La lettre juridique n°828 du 18 juin 2020

La lettre juridique - Édition n°828

Actes administratifs

[Brèves] Droit « souple » : recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les documents de portée générale émanant d'autorités publiques

Réf. : CE Sect., 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A55233NU)

Lecture: 3 min

N3724BYL

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par Yann Le Foll

Le 17 Juin 2020

Les lignes directrices émanant d'autorités publiques sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre, et sont, par suite, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Rappel. A l'occasion de deux arrêts rendus le 21 mars 2016 (CE, Ass., 21 mars 2016, deux arrêts publiés au recueil Lebon, n°s 368082, 368083, 368084 N° Lexbase : A4320Q8I et 390023 N° Lexbase : A4296Q8M), le Conseil d'Etat a accepté pour la première fois de connaître de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des actes de droit souple (communiquées de presse publiés par l'Autorité des marchés financiers et  prise de position de l'Autorité de la concurrence), notamment lorsque l'acte contesté est de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou lorsqu'il a pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s'adresse (lire P. Tifine, Le recours pour excès de pouvoir est désormais recevable contre certains actes de droit souple N° Lexbase : N2335BWE.

Note d'actualité contestée et prolongement de la jurisprudence « Fairvesta ». La « note d'actualité » contestée émanant de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières, vise à diffuser une information relative à l'existence d'une « fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil et les jugements supplétifs » et préconise en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d'actes d'état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen. Eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française, cette note peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil précise que la note contestée entre dans les attributions de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité dont elle émane. Et, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une décision, le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait les  de l'article L. 212-1 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : Z14657PU), relatives à la signature des décisions et aux mentions relatives à leur auteur ne peut qu'être écarté.

La Haute juridiction ajoute que l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) dispose que : «Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». La note contestée préconise l'émission d'un avis défavorable pour toute analyse d'acte de naissance guinéen et en suggère à ses destinataires la formulation. Elle ne saurait toutefois être regardée comme interdisant à ceux-ci comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l'examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d'y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) doit donc être écarté.
Rejet. Le GISTI n'est donc pas fondé à demander l'annulation du document qu'il attaque.

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Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfants : précisions de la Cour de cassation concernant la détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-24.108, FS-P+B+I (N° Lexbase : A43303NP)

Lecture: 8 min

N3697BYL

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 18 Juin 2020

► Au regard du très jeune âge de l’enfant et de la circonstance qu’il était arrivé à l’âge d’un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, il incombait aux juges du fond de rechercher si son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne se trouvait pas en France, nonobstant l’intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l’enfant, en Grèce après son séjour en France.

Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 12 juin 2020 (Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-24.108, FS-P+B+I N° Lexbase : A43303NP)

Les faits. Du mariage de la mère, de nationalité suisse, et du père, de nationalité grecque, était né un enfant à Palaio Faliro (Grèce). Le 4 novembre 2018, la mère, accompagnée de son mari, avait rejoint la France avec l’enfant afin de se reposer chez ses parents. Soutenant qu’elle refusait de rentrer en Grèce avec l’enfant à l’issue de son séjour, comme convenu initialement, le père l’avait assignée, le 26 juin 2019, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg pour voir ordonner le retour immédiat de l’enfant.

Cour d’appel. Pour faire droit à la demande du père, les juges d’appel avaient fixé la résidence habituelle de l’enfant en Grèce et ainsi jugé que le non-retour de l’enfant était illicite, pour ordonner son retour immédiat en Grèce.

Pour fixer la résidence habituelle de l’enfant en Grèce, la cour d’appel avait retenu que, s’agissant d’un nourrisson, il était nécessaire de prendre en considération la résidence du couple et l’intention commune des parents, et qu’en cas de séjours temporaires à l’étranger, un changement de résidence ne pouvait être pris en considération qu’en cas d’intention ferme, formulée par les deux parents, d’abandonner leur résidence habituelle afin d’en acquérir une nouvelle, peu important le lieu où l’enfant avait passé le plus de temps depuis sa naissance. La cour d’appel avait relevé que les parents s’étaient mariés le 30 juillet 2015 en Grèce où ils résidaient régulièrement depuis quatre ans et où le père exerçait principalement son activité professionnelle, la mère ayant mis fin à son activité professionnelle pour s’installer en Grèce avec son époux. L’arrêt constatait que l’enfant était de nationalité grecque et était né en Grèce où il avait vécu pendant quatre semaines, le logement ayant été aménagé pour sa naissance, qu’il disposait d’un passeport grec, d’une mutuelle et était enregistré auprès de l’assurance maladie grecque. Il relevait encore que les deux parents avaient indiqué une adresse commune en Grèce lors de l’établissement de l’acte de naissance de leur fils et que la résidence de la famille était enregistrée auprès de la mairie du Pirée. Il en déduisait que la résidence habituelle des parents et, subséquemment, celle de l’enfant était établie en Grèce et que, si le déplacement de l’enfant en France ne présentait aucun caractère illicite, les deux parents étant venus ensemble, d’un commun accord, avec l’enfant sur le territoire national, la mère ne pouvait décider de modifier unilatéralement la résidence habituelle de l’enfant sans l’accord du père et s’opposer son retour.

