La lettre juridique n°843 du 12 novembre 2020

La lettre juridique - Édition n°843

Aides d'Etat

[Jurisprudence] La notion de « ressources d’État » à l’aune de la responsabilité élargie des producteurs

Réf. : CJUE, 21 octobre 2020, aff. C-556/19, Eco TLC (N° Lexbase : A31863YN)

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N5184BYN

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par Olivier Péjout, docteur en droit, enseignant-chercheur, Université de Nantes

Le 12 Novembre 2020

 


Mots clés : notion de “ressources d’État” • responsabilité élargie des producteurs • éco-organisme agréé par les pouvoirs publics
La notion de « ressources d’État » s’avère complexe à appréhender en même temps qu’elle exige une analyse in concreto minutieuse. L’affaire « Eco TLC » est l’occasion pour la CJUE d’exiger une interprétation réaliste de ce concept clef afin de garantir à la fois l’effet utile de l’interdiction des aides d’État sans entraver indûment les actions des États membres.


 

Les acteurs français de la gestion des déchets issus de produits textiles, du linge de maison et des chaussures [1] peuvent souffler, la CJUE vient d’écarter toute qualification automatique d’aide d’État.

Si l’arrêt rendu le 21 octobre 2020, dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Conseil d’État, apporte une bouffée d’oxygène à une filière anxieuse du résultat potentiellement défavorable du recours d’Eco TLC, cette affaire constitue également une étape supplémentaire pour la notion de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (N° Lexbase : L2404IPQ).

Afin de bien comprendre les enjeux, il faut revenir sur son contexte. En l’espèce, tout a commencé par la décision des pouvoirs publics de revaloriser un soutien financier versé, par Eco TCL, aux opérateurs de traitement des déchets issus de la filière textile à travers un arrêté [2]. Dès lors, Eco TLC, éco-organisme agréé par la France, a introduit un recours en annulation pour excès de pouvoir contre l’arrêté litigieux au motif qu’il constitue une aide d’État nouvelle et illégale au sens de l’article 107 TFUE. Conscient des difficultés soulevées par le dispositif mis en place en France et des incertitudes planant sur la qualification des soutiens versés via Eco TLC, le Conseil d’État décide de surseoir et d’interroger la CJUE à travers une question préjudicielle sur l’éventuelle qualification juridique d’aide d’État des contributions aval [3].

Il en résulte une question extrêmement intéressante tant par son contenu qu’opportune par sa parfaite inscription dans la chronologie de la jurisprudence récente en matière d’aides d’État, dans le contexte de la protection de l’environnement [4]. Selon les mots mêmes de l’Avocat Général Giovanni Pitruzzella, « la Cour est confrontée pour la première fois à la question de l’interrelation entre, d’une part, les règles en matière d’aides d’État et, d’autre part, le régime de responsabilité élargie des producteurs, introduit en droit de l’Union par la Directive 2008/98/CE (N° Lexbase : L8806IBR) » [5]. Les répercussions potentiellement importantes de la réponse ne faisaient aucun doute tant en termes de conséquences pécuniaires que s’agissant de la pérennité de tels dispositifs dans l’ensemble de l’UE. Dès lors, l’arrêt de la CJUE était attendu fébrilement par tous les acteurs concernés en France et au-delà.

L’arrêt du 21 octobre 2020 pose un jalon important pour les dispositifs de responsabilité élargie des producteurs en même temps qu’il confirme un mouvement jurisprudentiel récent en matière d’aides d’État. Cette affaire délicate rappelle la relation difficile entre protection de l’environnement, enjeu national et européen, et contrôle des soutiens publics aux entreprises. Elle vient compléter un cadre jurisprudentiel déjà fourni, parfois confus, voire divergent, portant sur la qualification d’une mesure d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Plus précisément, la CJUE s’appesantit sur la première des quatre conditions posées par cette disposition qui exige que la mesure soit d’une part, accordée directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, imputable à l’État. En d’autres termes, l’enjeu porte sur la notion de « ressources d’État ». Les multiples questions soulevées imposent de s’interroger tant sur le régime d’espèce que, plus largement, sur la conception évolutive de l’interprétation de la première condition de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, cet arrêt est l’occasion d’analyser dans quelle mesure la CJUE utilise une approche réaliste de la notion de ressources d’État ?

A travers sa réponse au Conseil d’État, la CJUE donne une solution pratique à appliquer dans le contexte de la mise en œuvre de dispositifs de responsabilité élargie des producteurs, basés sur le principe du pollueur-payeur inscrit dans le droit de l’UE. Concrètement, elle vient préciser les critères de qualification d’une mesure de ressource d’État en évitant tout automatisme malvenu (I). En parallèle, cet arrêt préjudiciel vient parachever le retour à une approche plus raisonnée voire pragmatique de cette notion à même de garantir une sécurité juridique accrue aux États membres et aux entreprises (II).

I - Un retour nécessaire à l’essence de la notion de ressources d’État

L’affaire opposant Eco TLC à la France s’inscrit dans un contexte juridique bien particulier qui mêle obligations découlant du droit de l’UE et incompatibilité des aides d’État. Pour en mesurer toute la complexité et l’intérêt, il convient de revenir un instant sur le cadre juridique tant national qu’européen.

En substance, le litige remet en cause le régime de responsabilité élargie des producteurs en matière de gestion des déchets, plus spécifiquement son mécanisme de financement. Le problème soulevé est d’autant plus sensible qu’il constitue l’une des applications essentielles du principe du pollueur-payeur [6], inscrite en droit de l’UE à l’article 191, paragraphe 2 TFUE, et mise en œuvre dans le domaine de la gestion des déchets en Europe par la Directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008, relative aux déchets [7]. Ce mécanisme a été imaginé afin que les responsables de fabrication et de la mise sur le marché de produits assument la gestion de la fin de vie de leurs produits, c'est-à-dire le passage à l’état de « déchet » dans le but d’améliorer leur recyclage et de développer l’économie circulaire.

Bien entendu, la transcription en droit national de ce principe exige la création de règles particulières tant pour l’organisation de la filière que pour son financement. Ici, le litige porte spécifiquement sur le mécanisme appliqué aux produits TLC par la France. Selon ce dernier, les metteurs sur le marché, producteurs, importateurs ou distributeurs de produits TLC, doivent « contribuer ou […] pourvoir au recyclage et au traitement des déchets » qui en sont issus [8]. En théorie, le système propose une alternative pour accomplir cette obligation, soit en soutenant financièrement un organisme agréé, soit organisant un système individuel de recyclage et de traitement de ces déchets [9]. En pratique, la filière s’est ordonnée autour d’un seul éco-organisme agréé par les pouvoirs publics [10]. Ce mécanisme possède deux faces, l’une amont l’autre aval. Concrètement, des contributions sont versées à ce dernier, calculées sur la base d’un cahier des charges légal, appelées contributions amont. Ensuite, il reverse des soutiens financiers aux opérateurs de tri des déchets pour leur traitement et leur recyclage, selon des objectifs déterminés par le même cahier des charges, appelées contributions aval.

L’incertitude sur la compatibilité d’un tel mécanisme avec le droit des aides d’État tient à la technique mixte de calcul des contributions amont et aval. En effet, selon « l’article R. 543-215, premier alinéa, du Code de l’environnement (N° Lexbase : L9280IAX), les organismes agréés déterminent le montant global de la contribution financière qu’ils perçoivent »  [11] afin « de manière à couvrir, chaque année, les dépenses résultant de l’application du cahier des charges mentionné à l’article R. 543-214 dudit code (N° Lexbase : L7529IQW)» [12]. Ainsi, ils ont la maitrise du barème amont. Toutefois, ce même document précise les objectifs à atteindre par le titulaire de l’agrément, ses missions mais aussi ses relations avec les contributeurs et les opérateurs de tri. C’est dans ce cadre que l’annexe III du cahier des charges pose les modalités de calcul de ces différents types de soutiens financiers [13]. En d’autres termes, les éco-organismes agréés n’ont pas de contrôle total sur le barème aval.

Dès lors, un doute plane sur le rôle de l’État dans le financement de cette filière, compte tenu de l’origine légale des éléments de détermination des montants à verser, et de la présence d’un censeur d’État aux réunions du conseil d’administration de l’éco-organisme agréé. Cette difficulté a pris définitivement corps dans l’arrêté du 19 septembre 2017, modifiant l’arrêté du 3 avril 2014, qui a revalorisé le montant du soutien à la pérennisation en révisant un élément du calcul. Pour Eco TLC, il s’agit d’une aide d’État nouvelle et illégale qui aurait dû être notifiée à la Commission. La réaction de l’organisme n’est pas dénuée de fondement, bien au contraire, son interrogation se base sur une incertitude réelle quant à la qualification de certaines mesures d’aides d’État au regard des quatre conditions cumulatives prévues par l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En l’espèce, il s’agit d’un doute sur la première d’entre elles tenant à l’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État.

Cette condition de « ressources d’État » exige pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », qu’ils soient, d’une part, accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et, d’autre part, qu’ils soient imputables à l’État. Au caractère succinct de la formulation, la jurisprudence de la CJUE a substitué un corpus extrêmement important afin d’appréhender la multitude des situations envisageables et garantir l’effet utile du principe d’incompatibilité des aides d’État. Néanmoins, si la volonté a toujours été la même, elle n’a pas empêché de nombreux tâtonnements sur la meilleure formule à adopter.

Très logiquement, la notion de « ressources d’État » renvoie à deux éléments, l’imputabilité à l’État et le contrôle exercé par ce dernier sur des fonds, quel qu’en soit la nature. Si l’approche est pragmatique, elle pose une difficulté essentielle, à savoir la relativité de la notion de contrôle. Cette situation s’est traduite par des jurisprudences divergentes et difficilement réconciliables. Il fallu attendre l’arrêt « Sloman Neptun » [14] pour que la CJUE prenne une position plus tranchée. Au lieu de choisir une interprétation extensive de la notion de ressources d’État, qui aurait conduit à qualifier ainsi tout avantage sélectif imputable à l’État d’aide sans qu’il implique une contrainte financière pour ce dernier, la CJUE adopta une vision plus restrictive, qui imposa que la mesure en question fasse porter le fardeau financier à l’État directement ou indirectement [15].

Dès lors pourquoi revenir sur cette notion aujourd’hui ? En fait, si l’interprétation semblait acquise, la volonté d’assurer l’effet utile de l’article 107, paragraphe 1, TFUE a conduit à raffiné sans cesse les critères d’interprétations. Ainsi, la complexification des mécanismes de soutien aux entreprises et les développements en matière de protection de l’environnement ont fait émerger de nouveaux régimes mêlant personnes privées et obligations publiques pour lesquels des suppléments d’analyses ont été nécessaires.

L’étape essentielle arrive avec l’affaire « PreussenElektra » qui confirme que des paiements obligatoires effectués directement entre personnes privées ne constituaient pas des ressources d’État même si cette contrainte émanait d’un État membre [16]. La même logique fut suivi dans les arrêts « Aiscat » [17] et « Trajektna luka Split » [18]. La situation s’est en fait compliquée dans des affaires postérieures dès lors que l’obligation de paiement était corrélée à une forme de compensation pour la surcharge occasionnée par cette dernière [19], voire était gérée par un organisme spécialement institué à cet effet  [20].

A la lumière de la jurisprudence complexe sur cette notion, un doute existait sur la possible incompatibilité d’un régime tel que celui d’espèce, notamment s’agissant de sa contribution aval. En effet, l’imputabilité à l’État du régime ne faisait aucun doute, d’ailleurs la CJUE ne consacre que très peu de développements à cette question. Pour elle, il apparait clairement que ce dispositif a été « institué par des textes de nature législative et réglementaire, à savoir le Code de l’environnement ainsi que l’arrêté du 3 avril 2014, tel que modifié par l’arrêté du 19 septembre 2017 » [21]. Naturellement, l’enjeu du contrôle de l’État sur les fonds, seconde branche de la notion de ressources d’État, s’avère bien plus complexe à qualifier compte tenu de la nature hybride du régime mis en place.

II - Une approche réaliste au service de la sécurisation de l’action des États membres

La CJUE sépare avec beaucoup de pédagogie les étapes de son raisonnement et surtout insiste sur la nécessaire conciliation entre l’esprit et la lettre du TFUE. Comme l’avait parfaitement fait l’Avocat Général Jacobs à l’occasion de ses conclusions dans l’affaire « PreussenElektra » [22], la rédaction en deux temps de la première condition de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a pour objectif d’« éviter toute possibilité de contourner les règles relatives aux aides d'État au moyen d'un octroi décentralisé et/ou privatisé de l'aide » [23]. Il ne s’agit pas de protéger la concurrence contre toutes les mesures étatiques mais uniquement celles financées au moyen de fonds publics [24]. A l’époque, il rappelait avec beaucoup de prévoyance qu’« aucune règle dans le système mis en place par l'article 93 [108 TFUE] n'aborde les problèmes spécifiques des entreprises qui doivent financer l'aide accordée à d'autres entreprises » [25].

Logiquement, l’arrêt reprend la même structure. Dans une interprétation téléologique et systémique du TFUE, les juges insistent sur l’approche restrictive de la notion de ressources d’État qui vise « seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État » [26] afin « que le seul fait de créer des institutions autonomes chargées de la distribution d’aides [ne puisse permettre] de contourner les règles relatives aux aides d’État » [27], dans le but de préserver l’effet utile de l’incompatibilité posée par 107, paragraphe 1, TFUE.

Une fois le principe fermement rappelé, la CJUE passe en revue plusieurs critères permettant de qualifier la nature de la contribution aval.

Si l’imputabilité à l’État du régime de responsabilité élargie du producteur est établie, les juges soulignent d’abord que la contribution financière n’est pas obligatoire du fait de l’existence d’une alternative [28]. Pour eux, il en résulte que ces contributions ont un caractère privé à l’origine [29], qu’elles conservent tout au long de leur parcours entre opérateurs économiques de droit privé [30]. En conséquence, ces fonds n’impliquent aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État [31] car elles « ne transitent jamais par le budget de l’État ou par celui d’une autre entité publique et ne passent jamais entre les mains des pouvoirs publics » [32].

