributions d'actions gratuites et des carried interests. I - Le régime fiscal des stock-options : principes et évolutions législatives récentes

Les plans d'options sur actions, plus communément appelés "plans de stock-options", sont des instruments de rémunération des cadres dirigeants bien connus des médias et du grand public. Introduits en droit interne par la loi n° 70-1322 du 31 décembre 1970 (N° Lexbase : L6033HCG), venue compléter la loi sur les sociétés commerciales du 24 juillet 1966 (N° Lexbase : L6202AGS), ces plans de rémunération, savant panachage entre intéressement et participation au capital, s'affichaient à l'origine comme un mécanisme efficace de gouvernement d'entreprise. En effet, ils permettent (du moins, en théorie) de faire converger l'intérêt des actionnaires d'une société avec celui de ses dirigeants, en octroyant à ces derniers un droit d'acheter des actions de ladite société à un cours pré-déterminé, appelé prix d'exercice (en anglais, strike), à une date ou pendant une période donnée, dite période d'exercice. Par ce simple mécanisme de souscription préférentielle, les dirigeants se voient incités à améliorer les performances de l'entreprise et, par ce biais, son cours de bourse, afin de faire eux-mêmes des plus-values intéressantes lors de la revente ultérieure de ces actions achetées au prix d'exercice.

Incarnant, au plan national, la fidèle retranscription des stock-options plans anglo-saxons, ces instruments de rémunération ont bénéficié d'un régime fiscal bienveillant jusqu'en 1995.

A - Les principes de base du régime fiscal

Le régime fiscal originel, assez simple de fonctionnement, s'organisait autour de trois étapes ou moments décisifs du plan et deux régimes d'imposition (impôt sur le revenu et régime de faveur des plus-values mobilières) :
1 - la date d'attribution. Il s'agit du jour au cours duquel la société attribue au bénéficiaire -mandataire social, cadre dirigeant ou simple salarié-, le droit (mais non l'obligation) de se porter acquéreur, pendant la période d'exercice, d'un certain nombre de titres de ladite société à un prix d'exercice. Rappelons que ce prix est fixé contractuellement à l'avance par l'assemblée générale extraordinaire et ne peut être modifié pendant la durée du plan, sauf cas exceptionnel (2). Dans le cas où le prix d'exercice serait inférieur au cours du jour de la société, on parlera de "rabais ou gain de rabais" accordé aux optionnaires, ita est les bénéficiaires du plan de stock-options (3). En prenant un exemple illustratif basé sur une action cotée à 100 euros le jour de l'attribution du plan, et en supposant que le prix d'exercice est de 95 euros, on peut en déduire que le rabais accordé aux optionnaires est de 5 euros (4).
2 - La date de levée de l'option. Dans le cas où le bénéficiaire choisit d'exercer son droit contractuel d'acquisition de l'action, c'est-à-dire de "lever l'option", il dégagera potentiellement une plus-value dite "plus-value d'acquisition", égale à la différence entre la valeur du titre au jour de la levée (le cours de bourse s'il est question d'une société cotée), et le prix d'exercice. Cette transaction se traduit, au niveau de l'optionnaire, par une sortie de fonds : il doit payer à la société les actions au prix d'exercice tel qu'arrêté par le plan de stock-options. En poursuivant l'exemple précédent, et en émettant l'hypothèse que le titre sous-jacent à la stock-option est valorisé à 115 euros à la date de levée de l'option, la plus-value d'acquisition est, dans ce cas, égale à 15 euros (= 115 - 100) (5).
3 - La date de cession. Il s'agit du jour au cours duquel l'optionnaire décide de revendre ses actions obtenues préalablement par le biais du plan de stock-options. Il pourra, ainsi, non seulement concrétiser sa "plus-value d'acquisition", en partie (6) ou en totalité, mais également dégager une plus-value additionnelle, qualifiée de "plus-value de cession". Ainsi, en supposant que le cours de la société est désormais de 122 euros, la plus-value de cession s'élèvera, dans notre exemple numérique, à 7 euros (= 122 - 115). Cette troisième étape est cruciale puisqu'elle déclenche le fait générateur de l'impôt pour l'ensemble du processus.

En règle générale, la fiscalité va considérer la plus-value d'acquisition (7) réalisée par l'optionnaire, ainsi que le rabais qui lui est accordé comme un complément de salaire, et les soumettre, à ce titre, à l'impôt sur le revenu (CGI, art. 80 bis, I et II N° Lexbase : L0131IWR). Tel que mentionné précédemment, ces deux gains étaient imposés à la date de cession. Un système de quotient destiné à atténuer les effets de la progressivité de l'impôt était alors mis en place en parallèle. Ce système prenait en compte le nombre d'années entières écoulées entre la date d'attribution de l'option et la date de cession des titres (CGI, art. 163 bis C, II, ancien N° Lexbase : L9241HZB (8)). Toutefois, la plus-value d'acquisition, ou "avantage", pouvait être soumise, à l'instar de la plus-value de cession, au régime d'imposition plus favorable des plus-values mobilières, sous réserve que les actions acquises revêtent la forme nominative et qu'elles demeurent indisponibles pendant une période de quatre années à compter de la date d'attribution du plan (CGI, art. 163 bis C, I) (9). Ce régime reposait, avant 1996, sur un unique taux d'imposition de 16 %.

B - Le régime en vigueur depuis 1996

Depuis la loi du 4 février 1995, portant diverses dispositions d'ordre social (loi n° 95-116 N° Lexbase : L3000AIX), et la loi de finances initiale pour 1996 (loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 N° Lexbase : L0868BDI), les gains de stock-options étaient soumis à trois régimes d'imposition différents selon le produit généré mais reprenaient l'esprit du régime fiscal d'origine articulé autour des trois moments décisifs du plan :
1 - le rabais était toujours considéré comme un salaire, taxé de fait au barème progressif de l'impôt sur le revenu lorsqu'il s'avérait être supérieur à 5 % de la valeur de l'action au jour de l'attribution de l'option (10) ;
2 - la plus-value d'acquisition était assimilée à un complément de salaire imposable au barème progressif de l'impôt sur le revenu après déduction du rabais déjà taxé. Elle pouvait, toutefois, être soumise, sur option, au régime d'imposition des plus-values mobilières, à condition que la levée de l'option n'intervienne qu'après un délai d'indisponibilité de quatre ans à compter de la date d'attribution de l'option. Ce délai avait pour vocation de s'assurer que l'optionnaire prenait bien un risque en capital et ne bénéficiait pas d'un complément de salaire non identifié et imposable par nature à l'impôt sur le revenu. Les taux d'imposition spécifiques de la plus-value d'acquisition étaient alors les suivants :
- 18 % jusqu'à 152 500 euros et 30 % au-delà en cas de cession après un délai de portage de deux ans (11) à compter de la levée de l'option ;
- 30 % jusqu'à 152 500 euros et 41 % au-delà si le délai de portage de deux ans n'est pas respecté.
3 - l'éventuelle plus-value de cession était imposée selon le régime de droit commun des plus-values mobilières.

En marge de ce régime fiscal, il convient de noter que les stock-options consenties à compter du 16 octobre 2007 sont également soumises à deux contributions sociales spécifiques : une contribution patronale au taux de 30 %, et une contribution salariale au taux de 10 % (12) portant sur la plus-value d'acquisition.

C - La nouvelle donne insufflée par la loi de finances pour 2013

Dans le cadre de la barémisation de l'ensemble des revenus du capital (13), la loi de finances pour 2013 a positionné exclusivement dans la catégorie des traitements et salaires la plus-value d'acquisition et le rabais (14), balayant par là même les notions de délai de portage et d'indisponibilité utilisées par le régime antérieur. La plus-value d'acquisition est, quant à elle, logiquement soumise à la CSG/CRDS sur les revenus d'activité (8 %). Ces nouvelles mesures ne s'appliquent toutefois qu'aux plans octroyés à compter du 28 septembre 2012.

Concernant la plus-value de cession, à compter du 1er janvier 2013, elle sera soumise au nouveau régime de droit commun : une barémisation à l'impôt sur le revenu, tempérée par l'abattement pour durée de détention de l'article 150-0 D du CGI (N° Lexbase : L0120IWD) (20 % pour une détention comprise entre deux et quatre ans, 30 % pour une détention comprise entre quatre et six ans ; et 40 % après six ans de détention). Les taux de la contribution salariale et patronale restent inchangés. Il en résulte un taux marginal maximum d'imposition sur la plus-value d'acquisition de 64,5 % qui inclut le taux de la tranche marginale de l'impôt sur le revenu (45 %), la contribution exceptionnelle des hauts revenus (4 %), la contribution salariale (10 %), la CSG / CRDS (8 %), avec déductibilité de la CSG (-5,1 %).

Cette modification du régime fiscal des stock-options ne devrait toutefois pas toucher une grande population. Le rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2013 fait état de 7 000 contribuables "perdants" et d'un gain, somme toute faible, pour le budget de l'Etat (environ 37 millions d'euros) (15).