Cour de cassation. Pour contester l’arrêt, la mère reprochait à la cour d’appel de s’être ainsi prononcée, sans examen de l’intégration de l’enfant et de sa mère dans leur domicile en France.

L’argument est admis par la Cour suprême, qui livre un exposé détaillé des textes et de la jurisprudence applicable sur la notion de résidence habituelle de l’enfant, laquelle constitue une condition permettant de caractériser un déplacement illicite.

Pour rappel, en effet, au sens des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (N° Lexbase : L0170I8S), 2, 11), et 11, paragraphe 1, du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (N° Lexbase : L0159DYK), est illicite tout déplacement ou non-retour d’un enfant fait en violation d’un droit de garde exercé effectivement et attribué à une personne par le droit ou le juge de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour.

La Cour de cassation rappelle, ensuite, que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2 avril 2009, aff. C-523/07 N° Lexbase : A3008EE7 ; CJUE, 22 décembre 2010, C-497/10 PPU N° Lexbase : A7112GNQ ; CJUE, 9 octobre 2014, aff. C-376/14 PPU N° Lexbase : A0017MYB ; CJUE, 8 juin 2017, aff. C-111/17 PPU N° Lexbase : A6140WGI ; CJUE, 28 juin 2018, aff. C-512/17 N° Lexbase : A1612XUA) résultent les éléments ci-après.

- En premier lieu, la résidence habituelle de l’enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003, correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie et il appartient la juridiction nationale de déterminer où se situe ce centre sur la base d’un faisceau d’éléments de fait concordants (arrêt précité du 28 juin 2018).

- En deuxième lieu, la résidence habituelle doit être interprétée au regard des objectifs du Règlement n° 2201/2003, notamment celui ressortant de son considérant 12, selon lequel les règles de compétence qu’il établit sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêts précités du 2 avril 2009, points 34 et 35, du 22 décembre 2010, points 44 46, et du 8 juin 2017, point 40).

- En troisième lieu, lorsque l’enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la personne ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui, et il partage nécessairement l’environnement social et familial de cette personne ou de ces personnes. En conséquence, lorsque, comme dans la présente espèce, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d’une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre, d’autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l’enfant dans le même État membre (arrêt précité du 8 juin 2017, point 45).

- En quatrième lieu, lorsque dans les mêmes circonstances, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, l’intention initialement exprimée par les parents quant au retour de celle-ci accompagnée de l’enfant dans un autre Etat membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l’enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer la résidence habituelle de l’enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003, cette intention ne constituant qu’un indice de nature compléter un faisceau d’autres éléments concordants.

Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d’une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d’un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents (même arrêt, points 47 et 50). De même, le consentement ou l’absence de consentement du père, dans l’exercice de son droit de garde, ce que l’enfant s’établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003 (même arrêt, point 54).

Après cet exposé détaillé, la Haute juridiction censure l’arrêt attaqué, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de l’enfant et de la circonstance qu’il était arrivé à l’âge d’un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s’y trouvait pas, nonobstant l’intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l’enfant, en Grèce après son séjour en France, privant ainsi sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Pour aller plus loin : cf. l’Ouvrage « L’autorité parentale », Les aspects civils de l'enlèvement d'enfant (N° Lexbase : E5830EYL).

 

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Avocats/Publicité

[Brèves] Suppression de la distinction entre publicité personnelle et information professionnelle

Réf. : Décision du 28 mai 2020 portant réforme du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat (art. 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée) (N° Lexbase : Z900809U)

Lecture: 2 min

N3731BYT

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par Marie Le Guerroué

Le 02 Juillet 2020

► A été publié au Journal officiel du 13 juin 2020, la décision du 28 mai 2020 portant réforme du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat (art. 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée N° Lexbase : Z50737QU).

CNB. Pour mémoire, le CNB avait adopté la décision à caractère normatif portant modification de l’article 10 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat le 3 avril 2020 dernier lors de son Assemblée générale (décision à caractère normatif n° 2019-005 N° Lexbase : N3016BYD).

Objectif. L'objectif de cette réforme est de permettre aux avocats une communication identique quel que soit le support utilisé, sans faire de distinction entre ce qui relève de la publicité personnelle et ce qui relève de l’information professionnelle. Le CNB précise dans son communiqué que « les avocats doivent pouvoir faire mention de leurs domaines d’activités sur tous les supports, à la fois dans une perspective du développement de l’attractivité de l’avocat et d’une meilleure information du consommateur sur les prestations juridiques qu’il propose ».

Conséquence. La mention des domaines d’activités qui est déjà autorisée dans la publicité personnelle de l’avocat (sites Internet, affichage, TV, radio, presse…), sera également autorisée sur les documents destinés à l’information professionnelle dès lors qu’elle procure une information sincère sur la nature des prestations de services proposées. 

Information / activités dominantes. En outre, afin de permettre un meilleur contrôle et une meilleure information du public, l’article 10 du RIN précise désormais que l’information relative aux domaines d’activités dominantes doit résulter d'une pratique professionnelle effective et habituelle de l’avocat dans le ou les domaines correspondants (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E6266ETA).

 

► A paraître, dans le prochain numéro de la revue Lexbase Avocats, le commentaire de Gaëlle Deharo sur la suppression de la distinction entre publicité personnelle et information professionnelle (N° Lexbase : N3928BY7).