Toutefois, un contrôle sur les fonds peut exister sans qu’il y ait nécessairement de transfert de ressources d’État [33]. La CJUE indique qu’il faut rechercher dans quelle mesure les autorités publiques peuvent effectivement utiliser ces fonds, c'est-à-dire s’ils sont à leur disposition [34]. En fait, elle insiste sur l’idée que le contrôle exercé doit être étroit. Pour le mesurer, il faut déterminer le degré d’autonomie de l’éco-organisme par rapport à l’État, c'est-à-dire sa capacité à diriger ou influencer l’administration des fonds par rapport au type et au degré de contrôle des autorités publiques dessus [35].

Ainsi, d’une part, la CJUE relève que le principe légal d’affectation exclusive de ces fonds empêche l’État d'en disposer comme bon lui semble [36] et d’autre part, que bien que le barème aval soit fixé par l’État, l’éco-organisme doit pouvoir influer sur les montants des soutiens financiers et leur affectation aux opérateurs de tri de manière prépondérante afin d’écarter tout risque de contrôle de l’État sur les fonds [37].

Néanmoins, la CJUE reste prudente sur la solution d’espèce. Elle invite la juridiction de renvoi à s’assurer in concreto que l’éco-organisme dispose d’une marge d’autonomie tangible qui exclut, sans aucun doute, tout pouvoir de direction et d’influence sur l’administration des fonds de la part des autorités publiques [38]. Enfin, le dernier élément porte sur le contrôle exercé sur l’éco-organisme lui-même et non les fonds. La CJUE relève que le censeur d’État ne possède pas de droit de vote au conseil d’administration, qu’il n’a qu’un rôle passif d’information ce qui empêche de considérer l’existence d’un contrôle fort sur l’éco-organisme une fois celui-ci agréé [39]

L’arrêt écarte toute qualification automatique et appelle la juridiction de renvoi à mener une analyse réaliste et pragmatique des éléments constitutifs de la notion de « ressources d’État ».

 

[1] Ci-après « TLC ».

[2] Arrêté du 19 septembre 2017 (N° Lexbase : L9307LGS), JORF, 4 octobre 2017, texte n° 5.

[3] CE 5° et 6° ch.-r., 12 juillet 2019, n° 416103 (N° Lexbase : A3260ZLC).

[4] CJUE, 28 mars 2019, aff. C-405/16 P, République fédérale d'Allemagne (EEG) contre Commission européenne, (N° Lexbase : A2850Y7P) ; CJUE, 15 mai 2019, aff. C-706/17, AB « Achema » e.a. (N° Lexbase : A8620ZBU).

[5] Conclusions Avocat Général G. Pitruzzela dans l’affaire C-556/19, pt n° 3.

[6] TFUE, art. 191, paragraphe 2.

[7] Article 8 de la Directive et 8 bis précisé par la Directive (UE) 2018/851 du 30 mai 2018 (N° Lexbase : L7059LKN).

[8] C. env., art. L. 541-10-3 (N° Lexbase : L1492LW8).

[9] Idem.

[10] CJUE, 21 octobre 2020, Eco TLC, aff. C-556/19, op. cit, pt n° 14.

[11] Ibid, pt n° 5.

[12] Ibid.

[13] Conclusions AG G. Pitruzzela dans l’affaire C-556/19, op. cit, pt n° 21.

[14] CJCE, 17 mars 1993, aff. jtes C-72/91 et C-73/91, Sloman Neptun c/ Bodo Ziesemer (N° Lexbase : A5806AYP).

[15] CJCE, 24 janvier 1978, aff. C-82/77, Van Tiggele (N° Lexbase : A5619AUN), pts n°s 24-25.

[16] CJCE, 13 mars 2001, aff. C-379/98, PreussenElektra (N° Lexbase : A3831AWS), pts n°s 58-59.

[17] CJUE, 15 janvier 2013, aff. T-182/10, Aiscat c/ Commission (N° Lexbase : A2140I3N), pts n°s 91-101.

[18] CJUE, 14 septembre 2016, aff. T-57/15, Trajektna luka Split c/ Commission (N° Lexbase : A7918RZB), pts n°s 26-30.

[19] CJUE, 19 décembre 2013, aff. C-262/12, Association Vent De Colère ! (N° Lexbase : A8082KRR), pts n°s 34-37 ; CJCE, 17 juillet 2008, aff. C-206/06, Essent Netwerk Noord (N° Lexbase : A7103D9X), pt n° 74.

[20] CJUE, 28 mars 2019, aff. C-405/16 P, République fédérale d'Allemagne (EEG) c/ Commission, op. cit., pts n°s 59-60. ; CJUE, 15 mai 2019, aff. C-706/17, AB « Achema » e.a., op. cit.

[21] CJUE, 21 octobre 2020, Eco TLC, aff. C-556/19, op. cit, pt n° 24.

[22] Conclusions AG Jacobs dans l’affaire « PreussenElektra », C-379/98.

[23] Ibid, para 151.

[24] Ibid, para 155.

[25] Ibid, para 156.

[26] CJUE, 21 octobre 2020, Eco TLC, aff. C-556/19, op. cit, pt n° 26.

[27] Ibid, pt n° 27.

[28] Ibid, pt n° 30.

[29] Ibid, pt n° 31.

[30] Ibid, pt n° 32.

[31] Ibid, pt n° 34.

[32] Ibid, pt n° 33.

[33] Ibid, pt n° 35 ; CJUE, 9 novembre 2017, aff. C 656/15 P, Commission/TV2/Danmark (N° Lexbase : A0039WY4), pt n° 43.

[34] Ibid, pt 36.

[35] Conclusions AG G. Pitruzzela dans l’affaire C-556/19, op. cit, pt n° 90.

[36] Ibid, pt n° 41.

[37] Ibid, pts n°s 42-47.

[38] Ibid, pt n° 47.

[39] Ibid, pt n° 49.

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Règlements [d’honoraires] en famille

Réf. : Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-20.314, F-P+B+I (N° Lexbase : A521133E)

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N5213BYQ

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par Marie Le Guerroué

Le 02 Décembre 2020

► N’inverse pas la charge de preuve, le premier président qui, en raison du contexte familial dans lequel l’assistance a été apportée, écarte la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle et estime souverainement que les termes des courriels - émanant de l’ancien époux et invoqués par l’avocate - ne permettent pas d’établir que le mandat avait été confié à titre onéreux (Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-20.314, F-P+B+I N° Lexbase : A521133E).

Faits et procédure. Le défendeur naguère marié à la demanderesse (l’avocate), dont il avait divorcé en juillet 2017, avait confié à celle-ci, en 2003, la défense de ses intérêts et ceux de sa sœur dans un litige qui concernait la succession de leur père. Alors qu’aucune convention d’honoraires n’avait été conclue, l’avocate avait établi au mois de février 2016 une facture de ses diligences, dont elle n’avait pas obtenu le règlement de son ancien époux qui avait indiqué qu’aucun mandat à titre onéreux n’avait été confié à son ex-épouse. L’avocate avait saisi le Bâtonnier de son ordre d’une demande de fixation de ses honoraires.

  • Sur l’office du premier président

Moyen. L’avocate fait grief à l’arrêt de la débouter de toutes ses demandes tendant à la fixation de ses honoraires et à la condamnation de son ancien mari à leur paiement, alors que la procédure de contestation en matière d’honoraires et débours d’avocat concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires, de sorte qu’il n’appartient pas au juge de l’honoraire de se prononcer sur le caractère onéreux ou gratuit du mandat conclu entre l’avocat et son client ; qu’en se fondant, pour débouter la demanderesse de sa demande en fixation des honoraires dus par le défendeur sur le caractère prétendument gratuit du mandat litigieux, le premier président a excédé son office, en violation de l’article 174 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID). 

Réponse de la Cour. Dès lors qu’il résulte de l’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la procédure de contestation en matière d’honoraires et débours d’avocats concerne les contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, il relève de l’office même du juge de l’honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l’avocat ont été fournies ou non à titre onéreux. Partant, c’est sans excéder ses pouvoirs que le premier président a décidé que le mandat qui liait l’avocate au défendeur n’avait pas été donné à titre onéreux (v. aussi, Cass. civ. 2, 4 juin 2009, n° 08-14.294, F-D N° Lexbase : E37343RQ).

  • Sur la charge de la preuve

Ordonnance. Le premier président, après avoir relevé que les parties « étaient mariés lorsque [le mari] a[vait] demandé à son épouse de se charger de la défense de ses intérêts et de ceux de sa soeur, dans le cadre de la succession de son père », et pris ainsi en considération « le contexte des relations entretenues alors par les parties », en avait déduit qu’aucune rémunération n’avait été convenue entre elles.

Réponse de la Cour. C’est sans inverser la charge de la preuve que le premier président, écartant de la sorte, en raison du contexte familial dans lequel l’assistance avait été apportée, la présomption selon laquelle le mandat est salarié lorsqu’il est exercé par une personne dans le cadre de sa profession habituelle, puis estimant souverainement que les termes des courriels émanant du défendeur et invoqués par l’avocate ne permettaient pas d’établir que le mandat avait été confié à titre onéreux, a statué. Pour conclure à l’inexistence d’un mandat à titre onéreux, le premier président ne s’est ainsi fondé, ni sur l’absence entre les parties d’une convention d’honoraires, ou d’échanges relatifs à des honoraires de diligences, ni sur un pacte de quota litis qui aurait été conclu entre elles.

Rejet. La Cour rejette par conséquent le pourvoi.

 

Commentaire, à paraître, par G. Deharo, Lexbase Avocats, décembre 2020, n° 309.

Pour aller plus loin : ÉTUDE : Les honoraires, émoluments, débours et modes de paiement des honoraires, Les avantages d'une convention d'honoraires (N° Lexbase : E37343RQ) et Le droit de l'avocat à percevoir un honoraire (N° Lexbase : E37303RL) in La profession d’avocat, Lexbase.

 

newsid:475213

Avocats/Responsabilité

[Jurisprudence] Un nouvel exemple de faute d’un avocat non préjudiciable aux intérêts du client

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.047, F-P+B (N° Lexbase : A55733TL)

Lecture: 11 min

N5115BY4

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par Rodolphe Bigot, Maître de conférences en droit privé, UFR de Droit, Le Mans Université Thémis-UM et CEPRISCA

Le 10 Novembre 2020

Mots-clefs : Jurisprudence • avocat • responsabilité • pièces utiles • décision favorable 

Résumé : L'avocat n’engage pas sa responsabilité après n’avoir pas produit l'ensemble des pièces utiles à la défense de son client devant la juridiction administrative dès lors qu'il a été constaté par les juges que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption de distribution instituée par l'article 109 du Code général des impôts, n'aurait pas permis au client d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative.


 

La jurisprudence récente de la Cour de cassation apporte une nouvelle illustration de ce que l’exercice de la profession d’avocat, de plus en plus complexe et difficile, génère des risques croissants [1] dont la réalisation n’est fort heureusement pas toujours préjudiciable pour le justiciable. Regrettablement, on observe dans la période récente une augmentation importante de la sinistralité de la profession [2], dont la principale source est la très décriée procédure d’appel réformée [3].

En l’espèce, des époux, associés d’une société à responsabilité limitée (SARL), ont été contrôlés par l’administration fiscale. La vérification de comptabilité de la SARL a conduit le fisc à considérer, d'une part, que l’associé et gérant de cette société, avait bénéficié d'avances laissées à sa disposition, sans intérêts, sur son compte courant d'associé en 2006, 2007 et 2008, d'autre part, que les sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en 2008 au crédit de son compte courant devaient être regardées comme des revenus distribués. Le 17 décembre 2009, elle a notifié à l'intéressé une proposition de rectification de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 2006 à 2008.

Le gérant a contesté cette décision. Ses contestations ont été rejetées par un arrêt, devenu définitif, rendu le 18 juillet 2014 par la cour administrative d'appel de Versailles. Le gérant a alors assigné en responsabilité et indemnisation son conseil (l’avocat), lui reprochant principalement de ne pas avoir produit, devant la juridiction administrative, l'ensemble des pièces utiles à sa défense. L’épouse du gérant est intervenue volontairement à l'instance.

Par un arrêt en date du 2 avril 2019, la cour d’appel de Versailles a rejeté l’ensemble de leurs demandes [4]. Les époux ont formé un pourvoi dans le litige les opposant à leur avocat, défendeur à la cassation. Les demandeurs ont invoqué un moyen unique de cassation.

La première chambre civile de la Cour de cassation a apporté sa réponse dans un arrêt rendu le 9 septembre 2020 [5]. Elle a rejeté le pourvoi formé par les gérants de la SARL.

A ce titre, la Haute juridiction a tout d’abord rappelé que, selon une jurisprudence administrative constante [6], il résulte de l'article 109 du Code général des impôts (N° Lexbase : L2060HLU) que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

La Haute Cour a ensuite souligné qu’après avoir retenu l'existence de manquements de l'avocat à son devoir de conseil et à son obligation de diligence, « la cour d'appel a estimé que, si les pièces que [le contribuable] versait aux débats, et que l'avocat aurait dû lui réclamer, établissaient qu'il disposait de créances en compte courant d'associé auprès des SCI Avner et Majjs et que ces créances avaient été transférées à la société Mélanie, il ne rapportait la preuve ni du traitement comptable, au sein de cette société, des sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en juin 2008 au crédit de son compte courant d'associé, ni de l'existence d'une contrepartie justifiant la dispense d'intérêts au titre des soldes débiteurs dudit compte au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008 » [7].

La Cour de cassation en a déduit que le moyen était inopérant car, en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d’appel « a retenu, à bon droit et sans se contredire, que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption instituée par le texte précité, n'aurait pas permis [au contribuable] d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative, de sorte que la responsabilité de l'avocat n'était pas engagée » [8].