II - Le régime des attributions d'actions gratuites

Les actions gratuites sont identiques à des stock-options dont les prix d'exercice seraient nuls. Néanmoins, contrairement aux stock-options, elles emportent avec elles une promesse de gain certain, aussi faible puisse-t-il être. Les actions gratuites peuvent être attribuées, après autorisation de l'assemblée générale extraordinaire et dans le respect des règles édictées aux articles L 225-197-1 (N° Lexbase : L5758IS3) à L. 225-197-6 du Code de commerce (cf. infra), aux mandataires sociaux, cadres dirigeants et salariés de sociétés cotées ou non cotées.

Le bénéficiaire d'un plan d'attribution d'actions gratuites ne devient propriétaire des titres qu'à l'issue d'une période dite "d'acquisition des droits" (en anglais, vesting period), qui ne peut être inférieure à deux ans. Par ailleurs, il ne peut en disposer librement qu'au terme d'une période dite "de conservation", également d'une durée minimale de deux années (16).

A l'instar du régime fiscal des stock-options, celui des actions gratuites est organisé autour de deux étapes :
1 - la date d'acquisition. A l'issue de la période d'acquisition, le bénéficiaire se voit gracieusement transférer la propriété des actions. Il en résulte un avantage ou plus-value d'acquisition équivalent au prix de l'action à la date de transfert de propriété ; et
2 - la date de cession. Il s'agit de la date à laquelle le bénéficiaire du plan décide de vendre ses titres. La plus-value de cession sera alors égale à la différence entre le prix de vente du titre et la plus-value d'acquisition.

A - Les principes du régime fiscal de 2005

La loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5203GUA) prévoyait que la plus-value d'acquisition était imposée à la catégorie des traitements et salaires. Une option d'imposition au taux forfaitaire de 30 %, à laquelle s'adjoignait un prélèvement social de 8 %, était toutefois ouverte aux contribuables, à condition que ces derniers respectent le délai de conservation de deux ans à compter de la date d'attribution définitive. Ce dispositif de contrainte de conservation, dit "Balladur", a été inséré dans la loi du 30 décembre 2006 (17) et renvoie à des débats animés de l'époque sur l'encadrement des distributions d'actions gratuites aux dirigeants des grandes sociétés (18).

Concernant la plus-value de cession, à l'instar du régime des stock-options, elle était soumise au prélèvement forfaitaire de 34,5 % (CSG et CRDS incluse).

B - L'alignement du régime fiscal des actions gratuites sur celui des stock-options

Dans le cadre de la barémisation de l'ensemble des revenus du capital, la loi de finances pour 2013 en a profité pour faire converger les deux anciens régimes des stock-options et des actions gratuites. Dorénavant, pour les plans d'actions gratuites attribués à compter du 28 septembre 2012, le régime fiscal et social de ces instruments sera identique à celui des stock-options (plus-value d'acquisition barémisée, plus-value de cession barémisée avec abattement, contributions patronales de 30 % et salariales de 10 %...). Là encore, Bercy estime à 8 millions d'euros le gain pour le budget de l'Etat.

III - Le régime des carried interests

A l'instar des stock-options et des actions gratuites, les carried interests constituent un dispositif d'intéressement à la performance des gestionnaires des fonds communs de placement à risques (FCPR) et des sociétés de capital-risque (SCR), c'est-à-dire des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou des sociétés prenant des participations presque exclusivement dans des sociétés non cotées.

Leur principe est simple : les carried interest (également appelés, selon les circonstances, parts ou actions de carried interest) consistent à proposer aux gestionnaires de ces structures de capital-risque (FCPR ou SCR), qui en sont également actionnaires, une part de la plus-value réalisée plus importante que la part attribuée aux investisseurs ordinaires à niveau d'investissement égal. Pour déclencher cette rétribution additive, la structure doit atteindre un taux de rendement fixé contractuellement à l'avance (19). Cette pratique d'intéressement aux résultats permet de s'assurer la fidélité et la loyauté des membres de l'équipe de gestion en les faisant investir dans le FCPR ou la SCR aux côtés des investisseurs financiers.

Pratique longtemps peu encadrée par le législateur, bien que rattachée, par la force des choses, au régime fiscal des plus-values mobilières, les carried interests ont été consacrés par la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 N° Lexbase : L3783IC4), qui leur a permis de bénéficier du régime de faveur des plus-values mobilières, sous couvert de remplir des conditions strictes (cf. CGI, art. 80 quindecies N° Lexbase : L0058IKD, art. 150-0-A N° Lexbase : L4628IS9, 8° et art. 163 quinquies C, II-1) :
- les parts ou actions doivent avoir été souscrites ou acquises à un prix correspondant à leur valeur ;
- elles constituent une seule et même catégorie de parts ou actions ;
- elles représentent au moins 1 % du montant total des souscriptions dans le fonds ou la société ou un pourcentage inférieur fixé par décret, après avis de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ;
- les sommes ou valeurs auxquelles elles donnent droit sont versées au moins cinq ans après la date de constitution du fonds ou de l'admission des actions et, pour les parts de FCPR, après le remboursement des apports des autres porteurs ;
- le cédant perçoit une rémunération normale au titre du contrat de travail ou du mandat social qui lui a permis de souscrire ou d'acquérir ces parts ou actions.

Les carried interests qui remplissent ces conditions sont alors dits "vertueux" et bénéficient, à ce titre, du régime d'imposition des plus-values mobilières au taux forfaitaire de 19 %.
Ceux qui ne respectent pas ces conditions sont imposés dans la catégorie des traitements et salaires (CGI, article 80 quindecies) (20).
Dans sa rédaction initiale, le projet de loi de finances pour 2013 prévoyait d'imposer de plein droit les carried interests au barème progressif de l'impôt sur le revenu et ainsi condamnait, à n'en pas douter, l'industrie du capital-risque déjà en berne depuis quelques années. Le Parlement a finalement décidé de conserver le régime fiscal et social antérieur décrit ci-dessus.

Conclusions générales

Au-delà des débats politiques sur l'alignement de la fiscalité des revenus du capital et du travail, les questions que soulève cette réforme profonde de la fiscalité financière, qui, à première vue, ne vise pas à simplifier le dispositif de taxation des revenus du capital, sont triple :
1 - le principe de non-fiscalisation des moins-values mobilières semble jouer en défaveur de l'épargne-investissement à risque. Bien que la volonté affichée soit de ponctionner fiscalement les revenus de l'épargne, il est de bon ton de rappeler que l'épargne est, elle-même, une source d'investissement pour les entreprises, risquées par nature. Pourquoi ainsi faire perdurer cette dissymétrie dans la fiscalisation des plus et moins-values ?
2 - Fiscalise-t-on l'épargne des ménages ou l'investissement dans les circuits de financement des entreprises (actions / obligations) de ces derniers ? La loi de finances pour 2013 ne semble pas avoir tranché ce débat.
3 - L'homogénéisation des revenus du capital est-elle souhaitable ? Peut-on ainsi considérer que toutes les formes de revenus du capital se valent sur le plan fiscal ? La question des carried interests semble indiquer le contraire.


(1) Pour plus de détails, cf. nos obs., Loi de finances pour 2013 et fiscalité des revenus du capital (Partie I) : barémisation des dividendes, intérêts et plus-values mobilières, Lexbase Hebdo n° 513 du 23 janvier 2013 - édition fiscale (N° Lexbase : N5407BTG).
(2) Cf. articles L. 225-181 (N° Lexbase : L8284GQU), L. 228-99 (N° Lexbase : L8342GQZ) et R. 225-137 (N° Lexbase : L0272HZ4) à R. 225-142 du Code de commerce.
(3) Dans le contexte spécifique des sociétés cotées sur un marché réglementé, le prix d'exercice ne peut être inférieur à 80 % de la moyenne des cours des vingt dernières séances de cotation. La réponse ministérielle Mesmin du 15 mars 1993 permet, toutefois, de légèrement déroger à cette règle dans le cadre des plans d'options d'achat, c'est-à-dire lorsque la société détient déjà les actions qui seront potentiellement achetées par les optionnaires dans le cadre du plan.
(4) Dans le cas légalement impossible selon lequel les optionnaires décidaient d'acheter et de revendre immédiatement les actions de la société, il réaliserait une plus-value de 5 euros. La société a donc bien consenti un "rabais" de 5 euros sur ses actions.
(5) Ces 15 euros représentent une plus-value virtuelle pour l'optionnaire, puisqu'il n'a fait qu'acheter les actions de la société à un prix dévalué (100 euros alors même que le cours de ces titres est de 115 euros). Pour monétiser cette plus-value d'acquisition, l'optionnaire devra revendre ses titres.
(6) Le cours du titre a pu diminuer depuis le jour de la levée de l'option.
(7) Malencontreusement dénommé "avantage" par l'article 80 bis, I du CGI, terme pouvant prêter à confusion.
(8) Cette disposition a été abrogée en septembre 2012.
(9) Un des nombreux enjeux jurisprudentiels relatifs aux stock-options est le respect de ces conditions et l'appréciation du risque en capital supporté par l'optionnaire afin de permettre la différenciation entre un salaire et plus-value mobilière (CAA Paris, 2ème chambre, 28 novembre 2012, n° 11PA03464, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0966I8B).
(10) Dans le cas où le rabais était inférieur à 5 % de la valeur de l'action, son imposition était nulle.
(11) Ce délai de portage constitue un deuxième garde-fou pour s'assurer que l'optionnaire était bien preneur d'un risque en capital. La durée totale induite par ce régime était ainsi de six années, durée d'indisponibilité et de portage incluses.
(12) Respectivement prévues par les articles L. 137-13 (N° Lexbase : L9530IT7) et 14 (N° Lexbase : L9529IT4) du Code de la Sécurité sociale.
(13) Pour plus de détails, cf. nos obs., Loi de finances pour 2013 et fiscalité des revenus du capital (Partie I) : barémisation des dividendes, intérêts et plus-values mobilières, op. cit..
(14) Ce rabais peut d'ailleurs faire l'objet d'une imposition étonnante, car, avant même d'avoir réalisé un quelconque bénéfice monétaire, dès l'année de levée de l'option, sous condition d'être inférieur à 95 % de la moyenne du cours des vingt dernières séances de cotation précédant la date d'attribution du plan.
(15) cf. le rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2013 par Monsieur Christian Eckert, rapporteur général, Tome II, 10 octobre 2012, p. 131. Il est à noter que les plans de stock-options se font de plus en plus rares depuis la crise de 2007-2008.
(16) L'assemblée générale extraordinaire peut toutefois supprimer ou réduire le délai minimal de conservation de tout ou partie des actions, à condition de porter le délai d'acquisition à quatre ans au moins.
(17) Loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : L9268HTG).
(18) Thierry Breton veut encadrer la distribution d'actions gratuites aux dirigeants, Les Echos, 4 octobre 2006, p. 2.
(19) Ce niveau est différent selon les secteurs d'investissement (aux alentours de 8 %, potentiellement beaucoup plus).
(20) Ce dernier cas concerne peu de contribuables en pratique, les carried interests étant traditionnellement définis pour respecter les critères de l'article 150-0-A et bénéficier du régime de faveur.