 

newsid:473731

Bancaire

[Brèves] Application rétroactive des sanctions nouvelles au TEG erroné

Réf. : Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A54113NQ)

Lecture: 8 min

N3690BYC

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par Jérôme Lasserre Capdeville

Le 02 Juillet 2020

► Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG (N° Lexbase : L1483LRD), la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge.

Tel est l’enseignement d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 juin 2020 (Cass. civ. 1, 10 juin 2020, n° 18-24.287, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A54113NQ ; v également Cass. avis, 10 juin 2020, n° 15004 N° Lexbase : A59493NN).

L’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du TEG, est récemment venue prévoir que le défaut de TEG/TAEG comme son erreur ne pourront, désormais, donner lieu qu’à une seule sanction : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur « dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice pour l'emprunteur ». Différents articles de loi du Code de la consommation et du Code monétaire et financier ont été retouchés en ce sens (v. J. Lasserre-Capdeville, Nouvel encadrement légal des sanctions civiles applicables en matière de taux effectif global, Lexbase Affaires, septembre 2019, n° 604 N° Lexbase : N0196BYW)

L’ordonnance étant entrée en vigueur le 19 juillet 2019, on a pu se demander si elle devait s’appliquer uniquement aux actions ouvertes postérieurement, ou si les actions en cours étaient également concernées. Sur ce point, le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance étudiée indique que, si l’habilitation ne prévoyait pas que le nouveau régime de sanction devait s’appliquer aux actions en justice introduites avant la publication de l’ordonnance, il revient aux juges civils « d’apprécier, selon les cas, si la nouvelle sanction harmonisée présente un caractère de sévérité moindre que les sanctions actuellement en vigueur et, dans cette hypothèse, d’en faire une application immédiate dans le cadre d'actions en justice introduites avant la publication de l'ordonnance ».

On peut, néanmoins, ne pas être convaincu par une telle application immédiate aux actions en cours. D’une part, le rapport au Président de la République prône sans le dire une solution faisant songer à la règle, issue du droit pénal, de la rétroactivité in mitius. Or, nous ne sommes pas ici en matière pénale. D’autre part, si le législateur est à même d’adopter des lois rétroactives, il lui revient de le dire expressément dans le texte en question. Tel n’est pas le cas ici : l’ordonnance comme la loi d’habilitation ne disent mot sur ce point et le rapport au Président de la République est dépourvu de valeur juridique.

En réalité, si l’on suit les règles et les principes régissant l’application de la loi dans le temps, tant les actions en cours, que celles à venir mais portant sur des crédits déjà conclus au moment de l’entrée en vigueur du texte nouveau, devraient échapper à l’application de ce dernier. Dit autrement, seuls les crédits conclus à partir du 19 juillet 2019 devraient être concernés par la réforme. À défaut, cela reviendrait à « valider, de façon rétroactive, des contrats irréguliers » (G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D., 2019, p. 1613).

Les juridictions du fond demeurent, pour leur part, très incertaines depuis l’adoption de l’ordonnance. Si quelques arrêts sont favorables à une application rétroactive (CA Aix-en-Provence, 20 février 2020, n° 17/18082 N° Lexbase : A13543GA), d’autres y sont à l’inverse hostiles (CA Bourges, 30 avril 2020, n° 19/00562 N° Lexbase : A16343L4).

La Cour de cassation vient alors se prononcer sur ce point par la décision étudiée.

Les faits. En l’espèce, la banque A. avait consenti un prêt immobilier à M. et Mme X.. Après avoir prononcé la déchéance du terme du prêt et délivré un commandement de payer aux fins de saisie-vente, resté sans effet, la banque avait assigné devant le juge de l’exécution les emprunteurs, qui avaient sollicité l’annulation de la stipulation conventionnelle d’intérêts et la substitution de l’intérêt au taux légal.

La cour d’appel de Montpellier ne leur ayant pas donné raison, dans la mesure où elle avait préféré prononcer la déchéance du droit aux intérêts, appréciée à hauteur d’un certain montant, les emprunteurs avaient formé un pourvoi en cassation.

Les moyens. Ils rappelaient, par l’intermédiaire de ce dernier, notamment, que la sanction d’un taux effectif global erroné peut être, soit la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, soit la nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel et la substitution à l’intérêt conventionnel de l’intérêt légal, selon que l’erreur affecte, respectivement, l’offre d’un prêt ou l’acte de prêt lui-même. Or, l’erreur figurant en l’espèce dans le contrat de prêt, en l’occurrence l’acte notarié, elle aurait dû être sanctionnée par la substitution au taux d’intérêt contractuel du taux d’intérêt légal.

La décision. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi en question.

Elle commence par rappeler qu’en l’absence de sanction prévue par la loi, exception faite de l’offre de prêt immobilier et du crédit à la consommation, il est jugé qu’en application des articles 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) et L. 313-2, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0226I47), l’inexactitude de la mention du TEG dans l’écrit constatant tout contrat de prêt, comme l’omission de la mention de ce taux, qui privent l’emprunteur d’une information sur son coût, emportent l’annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Cass. civ. 1, 24 juin 1981, n° 80-12.903, publié N° Lexbase : A8551AH8 ; Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-16.555, F-P+B N° Lexbase : A6567MYU

Elle observe, ensuite, que, pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur.