La question qui se posait était donc celle de savoir si, en l’absence de faute - en l’espèce par omission [9] - de l’avocat qui n’a pas produit toutes les pièces fournies par le client, cette production aurait réellement permis au contribuable l’obtention d’une décision de justice plus favorable que celle qu’il a eue en définitive ? En d’autres termes, que se serait-il passé pour le bénéficiaire des obligations de l’avocat [10] si ce dernier avait agi de manière plus diligente, plus efficace, et avait à ce titre produit toutes les pièces délivrées par son client ? Pour y répondre, les juges du fond et les magistrats du quai de l’horloge devaient reconstituer fictivement le procès, de manière rétroactive, en imaginant le déroulement et l’issue de celui-ci en l’absence de la faute précisément reprochée à l’avocat.

Le Bâtonnier Avril a rappelé, dans le fameux Dalloz Référence relatif à la responsabilité des avocats, que ce professionnel du droit doit, parmi de nombreuses obligations, « pour assurer pleinement son devoir de conseil, recueillir, de sa propre initiative les éléments d’information et les documents nécessaires pour défendre au mieux les intérêts du client [11]. Dans ce contexte, l’avocat ne peut se limiter à demander des précisions au client. Il doit aussi l’inviter à remettre des pièces pour les produire aux débats à l’appui des informations recueillies. Tel va être le cas quand les juges ont limité l’indemnisation au titre de l’ancienneté dans un contentieux prud’homal : les pièces justificatives n’étaient pas jointes. La Cour de cassation exerce sa censure en relevant que le devoir de conseil de l’avocat n’était pas rempli : il fallait l’exécuter « en l’informant (le client) de la nécessité de prouver son ancienneté par la production des pièces justificatives » [12].

Il s’agit d’une catégorie de mise en cause de la responsabilité civile professionnelle où il semble assez malvenu de résister sur la faute, première des trois conditions cumulatives pour que cette responsabilité soit retenue. Néanmoins, chronologiquement, la condition souveraine de recevabilité d’une telle procédure est l’existence d’un dommage réparable [13], autrement dit un préjudice, actuel et certain, qui doit être relié au fait générateur par un lien de causalité.

Dès lors, le préjudice est indemnisable si et seulement s’il est assorti du caractère de certitude. En outre, il ne s’apprécie pas à la lumière du droit commun de la responsabilité civile. Il doit être replacé dans le contexte d’aléa juridique et judiciaire dans lequel intervient l’auxiliaire de justice [14].

Comme le relève la doctrine, « très souvent, la perte est celle d'obtenir une décision de justice favorable » [15]. En effet, il s’agit fréquemment d’une perte de chance [16], préjudice spécifique et assez insaisissable que la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile déposée le 29 juillet 2020 par des sénateurs [17] se contente de définir brièvement à l’article 1237 de la proposition de loi comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée », à l’identique de l’article 1238 du projet de réforme du 13 mars 2017. L’objectif affiché est de se conformer aux solutions jurisprudentielles en matière de perte de chance [18].

A ce titre, il revient à l’assureur, dans le cadre d’un règlement amiable, et au juge, dans le procès, d’évaluer les chances perdues. A cet effet, nous dit la Haute Cour, les juges doivent reconstituer fictivement le débat qui se serait instauré si l'avocat n'avait commis aucune faute [19].

La perte de chance de réussite d’une action en justice, qu’elle soit judiciaire ou administrative, doit s'apprécier, est-il précisé par la Cour de cassation, « au regard de la probabilité de succès de cette action » [20].

Un spécialiste de la question de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat livre divers exemples aux termes desquels la faute est à l’origine d’un dommage qui conduit à engager la responsabilité. Tantôt, il s’agira d’une mauvaise préparation du dossier cristallisée sur un défaut de communication des justificatifs du préjudice conduisant les juges à mettre à l’écart la demande formulée par le client [21]. Tantôt, il s’agira d’une faiblesse du dossier, à l’instar de l’avocat dont les clients lui reprochent de ne pas avoir présenté aux juges un dossier suffisamment complet pour les convaincre [22].

Toutefois, lorsqu’il ressort de cet examen des probabilités que le client ne possédait pas la moindre chance d’éviter le dommage, sa réparation ne peut être mise à la charge de son avocat qui n’en est donc pas à l’origine. Le « préjudice invoqué ne résulte notamment pas des négligences commises par l'avocat dans l'exécution de sa mission » [23] en présence d’un client confronté à une probabilité nulle de voir réformer la décision de justice qui lui est et restera défavorable in fine.

L’arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation [24] confirme la solution classique et justifiée aux termes de laquelle une faute imputable à l’auxiliaire de justice ne permet pas, à elle seule, d’engager sa responsabilité. De façon tout à fait orthodoxe, n’est donc pas responsable l’avocat dont le manquement n'a pu faire perdre à son client une chance d’obtenir gain de cause [25]. Par exemple, dans un arrêt du 4 juillet 2019, la Cour de cassation a décidé qu’une cour d’appel, ayant jugé qu’aucun des griefs d’inconventionnalité invoqués n’était susceptible de prospérer, eu égard à la jurisprudence de la CEDH à la date du recours qui aurait été engagé, a ainsi fait ressortir l’absence de préjudice causé par la perte de chance alléguée et n’a pu qu’en déduire que la responsabilité de l’avocat n’était pas engagée [26].

Avec quelques fluctuations quant au seuil d’intervention, il apparaît qu’est seule réparable la perte de chance réelle, « raisonnable » ou « sérieuse » nous dit parfois la Haute Cour, subie par le justiciable [27]. Un auteur a d’ailleurs eu l’occasion de tomber sur des jugements qui retiennent de manière quelque peu désabusée l’aléa inhérent à, quasiment, tout procès [28]. La juridiction amiénoise a ainsi pu admettre qu’« aucune décision de justice ne saurait être considérée comme échappant à toute possibilité de réformation » [29]. Paraissant encore plus désabusée, la juridiction aixoise a estimé qu’« On a toujours une chance de gagner le plus mauvais procès […]. Sur un plan plus particulier, les recueils fourmillent de contradictions et revirements de jurisprudence » [30]. D’aucuns pourraient considérer qu’il existe toujours, compte tenu de cet aléa judiciaire - cet aléa serait-il lui-même issu d’une erreur d’analyse de la juridiction par exemple -,  une chance - même infinitésimale - de réformation. D’où l’exigence par la jurisprudence d’un critère relevé de perte « sérieuse » ou « raisonnable » afin de ne pas ouvrir la porte à toutes les réclamations. Parfois, la jurisprudence se contente, pour indemniser, de chances faibles, à ne pas confondre donc avec des chances nulles [31].

Les conditions cumulatives de la responsabilité civile professionnelle de l’avocat réunies, le justiciable pourra alors prendre le chemin, semé d’embûches [32], de la réclamation. Si, en outre, les conditions du contrat d’assurance de l’avocat sont respectées, la lumière indemnitaire apparaîtra au bout du tunnel de la garantie obligatoire [33] dont le parcours est - insistons - parfois obscurcie par certaines pratiques [34].

Dans cette voie, on ne peut que recommander aux justiciables déçus par l’intervention de leur avocat de s’inspirer de modèles de lettre de réclamation rédigé par un spécialiste [35], dont l’effort pédagogique obligera le client à formuler distinctement les trois éléments de la responsabilité, ce qui peut avoir d’importantes vertus préventives quant aux suites à donner, telles que l’évitement de la longue et coûteuse procédure en lien avec l’arrêt du 9 septembre 2020 qui n’a abouti qu’au rappel d’un principe fondamental : pas de préjudice, pas de responsabilité !


[1] R. Bigot et F. Viney (dir.), La profession d’avocat : les risques de l’exercice, colloque du 25 sept. 2020, UFR de Droit et de Science politique d’Amiens, Lexbase Avocat, à paraître.

[2] P. Roger, L’appréhension des risques par l’assureur dominant, in R. Bigot et F. Viney (dir.), colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[3] P. Giraud, Risques et procédure d’appel, in R. Bigot et F. Viney, colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[4] CA Versailles, 2 avril 2019, n° 17/05181 (N° Lexbase : A8878Y7X).

[5] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.047, F-P+B (N° Lexbase : A55733TL).

[6] CE 9° et 8° s-s-r., 20 mars 1989, n° 63562 et 63563 (N° Lexbase : A1008AQE) ; CE 9° et 8° s-s-r., 8 février 1999, n° 140062 (N° Lexbase : A4293AXB) ; CE 3° et 8° ch.-r., 27 décembre 2019, n° 420478, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2845Z9A).

[7] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.047, F-P+B.

[8] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.047, F-P+B.

[9] Sur la notion de faute dans le droit commun, cf. R. Bigot, Le droit de la responsabilité civile, Encyclopédie Lexbase 2020, à paraître ; Adde pour les spécificités de la notion de faute commise par un avocat : F. Viney, Les fautes civiles de l’avocat, in R. Bigot et F. Viney (dir.), colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[10] J. de Salve de Bruneton, Le bénéficiaire des obligations de l’avocat, in R. Bigot et F. Viney (dir.), colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[11] Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 13-16.959, F-D (N° Lexbase : A2983MQK).

[12] Cass. civ. 1, 28 novembre 2018, n° 17-21.947, F-D (N° Lexbase : A9335YN3) ; Y. Avril, Responsabilité des avocats, Dalloz Référence, 4ème éd., 2020, n° 21.131.

[13] H. Slim, La responsabilité civile de l’avocat : les dommages réparables, in R. Bigot et F. Viney (dir.), colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[14] S. Hocquet-Berg, Les dommages réparables par l’avocat fautif, Resp. civ. et assur. 2012, étude 1, p. 6 et s., spéc. n° 4.

[15] S. Hocquet-Berg, Etude 432. La responsabilité des avocats, in Lamy Droit de la responsabilité.

[16] R. Bigot, La responsabilité de l’avocat ayant privé un patient d’une chance d’être indemnisé de l’aggravation de son dommage corporel, RLDC 2016/141, n° 6627, pp. 14-20.

[17] Proposition° 678 - Sénat, présentée par MM. Ph. Bas, J. Bigot et A. Reichardt, Sénateurs.

[18] E. Petitprez et R. Bigot, Du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017 à la proposition de loi du 29 juillet 2020 - Tableau comparatif, Lexbase Privé, octobre 2020, n° 840 (N° Lexbase : N4873BY7).

[19] Cass. civ. 1, 12-09-2019, n° 18-20.526, F-D (N° Lexbase : A4776ZN9) ; Cass. civ. 2, 1er juin 2011, n° 09-72.002, F-P+B, (N° Lexbase : A3131HT7), Bull. civ. II, no 125 ; Cass. com., 7 avril 2009, n° 08-17.778, FS-P+B, (N° Lexbase : A5045EGX), Bull. civ. IV, no 49, JCP G, 2009, nos 29‐30, 142, obs. J.-P. Maublanc ; Cass. civ. 1, 2 avril 2009, n° 08-12.848, F-P+B, (N° Lexbase : A5253EEB), Bull. civ. I, no 72 ; Cass. civ. 1, 6 juillet 2004, n° 02-13.361, F-D (N° Lexbase : A0205DDX) ; Cass. civ. 1, 4 avril 2001, n° 98-11.364 N° Lexbase : A2125ATU).

[20] Cass. civ. 1, 4 avril 2001, n° 98-23.157 (N° Lexbase : A2123ATS), Bull. civ. I, no 107.

[21] Y. Avril, op. cit., Dalloz Référence, 4ème éd., 2020, n° 21.132 : « La préparation du dossier peut engager la responsabilité de l’avocat s’il est avéré qu’elle a été défectueuse. Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris (CA Paris, 1ère ch. B, 15 mai 1998, Gaz. Pal. 1998, Somm. 475), la responsabilité d’une société d’avocats a été retenue. Les magistrats ont relevé que des justificatifs du préjudice n’avaient pas été joints au dossier, la chemise censée les contenir se trouvant vide, et ils ont écarté, faute de pièces justificatives, la demande formulée. En ne produisant pas les pièces nécessaires pour éclairer la juridiction saisie, l’avocat commet une faute. Tel est le cas de décomptes individuels de charges d’un syndicat de copropriétaires poursuivant un recouvrement (TGI Nice, 3e ch. civ., 3 février 2013, RG n° 13/00086). Toutefois le demandeur n’établit pas que ces décomptes ont été approuvés par une assemblée générale des copropriétaires, ce qui sauve l’avocat de façon inespérée. Si une perte de chance est démontrée, la carence de l’avocat à produire une pièce décisive engage sa responsabilité. Tel est le cas d’une société qui aurait pu échapper à un engagement de caution par lequel elle a été définitivement condamnée. L’avocat a omis de produire le registre des délibérations du conseil d’administration qui aurait permis de démontrer l’absence d’habilitation (Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 05-15.139, publié, N° Lexbase : A4158DYN, Bull. civ. I, n° 204, JCP G 2008. I, n° 123, p. 30.). Lorsqu’il s’agit de faire admettre une créance au passif d’une liquidation judiciaire, l’avocat peut être invité par le juge-commissaire, pour que celui-ci admette la créance, à produire des pièces. En ne les fournissant pas, l’avocat engage sa responsabilité (Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 16-12.686, F-P+B N° Lexbase : A2314SXY à paraître) ».

[22] Y. Avril, op. cit., no 21.135 : « Ainsi, en matière de divorce (Toulouse, 1re ch. civ., 26 sept. 1994, Juris-Data n° 047074), non seulement l’avocat n’avait produit aucun élément de preuve pour obtenir le principe d’une prestation compensatoire, mais ses conclusions, déposées le jour de l’audience, avaient été déclarées irrecevables car tardives. En revanche, les juges se montrent circonspects pour retenir la faute de l’avocat lorsque le client est déçu et n’admet pas de supporter seul, sur le plan financier, ses désillusions. Un exemple en est donné également en matière de divorce. Condamné à une prestation compensatoire, le client a fait reproche à son avocat de ne pas avoir suffisamment justifié sa plaidoirie et d’avoir conclu sur les ressources de l’épouse. Après une analyse serrée sur cinq pages, comportant l’examen soigneux des diligences faites par l’avocat, la cour d’appel a débouté le demandeur (CA Rennes, 1ère ch. civ., 4 juin 2002, Bouard c/X, inédit) ».