newsid:436221

Fonction publique

[Le point sur...] La protection fonctionnelle des fonctionnaires

Lecture: 23 min

N6066BTT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436066
Copier

par Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris, Armide Avocats

Le 14 Mars 2013

La protection fonctionnelle est prévue à l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), dans le chapitre II intitulé "Garanties", aux côtés de la liberté d'opinion (article 6), le respect du genre (article 6 bis), la prohibition du harcèlement sexuel (article 6 ter) et du harcèlement moral (article 6 quinquies), le respect de la parité (article 6 quater), l'égalité de traitement (article 6 sexies), le respect des opinions politiques (article 7), le droit syndical (article 8), la gestion participative (article 9) et le droit de grève (article 10). Dès l'origine, le statut spécial des agents servant l'intérêt général a été assorti de libertés publiques et, notamment, d'une protection dérogatoire liée aux particularités de leurs fonctions. Idéologiquement, la protection fonctionnelle est une garantie statutaire due à tous les agents titulaires des trois fonctions publiques, aux militaires, mais, également, aux agents non-titulaires et à certains statuts spéciaux comme les praticiens hospitaliers à qui la loi statutaire générale ne s'applique pas. Dans la dernière édition de l'ouvrage de droit administratif général de René Chapus en date de 2001 soit avant la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), qui a introduit la prohibition du harcèlement moral en droit français, la protection fonctionnelle ne couvrait que les cas "classiques" d'agression des agents publics dans le cadre de leurs fonctions, visant, notamment, à les garantir de toute malveillance du fait de leur statut. Ainsi, René Chapus entendait en 2001, sous la notion d'attaques, outre la définition légale, "les appréciations désobligeantes ou humiliantes portées sur un fonctionnaire par un de ses collègues ou administrés ainsi que l'appel à manifester contre lui".

La protection fonctionnelle a vu son régime largement ouvert par la jurisprudence. Le nombre croissant de contentieux liés à la protection fonctionnelle suit, par ailleurs, la forte croissance d'obligations liées à l'administration au sens large en sa qualité d'employeur en matière de protection et de prévention des risques, notamment le risque psycho-social. Cette évolution est significative puisqu'aujourd'hui, la protection fonctionnelle est très souvent sollicitée par un agent contre l'administration elle-même et le manquement à son obligation de protection en cas de harcèlement moral. Le contentieux de la protection fonctionnelle est d'autant plus problématique qu'il impose à l'administration employeur non seulement une protection de principe par la subrogation à l'action contre le tiers auteur des attaques, mais également une obligation de réparation du préjudice de l'agent, ce qui entraîne une dimension budgétaire croissante, partant endémique et fortement problématique en temps de crise. Certains auteurs ont même dénoncé le statut schizophrénique de la protection fonctionnelle qui revient à demander à l'auteur des faits, l'administration en sa qualité d'employeur, une reconnaissance préalable hors contentieux de sa responsabilité et la prise en charge directe des préjudices qu'elle fait subir à l'agent.

L'évolution des ressources humaines et la mutation de la fonction publique ont conféré à la protection fonctionnelle une dimension nouvelle qui se développe en parallèle des dispositions de l'article L. 4121-1 du Code de travail (N° Lexbase : L3097INZ) aux termes duquel est définie l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur vis-à-vis de ses salariés. La notion de danger et d'attaque a considérablement évolué : un arrêt récent de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient même de juger qu'un employeur ne peut ignorer ou s'affranchir des données médicales afférentes au stress au travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes (1). Ainsi, la notion de danger ou d'attaque en droit social s'entend même en dehors de toute faute de l'employeur ou de déclaration préalable du salarié.

La notion d'obligation de sécurité de résultat ne s'entend pas tout à fait de la même manière en droit administratif, au sens de la protection fonctionnelle et ces notions sont pourtant constamment utilisées, notamment la première pour la seconde. Un éclairage s'impose tant sur le champ d'application de la protection fonctionnelle (I), que sur sa demande (II), et sur sa difficile mise en application, notamment au regard de la notion de réparation qu'elle implique (III).

I - Le champ d'application de la protection fonctionnelle : le préalable d'une atteinte portée à l'agent et d'un lien avec le service

Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précitée, la protection fonctionnelle est due par l'administration au sens large agissant en qualité d'employeur et au profit d'un agent titulaire ou contractuel de la fonction publique. Si le texte prévoit expressément la protection fonctionnelle pour les titulaires et non titulaires, certaines catégories d'agents publics ne relevant pas de la loi statutaire se sont vu accorder cette protection par la jurisprudence ou par des textes spéciaux. Le lien organique avec le service public et la compétence matérielle du juge administratif en cas de litige lié aux fonctions permet de lier l'agent, quel que soit son statut, à l'octroi de la protection. Il en est par exemple, ainsi, des praticiens hospitaliers (2).

Quel que soit le statut de l'employeur, ministère ou établissement public, société de droit privé comme La Poste en sa qualité d'ancien monopole d'Etat, c'est le statut de l'agent qui génère le droit à la protection fonctionnelle. Sont aussi concernés les fonctionnaires stagiaires, vacataires et membres non-fonctionnaires des cabinets ministériels, de même les intérimaires depuis la loi n° 2009-972 du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (N° Lexbase : L6084IE3). La protection fonctionnelle s'étend même aux ayants-droit de l'agent ou à ses proches s'ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par l'agent, pour certaines catégories d'emplois dont les magistrats judiciaires, les membres du corps préfectoral ou les fonctionnaires de police (loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure, art. 112 N° Lexbase : L9731A9B, loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, pénitentiaire, art. 16 N° Lexbase : L9344IES).

Le terme même de protection "fonctionnelle" nécessite un rappel terminologique. En droit de la fonction publique, les agents occupent des emplois dits cadres d'emplois (fonction publique territoriale) ou des corps (fonction publique d'Etat et fonction publique hospitalière). Ces emplois sont classés par les statuts particuliers et par grade. On parle d'emploi statutaire. Il existe, également, des emplois dits fonctionnels qualifiés de discrétionnaires et d'essentiellement révocables dont la liste est fixée limitativement par les textes et qui comportent des modalités d'accès et de fin spécifiques en fonction de leur nature. La protection fonctionnelle est une obligation statutaire, c'est-à-dire qu'elle relève du statut de l'agent titulaire et non titulaire par essence, mais son caractère fonctionnel l'étend par extension aux emplois dits fonctionnels de droit public, du fait de la nature du lien entre l'agent et le service public. En sont donc exclus les salariés de droit privé qui relèvent du seul droit du travail et les agents employés par les collectivités publiques dont le contrat est de droit privé.

L'agent susceptible de solliciter la protection fonctionnelle doit en contrepartie établir un lien incontestable entre l'attaque ou les poursuites subies et ses fonctions (3). Le régime de la protection fonctionnelle suit en quelque sorte celui de la responsabilité de l'agent : en cas d'attaque ou de dommage involontaire à un tiers, l'administration fait corps avec son agent et répare le préjudice qu'il subit, disposant d'une action propre pour poursuivre les auteurs des actes. En cas de faute personnelle détachable du service ou en l'absence de lien avec les fonctions exercées, la protection fonctionnelle n'est pas due. C'est le cas, par exemple, des attaques subies par un inspecteur général des finances de la part d'un conseiller municipal : les attaques dont il se plaignait n'étaient pas dirigées contre lui en sa qualité de fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions (4).