Cependant, elle aboutit à une conclusion bien originale : « dans ces conditions, pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, il apparaît justifié d’uniformiser le régime des sanctions et de juger qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge ». Dit autrement, après avoir bien dit que le texte nouveau n’était pas d’application rétroactive, la Cour de cassation décide délibérément de l’appliquer rétroactivement !

Cette règle a alors deux incidences en l’espèce. D’une part, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que le TEG était erroné, faute d’inclusion du taux de cotisation mensuelle d’assurance réellement prélevé, et fait ressortir que l’erreur commise était supérieure à la décimale prescrite par l’article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0879IWH), la Haute juridiction considère que « la cour d’appel a retenu, à bon droit, que la sanction de l’erreur affectant le TEG était la déchéance du droit aux intérêts de la banque dans la proportion fixée par le juge ».

D’autre part, c’est par une appréciation souveraine que les juges du fond ont évalué le préjudice des emprunteurs et déterminé la proportion dans laquelle la déchéance du droit de la banque aux intérêts devait être fixée.

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Baux d'habitation

[Brèves] Responsabilité d’Airbnb en qualité d’éditeur, en cas de sous-location illicite par l’intermédiaire de la plate-forme !

Réf. : TJ Paris, 5 juin 2020, n° 11-19-005405 (N° Lexbase : A55323N9)

Lecture: 6 min

N3761BYX

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 18 Juin 2020

► En cas de sous-location illicite réalisée par un locataire sans l’autorisation du bailleur, la responsabilité d’Airbnb en qualité d’éditeur doit être retenue, dès lors que le locataire exerce cette activité illicite par l’intermédiaire de sa plateforme, de sorte qu’il y a lieu de le condamner in solidum avec le locataire à verser au propriétaire la somme correspondant aux sous-loyers illégalement perçus ;

outre le remboursement des sous-loyers, le propriétaire est également fondé à demander à Airbnb le remboursement des commissions perçues à l’occasion de la sous-location illicite (TJ Paris, 5 juin 2020, n° 11-19-005405 N° Lexbase : A55323N9).

En l’espèce, suivant acte sous seing privé en date du 27 février 2016, la propriétaire avait donné à bail à la locataire un logement meublé pour une durée de 12 mois prenant effet le 1er mars 2016, moyennant un loyer de 977 euros charges comprises. Le contrat comportait une clause interdisant au locataire de céder ou sous-louer le logement, sauf accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer.

Constatant que son logement était sous-loué, la propriétaire a saisi le juge des référés lequel a, par ordonnance du 26 novembre 2018, ordonné à la société Airbnb de communiquer 'le relevé des transactions relatif aux sous-locations de son appartement effectuées par la locataire sur la plate-forme.

il a ainsi été établi par les relevés des transactions transmis par Airbnb que la locataire avait sous-loué le logement en cause à 87 reprises en 2016 et 77 en 2017, cumulant ainsi 534 jours de sous-location.

N’ayant pas donné son accord à ces sous-locations, la propriétaire a alors fait citer, par acte d’huissier du 1er avril 2019, la locataire et la société Airbnb devant le tribunal aux fins d’obtenir notamment leur condamnation in solidum à lui verser les sommes de 51 939,61 euros et 1 558,20 euros au titre des fruits illicites perçus outre les intérêts au taux légal à compter de la décision. Elle obtient gain de cause.

- S’agissant, d’abord, de la demande, à l’encontre de la locataire, tendant au remboursement des sous-loyers, le tribunal judiciaire rappelle que sauf, lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire, lequel est en droit de demander le remboursement des sommes perçues à ce titre. En effet, la règle a été posée récemment par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 12 septembre 2019, n° 18-20.727, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0802ZNZ ; cf. les observations de Julien Laurent, in Lexbase, éd. priv., n° 799, 2019 N° Lexbase : N0838BYP). Le tribunal ajoute, ici, que le droit de percevoir ces fruits est totalement indépendant de la démonstration de l’existence d’un préjudice, le détournement fautif au détriment du propriétaire de fruits civils produits par la sous-location de la propriété immobilière cause nécessairement un préjudice financier à celui-ci. Or, en l’espèce, il n’était pas démontré ni soutenu que la propriétaire aurait donné son accord aux sous-locations établies, de sorte que la locataire avait manqué à ses obligations contractuelles et que la propriétaire était bien fondée à demander sa condamnation à lui verser la somme totale des sous-loyers perçus à titre de fruits civils soit, au vu du relevé des transactions, la somme de 51 009,61 euros.