[23] S. Hocquet-Berg, op. cit., in Lamy Droit de la responsabilité : citant notamment Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-11.647, inédit (N° Lexbase : A1183CYH) ; Cass. civ. 1, 18 mai 2004, n° 01-15.738, F-D (N° Lexbase : A1921DC7) ; Cass. civ. 3, 1er décembre 2004, n° 03-14.033, FS-P+B N° Lexbase : A1310DEA, Bull. civ. III, no 222 ; Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 05-16.447, FS-D (N° Lexbase : A8096DN8).

[24] Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.047, F-P+B (N° Lexbase : A55733TL).

[25] Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-30.646, F-D (N° Lexbase : A1103IX7) ; Cass. civ. 1, 5 mai 2004, n° 02-10.474, F-D (N° Lexbase : A0478DCP).

[26] R. Bigot, L’assurance de responsabilité civile professionnelle de l’avocat : un cas d’absence de préjudice par suite d’un recours manqué devant la CEDH, sous Cass. civ. 1, 4 juillet 2019, n° 18-20.686, F-D (N° Lexbase : A2971ZIU) bjda.fr, 2019, n° 64 ; Comp. Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 04-16.533, FS-D (N° Lexbase : A6125DTZ) ; Cass. civ. 1, 24 juin 2003, n° 01-02.212, F-D (N° Lexbase : A9689C8D) ; Cass. civ. 1, 7 février 1989, n° 87-18.215 (N° Lexbase : A9061CNW).

[27] Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-69.779, F-D (N° Lexbase : A9156GM3).

[28] Y. Avril, Responsabilité des avocats, Dalloz Référence, 4ème éd., 2020, no 23.23.

[29] TGI Amiens, 1er octobre 1959, D., 1960, Jur. 203, note J. V.

[30] TGI Aix-en-Provence, 27 novembre 1975, Gaz. Pal., 1976. I, J, p. 261.

[31] Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.439, F-P+B+I (N° Lexbase : A4084I3N) Bull. civ. I, no 2 ; Gaz. Pal., 2013, 10-12 févr., 2013, p. 19, note G. Deharo ;  Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-24.554, F-P+B+I (N° Lexbase : A6115HY7), Bull. civ. I, no 157 ; Gaz. Pal., 30 oct. 2011, p. 20 et s., obs. D. Houtcieff ; Comp. Cass. civ. 1, 11 mai 2017, n° 16-18.793, F-D, (N° Lexbase : A8904WCR) : les clients « n’avaient subi, du fait de l’avocat, aucune perte de chance de choisir une autre stratégie ».

[32] Y. Avril, Les commissions sinistres et la gestion des risques : respect du réclamant, traitement des sinistres, prévention par des modèles de lettres de réclamation, in R. Bigot et F. Viney (dir.), colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître.

[33] R. Bigot, Les mécanismes de garantie obligatoire des risques, in R. Bigot et F. Viney, colloque préc. du 25 sept. 2020, Lexbase Avocat, à paraître ; A. Cayol,  L’assurance de responsabilité professionnelle, RLDC n° 179, mars 2020, p. 42 et s. ; F. Arhab-Girardin, L’assurance et la responsabilité civile des professions du droit, questions choisies, RLDC, n° 157, mars 2018, n° 6424, p. 49 et s. ; H. Slim, « Les garanties d’indemnisation », in S. Porchy-Simon et O. Gout (coord.), La responsabilité liée aux activités juridiques, Bruylant, coll. « du GRERCA », 2016, pp. 191-206, n° 14 ; R. Bigot et P. Roger, L’assurance des professionnels du procès, RGDA, 2010, n° 3, p. 933.

[34] R. Bigot, Les principes de l’assurance obligatoire de professions du droit chahutés par une pratique séculaire, À propos d’un arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 2017, RGDA, juill. 2017, n° 07, pp. 395-403.

[35] Modèles disponibles sur le site internet de Monsieur le Bâtonnier Yves Avril.

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Baux d'habitation

[Jurisprudence] Locations meublées touristiques et dispositif(s) d’autorisation de changement d'usage : analyse de la décision de la CJUE et conduite de la Cour de cassation

Réf. : CJUE, 22 septembre 2020, aff. C-724/18, Cali Apartments SCI (N° Lexbase : A43833UU)

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N5242BYS

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par Xavier Demeuzoy, Avocat au barreau de Paris, Demeuzoy Avocats

Le 12 Novembre 2020

 


Mots-clés : location meublée touristique •  airbnb • changement d’usage •  Directive « Services » •  compensation • réglementation parisienne

La réglementation française soumettant à autorisation la location, de manière répétée, d'un local destiné à l'habitation pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile est conforme au droit de l'Union européenne ; la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une telle réglementation. Un arrêt attendu de la Cour de cassation doit compléter cette décision de la CJUE.


 

I. Rappel de l’activité de location et des règles du changement d’usage (urbanisme uniquement)

La location meublée touristique ou de courte durée séduit de plus en plus de propriétaires fonciers ou d’investisseurs locatifs, en raison de ses avantages notables en comparaison avec la location de longue durée. En effet, cette activité permet au propriétaire d’un local d’accueillir de manière ponctuelle des touristes et autres locataires de courte durée, qui règlent un loyer à la nuitée.

Les avantages non négligeables de ce type de location ont conduit au développement exponentiel de l’activité, notamment dans les villes et régions à fort attrait touristique (Paris, Lyon, Bordeaux, Côte Basque et Côte d’Azur…) où le nombre de logements mis en location touristique a parfois dépassé le nombre de chambres d’hôtel disponibles.

Face à cette augmentation massive des locations meublées touristiques, différentes villes de France, à commencer par Paris, ont choisi, conformément à la faculté qui leur était ouverte par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0141LNK), d’instaurer un régime d’autorisation de changement d’usage des locaux assorti d’amendes civiles et d’un arsenal de contrôle.

En effet, le dernier alinéa de l’article précité dispose, depuis la loi « ALUR » de 2014 (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 N° Lexbase : L8342IZY) que « le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage ».

II. Rappel sur la réglementation parisienne

Bien qu’il existe une variété de régimes relatifs au changement d’usage des locaux utilisés pour la location meublée touristique en fonction des villes ou régions concernées, cet article se concentrera sur le régime parisien en raison de son lien évident avec l’arrêt commenté de la Cour de justice.

La réglementation parisienne impose certaines restrictions à l’activité de location meublée touristique dans les locaux d’habitation. Ces restrictions, tenant notamment à l’obligation de solliciter une autorisation de changement d’usage, varient en fonction du type de résidence : principale ou secondaire.

Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH), la résidence principale est définie comme le logement occupé au moins huit mois par an (sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure), soit par le propriétaire (ou son conjoint), soit par le preneur ou la personne avec laquelle il vit, soit par une personne à charge.

Pour la résidence principale, on considère donc que celle-ci est définie comme le logement dans lequel le propriétaire réside au moins huit mois dans l’année. Dans ces conditions, il est possible pour le propriétaire de mettre son logement en location meublée de courte durée dans la limite de 120 jours par an.

Au-delà de cette durée, le propriétaire doit procéder au changement d’usage du local. En effet, si la location meublée touristique couvre plus de quatre mois par an (120 jours), cela signifie que le propriétaire n’y passe pas huit mois (ou plus) par an et n’y établit donc pas sa résidence principale.

Dans ces conditions, tout logement qui est occupé par le propriétaire moins de huit mois par an constitue alors sa résidence secondaire. Dans cette hypothèse, le propriétaire de l’appartement devra solliciter auprès des services d’urbanisme une autorisation de changement d’usage.

La nécessité d’une telle autorisation est justifiée par le caractère commercial de l’activité de location meublée touristique. Ainsi, le logement qui est loué sur des plateformes de type Airbnb plus de 120 jours par an devient le siège d’une activité commerciale, et suppose donc que le local soit à usage commercial.

L’autorisation doit être assortie d’une « compensation », qui consiste à transformer un local n’ayant pas un usage d’habitation en local à usage d’habitation afin de compenser le changement d’usage du premier local et de maintenir une offre de logements pour la commune. Cela suppose généralement d’acheter une surface équivalente d’un local commercial ou d’acquérir de la commercialité, ce qui s’avère très coûteux dans la plupart des cas.

III. Fiche d’arrêt de la décision de la CJUE du 22 septembre 2020

La Cour de justice de l’Union européenne statuant en formation de Grande chambre a rendu, le 22 septembre 2020, un arrêt confirmant la validité du dispositif d’autorisation de changement d’usage relatif aux locations meublées touristiques en France.

L’affaire, renvoyée par la Cour de cassation en novembre 2018 (Cass. civ. 3, 15 novembre 2018, deux arrêts, n° 17-26.156, FP-P+B+I N° Lexbase : A1712YLY, et n° 17-26.158, FP-D N° Lexbase : A7950YLZ), opposait à l’origine deux sociétés, Cali Appartments SCI et HX à la Ville de Paris. Ces sociétés étaient propriétaires de studios qu’elles avaient mis en location meublée touristique sur une plateforme en ligne dédiée sans solliciter l’autorisation de changement d’usage requise par la réglementation en vigueur. Les sociétés avaient par conséquent été condamnées au paiement d’une amende civile d’un montant, respectivement de 5 000 et 15 000 euros, en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. Cette décision avait ensuite été confirmée par la cour d’appel de Paris, qui avait finalement augmenté l’amende de la société Cali Appartments SCI à 15 000 euros (CA Paris, 1, 8, 19 mai 2017, n° 16/02954 A3558WD7]).

Les sociétés ont chacune formé un pourvoi en cassation dans lequel elles alléguaient une violation du droit de l’Union européenne. En effet, selon elles, la restriction apportée par le régime relatif au changement d’usage n’était pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, alors même qu’elle portait atteinte au principe de la libre circulation des services assuré au sein de l’espace européen.

La Cour de cassation a choisi de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur le point de savoir si l’activité de location meublée touristique de type « Airbnb » relevait du champ d’application de la Directive européenne dite « services » (Directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 N° Lexbase : L8989HT4) et si le régime d’autorisation mis en place par la Ville de Paris était justifié par la protection de l’accès au logement et du marché immobilier « classique ».

En effet, au sein de l’Union européenne, le principe est celui de la libre circulation (des marchandises, services, personnes et capitaux). Toute restriction, par une mesure nationale, à cette libre circulation est illégale au sens du droit européen et doit disparaître, sauf si la mesure restrictive est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général ou par l’une des raisons listées à l’article 36 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (N° Lexbase : L2683IP3) (ce qui inclut notamment la moralité publique, l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique).

La question était donc de savoir si la restriction apportée par le régime contraignant d’autorisation de changement d’usage mis en place par la Ville de Paris constituait une restriction à la libre circulation des services et si, le cas échéant, elle pouvait toutefois être considérée comme légale car justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la protection du marché immobilier traditionnel.

  • Sur l’applicabilité de la Directive 2006/123

La juridiction européenne retient sans difficulté l’applicabilité de la Directive service au cas d’espèce, dans la mesure où l’activité de location meublée touristique correspond bien à une prestation de service au sens de la Directive, qu’elle ne rentre dans aucune des catégories d’exclusion et qu’elle est d’ailleurs visée de manière générale (immobilier et tourisme) dans le préambule de la Directive elle-même. Reste ensuite à savoir si le régime d’autorisation de changement d’usage instauré par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation constitue un régime d’autorisation ou d’exigence au sens de la Directive susvisée, puisque cette qualification emporte une différence notable dans l’évaluation des critères de conformité aux exigences européennes.

  • Sur la nature du système français d’autorisation de changement d’usage

Sans trop de débat, la Cour de justice reprend l’avis de l’Avocat général en considérant que le système ouvert par l’article L. 631-7 permettant à certains communes ou métropoles d’instaurer un mécanisme d’autorisation préalable de changement d’usage constitue un régime d’autorisation au sens de l’article 4 ainsi que des articles 8 et suivants de la Directive 2006/123.

La Cour retient en effet qu’ « une telle réglementation impose aux personnes souhaitant fournir un tel service de location immobilière de se soumettre à une procédure qui a pour effet de les obliger à effectuer une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir de cette dernière un acte formel leur permettant d’accéder à cette activité de service et de l’exercer », ce qui entraîne la qualification de régime d’autorisation.

Cette qualification emporte elle-même deux conséquences, concernant la conformité de la réglementation européenne : le respect de l’article 9, à savoir l’obligation de justification par une raison impérieuse d’intérêt général et le respect de l’article 10, à savoir la validité des différents critères prévus par le régime d’autorisation pour l’octroi de ces dernières.

  • Sur la justification de la restriction à la libre prestation de services

Sur l’article 9

L’article 9 de la Directive 2006/123 dispose qu’il est possible, pour un Etat, de mettre en place un régime d’autorisation qui viendrait restreindre certains services, à condition que ce régime d’autorisation soit non discriminatoire, justifié par une raison impérieuse d’intérêt général, et qu’aucune mesure moins contraignante ne puisse se substituer au régime prévu en offrant les mêmes garanties d’efficacité.

La Cour ne revient pas sur le premier critère, mais se focalise davantage sur les deuxième et troisième exigences.

Sur la justification par une raison impérieuse d’intérêt général (RIIG), la Cour rappelle que la réglementation française relative aux locations meublées touristiques est, selon l’Etat français, justifiée par la protection du marché locatif classique et par la nécessité de maintenir une offre de logement et des loyers décents. Ces justifications sont elles-mêmes placées sous l’objectif général, retenu comme objectif à valeur constitutionnelle, d’accès à un logement décent.