La protection fonctionnelle oblige l'administration employeur à assurer une protection aux agents concernés dans trois situations :

- lorsque l'agent fait l'objet d'une condamnation par une juridiction civile pour des faits commis à raison de ses fonctions à l'encontre d'un tiers, en dehors du cadre d'une faute détachable du service (i) ;
- lorsque l'agent fait l'objet de poursuites ou d'une condamnation pénales en dehors d'une faute personnelle (ii) ;
- lorsque l'agent est victime de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations et outrages à l'occasion de ses fonctions (iii).

(i) Le premier cas de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle est assez rare et concerne l'assignation d'un agent en dommages-intérêts devant un tribunal judiciaire : la juridiction doit normalement être dessaisie (5). Ce n'est donc que si le conflit n'a pas été élevé ou en cas de condamnation que l'agent sera en droit d'obtenir le remboursement des indemnités mises à sa charge (6).

(ii) Dans le deuxième cas, en matière de responsabilité pénale, cette protection existe historiquement du fait de l'exposition de certaines professions à un haut risque de poursuites pénales. Il en est, ainsi, par exemple des magistrats, des fonctionnaires de police, des maires ou des préfets. Reprenant un principe de droit pénal général en matière d'infraction non intentionnelle, l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 dispose que les agents ne peuvent être condamnés sur le fondement de l'article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY) "pour des faits non intentionnels que s'il est établi qu'il n'ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie". En d'autres termes, la responsabilité de l'agent ne sera reconnue qu'en cas de faute inexcusable.

C'est souvent le cas de l'intervention de forces de police qui ont pu blesser, voire tuer la personne poursuivie lors d'une intervention : en la matière, l'agent se retrouve poursuivi du fait de ses fonctions et doit bénéficier de la protection fonctionnelle alors qu'aucune faute personnelle, liée soit à la faute inexcusable, soit à l'intention de commettre un délit, n'a été commise. Mais la responsabilité pénale englobe également la protection de l'agent victime d'un délit ou d'un crime. Il en est ainsi d'un professeur certifié d'anglais qui est victime d'une agression (insultes, coups de poing et de pied) alors qu'il tente de faire sortir de la classe deux jeunes gens étrangers à l'établissement venus y semer le trouble (7).

En dehors de la faute détachable du service, la protection fonctionnelle est due quand bien même l'agent justifierait d'une incompétence professionnelle. Sur ce point, la jurisprudence est la même en matière de harcèlement moral : quelle que soit la faute de la victime, si les faits de harcèlement moral sont avérés, la responsabilité peut en être atténuée mais jamais supprimée (8). Ainsi, le fait qu'un principal de collège ne remplissait pas ses fonctions de façon satisfaisante ne justifiait pas le refus de lui accorder la protection qu'il sollicitait. L'agent avait fait l'objet de violentes attaques dans le cadre de sa mission : attitudes vexatoires par le personnel, des élèves et leurs parents, faits à l'origine d'un climat conflictuel porté sur la place publique (9). Ce jugement est particulièrement intéressant en ce qu'il précise que l'attribution de la protection fonctionnelle n'est pas subordonnée à un dépôt de plainte de l'agent faisant l'objet desdites attaques. Ce principe est d'ordre général, puisqu'y compris en matière disciplinaire, l'administration n'est pas liée par les décisions rendues par le juge pénal (10). Elle dispose, en conséquence, d'un plein pouvoir d'appréciation indépendant pour se prononcer sur la nature du préjudice subi par l'agent ou son éventuelle responsabilité. Ainsi, le ministre peut, sous le contrôle du juge administratif, exciper du caractère personnel de la faute qui a conduit à l'engagement de la procédure pénale sans attendre l'issue de cette dernière ou de la procédure disciplinaire engagée pour le même fait (11).

Le problème de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pénales est, néanmoins, prévu par les textes et la jurisprudence. Ainsi, la complexité réside dans le fait que l'agent poursuivi devra demander la protection alors que la matérialité de l'infraction n'est pas encore fixée (12). Sans soustraire les agents à leur responsabilité pénale si elle est avérée, en 2003, le ministre de la Justice avait ainsi précisé que "la collectivité concernée devrait accorder systématiquement sa protection à l'élu ou à l'agent mis en cause à condition que les faits qui lui sont reprochés aient été commis dans le cadre de ses fonctions ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions" (13). Dans le cadre d'un référé suspension, le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré que le refus d'accorder la protection fonctionnelle "est susceptible de créer une situation d'urgence lorsque le coût de la procédure exposerait l'intéressé à des dépenses auxquelles il ne serait pas en mesure de faire face et compromettrait ainsi la possibilité pour lui d'assurer sa défense dans des conditions satisfaisantes" (14). C'est le caractère temporel de la protection fonctionnelle, à savoir le moment de sa mise en oeuvre qui revêt ainsi toute son importance, sauf à la vider de sa substance (15).

(iii) Le troisième cas de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle est le cas le plus actuel et le plus fréquemment rencontré en matière de contentieux. Traditionnellement, les attaques, outrages ou agressions vont relever indirectement de la responsabilité pénale puisqu'à un certain degré, ce sont des délits. Il s'agira, en conséquence, de tous les cas où il n'y aura pas de poursuites pénales mais où le préjudice est certain et lié à l'exercice des fonctions. Par exemple, une administration doit protéger un enseignant contre les attaques dirigées contre lui dans un tract (16). C'est dans cette dernière catégorie que la protection fonctionnelle a été considérablement étendue, alors même que le Conseil d'Etat précisait implicitement en 2010 que la liste des attaques telle que figurant à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 n'était pas exhaustive (17).

Hasard du calendrier judiciaire ou volonté expresse de faire évoluer le champ d'application de la protection, quatre jours après cet arrêt, le Conseil d'Etat a ouvert la protection fonctionnelle aux cas de harcèlement moral (18). Cette décision logique à la lecture des textes, le harcèlement étant une atteinte répétée entraînant un préjudice de santé, de carrière et de dignité pour l'agent qui en est victime, est pourtant extrêmement récente et liée à un contentieux de plus en plus important au sein de la fonction publique. Des humiliations énoncées par René Chapus en 2001, le contentieux voit croître des demandes de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle depuis 2010 pour harcèlement moral, dont la voie d'entrée est souvent le contentieux de la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle.

Compte tenu de l'obligation de protection statutaire de ses agents, notion fortement influencée par l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur en droit social en matière de risques psycho-sociaux, l'administration se retrouve à son tour dans l'obligation d'assurer la protection de tout agent victime de harcèlement, y compris si l'administration elle-même, en sa qualité de personne morale, alors qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires de protection, se retrouve elle-même poursuivie. Ce contentieux sur lequel nous nous attarderons pose de grands problèmes en pratique notamment sur la réparation du préjudice et la prise en charge des frais de procédure a posteriori.

La protection fonctionnelle est une obligation pour l'administration et elle engage sa responsabilité si le refus n'est pas motivé et justifié. Sur ce point, elle ne peut la refuser qu'en cas de faute personnelle de l'agent ou en cas d'intérêt général (19). Par exemple, la protection fonctionnelle ne sera pas due en cas de poursuites disciplinaires, sauf à démontrer que les poursuites relèvent d'une intention de nuire de l'administration et, plus globalement, d'un harcèlement moral (20).

II - La demande de protection fonctionnelle : caractère temporel et détermination de l'administration compétente

L'administration n'est pas tenue de proposer spontanément la protection fonctionnelle à l'agent qui devra en faire une demande expresse et motivée (21). Néanmoins en pratique, se posent plusieurs problèmes :

- quelle sera l'administration responsable de la mise en oeuvre de la protection, notamment pour les fonctionnaires en détachement ? (i) ;
- quelle est la nature de la protection accordée à un fonctionnaire en congé maladie, en retraite, qui a perdu sa qualité d'agent au moment de sa demande ou qui formule sa demande postérieurement aux attaques subies ? (ii) ;
- comment formaliser la demande pour lier l'administration ? (iii)

(i) Pour répondre à ces questions pratiques, le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique a publié une circulaire en date du 5 mai 2008 (circulaire DGAFP (B8 n° 2158), relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l'Etat N° Lexbase : L8932H39) contenant, notamment, des précisions sur le champ d'application de la protection fonctionnelle et à l'article 1-3 un tableau fixant la compétence de l'administration pour accorder la protection. Traditionnellement, le Conseil d'Etat considérait qu'une collectivité publique saisie d'une demande de protection est tenue de la rejeter si elle n'est pas compétente. Il précisait, par ailleurs, que la collectivité compétente est celle dont l'agent relève à la date à laquelle il est statué sur sa demande (22). La circulaire du 5 mai 2008 a repris ce principe en estimant que la protection fonctionnelle est due aux agents par la collectivité dont ils dépendent (23).