- S’agissant de la demande faite à l’encontre de Airbnb tendant au remboursement des commissions perçues, le tribunal relève que, en vertu du droit de propriété et des dispositions du Code civil précitées, et donc, par le texte même de la loi, les fruits reviennent tous au propriétaire "par accession", celle de l'article 547 du Code civil, laquelle s'étend à tout ce que produit une chose ou s'y unit, soit naturellement soit artificiellement ; aussi, dès lors que les commissions perçues par Airbnb sont constituées par un pourcentage des loyers payés par les voyageurs, la propriétaire était bien fondée à demander le remboursement à Airbnb de la somme de 1 558,20 euros au titre des commissions perçues, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

- S’agissant, enfin, de la recherche de la responsabilité d’Airbnb en qualité d’éditeur, après une analyse extrêmement détaillée, le tribunal relève qu’Airbnb a un droit de regard et s’arroge le droit de retirer un contenu pour non-respect des conditions contractuelles mais également pour toute autre raison à son entière discrétion. Inversement, ceux qui respectent au mieux ces directives peuvent être récompensés par l’attribution du qualificatif de superhost, étant précisé qu’Airbnb se rémunère par un pourcentage sur les loyers perçus par l’hôte. En dehors du contrôle des contenus des hôtes, la société a prévu des pénalités frappant les membres du contrat d’hébergement, notamment en imposant au voyageur qui quitterait postérieurement à l’heure limite d’occupation, le paiement d’une pénalité en dédommagement du désagrément subi par l’hôte ainsi que des frais accessoires. De même, Airbnb interdit de demander, faire ou accepter une réservation en dehors de la plate-forme.

Selon le tribunal, l’ensemble de ces éléments témoigne du caractère actif de la démarche de la société Airbnb dans la mise en relation des hôtes et des voyageurs et de son immiscion dans le contenu déposé par les hôtes sur sa plate-forme.

Il est dès lors établi que la société en cause n’exerce pas une simple activité d’hébergement à l’égard des hôtes qui ont recours à son site mais à une activité d’éditeur, eu égard aux dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite « LCEN ».

Le tribunal estime qu’à ce titre, elle est en capacité de vérifier si l’hôte dispose du droit de proposer à la location un bien ou non (ce que confirme, selon lui, l'article 2.4 des conditions de service).

Aussi, dès lors que l’hôte exerce une activité illicite par son intermédiaire, compte tenu de son droit de regard sur le contenu des annonces et des activités réalisées par son intermédiaire en qualité d’éditeur, elle commet une faute en s’abstenant de toute vérification, laquelle concourt au préjudice subi par le propriétaire, lequel correspond au montant des sous-loyers perçus par la locataire.

C’est dans ces conditions que le tribunal a décidé de condamner in solidum la locataire et la société Airbnb à verser à la propriétaire la somme de 51 939,61 euros, avec intérêts au taux légal.

newsid:473761

Collectivités territoriales

[Brèves] Recours contre le titre exécutoire émis pour le recouvrement d'un forfait de post-stationnement : recevabilité des moyens contestant l'obligation de payer

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 10 juin 2020, n° 427155, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A43193NB)

Lecture: 2 min

N3696BYK

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par Yann Le Foll

Le 17 Juin 2020

S'il résulte des termes mêmes de l'article R. 2333-120-35 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2724LHD) que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration (CE 5° et 6° ch.-r., 10 juin 2020, n° 427155, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A43193NB).

Application du principe. Pour rejeter la requête de M. X, le magistrat désigné par la présidente de la commission du contentieux du stationnement payant s'est fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait utilement contester l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration, au motif que cette contestation mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué. L’intéressé est donc fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée est, sur ce point, entachée d'erreur de droit.

Effets de la cession d'un véhicule. Lorsque l'ancien propriétaire d'un véhicule conteste un avis de paiement ou un titre exécutoire qui lui a été adressé à raison d'un stationnement de ce véhicule constaté après la date de la cession, il ne peut utilement invoquer, devant l'administration ou, le cas échéant, devant la commission du contentieux du stationnement payant, le fait qu'il n'était plus propriétaire du véhicule à la date d'établissement de l'avis de paiement que s'il justifie, en outre, avoir déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'intérieur avant l'établissement de l'avis de paiement ou dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 322-4 du Code de la route (N° Lexbase : L5267LG8).

Or, le requérant n’a déclaré la cession de son véhicule au ministre de l'Intérieur que le 5 juin 2018, soit plus de quinze jours après la cession du véhicule et postérieurement à l'émission de l'avis de paiement, le 2 mars 2018. Dans ces conditions, il ne pouvait utilement soulever le moyen tiré de la cession de son véhicule pour contester l'obligation de payer la somme mise à sa charge. 

newsid:473696

Covid-19

[Brèves] Création d'un dispositif de soutien à la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise sanitaire de covid-19

Réf. : Décret n° 2020-712 du 12 juin 2020, relatif à la création d'un dispositif d'aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de covid-19 (N° Lexbase : L3790LXN)

Lecture: 4 min

N3712BY7

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par Vincent Téchené

Le 17 Juin 2020

► Un décret publié au Journal officiel du 13 juin 2020 met en place un dispositif d'aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de covid-19 qui vient compléter le dispositif de prêt avec garantie de l'Etat (décret n° 2020-712 du 12 juin 2020, relatif à la création d'un dispositif d'aides ad hoc au soutien de la trésorerie des entreprises fragilisées par la crise de covid-19 N° Lexbase : L3790LXN).

Est plus précisément institué un dispositif d'avances remboursables et de prêts à taux bonifiés aux petites et moyennes entreprises fragilisées par la crise, et n'ayant pas trouvé de solutions de financement auprès de leur partenaire bancaire ou de financeurs privés. La société anonyme Bpifrance Financement SA est chargée de la gestion opérationnelle de ces aides. Ce dispositif est institué jusqu'au 31 décembre 2020.