La Cour de justice retient ces objectifs comme une RIIG, à l’aune de sa jurisprudence sur des affaires similaires. En effet, après avoir rappelé qu’une RIIG l’était car la Cour lui avait donné cette qualification précédemment, elle retient que le régime français est justifié par des objectifs tenant à la protection de l’environnement urbain et de la politique sociale, notamment par la lutte contre la pression foncière et la pénurie structurelle de logement, justifications qu’elle avait déjà validées dans sa jurisprudence antérieure (CJUE, 1er octobre 2009, aff. C‑567/07, Woningstichting Sint Servatius N° Lexbase : A5220ELW, point 3 ; CJUE, 8 mai 2013, aff. C‑197/11, Libert e.a. N° Lexbase : A1499KDU, points 50 à 52).

Sur le troisième et dernier critère, la Cour valide une nouvelle fois l’argumentation de l’Etat français en considérant qu’il n’existe pas de mesure moins contraignante que le régime d’autorisation préalable, car un régime déclaratif n’offrirait pas la même garantie d’efficacité immédiate de la réglementation puisqu’il n’ouvrirait qu’un mécanisme de contrôle a posteriori, incompatible avec les exigences liées à l’objectif recherché.

La Cour précise, par ailleurs, que le champ d’application matériel et géographique de l’article L. 631-7 est limité, d’une part parce qu’il ne concerne que les locaux d’habitation qui ne constituent pas la résidence principale du loueur, et d’autre part car la possibilité ouverte à certaines communes d’instaurer un mécanisme local est restreinte à certains communes et localités (en raison d’une importante population ou d’une tension particulière sur le marché immobilier du territoire concerné).

Sur l’article 10

Aux termes de l’article 10, un régime d’autorisation doit reposer sur des critères non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles.

La Cour revient sur un certain nombre de ces critères, en précisant toutefois qu’il appartient en réalité au juge national, juge de droit commun du droit de l’Union européenne, d’apprécier le respect des exigences rappelées ci-dessus ; la Cour de justice  choisissant toutefois d’apporter des indications et éclaircissements relatifs à l’appréciation de conformité du régime national au droit communautaire.

La question, dans cette partie de l’arrêt, concerne plus particulièrement la faculté laissée aux communes d’assortir le régime déjà contraignant d’autorisation de changement d’usage d’une obligation de compensation pour les propriétaires souhaitant faire de la location meublée touristique. En effet, cette obligation impose aux propriétaires concernés de transformer un local dont l’usage n’est pas initialement l’habitation en local d’habitation, ou d’acquérir de la commercialité, afin de rééquilibrer l’offre sur le marché locatif classique des locaux d’habitation.

Sur la proportionnalité d’abord, la Cour rappelle qu’il ne s’agit que d’une faculté ouverte aux organes locaux de prise de décision, qui sont les mieux placés pour prendre en compte les exigences et spécificités du marché local. La Cour suit l’avis de l’Avocat général en retenant, qu’en principe, l’obligation de compensation peut être un instrument adéquat pour parvenir à l’objectif visé (protection du marché immobilier et de l’offre locative classique).

Néanmoins, la Cour insiste sur l’important rôle du juge national dans l’appréciation concrète de la conformité de chaque régime local avec les exigences de l’article 10 de la Directive 2006/123. En effet,  si la Cour valide en théorie le principe même de la compensation, elle ne procède pas à une analyse concrète au cas par cas de chacune des régimes locaux d’autorisation de changement d’usage, puisque la question posée devant elle ne concerne que l’article L. 631-7 et donc la règlementation nationale.

Dans ces conditions, elle précise qu’il appartiendra au juge national, d’une part, de déterminer si la faculté répond effectivement à une pénurie sur le territoire concerné par la mesure et, d’autre part, de vérifier si la faculté ouverte aux communes et adaptée au marché concerné et compatible avec l’activité de location meublée touristique.

Sur le premier point, elle relève la nécessité de procéder à une analyse locale de la situation du marché immobilier afin de déterminer si le développement de l’activité de location meublée touristique a eu un réel impact sur le territoire sur lequel la mesure est appliquée.

Sur le second point, elle explique d’abord que l’adaptation au marché concerné signifie qu’une différence de traitement dans l’obligation ou non de compenser doit être justifiée par des différences objectives entre territoires (notamment entre différents quartiers ou arrondissements). Cela pourrait notamment soulever des débats lorsque les territoires soumis à un régime local d’autorisation de changement d’usage sont découpés en zones dans lesquelles les contraintes sont plus ou moins importantes. On pense notamment à la Ville de Paris mais encore à la métropole lyonnaise ou la côte basque sur ce point.

La Cour de justice est particulièrement stricte sur l’élément suivant, dans la mesure où elle considère que l’activité de location meublée est sur-rentable et qu’un régime restrictif ne vient pas, en principe, contrarier la possibilité d’exercer une activité d’investissement locatif. En effet, elle retient qu’un propriétaire peut toujours mettre en location classique son logement, location qui n’est pas soumise au régime de l’article L. 631-7 et qui reste toujours rentable, bien que dans une moindre mesure que la location saisonnière.

Sur la clarté, l’objectivité et la non-ambiguïté des critères, la Cour valide la réglementation nationale mais renvoie l’appréciation des délibérations et autres décisions locales au juge national.

IV. Portée de la décision

Ian Brossat, l'adjoint au Logement à la Mairie de Paris, crie déjà victoire : « C'est une victoire totale et doublement importante pour nous. Elle nous conforte dans notre combat contre les locations touristiques anarchiques qui se font au détriment du logement », laissant supposer que la justice européenne vient pleinement et simplement de valider la loi française sur la régulation des locations Airbnb.

Si le système général d’autorisation instauré par l’article L. 631-7 du Code de construction et de l’habitation est en principe validé par la justice européenne, il n’en demeure pas moins certaines nuances et réserves à soulever.

La Cour de justice émet elle-même des réserves s'agissant du mécanisme de compensation mis en place par la Ville de Paris et sur la conformité du droit français aux exigences de clarté, de non-ambiguïté et d'objectivité fixés par le droit européen. En effet, si le principe de la compensation ne soulève pas de difficulté en théorie, la Cour rappelle à plusieurs reprises la nécessité d’adopter le contrôle de conformité aux circonstances locales du marché immobilier.

Dès lors, le juge national devra, au cas par cas, évaluer les caractéristiques du marché immobilier du territoire concerné par la mesure qui est critiquée devant lui. Il lui faudra vérifier l’existence d’une pénurie effective de logements locatifs traditionnels, qui est la conséquence du développement exponentiel des logements mis en location meublée touristique de manière illégale, alors que le régime a justement été instauré pour en réduire les effets néfastes.

Si le système de compensation est adapté pour la localité concernée, il faudra encore en étudier les modalités et les critères qui, comme le rappelle la Cour, doivent répondre à un certain nombre de qualités. La différence de traitement devra donc, par exemple, être justifiée par une différence effective dans le marché locatif.

On pourrait également s’interroger sur la distinction entre les villes et/ou régions dans lesquelles la compensation est obligatoire, celles dans lesquelles elle est soit facultative soit obligatoire en fonction du cas, et les localités où le seul système de demande d’autorisation de changement d’usage est existant. En effet, pourquoi obliger les propriétaires à compenser dans une certaine ville ou région alors qu’un propriétaire dans une même situation (logement de mêmes caractéristiques) ne serait pas soumis à une telle obligation mais seulement à une autorisation préalable ?

Par ailleurs, la Cour de justice évoque dans son arrêt la question de la praticabilité de la compensation. En effet, si en théorie la compensation est toujours envisageable, elle suppose en réalité l’achat et/ou la transformation d’un autre local par le propriétaire, parfois dans un arrondissement ou quartier très spécifique, ce qui peut s’avérer particulièrement coûteux et compliqué. Encore plus compliqué, l’achat de commercialité pour le local concerné s’avère en réalité presque impossible en raison de la faible offre, même sur Paris.

En définitive, si la réglementation « cadre » française a été validée en principe par la justice européenne, la justice française doit encore clarifier certains points relatifs notamment à l’exigence de proportionnalité de la compensation. Il s’agit en effet du rôle du juge national, juge de droit commun de l’Union européenne, de procéder au contrôle de conformité des mesures restrictives. L’arrêt de la Cour de justice n’apporte d’ailleurs que des « indications », que la Cour de cassation pourrait ne pas entièrement suivre.

On pourrait par ailleurs s’interroger sur le contrôle des réglementations locales : la Cour de cassation va se pencher sur le sujet, mais elle vérifiera probablement la compatibilité du régime parisien de réglementation des locaux meublés touristiques. Quid alors du régime à Lyon, Bordeaux, Nice, etc. ? Cela pourrait supposer un contrôle par le juge ordinaire, de chacun des régimes locaux, pour évaluer la compatibilité avec les circonstances locales.

On imagine alors une décision de la Cour de cassation qui pose des critères de contrôle et procède à celui du régime parisien, tout en laissant le soin au juge saisi d’une affaire relative à une autre réglementation locale ou régionale de procéder au contrôle de ladite réglementation avec le marché immobilier concerné.

Affaire à suivre…

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Contrats et obligations

[Brèves] Entretien d’une porte automatique : celui qui est en charge de sa maintenance est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de l’appareil

Réf. : Cass. civ. 3, 5 novembre 2020, n° 19-10.857, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A521433I)

Lecture: 3 min

N5244BYU

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 12 Novembre 2020

Celui qui est chargé de la maintenance d’une porte automatique est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de l’appareil ; par conséquent, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel qui avait considéré qu’il ne s’agissait que d’une obligation de moyens.

Faits et procédure. En dépit des incertitudes dont sa mise en œuvre est empreinte, la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat tient une place majeure dans la responsabilité contractuelle. Tel était le cas sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, comme en témoigne l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 5 novembre 2020, mais tel devrait être également le cas sous l’empire des nouveaux textes (pour la discussion v. O. Deshayes, Th. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2e éd., 2018, comm. art 1231-1). En l’espèce, à la suite du dysfonctionnement d’une porte automatique qui se situait dans une partie commune d’un immeuble, un locataire, qui avait voulu la fermer manuellement avait été blessé. Ce faisant, il assigna en réparation l’assureur du propriétaire de l’immeuble, lequel appela en garantie la société chargée de la maintenance de la porte. La cour d’appel (CA Chambéry, 15 mars 2018, n° 16/00440 N° Lexbase : A9862XGD), mit hors de cause la société, considérant que celle-ci était tenu d’une obligation de moyens « s’agissant des avaries survenant entre deux visites et sans lien avec l’une de ces visites ». Le pourvoi, quant à lui, considérait que la société, en charge de la maintenance et de l’entretien complet de la porte, assume une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité. La Cour de cassation devait donc se prononcer sur la nature de l’obligation en cause.

Solution. Cassant l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT ; cf. désormais C. civ., art. 1231-1 N° Lexbase : L0613KZQ), reproduit dans le chapeau, elle considère que « celui qui est chargé de la maintenance d’une porte automatique d’accès à un parking est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de l’appareil ». C’est ainsi une obligation de résultat qui est mise à la charge de la société en charge de l’entretien de la porte automatique et la formule employée n’est pas sans rappeler celle dont use la même chambre de la Cour de cassation s’agissant de l’entretien de l’ascenseur (Cass. civ. 3, 1er avril 2009, n° 08-10.070 N° Lexbase : A5177EEH, v. notamment D. Bakouche, obs. in Chron., Lexbase, Droit privé, n° 348, avril 2009 N° Lexbase : N0417BKN : « celui qui est chargé de la maintenance et de l’entretien complet d’un ascenseur est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité, la cour d’appel, qui n’a pas relevé que le dysfonctionnement de l’ascenseur était dû à une cause extérieure à l’appareil, a violé le texte susvisé »). Une telle solution confirme l’emprise de la qualification d’obligation de résultat dans le contrat d’entreprise lorsque l’entrepreneur est tenu d’une prestation matérielle (v. également, pour l’obligation incombant au garagiste, Cass. civ. 1, 14 février 2018, n° 16-25.228 N° Lexbase : A7655XDU). Par conséquent, sa responsabilité sera engagée dès lors qu’un dysfonctionnement sera caractérisé et que ce dysfonctionnement sera à l’origine du dommage. Peu importe que la société d’entretien n’ait pas été informée du dysfonctionnement, peu importe que le dysfonctionnement soit en lien avec la précédente visite de la société.

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Droit pénal des affaires

[Brèves] Renforcement du dispositif de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition

Réf. : Ordonnance n° 2020-1342, du 4 novembre 2020, renforçant le dispositif de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition (N° Lexbase : L6106LYS)

Lecture: 4 min

N5179BYH

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par Vincent Téchené

Le 18 Novembre 2020

► Prise sur le fondement de l'article 203 de la loi « PACTE » (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK), une ordonnance, publiée au Journal officiel du 5 novembre 2020, vient renforcer le dispositif de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition.

L'article 1er de l'ordonnance modifie l'article L. 561-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0744LWH) pour préciser les obligations LCB-FT des agents immobiliers et des marchands d'or et de métaux précieux.

Ensuite, sur le modèle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l'article 2 de l’ordonnance dote toutes les autorités de contrôle LCB-FT d'une compétence pour contrôler le respect par les personnes assujetties des obligations prévues par les Règlements européens portant mesures restrictives. Il introduit les sanctions dont sont passibles ces entités en cas de manquement et transfère la responsabilité du contrôle du respect des obligations LCB-FT des marchands d'or et métaux précieux à la direction générale des douanes et droits indirects.

Le texte donne aux ministres chargés de l'Économie et des affaires étrangères la capacité de rendre applicables sans délai pour une période de dix jours les décisions de gel des avoirs du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

L'article 4 de l’ordonnance remanie le dispositif de gel. Il étend l'obligation d'appliquer les mesures nationales de gel des avoirs à toute personne physique ou morale de façon cohérente avec le périmètre retenu par les Règlements européens portant mesures restrictives. Il renforce l'obligation, pour les personnes mentionnées à l'article L. 561-2, de mettre en place une organisation et des procédures internes pour la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition. Les obligations applicables aux groupes relevant du secteur bancaire et financier sont précisées. Enfin, il rétablit la rédaction de l'article L. 562-12 (N° Lexbase : L0672LWS) résultant de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 (N° Lexbase : L9352LUW) et précise, pour les autorités de contrôle des obligations LCB-FT, l'obligation de communiquer au ministère de l'Économie les informations susceptibles de se rapporter à une violation de gel des avoirs.