L'article 71 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), a fixé ce principe dans le statut général, en énonçant que la protection est accordée au profit des agents par "la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire". Le problème se pose en cas de mobilité de l'agent. En principe, quand bien même les attaques auraient été subies dans une autre administration, l'agent doit en faire la demande auprès de la collectivité publique qui l'emploie. L'article 6 de la loi du 17 mai 2011 précitée énonce, d'ailleurs, que, "lorsqu'une demande adressée à une autorité administrative est affectée par un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à son examen et que ce vice est susceptible d'être couvert dans les délais légaux, l'autorité invite l'auteur de la demande à la régulariser en lui indiquant le délai imparti pour cette régularisation, les formalités ou les procédures à respecter ainsi que les dispositions légales et réglementaires qui les prévoient".

Le défaut de compétence étant une fin de non-recevoir, l'administration doit lui indiquer éventuellement qu'elle n'est pas compétente et l'administration qui l'est. Dans le cadre de l'échange d'information résultant de l'article 6 de la loi du 17 mai 2011 précitée, l'administration doit même transmettre la demande de l'agent à la collectivité publique compétente. La circulaire du 5 mai 2008 précise, ainsi, que, "quelle que soit la situation considérée et afin que la demande puisse être correctement instruite, une obligation d'information pèse sur l'administration dont l'agent est issu, à l'égard de l'administration auprès de laquelle la protection est sollicitée".

Ainsi la compétence de l'administration se détermine par :

- un critère fonctionnel, à savoir la compétence de l'administration auprès de laquelle l'agent exerce effectivement ses fonctions ;
- un critère statutaire, à savoir la compétence de l'administration auprès de laquelle l'agent est statutairement rattaché.

En pratique, les administrations compétentes pour examiner la situation d'un agent en détachement ou mis à disposition seront soit l'administration d'origine (critère statutaire), soit l'administration d'accueil (critère fonctionnel). La solution est simple lorsque l'agent demande la protection au moment où les faits reprochés se sont passés. Elle est plus complexe lorsque l'agent sollicite la protection fonctionnelle, par exemple auprès de son administration d'origine à la fin de son détachement alors que les faits reprochés se sont déroulés alors qu'il était en poste auprès d'une autre administration. Sur ce point et au regard des textes, il nous semble que c'est bien le critère fonctionnel qui doit s'appliquer, l'administration devant prendre position sur sa compétence le cas échéant et devant motiver un refus d'examen, et ce afin que chacune des administrations ne renvoie le requérant à l'autre.

(ii) Le problème se pose, également, du caractère temporel de la demande de protection fonctionnelle. L'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et la circulaire du 5 mai 2008 précisent, ainsi, que la protection est également due à l'agent en retraite ainsi qu'aux agents en congé maladie. Sur ce point, la décision n° 308974 du Conseil d'Etat du 12 mars 2010 (24) avait confirmé ce principe, la collectivité ayant présenté l'argument selon lequel un agent en congé maladie n'avait pas droit à la protection fonctionnelle. Cette protection est logique puisque l'agent a conservé un lien avec l'administration et souvent, le congé maladie est directement lié aux faits ayant généré le congé maladie, en l'espèce un harcèlement moral. De même, seront admises les demandes des agents placés en position hors cadre ou ayant démissionné de la fonction publique.

Ce caractère temporel est important car souvent, l'agent va solliciter la protection fonctionnelle a posteriori, après les procédures, ou après que l'administration ait pris quelques mesures pour mettre fin aux attaques subies. Le fait que le lien soit rompu, du fait de la mise en retraite ou de la démission, n'exclut pas la protection fonctionnelle à condition que le requérant prouve que les faits invoqués se sont déroulés alors même qu'il était en fonction. C'est, en conséquence, la preuve du lien qui prime et non sa situation statutaire ou fonctionnelle.

Un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 14 octobre 2010 (25) a rejeté la demande de protection fonctionnelle d'un agent intervenue après sa mutation. L'administration avait, en effet, proposé une mutation pour mettre fin au conflit entre une principale adjointe de collège et la principale de l'établissement. La cour a considéré que l'administration avait tout mis en oeuvre pour mettre fin aux attaques et que la demande était trop tardive. Cette jurisprudence est pourtant contestable puisque la protection fonctionnelle prévoit également la réparation du préjudice, ce que sollicitait la requérante.

C'est pourquoi si les textes n'enferment la demande de protection fonctionnelle dans aucun délai, alors même que la jurisprudence et les textes prévoient que cette demande est possible en cas de perte de la qualité d'agent public (26), il est fortement conseillé de formuler sa demande le plus tôt possible afin d'éviter, d'une part, le contentieux lié à la compétence de l'administration saisie, d'autre part, une demande trop tardive par laquelle l'administration ne serait plus liée.

La demande indemnitaire sera, quant à elle, irrecevable au delà de la prescription quadriennale, à condition que les attaques reprochées aient une date de fin déterminable.

(iii) La demande de protection fonctionnelle, sa matérialisation, sont une démarche importante pour le requérant car ab initio, cette demande va lier le contentieux éventuel qui pourrait en découler. Souvent, comme en matière de contentieux du harcèlement moral, la demande de protection fonctionnelle prendra la forme d'une demande formelle et d'une dénonciation expresse des faits subis, dont l'objectif est de créer une décision faisant grief émanant de l'administration concernée, susceptible de recours devant le juge administratif. La demande de protection fonctionnelle doit donc suivre, pour davantage de pertinence et d'efficience, le même formalisme qu'un recours préalable gracieux.

La circulaire du 5 mai 2008, article 2 prévoit un formalisme indicatif a minima. Ainsi, si la demande doit se faire par écrit, il est préférable de favoriser la lettre recommandée avec avis de réception qui permettra de prendre date. En effet, au-delà d'un délai de deux mois à compter de la réception par l'administration de la demande, naîtra un rejet implicite en l'absence de réponse. L'agent doit motiver sa demande et "apporter toute précisions utiles sur les faits ou les poursuites pour éclairer l'administration dans sa prise de décision". La circulaire précise qu'il est dans l'intérêt de l'agent de présenter sa demande avant l'introduction de tout recours afin de ne pas faire l'avance des frais de procédure par exemple, mais une demande présentée après l'attaque ne suffit pas à justifier un refus, sauf si la demande est présentée tardivement et que l'administration se trouve dans l'incapacité de mettre en oeuvre une action.

En retour, l'administration doit une motivation circonstanciée de toute refus et mentionner les voies de recours. En cas d'accord, elle doit préciser les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, par exemple le montant qui sera pris en charge au titre des frais d'avocat. Si la circulaire impose un bref délai ou délai raisonnable de réplique, c'est le délai de droit commun de deux mois qui s'applique.

III - La mise en oeuvre de la protection fonctionnelle : l'obligation de réparation intégrale du préjudice

Lorsque l'administration reçoit la demande de l'agent, elle doit immédiatement instruire le dossier et vérifier la matérialité des faits invoqués. Pour certaines attaques, notamment lorsque des procédures sont engagées contre l'agent, les faits ne font pas de doute. Néanmoins, dans certaines situations, la qualification des attaques peut être plus problématique. C'est le cas d'une demande de protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral, situation complexe dans laquelle l'administration doit se prononcer sur l'existence de ces faits, susceptible d'entraîner sa propre responsabilité.

La nouvelle réglementation 2011-2012 qui a modifié le décret n° 82-453 du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique (N° Lexbase : L3033AI8), et a, notamment, instauré le CHSCT dans la fonction publique, permet aujourd'hui à l'administration employeur d'exercer un droit d'alerte et de faire diligenter une enquête interne impartiale qui permettra de déterminer la matérialité des faits : cette saisine, qui est obligatoire en cas de risque psycho-social relève aussi de la protection due à l'agent dans le cadre de la protection fonctionnelle. L'administration doit, également, vérifier le lien entre le service et les attaques subies puis éventuellement se prononcer sur l'intérêt général ou la faute personnelle détachable du service.

Cette protection revêt une importance particulière en droit de la fonction publique, non seulement du fait de son caractère indemnitaire, mais aussi du fait de sa dimension psychologique, tirée du fort lien entre l'agent et le service. Un refus doit être circonstancié et dûment motivé.

Ainsi, deux situations se présentent au stade de la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle :
- la protection fonctionnelle est accordée (i) ;
- la protection fonctionnelle n'est pas accordée (ii)

(i) Lorsque la protection fonctionnelle est accordée, l'administration saisie doit mettre en oeuvre un certain nombre de mesures positives au profit de l'agent. Certaines administrations qualifient la protection fonctionnelle de protection juridique, laissant entendre que la protection fonctionnelle ne serait que la prise en charge par la collectivité publique des frais de procédure. S'il est vrai que c'est une grande partie de sa mise en oeuvre, c'est loin d'être totalement le cas.