  • Entreprises éligibles

L’article 1er du décret précise que sont éligibles au dispositif les petites et moyennes entreprises qui répondent aux critères cumulatifs suivants :

- ne pas avoir obtenu un prêt avec garantie de l'Etat suffisant pour financer son exploitation, le cas échéant après l'intervention du médiateur du crédit ;

- justifier de perspectives réelles de redressement de l'exploitation ;

- ne pas faire l'objet de l'une des procédures collectives (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires) au 31 décembre 2019. Toutefois, il convient de noter que les entreprises redevenues in bonis par l'arrêté d'un plan de sauvegarde ou de redressement sont éligibles au dispositif.

Le décret précise que sera pris en compte, le positionnement économique et industriel de l'entreprise, comprenant son caractère stratégique, son savoir-faire reconnu et à préserver, sa position critique dans une chaîne de valeur ainsi que l'importance de l'entreprise au sein du bassin d'emploi local.

  • Formalisation de la demande d’aide

L'entreprise doit adresser sa demande au comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises.

  • Montant de l’aide

L’article 3 du décret précise que le montant de l'aide est limité :  

- pour les entreprises créées à compter du 1er janvier 2019, à la masse salariale en France estimée sur les deux premières années d'activité ;

- pour les entreprises créées avant le 1er janvier 2019, à 25 % du chiffre d'affaires hors taxes 2019 constaté ou, le cas échéant, du dernier exercice clos disponible ; par exception, pour les entreprises innovantes (CESEDA, art D. 313-45-1 N° Lexbase : L5482LWX), si le critère suivant leur est plus favorable, jusqu'à deux fois la masse salariale constatée en France en 2019 ou, le cas échéant, lors de la dernière année disponible.

  • Forme de l’aide

L'aide dont le montant est inférieur ou égal à 800 000 euros prend la forme d'une avance remboursable, dont la durée d'amortissement est limitée à dix ans, comprenant un différé d'amortissement en capital limité à trois ans.
Les crédits sont décaissés jusqu'au 31 décembre 2020 à un taux fixe qui est au moins égal à 100 points de base.
Il est précisé que l'aide peut couvrir des besoins en investissements et des besoins en fonds de roulement.

L'aide dont le montant est supérieur à 800 000 euros, les financements accordés sur fonds publics dont le montant total est supérieur à 800 000 euros mais dont la part financée par l'Etat est inférieure à ce montant, ainsi que l'aide complétant un prêt avec garantie de l'Etat prennent la forme d'un prêt à taux bonifié, dont la durée d'amortissement est limitée à six ans, comprenant un différé d'amortissement en capital d’un an.
Le prêt est également décaissé jusqu'au 31 décembre 2020 à un taux d'intérêt fixe qui est au moins égal au taux de base prévu dans la décision de la Commission européenne du 20 avril 2020 ou équivalent applicable au 1er janvier 2020, auquel s'ajoute une marge de crédit minimale de 100 points de base.
Le prêt couvre des besoins en investissements et des besoins en fonds de roulement.

Un arrêté du ministre chargé de l'Economie doit préciser les modalités d'application.

 

newsid:473712

Droit pénal des affaires

[Focus] Le blanchiment au 1er trimestre 2020 : l’extension continue du domaine de la lutte

Lecture: 12 min

N3677BYT

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par Myriam Mayel et Éric Morain, Avocats, Cabinet Carbonnier Lamaze et Rasle

Le 19 Juin 2020

 


Mots-clés : blanchiment • GAFI • Directive (UE) n° 2018/843 • champ d’application • jurisprudence • évolution • caractérisation infraction d’origine • produit de l’infraction

Le blanchiment continue d’être l’objet d’une politique pénale visant à améliorer l’identification et la sanction de ce phénomène longtemps resté insaisissable. L’ordonnance du 12 février 2020 renforce les obligations préventives de vigilance déjà existantes pour une meilleure identification en amont du risque de blanchiment. En aval, la jurisprudence, notamment récente, apprécie souplement les éléments constitutifs de l’infraction pour permettre une répression plus aisée de ce phénomène dont la nature opaque rend la démonstration juridique ardue.


 

Depuis la création du GAFI (Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux) lors du sommet du G7 à Paris, en 1989, les dispositifs de lutte contre le blanchiment n’ont cessé de s’intensifier.

Ce phénomène mondial qui, par la multiplication des attentats terroristes et les attentes de plus en plus fortes des populations à l’encontre de la délinquance financière, est devenu l’objet d’une politique pénale prioritaire pour les gouvernements successifs, à l’échelon national et supranational.

Le premier trimestre 2020, à l’image des vingt dernières années, confirme ce renforcement continu du dispositif de lutte, tant par la règlementation nationale (I), axée sur l’amélioration du contrôle du risque et de la détection de cas suspects, que par la jurisprudence (II) permettant une répression quasi-systématique.