L’ordonnance donne pouvoir au ministre chargé de l'Économie de mettre en œuvre un mécanisme simplifié d'application des mesures de gel des avoirs prises sur fondement de Règlements européens à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

Les principales modifications contenues dans l’ordonnance sont étendues en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et les îles Wallis et Futuna.

L’ordonnance modifie également l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020, renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le délai d'application, fixé au 31 décembre 2024, de l'obligation de déclaration aux fichiers ultramarins des mandataires et bénéficiaires effectifs des personnes morales et des coffres forts est étendu, en cohérence avec ce qui est prévu pour le Fichier des comptes bancaires et assimilés sur le territoire métropolitain.

L'article 10 de l’ordonnance modifie aussi le Livre des procédures fiscales. Il rend direct l'accès prévu pour les agents des services de l'État chargés de préparer ou de mettre en œuvre toute mesure de gel des avoirs aux bases de données de l'administration fiscale contenant des informations nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Il introduit également une dérogation au secret fiscal au profit de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) afin de permettre la transmission des données relatives aux bénéficiaires effectifs des trusts et fiducies.

L'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable (N° Lexbase : L8059AIC), est également modifiée pour préciser les modalités de contrôle des obligations LCB-FT de la profession.

Enfin, l'article 12 sanctionne des mêmes peines prévues à l'article 459 du Code des douanes (N° Lexbase : L5759IRQ) les manquements aux obligations de mettre en œuvre les mesures de gel des avoirs.

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Filiation

[Brèves] Adoption, par le conjoint du père, de l’enfant né par GPA à l’étranger : quid en l'absence de lien de filiation maternel ?

Réf. : Cass. civ. 1, 4 novembre 2020, deux arrêts, n° 19-50.042 (N° Lexbase : A418333C), et n° 19-15.739 (N° Lexbase : A418433D), FS-P+B+I

Lecture: 6 min

N5248BYZ

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Novembre 2020

► Dans le cadre d’une demande d’adoption de l’enfant né par GPA à l’étranger par le conjoint du père, en l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant, le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption : 1° lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui ; 2° et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

Ces arrêts rendus le 4 novembre 2020 viennent apporter une nouvelle précision, dans le contentieux de la reconnaissance en France des liens de filiation des enfants nés de GPA à l’étranger et plus précisément dans le cadre d’une demande d’adoption de l’enfant né par GPA à l’étranger par le conjoint du père, dans l’hypothèse particulière de l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant.

Deux affaires similaires. Dans les deux affaires, deux enfants étaient nés à l’étranger (en Inde dans la première affaire, et au Mexique dans la seconde), d’un père de nationalité française, ayant eu recours à une convention de gestation pour autrui. La transcription de l'acte de naissance établi à l'étranger ne mentionnait que le nom du père, en l’absence d’indication de la filiation maternelle ; L’époux du père avait formé une demande d'adoption plénière de l'enfant de son conjoint.

Deux décisions de la cour d’appel de Paris en sens contraire. Les affaires s’étaient poursuivies devant la cour d’appel de Paris qui s’était prononcée en sens contraire, les conseillers parisiens accueillant la demande d’adoption plénière par le conjoint du père dans la première affaire ; et rejetant la demande dans la seconde.

Dans la première affaire, les juges parisiens avaient retenu que le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption par l'époux du père de l'enfant né à l'étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude. Ils avaient alors accueilli la demande d’adoption plénière, après avoir analysé que l'acte de naissance de l'enfant, qui mentionnait le père sans faire mention de la gestatrice, avait été établi conformément aux dispositions de la législation indienne et qu'il ne saurait donc être reproché au requérant un détournement ou une fraude.

Dans la seconde affaire, la cour d’appel de Paris avait au contraire rejeté la demande, au motif que rien ne permettait d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de l’enfant aurait renoncé de manière définitive à l'établissement de la filiation maternelle et qu'il en était de même du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant, par le mari du père. Les juges parisiens avaient estimé que, dans ces conditions, il ne pouvait être conclu que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s'attachaient à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant, qui ne pouvait s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants.

Décisions de la Cour de cassation. Saisie d’un pourvoi dans le cadre de chacune des deux affaires (pourvoi du procureur de la République dans la première affaire, du père et de son conjoint dans la seconde affaire), la Cour de cassation va se prononcer, pour chacune, en faveur des requérants à l’adoption.

La Haute juridiction rappelle, avant tout, que le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant (cf. Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-16.455, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7471WLB ; cf. Adeline Gouttenoire, extrait de La GPA devant la Cour de cassation : dernier acte, article paru dans Lexbase, éd. priv., n° 708 N° Lexbase : N9619BW8).

Dans ce prolongement, la Cour de cassation, dans ses arrêts du 4 novembre 2020, vient édicter une nouvelle règle s’agissant de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né d’une GPA à l’étranger, dans la situation de l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant.

Elle approuve alors la règle énoncée par la cour d’appel dans la première affaire, selon laquelle le droit français n'interdit pas, dans ce cas, le prononcé de l'adoption par l'époux du père de l'enfant né à l'étranger de cette procréation, sous deux conditions :

  • que le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui ;
  • et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, ait été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.

Dans cette affaire, elle s’en remet alors à l’analyse détaillée à laquelle avait procédé la cour d’appel qui, de ses constatations et énonciations, avait exactement que déduit l'acte de naissance de l'enfant avait été régulièrement dressé en application de la loi indienne (laquelle permettait bien le recours à la gestation pour autrui lors de la conception de l’enfant et de sa naissance) et qu'en l'absence de filiation maternelle établie en Inde, l'adoption était légalement possible.

Dans la seconde affaire, en revanche, la Haute juridiction censure la décision, reprochant à la cour de ne pas avoir recherché, comme il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée le 10 décembre 2015, par la direction générale du registre civil, à l'officier de l'état civil de la commune mexicaine afin qu'il établisse l'acte de naissance de l'enfant, ne démontraient pas que cet acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi mexicaine, de sorte qu'en l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant, l'adoption plénière était juridiquement possible.

Pour aller plus loin : cf. ETUDE : La gestation ou maternité pour autrui, in La filiation (dir. A. Gouttenoire), Lexbase (N° Lexbase : E4415EY8).

newsid:475248

Licenciement

[Brèves] Au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à son action en justice

Réf. : Cass. soc., 4 novembre 2020, n° 19-12.367, FS-P+B+I (N° Lexbase : A518933L)

Lecture: 2 min

N5196BY4

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par Charlotte Moronval

Le 10 Novembre 2020

► Le seul fait qu'une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d'une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d'une atteinte à la liberté fondamentale d'agir en justice.

Faits et procédure. Des actions en justice sont engagées par deux salariés, portant sur la question de leur lieu de pause. Mis à pied à titre conservatoire puis licenciés pour faute grave au motif de la réalisation d'une collecte bilatérale interdite et dangereuse, ils décident de saisir la juridiction prud’homale en référé, soutenant que leur licenciement intervient en violation de la liberté fondamentale d’agir en justice. La cour d’appel estime qu’il n’a pas lieu à référé et rejette leurs demandes. Les salariés forment alors un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. En effet, la cour d'appel a constaté :

  • que les actions en justice engagées portaient sur la question du lieu de pause, soit sur une question sans rapport avec le motif de licenciement ;
  • que la lettre de licenciement ne contenait pas de référence à ces actions en justice ;
  • que la procédure de licenciement avait été régulièrement suivie ;
  • que la lettre de notification du licenciement était motivée en ce qu'elle contenait l'exposé de faits circonstanciés dont il appartient à la seule juridiction du fond de déterminer s'ils présentent un caractère réel et sérieux notamment au regard de la pratique antérieure, des consignes et de la formation reçues et qu'enfin, pour avoir été inopiné, le contrôle terrain n'en était pas moins une pratique dans l'entreprise dont la déloyauté n'était pas en l'état manifeste s'agissant de celui subi par les deux salariés.

Il en résultait que le licenciement ne présentait pas de caractère manifestement illicite. La cour d’appel a donc, sans inverser la charge de la preuve et procédant à la recherche prétendument omise, exactement déduit l'absence d'un trouble manifestement illicite.

A retenir. Il appartient au salarié considérant que son licenciement a été motivé par son action en justice de rapporter la preuve de ce lien.

V. récemment Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-10.633, F-D (N° Lexbase : A70363WI) : « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits ».

Sur le sujet, v. ETUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Le motif lié à une atteinte à une liberté fondamentale, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E5015ZN3).

 

newsid:475196

Procédure civile

[Brèves] Action en recouvrement des dépens : la notification du certificat de vérification des dépens constitue un acte interruptif de la prescription

Réf. : Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-21.308, F-P+B+I (N° Lexbase : A521233G)

Lecture: 3 min

N5215BYS

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 10 Novembre 2020

La Cour suprême vient rappeler que, en matière de recouvrement la demande en justice interrompt le délai de prescription, et que la notification effectuée par la partie poursuivante par lettre recommandée avec accusé de réception du compte des dépens à l’adversaire emporte l'acceptation par son auteur du compte vérifié ; en conséquence, la notification du certificat de vérification des dépens constitue un acte interruptif de la prescription dans l’action en recouvrement des dépens.

Faits et procédure. Dans cette affaire, la cour d’appel de Montpellier a prononcé, par arrêt rendu le 11 avril 2013, la caducité de la déclaration d’appel et laissé à la charge de l’appelant les dépens de l’instance. L’avocat représentant les intérêts de la partie intimée a obtenu, le 26 juillet 2017, un certificat de vérification des dépens auprès de la juridiction, qu’il a notifié à l’appelant par lettre recommandée avec accusé de réception. Ce dernier a contesté devant le juge taxateur ce certificat, en invoquant la prescription de l’action en recouvrement des dépens.

Le pourvoi. L’avocat demandeur au pourvoi fait grief à l’ordonnance rendue le 27 juin 2019, par le premier président de la cour d'appel de Montpellier statuant en matière de taxe, d’avoir violé les articles 2240 du Code civil (N° Lexbase : L7225IAT), 706 (N° Lexbase : L6911H74) et 718 (N° Lexbase : L6861LET) du Code de procédure civile, en confirmant l’ordonnance constatant la prescription de l’action en recouvrement des dépens. Le demandeur énonce que la notification du certificat de vérification des dépens a interrompu le délai de prescription de l’action en recouvrement. En l’espèce, le premier président avait retenu que la notification du certificat de vérification n’était pas une décision de justice et que la notification ne valait ni acceptation, ni reconnaissance par écrit de la dette, et qu’en conséquence, il n’était pas susceptible d’interrompre la prescription.

Réponse de la Cour. Après avoir énoncé la solution précitée, au visa des articles 2241 du Code civil, 706 et 718 du Code de procédure civile, la Cour suprême relève que l’ordonnance a retenu qu’il convenait d’appliquer le délai de droit commun de cinq ans énoncé par l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), et que le point de départ à prendre en compte était l’arrêt rendu par la cour d’appel déclarant caduc l’appel. Les Hauts magistrats relèvent que l’avocat soutenait qu’il avait déposé sa requête aux fins de taxation et que notifier le certificat de vérifications des dépens en juillet 2017, et que dès lors l’action n’était pas prescrite. Bien plus, l’arrêt énonce que les causes d’interruption de la prescription sont limitativement énumérées dans le Code civil, et que ni la demande de vérifications des dépens, ni la notification du certificat sont susceptibles d’interrompre la prescription extinctive. Enfin, l’ordonnance relève que plus de cinq ans se sont écoulés entre l’arrêt prononçant la condamnation aux dépens, et l’ordonnance rendue sur le recours, et qu’aucun acte n’était venu interrompre la prescription de l’action en recouvrement des dépens.

Solution. Le raisonnement est censuré par la Cour suprême qui casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt d’appel.

 

Pour aller plus loin : V. ETUDE : Les honoraires, émoluments, débours et modes de paiement des honoraires, « La prescription en matière d'honoraires de l'avocat », in La profession d’avocat, Lexbase ([LXB=E37873RP).

newsid:475215

Procédure pénale

[Brèves] Annulation du dessaisissement d’un juge d’instruction au profit d’une procédure visant les mêmes faits : aucune pièce du dossier irrégulièrement versée ne doit subsister

Réf. : Cass. crim., 28 octobre 2020, n° 20-81. 615, F-P+B+I (N° Lexbase : A49413ZZ)

Lecture: 4 min

N5098BYH

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par Adélaïde Léon

Le 18 Novembre 2020

► La chambre de l’instruction qui constate la nullité d’un acte de procédure doit annuler, par voie de conséquence, les pièces qui ont pour support nécessaire l’acte vicié ;

Ainsi, lorsqu’une ordonnance de dessaisissement d’un dossier d’information est annulée, les pièces de ce dossier doivent être retirées du dossier dans lequel elles ont été irrégulièrement versées ; aucun des éléments de la procédure initiale, versés ou réalisés en raison du dessaisissement vicié, ne doivent subsister dans la procédure irrégulièrement destinataire.

Rappel des faits. Un juge d’instruction de la juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Rennes a été saisi d’un dossier d’information, ouvert du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants.

Par la suite, un juge d’instruction de Nantes s’est dessaisi au profit du magistrat rennais d’un dossier ouvert à son cabinet, et portant sur des faits de même nature.

Plusieurs mois plus tard, un individu a été mis en examen dans cette information. L’avocat de l’intéressé a saisi la chambre de l’instruction d’une demande en nullité.