Conformément à la solution issue d'un jugement du tribunal administratif de Nice en date du 15 juin 2010, la protection fonctionnelle ne se réduit pas à la protection juridique. Ainsi, l'administration doit s'assurer que les mesures mises en oeuvre sont appropriées et couvrent tout le préjudice subi. L'arrêt du Conseil d'Etat du 28 décembre 2009 (27) avait, ainsi, estimé que la seule publication d'un communiqué relatif à une instruction pénale ne pouvait être regardé comme ayant suffi à assurer la protection fonctionnelle, alors même que ce communiqué n'apportait aucun soutien personnel, ni prise de position en faveur de la veuve ou du défunt magistrat. En matière de harcèlement moral notamment, ce que l'agent recherche sera avant tout la mise en place de poursuites disciplinaires, voire pénales contre ses agresseurs, une réhabilitation et reconnaissance de statut de victime, le tout nécessaire à la reconstruction de l'identité professionnelle et parfois personnelle.

L'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit, ainsi, que, dans les trois cas de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, l'administration a une obligation de protection, couverture et réparation intégrale du préjudice. Elle dispose donc d'une subrogation légale aux droits de la victime pour obtenir la restitution des sommes versées à l'agent. La circulaire du 5 mai 2008 est venue renforcer les obligations de l'administration en prévoyant une liste d'actions à mettre en place au profit de l'agent dans tous les cas (article 3) et des dispositions spécifiques pour chaque cas de mise en oeuvre (articles 4 à 6). Au titre des mesures d'ordre général, il s'agit bien entendu de la prise en charge des frais de procédure. Sur ce point, une jurisprudence assez précise permet de fixer les termes de la négociation du contrat de frais et honoraires entre l'agent, l'administration et son conseil. (28).

Il ressort de cette jurisprudence que, pour que les frais soient pris en charge :
- l'agent et l'administration doivent se mettre d'accord au préalable sur les règles de fixation des honoraires ;
- l'administration peut refuser la prise en charge de ces frais directement, c'est-à-dire qu'elle peut demander à vérifier que l'agent les aura réglés au préalable puis procèdera ensuite à leur remboursement ;
- l'agent a le libre choix de son conseil mais l'administration peut lui mettre à disposition un avocat dont elle règlera les honoraires directement.

Il est à noter que, lorsque l'administration met son avocat à disposition de l'agent, un problème de conflit d'intérêt peut surgir par la suite si les attentes de l'agent et de l'administration venaient à diverger, ainsi par exemple si la responsabilité de l'administration venait à être engagée. Ensuite, au titre des dispositions spécifiques que l'administration doit mettre en oeuvre, nous retiendrons particulièrement celle prescrites au titre de la protection de l'agent victime d'attaques. Ainsi, la collectivité publique lui doit :
- des actions de prévention et de soutien, notamment assurer la sécurité de l'agent (changement de coordonnées ou de service, surveillance du domicile, information des autorités compétentes...), soutenir l'agent (lettre de soutien, communiqué, rendez-vous personnalisé) ou la prise en charge médicale de l'agent ;
- une assistance juridique ;
- l'indemnisation du préjudice, avant même toute action contentieuse.

Le premier et le troisième point posent de grands problèmes en pratique. D'une part, au stade des actions de prévention et particulièrement en cas de harcèlement moral, la victime pourra subir un isolement et une absence de reconnaissance de son statut de victime, par exemple si l'administration dont la responsabilité est engagée ne souhaite souffrir une mauvaise publicité. Au stade du contentieux, il n'est pas possible de lier le juge par des conclusions d'injonction à réparation de la dignité ou de soutien public, de sorte que ces prescriptions, pour aussi nobles qu'elles soient, restent à la libre appréciation de l'administration.

Quand à la réparation du préjudice, soit l'administration doit se substituer à l'auteur des faits qui serait insolvable, soit elle devra évaluer le préjudice, toute contestation devant être portée devant le juge. C'est à l'agent de formuler une demande indemnitaire écrite préalable avec l'ensemble des pièces justifiant son préjudice, dans le cadre de la prescription quadriennale. L'évaluation du préjudice moral, notamment en matière de harcèlement moral échappe difficilement au contentieux, la discrimination existant entre le droit des salariés et le droit des agents de la fonction publique étant sur ce point assez notable. Ainsi, souvent, et pour certains types de contentieux comme le harcèlement moral, il est complexe pour ne pas dire impossible, d'obtenir réparation à l'amiable, au regard, notamment, de la croissance des contentieux et de la grande latitude laissée par les textes quant au chiffrage du préjudice. Cette problématique est d'autant plus renforcée si la protection fonctionnelle a été refusée alors qu'elle était due.

(ii) Si la collectivité publique refuse la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle, l'agent peut contester cette décision devant le juge administratif dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir. L'agent devra assortir sa requête d'une demande indemnitaire en ayant pris soin de lier le contentieux au préalable : en cas d'annulation, le juge ouvrira droit à réparation d'une part sur le préjudice, d'autre part sur les frais de procédure. La protection fonctionnelle permet, également, de faire une demande, par des conclusions d'injonction, de mettre en oeuvre toutes mesures disciplinaires voire pénales à l'encontre des auteurs des faits.

Se pose, néanmoins, le problème de la prise en charge des frais de procédure. En effet, a priori, l'administration peut refuser la prise en charge des honoraires dans leur intégralité, estimant par exemple que le coût des procédures est trop important. Il est donc essentiel de communiquer l'ensemble des justificatifs et d'introduire la demande de remboursement des frais dans la demande globale indemnitaire sur laquelle le juge exercera son contrôle, au vu des pièces. Ce préjudice se trouve, par ailleurs, aggravé par le refus illégal de l'administration de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle qui se sera, ainsi, vu refuser l'opportunité de discuter des montants qu'elle était susceptible de prendre en charge lorsque l'agent le lui a demandé.

La protection fonctionnelle suit donc l'évolution de la société et de la conception du lien pouvant exister entre l'administration et ses agents. En 2006, l'administration avait à connaître près de 17 000 dossiers de protection pour un coût global de quinze millions d'euros (29). Ces chiffres déjà anciens sont certainement très en deçà des demandes réelles depuis que le Conseil d'Etat a reconnu que la protection fonctionnelle pouvait être mise en oeuvre pour des faits de harcèlement moral. Les mutations de la fonction publique, la crise économique et l'appel de Bruxelles d'une réduction des budgets liés à la fonction publique créent, à la fois, des contraintes accentuées pour l'Etat et un besoin criant de protection se matérialisant par une demande subjective presque affective des agents publics à la collectivité publique.


(1) Cass. civ. 2, 8 novembre 2012, n° 11-23.855, F-D (N° Lexbase : A6811IW8), JCP éd. G, n° 4, 21 janvier 2013, p. 84.
(2) CE 4° et 5° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 336114, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8344HWX).
(3) CE Sect., n° 72743 10 janvier 1969, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6904B7T).
(4) A propos de l'obstacle à la construction dans la commune d'un établissement scolaire sur le terrain communal attenant à la propriété privée d'un membre de sa famille, voir CE Sect., 10 décembre 1971, n° 77764, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7623B7H), Recueil, p. 758.
(5) T. confl., 25 mai 1998, n° 03092 (N° Lexbase : A5696BQZ).
(6) Voir, par exemple, CE 7° et 10° s-s-r., 17 mars 1999, n° 196344, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3919AXG), RFDA, 1999, p. 697.
(7) TA Paris, 17 juin 1997, M. Frederick James, AJFP, 1998, n° 2, p. 27.
(8) CE Sect., 11 juillet 2011, n°321225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0246HWZ), CE 3° s-s., 25 novembre 2011, n° 353839, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9968HZ9).
(9) TA Grenoble, 25 septembre 2009, M. B, AJFP, 2010, p. 85.
(10) T. confl., 14 janvier 1935, n° 00820 (N° Lexbase : A8256BD7).
(11) CE référé, 18 septembre 2003, n° 259772, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6092C9I), Recueil, p. 921.
(12) La protection des agents publics en cas de poursuites pénales : le droit public et l'incertitude, Julien Boucher, AJDA, 2008, p. 800.
(13) JOAN, 24 février 2003, p. 1452.
(14) CE référé, 18 septembre 2003, n° 259772 (N° Lexbase : A6092C9I), AJDA, 2003, p. 2098.
(15) Cf. supra.
(16) CE 4° et 5° s-s-r., 14 octobre 2009, n°315956, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0772EMK)
(17) CE référé, 8 mars 2010, n° 335543, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1669ETY).
(18) CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 308974, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1604ETL).
(19) CE Sect., 14 février 1975, n° 87730, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9972B7H), CE Sect., 24 juin 1977, n° 93480, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6733B8U), CE Sect., 18 mars 1994, n° 92410, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2251B8U).
(20) CE 4° et 5° s-s-r., 9 décembre 2009, n° 312483, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4294EPQ).
(21) CAA Versailles, 6ème ch., 2 février 2012, n° 09VE03059, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5030IDN).
(22) CE 3° et 8° s-s-r., 5 décembre 2005, n° 261948, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9330DL7).
(23) CE 3° et 8° s-s-r., 5 décembre 2005, n° 261948, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(24) CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 308974, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(25) CAA Nancy, 3ème ch., 14 octobre 2010, n° 09NC01881, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1115GCB).
(26) CE 4° et 5° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 336114, mentionné aux tables du recueil Lebon ([LXB=A8344HWX)]).
(27) CE 1° et 6° s-s-r., 28 décembre 2009, n° 317080, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0408EQ8).
(28) CAA Paris, 4ème ch., 19 juin 2012, n° 10PA05964, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0952IRP), AJFP, 2012, p. 322 ; lire nos obs., Protection fonctionnelle et frais de procédure : quelle indépendance pour l'avocat ? Quelle protection pour l'agent ?
(29) Les évolutions récentes de la protection juridique des agents publics, Philippe Brun, Tiphaine Petit et Maxence Delorme, Le courrier juridique des finances et de l'industrie, n° 61-2010, pp .171-180.