I. L’ordonnance du 12 février 2020 et ses décrets d’application : plus de lutteurs et plus de protection

Transposant aux articles L. 561-1 (N° Lexbase : L7095ICR) à L. 566-3 et R. 561-1 (N° Lexbase : L1898LKI) à R. 562-5 du Code monétaire et financier certaines mesures de la Directive (UE) n° 2018/843, du 30 mai 2018, du Parlement européen et du Conseil, dite « 5ème directive anti-blanchiment » (N° Lexbase : L7631LKT), l’ordonnance du 12 février 2020, renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (N° Lexbase : L9352LUW), complétée par deux décrets d’application du même jour (décret n° 2020-118, du 12 février 2020 N° Lexbase : L9270LUU et décret n° 2020-119, du 12 février 2020 N° Lexbase : L9267LUR), s’adapte et renforce les obligations de vigilances et la liste des personnes sur qui elles pèsent par trois actions principales :

Elle étend le champ des personnes impliquées dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en y intégrant principalement les caisses CARPA et les greffiers des tribunaux de commerce ;

Les syndics de copropriété et les marchands d’art pour les opérations inférieures à 10 000 euros ne sont en revanche plus assujettis ;

Elle renforce les mesures de vigilances à l'égard des transactions vers et depuis des pays tiers considérés comme à haut risque de blanchiment et de financement du terrorisme : ces transactions doivent être validées par un membre de l’organe exécutif ou par une personne habilitée par ledit organe, la relation devra  être soumise à une augmentation du nombre de contrôles ainsi qu’à des demandes d’informations supplémentaires quant à l’identité du client, à l’origine des fonds, à l’éventuel bénéficiaire effectif, à l’objet des opérations envisagées etc. (C. mon. fin., art R. 561-20-4 nouveau N° Lexbase : L0952LW8) ;

En revanche les transactions à distance ne sont plus considérées comme systématiquement à risque ;

Elle élargit l’accès au registre des bénéficiaires effectifs au public concernant l’identité du bénéficiaire économique effectif (C. mon. fin., art. L. 561-46 N° Lexbase : L0696LWP) et instaure un mécanisme de signalement aux greffiers des tribunaux de commerce des incohérences par les autorités de contrôles et les professionnels assujettis (C. mon. fin., art. L. 561-47-1 nouveau N° Lexbase : L0698LWR).

La ligne de conduite est ainsi toujours la même : identifier le risque de blanchiment et empêcher sa réalisation.

II. Évolution jurisprudentielle : la riposte pénale quasi-systématique

L’article 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) définit le blanchiment comme :

« le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ».

« Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ».

Ce sont donc deux conditions qui doivent être réunies, une infraction d’origine ayant entrainé un profit et une action de blanchiment dudit profit, en facilitant sa justification mensongère ou en apportant son concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion.

L’étude de la jurisprudence récente montre à quel point la réunion de ces deux éléments s’apprécie souplement.

A. La caractérisation de l’infraction d’origine, réduite à peau de chagrin

Le blanchiment est une infraction de conséquence qui nécessite que soit établie une infraction pénale préalable.

La loi du 6 décembre 2013 (loi n° 2013-1117, du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW) avait facilité les poursuites à l’encontre des auteurs supposés de blanchiment par la création d’un article 324-1-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9415IYD) aux termes duquel les biens ou les revenus du mis en cause sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus.

On notera que cet article semble, par l’utilisation des termes, faire référence uniquement à l’alinéa 2 de l’article 324-1 du Code pénal mais sans s’y limiter explicitement. 

Surtout, à première lecture, la présomption ainsi instituée porte sur la qualité de « produit » du crime ou du délit, évitant ainsi à la partie poursuivante de devoir établir que les biens ou revenus objet de l’opération suspecte sont bien les fruits d’un délit ou crime préalable.  

Or, la Cour de cassation réalise une interprétation bien plus extensive de cette présomption en déduisant de cet article que, dans le cadre de l’article 324-1-1 du Code pénal, « la juridiction correctionnelle n'est pas tenue d'identifier ni a fortiori de caractériser le crime ou le délit qui a procuré le produit ayant fait l'objet d'une opération de placement, de dissimulation ou de conversion » (Cass. crim., 18 décembre 2019, n° 19-82.496, FS-D N° Lexbase : A1227Z9C).

Et ce alors même que le mis en cause fournissait dans le cas d’espèce plusieurs éléments permettant de soutenir, si ce n’est d’établir de façon certaine, que l’origine des fonds était licite. 

La présomption portant sur la qualité de « produit de l’infraction » s’est ainsi transformée en présomption de l’existence de l’infraction, supprimant la condition de l’infraction préalable en faveur d’une présupposition semblant difficile à renverser.

Plus précisément, il s’agirait « d'une présomption de l'origine illicite des biens ou revenus de l'intéressé, qui dispense d'avoir à prouver qu'ils proviennent d'un crime ou d'un délit » [1], ce qui aboutit, en termes de répression, à la même conclusion particulièrement défavorable au mis en cause.

Parallèlement, dans une décision rendue quelques jours plus tôt, cette fois-ci sans référence à l’article 324-1-1 du Code pénal, la Cour de cassation avait déjà opéré un glissement semblable en validant la condamnation pour blanchiment du prévenu qui avait « apporté son concours à une opération de placement et de dissimulation du produit de faits de travail dissimulé et de fraude fiscale » et non du produit de l’infraction de travail dissimulé et de fraude fiscale, jugeant qu’« il importe peu, s'agissant de l'infraction d'origine, que son auteur ne soit pas connu et que les circonstances de sa commission n'aient pas été entièrement déterminées ». (Cass. crim., 4 décembre 2019, n° 19-82.469, F-P+B+I N° Lexbase : A7493Z4B).