En cause d’appel. En l’absence de réquisition de dessaisissement du procureur de la République, la chambre de l’instruction a annulé l’ordonnance de dessaisissement du juge d’instruction nantais et le réquisitoire supplétif saisissant le juge rennais, ayant pour support nécessaire la procédure d’instruction nantaise transmise dans le cadre de ce dessaisissement irrégulier. La juridiction d’appel a toutefois refusé d’annuler d’autres pièces de la procédure.

Selon la chambre de l’instruction, dans la mesure où les éléments de la procédure nantaise visaient les même faits et les mêmes protagonistes que la procédure rennaise, le magistrat instructeur de la JIRS était déjà saisi et le réquisitoire supplétif était superfétatoire. Elle a donc refusé de retirer du dossier rennais l’enquête préliminaire ainsi que l’instruction suivie à Nantes.

Moyens du pourvoi. Le mis en examen reprochait à la chambre de l’instruction de ne pas avoir considéré que l’annulation de l’ordonnance de dessaisissement aurait dû entraîner l’annulation, par voie de conséquence, du transfert de la procédure du juge d’instruction rennais, et donc, le retour du dossier à cette juridiction ou son retrait du dossier de l’information menée par le juge d’instruction de la JIRS de Rennes. Considérant que des interceptions téléphoniques poursuivies par le juge rennais, subséquentes à celles ordonnées sur commission rogatoire du juge nantais, avaient pour support nécessaire l’ordonnance de dessaisissement, attributive de compétence au juge rennais pour poursuivre ces interceptions, l’intéressé reprochait à la chambre de l’instruction de n’avoir pas annulé également ces actes.

Décision de la Cour. La Chambre criminelle censure l’arrêt de la chambre de l’instruction au visa de l’article 174, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8646HW7). Elle rappelle qu’en vertu de ces dispositions, la chambre de l’instruction qui constate la nullité d’un acte de procédure doit annuler, par voie de conséquence, les pièces qui ont pour support nécessaire l’acte vicié.

Faisant application au cas d’espèce, la Cour juge que lorsqu’une ordonnance de dessaisissement d’un dossier d’information est annulée, les pièces de ce dossier doivent être retirées du dossier dans lequel elles ont été irrégulièrement versées. Aucun des éléments de la procédure nantaise, versés ou réalisés en raison du dessaisissement irrégulier, ne devait donc subsister dans la procédure rennaise. Et ce quand bien même les deux procédures visaient les même faits et les mêmes protagonistes.

Pour aller plus loin : F. Dupuis, ÉTUDE : Le contrôle et la contestation des actes d’investigation, Les conséquences de la nullité, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E3945ZM3)

 

newsid:475098

Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Chaises « Tulip » et appliques électriques devant la Cour de cassation : le droit d’auteur confronté au design

Réf. : Cass. civ. 1, 7 octobre 2020, deux arrêts, n° 18-19.441, F-D (N° Lexbase : A33713X7) et n° 19-11.258, F-D (N° Lexbase : A32783XP)

Lecture: 17 min

N5203BYD

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par Caroline Le Goffic, Maître de conférences - HDR, Co-directrice du Master 2 Droit des activités numériques, Université de Paris

Le 10 Novembre 2020


Mots-clés : droit d’auteur • dessins et modèles • arts appliqués • unité de l’art • originalité

Les deux arrêts rendus le 7 octobre 2020 par la première chambre civile de la Cour de cassation sont riches d’enseignement quant à l’appréciation de l’originalité des œuvres des arts appliqués, en droit américain comme en droit français.


 

La question de la protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués – domaine du design – est décidément au cœur de l’actualité judiciaire, de part et d’autre de l’océan Atlantique. Après la Cour suprême des États-Unis [1] et la Cour de justice de l’Union européenne [2], la Cour de cassation s’est prononcée sur le sujet par deux arrêts rendus par sa première chambre civile le 7 octobre 2020. La comparaison des deux affaires est d’autant plus instructive que la Cour y applique, pour la première, le droit américain et, pour la seconde, le droit français (interprété à la lumière de la jurisprudence de la CJUE).

La première affaire [3] concernait un modèle de chaise dit « Tulip », créé en 1957 et fabriqué par une société américaine. Cette dernière avait constaté que quatre-vingts chaises fournies à la chambre de commerce et d’industrie d’Amiens-Picardie reprenaient les caractéristiques de la chaise « Tulip », et avait assigné la CCI en contrefaçon de droit d’auteur. La cour d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 13 avril 2018 [4], avait rejeté cette demande, estimant que le modèle de chaise n’était pas protégeable en France au titre du droit d’auteur, en application du droit américain.

La seconde affaire [5] concernait un modèle d’applique destiné à éclairer des tableaux, créé au début des années 1980. La société en charge de son exploitation commerciale avait fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon, puis assigné en contrefaçon de droits d’auteur et en concurrence déloyale une société qui utilisait des appliques similaires. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 20 septembre 2018 [6], avait déclarée infondée ces actions, en application du droit français.

Les deux affaires ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

À titre liminaire, ces deux affaires permettent de souligner l’intérêt du droit d’auteur pour les entreprises d’objets de design. Dans de nombreux systèmes juridiques, il existe une protection spécifique pour ce type de créations des arts appliqués : les dessins et modèles. Toutefois, comme l’avait relevé la Cour de justice dans l’arrêt « Cofemel » [7], la fonction de ce droit est de protéger des objets qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits massivement. Cette protection est destinée à s’appliquer pendant une durée limitée mais suffisante pour permettre de rentabiliser les investissements nécessaires à la création et à la production de ces objets, sans pour autant entraver excessivement la concurrence. En conséquence, la durée de protection des dessins et modèles est relativement brève (5 ans, renouvelable quatre fois au maximum dans l’Union européenne [8], et 14 ans aux États-Unis [9]).

D’où l’intérêt pour les créateurs de pouvoir invoquer le droit d’auteur, cumulativement au droit des dessins et modèles et surtout à l’expiration de ce droit spécifique. Dans les affaires en cause, le droit d’auteur, d’une durée très significativement supérieure (70 ans après la mort de l’auteur), était effectivement le seul droit de propriété intellectuelle invocable puisque les objets avaient été créés en 1957 pour l’un, et au début des années 1980 pour l’autre.

Pour autant, la question se pose de savoir à quelles conditions un tel cumul de protection est possible. Quelles sont les conditions de protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués ? Les deux arrêts rendus le 7 octobre 2020 par la Cour de cassation apportent d’utiles précisions à cet égard, en application du droit américain (I) et du droit français et européen (II).

I. La protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués en droit américain : la condition de séparabilité des éléments esthétiques

Pourquoi la Cour de cassation fait-elle application du droit américain dans la première affaire ?

C’est dans la Convention de Berne du 9 septembre 1886 sur la protection des œuvres littéraires et artistiques que se trouve la réponse. En vertu de l’article 2.7 de ce traité, il est réservé aux législations des pays contractants de régler le champ d’application des lois concernant les œuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, ainsi que les conditions de protection de ces œuvres, dessins et modèles. Pour les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d’origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l’Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n’est pas accordée dans ce pays, ces œuvres seront protégées comme œuvres artistiques.

Ce texte, bien connu des spécialistes du droit du design [10], pose ainsi une règle de conflit de loi, qui fait varier la loi applicable en fonction du régime de la création dans le pays d'origine de l'œuvre. En conséquence, il convient dans l’affaire en cause de rechercher si les États-Unis protègent les sièges litigieux au titre du droit d'auteur, auquel cas la loi applicable au bénéfice de la protection est la loi française sur le droit d'auteur dès lors que la protection est réclamée en France, ou si au contraire les Etats-Unis protègent uniquement les sièges revendiques au titre des dessins et modèles, auquel cas ceux-ci ne peuvent bénéficier que de cette protection spéciale en France.

Il importe donc de savoir si aux États-Unis, pays d’origine du modèle, l’objet est susceptible d’une telle protection par le copyright.

C’est sur ce point que les parties s’opposaient, livrant chacune une interprétation divergente du droit américain. La demanderesse soutenait que la chaise « Tulip » bénéficiait d'une protection au titre du copyright américain, tandis que la défenderesse affirmait au contraire qu’elle ne bénéficiait d'aucune protection à ce titre.

Le juge français est donc tenu de déterminer dans quelles conditions le droit positif américain protège les œuvres d'art appliqué et quelle méthode doit être suivie pour apprécier si de telles œuvres sont éligibles à la protection du copyright. Pour ce faire, il doit se fonder sur les consultations et certificats de coutume produits par les parties. En particulier, la question a fait l’objet d’une décision « Star Athletica, LLCv. Varsity Brands » de la Cour suprême des États-Unis du 22 mars 2017.

C’est l’interprétation de cet arrêt, et son application aux faits de l’espèce, qui est au cœur de l’arrêt de la Cour de cassation. Cette dernière retient que, selon la Cour suprême des États-Unis, la protection du copyright est exclue pour un objet utilitaire sauf s'il contient des éléments artistiques séparables qui peuvent être considères en eux-mêmes comme des œuvres picturales, graphiques ou sculpturales, auquel cas la protection ne s'étend qu'à ces éléments. En d’autres termes, le critère essentiel est celui de la séparabilité des éléments esthétiques [11].

Il est intéressant de comparer ce critère avec celui retenu par la CJUE [12]. Les critères sont légèrement différents et néanmoins proches. En effet, la CJUE ne pose pas en tant que telle une condition de séparabilité des éléments esthétiques, allant même jusqu’à affirmer dans l’arrêt « Cofemel » l’indifférence de l’effet esthétique susceptible d’être produit par un modèle, élément qui ne permet pas, en lui-même, de caractériser l’existence d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité [13], ni de déterminer si ce modèle constitue une création intellectuelle reflétant la liberté de choix et la personnalité de son auteur [14]. Cette différence apparente entre l’approche américaine et l’approche européenne doit toutefois être nuancée par le fait que, dans les deux cas, il est exigé que le modèle puisse être considéré comme une œuvre au sens du droit d’auteur, ce qui signifie, en droit américain [15] comme en droit européen [16], que le modèle doit satisfaire à l’exigence d’originalité. De ce point de vue, l’exigence américaine de séparabilité des éléments esthétiques n’est pas sans rappeler l’exigence européenne d’une forme non dictée en totalité par des considérations techniques [17]. En réalité, dans les deux cas, sont exigés des éléments arbitraires, c’est-à-dire non fonctionnels, pouvant être considérés indépendamment de tout aspect utilitaire.

Appliquée aux faits de l’affaire en cause, la solution américaine aboutit au constat fait par les juges du fond, et approuvé par la Cour de cassation, selon lequel aucun élément artistique de la chaise « Tulip » ne peut être séparé de sa forme fonctionnelle. En effet, les juges estiment que la forme de la chaise « Tulip », épurée et guidée par les principes du design moderne, suivant lesquels la forme suit la fonction, obéit certes à une recherche esthétique, mais répond à des objectifs fonctionnels tenant à des impératifs d'économie de construction, de solidité́, de confort pour l'utilisateur, que l'auteur a, du reste, rappelés dans la description de la demande de brevet d'invention qu'il a déposée. Il en résulte que le modèle de chaise n’est pas susceptible de protection par le copyright, et que la demanderesse ne peut donc solliciter en France la protection du droit d’auteur.

Il est vraisemblable que la même solution aurait résulté de l’application du droit européen, dans la mesure où, si tous les éléments de la chaise « Tulip » obéissent à des objectifs fonctionnels, la forme du modèle est uniquement dictée par sa fonction technique, ce dont il découle que le produit ne peut relever de la protection au titre du droit d’auteur, en vertu de l’arrêt « Brompton » [18].

En définitive, l’objectif de la règle est le même aux États-Unis et en Europe : il s’agit de réserver l’accès à la protection par le droit d’auteur et le copyright aux œuvres d’art appliqué méritant véritablement d’être qualifiées d’œuvres [19]. La solution inverse entraverait excessivement la concurrence, par l’octroi d’un monopole beaucoup plus long que celui des dessins et modèles à des objets à caractère utilitaire ayant vocation à être produits massivement.

II. La protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués en droit français et européen : la condition d’originalité de l’œuvre

Le second arrêt rendu par la Cour de cassation fait application des solutions posées par la Cour de justice de l’Union européenne quant à la protection par le droit d’auteur des œuvres des arts appliqués.

On sait que la CJUE a rendu deux arrêts remarqués sur cette question.

Dans l’arrêt « Cofemel » [20], elle a posé le principe de l’unité de l’art, en permettant que des modèles puissent, le cas échéant, être qualifiés d’ « œuvres » au sens de la Directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur (N° Lexbase : L8089AU7).

En d’autres termes, il est possible de cumuler la protection par le droit des dessins et modèles et celle offerte par le droit d’auteur. Encore faut-il que le modèle en question constitue une œuvre, notion que la CJUE qualifie de « notion autonome du droit de l’Union » [21], et pour laquelle elle pose deux conditions. D’une part, cette notion implique qu’il existe un objet original, en ce sens que celui-ci est une création intellectuelle propre à son auteur. À cette fin, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier. Cette affirmation a notamment pour conséquence d’exclure toute législation nationale qui imposerait un seuil d’originalité plus élevé pour les créations du design que pour les autres œuvres. D’autre part, la qualification d’œuvre est réservée aux éléments qui sont l’expression d’une telle création.

C’est essentiellement sur la première condition que portent les difficultés relatives à l’appréciation de l’originalité d’œuvres des arts appliqués, qui ont par définition une fonction utilitaire et technique. Sur ce point, la CJUE a indiqué dans l’arrêt « Cofemel » que « lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre » [22]

Dans l’arrêt « Brompton » [23], la Cour a précisé ce point, en indiquant qu’« un objet satisfaisant à la condition d’originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, quand bien même la réalisation de celui-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu’une telle détermination n’a pas empêché l’auteur de refléter sa personnalité dans cet objet, en manifestant des choix libres et créatifs » [24]. Tel n’est pas le cas lorsque la forme du produit est uniquement dictée par sa fonction technique : ledit produit ne pourrait relever de la protection au titre du droit d’auteur [25]. Dès lors, afin d’établir si le produit concerné relève de la protection au titre du droit d’auteur, il revient au juge de déterminer si, à travers ce choix de la forme du produit, son auteur a exprimé sa capacité créative de manière originale en effectuant des choix libres et créatifs et a modelé le produit de sorte qu’il reflète sa personnalité. La CJUE précise en outre que la théorie dite de la multiplicité des formes doit être rejetée : « dans ce contexte, et dès lors que seule l’originalité du produit concerné doit être appréciée, l’existence d’autres formes possibles permettant d’aboutir au même résultat technique, si elle permet de constater l’existence d’une possibilité de choix, n’est pas déterminante pour apprécier les facteurs ayant guidé le choix effectué par le créateur » [26].