newsid:436066

Procédures fiscales

[Manifestations à venir] Le contrôle fiscal et les vices de procédure

Lecture: 1 min

N6172BTR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436172
Copier

Le 15 Mars 2013

Le 12 avril 2013, l'Université Evry-Val-d'Essonne et l'Institut international des sciences fiscales (2ISF) organisent un séminaire sur le thème "Le contrôle fiscal et les vices de procédure". Laurence Vapaille, MCF HDR à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, membre du centre de recherche Léon Duguit et secrétaire générale de 2ISF, recevra :
- Christophe de la Mardière, agrégé des facultés de droit, ancien inspecteur des impôts, professeur de droit à l'université de Bourgogne ;
- Maître Jean Claude Drié, docteur en droit, avocat à la cour d'appel de Paris ;
- Maître Didier Lecomte, ancien bâtonnier, avocat au barreau du Val-d'Oise, maître de conférences associé à l'Université de Cergy-Pontoise, HDR ;
- Eve Coblence, magistrate au tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; et
- Isabelle Merle, DGFIP, responsable départementale du contrôle fiscal, de la redevance et de la recherche.

Thierry Lambert, professeur à l'Université d'Aix-Marseille et président de 2ISF, conclura cet après-midi.

  • Programme

Les thèmes abordés sont les suivants :
- la notion de début de vérification ;
- l'indépendance des procédures ;
- la substitution de base légale ;
- les propositions de rectifications successives ;
- les sanctions fiscales.

  • Date et lieu

Vendredi 12 avril 2013
14 heures

Conseil supérieur du notariat
60, boulevard de la Tour-Maubourg
75007 Paris

  • Prix

- Séminaire à partir de 14h : 80 euros TTC
- Séminaire et déjeuner avec les intervenants au Conseil supérieur du notariat (à partir de 12h30) : 140 euros TTC

  • Contact

Nadine Bonnet
Université de Evry-Val-d'Essonne
Bâtiment IDF
23, boulevard François Mitterrand
91025 Evry Cedex
seminaire.12avril2013@univ-evry.fr

Ce séminaire a été validé au titre de la formation professionnelle des avocats (attestation remise en fin de séminaire).

newsid:436172

Responsabilité

[Focus] La faute de l'expert-comptable à l'épreuve du droit de la responsabilité civile et du droit des assurances

Lecture: 9 min

N6133BTC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/7877435-edition-n-519-du-14032013#article-436133
Copier

par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 14 Mars 2013

L'expert-comptable est tenu de souscrire un contrat d'assurance garantissant les conséquences de sa responsabilité civile professionnelle, et ce conformément à l'obligation légale d'assurance qui pèse sur lui, telle qu'elle résulte de l'alinéa 1er de l'article 17 de l'ordonnance du n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable (N° Lexbase : L8059AIC). Ce texte prévoit, en effet, que : "Les experts-comptables, les sociétés d'expertise comptable, les associations de gestion et de comptabilité et les salariés mentionnés à l'article 83 ter et à l'article 83 quater sont tenus, s'ils sont établis en France, de souscrire un contrat d'assurance selon des modalités fixées par décret pour garantir la responsabilité civile qu'ils peuvent encourir en raison de l'ensemble de leurs travaux et activités". Mais l'on sait aussi que le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables souscrit lui aussi, de son côté, un contrat d'assurance, dans les conditions prévues à l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance précitée du 19 septembre 1945. Selon ce texte : "Lorsque les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les personnes visées à l'alinéa précédent à raison des travaux et activités qui y sont mentionnés ne sont pas couvertes par un tel contrat, elles sont garanties par un contrat d'assurance souscrit par le conseil supérieur de l'ordre au profit de qui il appartiendra. Chacune des personnes mentionnées à l'alinéa précédent participe dans des conditions fixées par décret au paiement des primes afférentes à ce contrat". Il est dès lors permis de s'interroger sur le sort de la responsabilité de l'expert pour le cas où la dette de responsabilité consécutive à un éventuel manquement qui pourrait lui être imputé excéderait le montant du plafond d'assurance stipulé au contrat souscrit par l'expert lui-même. En somme, il s'agit de savoir qui, dans un tel cas de figure, devrait supporter la fraction de la dette de responsabilité non garantie par ce contrat : cette fraction de la dette de responsabilité non prise en charge par l'assureur de l'expert pourrait-elle l'être par l'assureur auprès duquel le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables a souscrit ce qui pourrait apparaître comme une garantie subsidiaire ? Cette garantie, de l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance de 1945, est-elle susceptible d'être mobilisée pour la fraction de la dette de responsabilité non garantie par l'assureur de l'expert-comptable auprès duquel celui-ci aurait assuré les conséquences de sa responsabilité civile conformément à l'alinéa 1er de l'article 17, et ce au motif qu'elle excéderait le plafond contractuel garanti ? Sans doute est-il parfaitement acquis que les experts-comptables, pour satisfaire à leur obligation légale d'assurance prescrite par l'alinéa 1er de l'article 17 de l'ordonnance de 1945, sont libres de s'assurer auprès de l'assureur de leur choix, étant entendu que le Conseil supérieur leur donne la possibilité d'adhérer au contrat de groupe qu'il a souscrit s'ils le souhaitent. Au fond, le principe qui gouverne la matière est ici celui de la liberté contractuelle, pourvu que l'expert-comptable respecte l'obligation légale d'assurance qui pèse sur lui.

Pour répondre à la question de savoir si la fraction de la dette de responsabilité qui n'aurait pas été garantie au titre de ce contrat d'assurance -parce qu'excédant le plafond garanti- pourrait l'être au titre de la garantie subsidiaire souscrite par le Conseil supérieur pour le compte de qui il appartiendra, conformément à l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance de 1945, il convient, au préalable, de rappeler, mais le point est absolument essentiel dans la compréhension du débat, que la surveillance de la bonne exécution par les experts-comptables de leur obligation légale d'assurance (alinéa 1er de l'article 17), autrement dit le contrôle de ce que chaque expert-comptable a bien souscrit une assurance de responsabilité professionnelle, relève de la compétence non pas du Conseil supérieur de l'Ordre, mais des conseils régionaux. Le conseil régional de chaque région doit, en effet, au début de chaque année calendaire, vérifier que les experts-comptables de ladite région dont il a la charge ont effectivement garanti, auprès de l'assureur de leur choix, les conséquences éventuelles de leur responsabilité civile professionnelle. Tel est, en effet, ce que prévoit explicitement l'article 135 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable aux termes duquel "Les conseils régionaux de l'ordre des experts-comptables demandent aux personnes mentionnées au premier alinéa de l'article 17 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 susvisée inscrites dans leur ressort de justifier de la souscription du contrat d'assurance mentionné au même alinéa". Partant, tout membre de l'Ordre doit, soit figurer sur les listes d'adhérents au contrat groupe de la profession (à adhésion facultative), soit produire une attestation individuelle d'assurance auprès d'une autre compagnie. Le défaut d'assurance entraîne la radiation d'office du tableau de l'Ordre, après les mises en demeure d'usage, du membre de l'Ordre concerné, par le Conseil régional.

Néanmoins, il peut arriver qu'un expert-comptable ne soit pas assuré. Il faut comprendre, dans cette hypothèse, qu'il n'a pas respecté son obligation légale d'assurance. Pratiquement, cette hypothèse, somme toute assez rare, peut se rencontrer dans deux types de situation :

- il se peut, d'abord, que l'expert-comptable ait été négligeant, qu'il n'ait pas souscrit d'assurance personnelle, que le conseil régional de l'Ordre ait bien constaté le non-respect par l'intéressé de son obligation légale d'assurance, mais que le délai nécessaire au déclenchement d'une procédure disciplinaire n'ait pas permis d'empêcher à l'expert-comptable d'engager, entre temps, sa responsabilité civile professionnelle à l'égard d'un tiers (1) ;

- il se peut, ensuite, que l'expert-comptable ait bien souscrit, conformément à son obligation légale, une assurance civile professionnelle, mais qu'il se soit ensuite montré défaillant dans le paiement des primes du contrat, ce qui a conduit à la suspension de la garantie par l'assureur. Cette défaillance de l'expert-comptable peut ne pas être immédiatement détectée par le conseil régional de l'Ordre, par exemple lorsque la défaillance intervient postérieurement au contrôle annuel effectué par le conseil régional de la souscription effective par chaque expert d'une assurance responsabilité civile. Dans l'hypothèse dans laquelle l'expert engagerait, après la suspension de la garantie, et après le contrôle effectué en début d'année par le Conseil régional, mais avant le prochain contrôle effectué par celui-ci, sa responsabilité à l'égard d'un tiers, il ne serait, par hypothèse, plus garanti.

Théoriquement, en cas d'absence de garantie souscrite par l'expert, la victime, qui risquerait de ne pas être indemnisée de son préjudice faute d'assurance de responsabilité mobilisable, pourrait envisager d'agir contre le Conseil régional pour ne pas avoir correctement surveillé le respect, par chaque expert de la région, de son obligation d'assurance. L'action serait ainsi une action en responsabilité. Sans doute une telle action serait-elle, au plan purement technique, concevable, à supposer que l'on admette que le seul constat de l'absence d'assurance imputable à un expert-comptable suffise à caractériser la faute du conseil régional. Mais elle serait, en équité, assez discutable, dans la mesure où les cas dans lesquels en pratique un défaut d'assurance fait naître un problème de garantie sont le plus souvent, on l'a évoqué plus haut, des cas dans lesquels on ne peut pas, à proprement parler, reprocher au conseil régional, une faute : c'est plutôt que les circonstances, de temps notamment, n'ont pas permis au conseil de mettre en oeuvre les mesures de sanction de l'expert défaillant avant que sa responsabilité ne soit engagée à l'égard d'un tiers, sans que l'on puisse pour autant dire que le conseil ait manqué à son obligation de surveillance.

Ces considérations expliquent, précisément, que ce soit non seulement pour permettre à la victime d'être indemnisée, mais aussi pour éviter que le Conseil régional voit sa responsabilité engagée, qu'il est prévu, par l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, que le Conseil supérieur national de l'Ordre souscrit une garantie subsidiaire. Autrement dit, la raison d'être de ce contrat d'assurance souscrit pour le compte de qui il appartiendra n'est pas de pallier une éventuelle insuffisance de garantie tenant au fait que la dette de responsabilité civile excéderait le plafond stipulé au contrat d'assurance souscrit par l'expert lui-même (2) ; il s'agit seulement de remédier à un éventuel cas d'absence totale de garantie, au motif que l'expert n'aurait pas respecté son obligation légale d'assurance (alinéa 1er de l'article 17 de l'ordonnance de 1945), et que le conseil régional de l'Ordre concerné n'aurait pas tiré, ou pas pu tirer, en temps utile, toutes les conséquences de ce défaut d'assurance. La formule de l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance de 1945 doit donc être entendue de façon purement littérale : en énonçant, en effet, que "Lorsque les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les personnes visées à l'alinéa précédent à raison des travaux et activités qui y sont mentionnés ne sont pas couvertes par un tel contrat, elles sont garanties par un contrat d'assurance souscrit par le conseil supérieur de l'ordre au profit de qui il appartiendra", le texte vise le cas où les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile de l'expert ne seraient pas du tout garanties, faute pour l'expert d'avoir souscrit un contrat d'assurance comme l'y obligeait pourtant l'alinéa 1er du texte ou, à tout le moins, faute d'être encore assuré au moment du fait générateur du dommage. C'est bien, en tout cas, l'interprétation que fait semble-t-il la jurisprudence du texte : un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 23 février 1999, se référant entre autres, pour l'interprétation des dispositions relatives à l'existence d'une garantie subsidiaire souscrite par le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, aux travaux préparatoires de l'ordonnance de 1945, a en effet très nettement considéré que "le législateur a entendu garantir les clients du risque d'insolvabilité de l'expert, en cas de condamnation pécuniaire de ce dernier au titre de sa responsabilité civile" (3), et ce dans le cas dans lequel l'expert n'aurait pas respecté son obligation légale d'assurer les conséquences de sa responsabilité civile professionnelle conformément à l'alinéa 1er de l'article 17 de l'ordonnance de 1945.

Les discussions devant l'Assemblée nationale à l'occasion de la réforme de l'ordonnance de 1945 par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 (N° Lexbase : L1138ATC) sont d'ailleurs, à cet égard, tout à fait éclairantes. Lors de la séance du 17 juin 1994 (4), en effet, le rapporteur Trémège a entendu apporter une rectification à l'amendement n° 72 qu'il avait présenté, et qui prévoyait au départ que "les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourues par les personnes visées à l'alinéa précédent, insuffisamment ou non courtes par le contrat d'assurance, sont garanties par un contrat souscrit par le Conseil supérieur de l'Ordre...". Le rapporteur a suggéré de supprimer l'adverbe "insuffisamment", l'amendement ne visant plus que "les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile [...] non couvertes par le contrat d'assurance...". La disparition du mot "insuffisamment" devait permettre, avait-il indiqué, de "dissiper toute ambiguïté" : la mobilisation du contrat souscrit par le Conseil supérieur devait ainsi être limitée au cas dans lequel la dette de responsabilité ne serait pas garantie par le contrat souscrit par l'expert, et ce non pas au motif que la dette excéderait dans son montant le plafond garanti au contrat, mais parce que l'expert ne serait en réalité pas assuré. Le rapporteur renvoie d'ailleurs aux cas de résiliation du contrat d'assurance en cours d'année, ou de sinistre survenant pendant la période de radiation "d'un membre de l'ordre non assuré" (5). Et, évidemment, c'est ce texte rectifié qui a été adopté, et qui s'est finalement trouvé inscrit dans la loi.

Il n'est donc pas question, dans le dispositif légal, que la garantie subsidiaire puisse prendre le relais de la garantie souscrite par l'expert-comptable. Dans l'hypothèse, en effet, dans laquelle l'expert aurait bien respecté son obligation légale d'assurance, la garantie subsidiaire souscrite par le Conseil supérieur de l'Ordre n'a pas vocation à jouer, quel que soit le plafond de garantie stipulé au contrat conclu par l'expert lui-même : partant, la fraction de la dette de responsabilité qui pourrait excéder le plafond garanti tel qu'il est stipulé au contrat souscrit par l'expert conformément à l'alinéa 1er de l'article 17 de l'ordonnance de 1945 doit être considérée comme une dette non garantie. Elle demeure ainsi à la charge de l'expert-comptable responsable. La solution paraît, au demeurant, justifiée et cohérente, dans la mesure où la solution inverse risquerait d'encourager la mauvaise foi de certains experts-comptables tentés, pour satisfaire à l'obligation d'assurance de l'article 17, alinéa 1er, de l'ordonnance de 1945, de souscrire des contrats d'assurance comportant un minimum de garantie, autrement dit des assurances avec des plafonds de garantie les plus bas possibles, dans les limites règlementaires, et ce au motif que la garantie subsidiaire souscrite par le Conseil supérieur prendrait en charge l'excédent de la dette de responsabilité. Or, comme on l'a vu, telle n'est évidemment pas la finalité du contrat souscrit par le Conseil supérieur pour le compte de qui il appartiendra.

Du reste, l'assureur auprès duquel aura été souscrite par le Conseil supérieur de l'Ordre la garantie subsidiaire de l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance de 1945, dans le cas dans lequel ladite garantie aura permis de pallier l'absence totale d'assurance de l'expert-comptable, donc une fois qu'il aura indemnisé la victime, pourra, en tout état de cause, se retourner contre l'expert-comptable défaillant. Il apparaît ainsi que la dette de responsabilité demeure, quoi qu'il arrive, une dette personnelle pour l'expert-comptable.

***

Des développements qui précèdent, il ressort que la dette de responsabilité susceptible de peser sur un expert-comptable à la suite d'un manquement professionnel n'aurait vocation à être prise en charge au titre de la garantie subsidiaire souscrite par le Conseil supérieur de l'Ordre conformément à l'alinéa 2 de l'article 17 de l'ordonnance de 1945 que dans la seule hypothèse d'un défaut d'assurance de l'expert, autrement dit dans la seule hypothèse dans laquelle l'expert, en violation de son obligation d'assurance prévue à l'alinéa premier de l'article 17, n'aurait pas lui-même souscrit un contrat d'assurance responsabilité civile professionnelle. Dans l'hypothèse dans laquelle l'expert-comptable aurait bien souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle conformément à l'alinéa premier de l'article 17 de l'ordonnance de 1945, la fraction de la dette de responsabilité qui excéderait le plafond garanti doit être considérée comme une dette non garantie, supportée, comme telle, par l'expert lui-même.


(1) Outre l'interdiction d'exercice de la profession, sur la légitimité de ces poursuites disciplinaires, voir not., à propos d'un expert-comptable, CAA Paris, 27 septembre 1994, n° 92PA01342 (N° Lexbase : A2379BIX), Rec. CE, tables, p. 1164-1165 ; Quot. jur., 28 mars 1995, p. 4.
(2) Le dispositif est différent en matière médicale où le législateur a créé, pour les réclamations déposées à compter du 1er janvier 2012, un fonds de garantie des accidents médicaux permettant de couvrir les professionnels médicaux ou paramédicaux exerçant en libéral, au-delà des délais ou des plafonds de garanties, en cas de dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic et de soins.
(3) CAA Paris, 23 février 1999, préc..
(4) JO, p. 3175.
(5) Sur ces hypothèses, v. supra.

newsid:436133

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.