En définitive, la question est donc de savoir si l’apparence du produit est dictée en totalité par des considérations techniques, ce qui exclut l’application du droit d’auteur, ou bien si elle n’est qu’en partie dictée par ces considérations, auquel cas les aspects non fonctionnels peuvent donner prise au droit d’auteur s’ils révèlent des choix libres et créatifs du designer. Dans l’arrêt « Brompton », la CJUE a ajouté que dans cette analyse, le juge doit tenir compte de « tous les éléments pertinents du cas d’espèce » [27].

C’est sur ce point que portait le contentieux dans l’affaire des appliques électriques. Comme dans l’affaire des chaises « Tulip », la difficulté résidait dans le caractère apparemment fonctionnel de l’apparence de l’objet. La cour d’appel avait refusé de protéger le modèle d’applique par le droit d’auteur, considérant que « la longueur du tube de la lampe ainsi que ses arches en demi-courbe sans position déterminée présentaient un caractère fonctionnel et que cette combinaison choisie entre plusieurs fonctionnalités, qui s'inscrit dans une tendance ancienne, ne traduisait pas un parti-pris esthétique manifestant la personnalité́ de son auteur ». Au passage, on relèvera une expression utilisée par la cour d’appel qui n’est pas sans rappeler le critère américain de la séparabilité des éléments esthétiques : « il n’est pas démontré que les caractéristiques invoquées sont nettement dissociables de tout caractère fonctionnel de la création revendiquée ».

Mais l’arrêt est cassé par la Cour de cassation, au motif suivant : « En se déterminant ainsi sans prendre en considération, comme il le lui incombait, l'ensemble des caractéristiques dont la combinaison était revendiquée comme fondant l'originalité́ de l'œuvre, la cour d'appel n'a pas donné́ de base légale à sa décision ». Ce faisant, la Cour fait application de la jurisprudence « Brompton », qui impose de tenir compte de tous les éléments pertinents du cas d’espèce dans l’appréciation de l’originalité. S’agissant du modèle d’applique électrique, les juges du fond auraient dû, notamment, rechercher si l'originalité́ de la lampe ne résultait pas non seulement de la combinaison des éléments précités mais également, comme le soutenait la société́ demanderesse, de leur combinaison avec une source lumineuse « invisible », des « embouts de la lampe épous[a]nt harmonieusement le tube lumineux de section ronde et se prolonge[ant] par deux arches fines (de section ronde également) venant s'effacer derrière le tableau selon une demi-courbe d'angle en demi-cercle, sans se rejoindre sur un support fixe » ainsi qu'« un aspect brillant et lisse ». Autrement dit, la Cour de cassation reproche aux juges du fond – sans que cela ne préjuge de l’issue du litige quant à l’éventuelle protection du modèle par le droit d’auteur – de ne pas avoir pris en compte toutes les caractéristiques dont la combinaison était invoquée pour justifier de l’originalité de la lampe.

Affaire à suivre, donc, devant la cour d’appel de Lyon à laquelle est renvoyée l’affaire. Néanmoins, compte tenu des règles posées par la CJUE dans les arrêts « Cofemel » et « Brompton », il est loin d’être certain que l’applique électrique en question franchisse le seuil d’exigence requis pour sa protection par le droit d’auteur.

En toute hypothèse, s’il était jugé que la condition d’originalité n’est pas remplie, la société demanderesse pourrait s’appuyer sur une action en concurrence déloyale. En effet, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt, « l'action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif ». Ce principe est de jurisprudence constante [28]. Encore faut-il, naturellement, apporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux [29].

 

[1] Cour suprême des États-Unis, 22 mars 2017, Star Athletica v. Varsity Brands, [en ligne].

[2] CJUE, 12 septembre 2019, aff. C-683/17 (N° Lexbase : A0761ZNI), arrêt « Cofemel » ; A. Marchese et L. Vauban, Lexbase Affaires, octobre 2019, n° 610 (N° Lexbase : N0780BYK) – CJUE, 11 juin 2020, aff. C-833/18 (N° Lexbase : A27993NY), arrêt « Brompton » ; E. de La Forest Divonne et P. Hazera, Lexbase Affaires, juillet 2020, n° 642 (N° Lexbase : N4056BYU).

[3] Pourvoi n° 18-19.441.

[4] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 13 avril 2018, n° 15/05833 (N° Lexbase : A0334XLX).

[5] Pourvoi n° 19-11.258.

[6] CA Aix-en-Provence, 20 septembre 2018, n° 15/13706 (N° Lexbase : A3864X7A).

[7] CJUE, 12 sept. 2019, aff. C-683/17, préc..

[8] Article 10 de la Directive n° 98/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles (N° Lexbase : L0007AW8).

[9] 35 U.S.C. 173.

[10] V. notam. l’affaire « Tod’s c. Heyraud », qui met en balance cette règle avec le principe communautaire de non-discrimination en raison de la nationalité : CJCE, 30 juin 2005, aff. C-28/04 (N° Lexbase : A1667DKX).

[11] V., faisant écho à ces termes, l’article de C. Bernault, La protection des formes fonctionnelles par le droit de la propriété intellectuelle : le critère de la forme séparable de la fonction, D., 2003, chron. p. 957.

[12] Cf. décisions « Cofemel » et « Brompton », préc..

[13] Point. 53.

[14] Point. 54.

[15] Feist Publications, Inc., v. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991) : “The sine qua non of copyright is originality”.

[16] CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10 (N° Lexbase : A4925H3S) ; CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08 (N° Lexbase : A9796EIN).

[17] V. arrêt « Brompton ».

[18] Point. 33.

[19] Arrêt « Cofemel », point 50.

[20] Arrêt préc., point 48.

[21] Arrêt « Cofemel », point 29.

[22] Point 31.

[23] Préc..

[24] Point 26.

[25] Point 33.

[26] Point 35.

[27] Point 37.

[28] Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-26.950, F-D (N° Lexbase : A7069RSM), PIBD, 2016, 1054, III-640 ; Propr. intell., octobre 2016, p. 521, note P. Massot  – Cass. com., 4 février 2014, n° 13-12.204, F-D (N° Lexbase : A9149MD9), PIBD 2014, 1003, III-318 – Cass. com., 10 décembre 2013, n° 11-19.872, F-D (N° Lexbase : A3660KRY), PIBD 2014, 999, III-113 – Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-15.050, F-D (N° Lexbase : A9338D8D), PIBD, 2008, 881, III-532 – Cass. com., 14 novembre 2018, n° 16-25.692, F-D (N° Lexbase : A7987YLE), Dalloz, IP/IT, mars 2019, p. 163, obs. C. Le Goffic.

[29] Cass. com., 10 décembre 2013, préc..

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Protection sociale complémentaire

[Brèves] Portabilité des droits garantie en cas de liquidation judiciaire

Réf. : Cass. civ. 2, 5 novembre 2020, n° 19-17.164, FS-P+B+I (N° Lexbase : A521033D)

Lecture: 3 min

N5188BYS

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par Laïla Bedja

Le 10 Novembre 2020

► L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0437IXH) permet aux salariés garantis collectivement de bénéficier du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par l’assurance chômage, selon des conditions qu’il détermine ; ces dispositions, à caractère d’ordre public, n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises ou associations in bonis et les salariés dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et ne prévoient aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance.

Les faits et procédure. Une société a souscrit, le 1er décembre 2012, un contrat collectif d’assurance complémentaire santé au bénéfice de ses salariés auprès d’une société d’assurance.

Par un jugement du 17 mai 2016, la société a été placée en liquidation judiciaire, avec désignation d’un liquidateur. Ce dernier a sollicité de l’assureur la mise en œuvre, au bénéfice des salariés licenciés, du dispositif de maintien des garanties prévu par l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale.

L’assureur soutenant que le régime de portabilité des droits ne pouvait s’appliquer en cas de liquidation judiciaire de l’adhérent, le liquidateur l’a assigné devant un tribunal de commerce.

Le pourvoi. La cour d’appel ayant ordonné à l’assureur de maintenir le contrat de complémentaire santé souscrit postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire et d’assurer la portabilité des droits correspondants au profit des anciens salariés, l’assureur a formé un pourvoi en cassation selon le moyen que le maintien des garanties est subordonné à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance lorsque l’entreprise souscriptrice est placée en liquidation judiciaire. En l’espèce, la cour d’appel a considéré que la loi ne subordonnait la portabilité des droits au profit des salariés licenciés qu’à l’existence et l’application d’un contrat collectif de complémentaire au jour où le licenciement du salarié est intervenu et ne crée aucune exclusion sauf en cas de faute lourde du salarié. Pour l’assureur, la cour d’appel aurait dû rechercher l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien de la couverture santé et prévoyance, le financement pesant sur l’employeur et les salariés, et non sur l’assureur.

Rejet. L’argument ne sera pas retenu par les Hauts-magistrats. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi.

La Cour de cassation s’était prononcée sur ce point dans plusieurs avis du 6 novembre 2017 (Cass. avis, 6 novembre 2017, n° 17013 N° Lexbase : A8557WYL, , n° 17014 N° Lexbase : A8558WYM, n° 17015 N° Lexbase : A8559WYN, n° 17016 N° Lexbase : A8560WYP et n° 17017 N° Lexbase : A8561WYQ ; lire le comm. de Ch. Willmann, Liquidation judiciaire de l'employeur : maintien des garanties prévoyance et santé, mais de manière limitée, Lexbase Social, novembre 2017, n° 721 N° Lexbase : N1526BXS).

Pour en savoir plus : V. ÉTUDE : Mise en place des régimes de protection sociale complémentaire, La mise en oeuvre de la portabilité, in Droit de la protection sociale, Lexbase (N° Lexbase : E3553EU7)

L’arrêt sera prochainement commenté dans Lexbase Social.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] TVA et refacturations de coûts effectuées par une société vers ses succursales : première application de la jurisprudence communautaire « Skandia »

Réf. : CE 3° ch., 4 novembre 2020, n° 435295, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A517133W)

Lecture: 4 min

N5243BYT

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par Marie-Claire Sgarra

Le 22 Mars 2021

Les prestations de services fournies par un établissement principal à sa succursale établie dans un autre État membre constituent des opérations imposables quand cette dernière est membre d'un groupement de TVA.

Le Conseil d’État a, pour la première fois, fait application de la jurisprudence communautaire « Skandia » (CJUE, 17 septembre 2020, aff. C-7/13 N° Lexbase : A5584MWQ). Pour rappel, la CJUE avait en effet jugé que la législation européenne doit être interprétée en ce sens que :

  • les prestations de services fournies par un établissement principal établi dans un pays tiers à sa succursale établie dans un État membre constituent des opérations imposables quand cette dernière est membre d’un groupement de personnes pouvant être considérées comme un seul assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ;
  • dans une situation où l’établissement principal d’une société située dans un pays tiers fournit des services à titre onéreux à une succursale de la même société établie dans un État membre et où ladite succursale est membre d’un groupement de personnes pouvant être considérées comme un seul assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée dans cet État membre, ce groupement, en tant que preneur desdits services, devient redevable de la taxe sur la valeur ajoutée exigible.

Les faits. La société au litige, qui exerce une activité d'intermédiation financière, a fait l'objet de vérifications de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L'administration fiscale a estimé que la TVA ayant grevé l'acquisition des biens et services utilisés exclusivement pour les opérations internes réalisées avec les succursales établies dans les pays membres de l'Union européenne ne pouvait ouvrir droit à déduction au motif que ces opérations étaient situées hors du champ d'application de la TVA, mais a toutefois admis, par mesure de tempérament, la déduction d'une fraction de la taxe en cause en tenant compte des proportions d'opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée de ces exploitations dans leur pays d'implantation.

Par deux jugements du 15 décembre 2014 et du 9 février 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes en décharge présentées par la société. Le ministre se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il a, après avoir annulé ces jugements, déchargé la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents aux crédits de cette taxe reportée. La société se pourvoit en cassation contre l'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il a, après avoir annulé ces jugements et déchargé la société d'une partie des rappels de TVA mis à sa charge, refusé la décharge des rappels résultant des opérations effectuées, entre 2007 et 2013, avec ses succursales de Francfort, Londres et Madrid (CAA CAA de Versailles, 19 septembre 2019, n° 15VE00454 et 17VE01071 N° Lexbase : A6499ZQR).

La société a fait valoir que certaines de ses succursales étant chacune membre d’un groupe TVA dans leur État membre d’établissement, la refacturation des dépenses en cause ne constitue pas des opérations internes d’un assujetti unique mais des opérations réalisées entre deux assujettis distincts.

Par cet arrêt, le Conseil d’État confirme la qualité d’assujetti distinct d’une succursale vis-à-vis de son siège dès lors que, dans son pays d’établissement, elle appartient à un groupe TVA.

À noter, la CJUE devra statuer bientôt statuer sur une situation inverse et répondre à la question suivante : une succursale suédoise d’une banque qui a son établissement principal dans un autre État membre que la Suède est-elle, lorsque l’établissement principal fait partie d’un groupe TVA dans l’autre État membre, tandis que la succursale suédoise n’est membre d’aucun groupe TVA en Suède, considérée comme un assujetti distinct quand l’établissement principal fournit à la succursale des services dont il alloue les coûts à celle-ci   ? (aff. C-812/19).

 

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