Les faits remplacent ainsi l’infraction, et la supposition de l’existence de l’infraction se substitue à sa caractérisation.

La Cour de cassation pose tout de même une limite à cette interprétation si extensive.

Dans un arrêt du 18 mars 2020, la Haute cour censure une cour d’appel qui avait jugé établie l’existence du délit principal de fraude fiscale dont le produit aurait été blanchi par les mis en cause.

En l’espèce, les juges du fond avaient déduit de l'abstention réitérée de déclaration de l'importation de la somme, de l'importance de la somme dissimulée, et de la volonté de se soustraire aux obligations déclaratives notamment douanières, qu’étaient établis les éléments constitutifs de l'infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses. 

Ce raisonnement en « une pierre deux coups » est heureusement censuré par la Cour de cassation.

La Cour de cassation, reprenant son attendu du 4 décembre 2019, le complète en rappelant que « la caractérisation du délit de blanchiment, si elle n’implique pas que les auteurs de l’infraction principale soient connus, ni les circonstances de la commission de celle-ci entièrement déterminées, nécessite que soit établie l’origine frauduleuse des biens blanchis » (Cass. crim., 18 mars 2020, n° 18-86.491, FS-P+B+I) [2].

Le défaut de déclaration des fonds aux autorités douanières lors de leur transfert, qui caractérisait l’opération de dissimulation, ne pouvait suffire à caractériser également l’origine frauduleuse des fonds.

Mais cette origine frauduleuse sera présumée si le mis en cause n’est pas en mesure d’établir de façon suffisamment probante l’origine licite des fonds…

Ainsi, la caractérisation de l’infraction préalable est réduite à bien peu de chose et le même glissement est constaté dans la caractérisation de l’acte de blanchiment, second élément constitutif de l’infraction.

B. La caractérisation de l’action de blanchiment également facilitée

La caractérisation de l’acte de blanchiment est largement facilitée par la jurisprudence récente de la Cour de cassation, dans un objectif évident de répression.

Ce mouvement est manifeste dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2020 (Cass. crim., 18 mars 2020, n° 18-85.542, FS-P+B+I N° Lexbase : A48453KN) [3]. Dans cette affaire, le prévenu avait été condamné pour une escroquerie en bande organisée et blanchiment.

La caractérisation de l’infraction préalable ne fait ici pas question.

La jurisprudence ayant depuis longtemps validé le principe de l’auto-blanchiment, permettant de cumuler la qualité d’auteur du délit préalable et du blanchiment subséquent, ce point ne fait pas non plus débat.

Se posait en revanche la question de l’acte de blanchiment reproché au prévenu, lequel fondait son pourvoi sur l’absence d’opération de blanchiment distincte de la seule utilisation des fonds ou biens provenant de l’infraction.

Les juges du fond avaient en effet considéré que l’acte de blanchiment consistait en l’espèce dans le fait d’avoir transféré les fonds issus de l’escroquerie sur son compte bancaire personnel.

La Cour de cassation valide le raisonnement des juges du fonds en estimant que « l'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit. La caractérisation du délit de blanchiment n'implique pas, dans ce cas, que soit établie une dissimulation de l'origine illicite de ces biens ».

Or si le blanchiment peut impliquer une opération de placement, en l’espèce le transfert sur le compte bancaire, il nécessite également, et surtout, d’en brouiller l’origine afin de pouvoir le réintégrer dans l’économie « blanchi » de son origine délictueuse.

L’opération de placement est donc en soit constitutive de l’infraction à condition qu’elle s’effectue sur un compte appartenant à un tiers, ou sur un compte dissimulé aux autorités, de façon à rendre opaque l’origine des fonds avant de les réintégrer dans le circuit de l’économie légale.

Ici les juges, soutenus par la Haute cour, caractérisent l’opération de blanchiment pour le seul placement des fonds sur le propre compte bancaire de l’auteur de l’infraction préalable, sans aucune dissimulation de leur origine et sans réintégration.

Sans blanchiment donc.

Une telle lecture du texte d’incrimination élargit évidemment considérablement la possibilité des poursuites, et par voie de conséquence des condamnations, le blanchiment pouvant désormais s’appliquer à la quasi-totalité des suites de crimes ou délits générant un profit financier, sauf pour les prévenus à placer les fonds sous leur matelas.

Il peut être regretté une telle évolution prétorienne qui déforme la notion même de blanchiment et la lettre du texte, déjà amplement interprétée depuis de nombreuses années ; mais dans la lutte contre ce phénomène qui, à grande ampleur, est susceptible de mettre en péril l'intégrité des institutions et des systèmes financiers, tous les coups sont permis.

Sur la question du blanchiment, la rédaction vous recommande la lecture de l'article de Marc Segonds, Améliorer la lutte contre le blanchiment : l’évolution législative de l’incrimination du blanchiment est-elle nécessaire ? - A propos (encore et toujours) de l’auto-blanchiment, publié dans la revue Lexbase Pénal du mois de février 2020 (N° Lexbase : N2202BY9).
 

[1] Dr. pén., mars 2020, comm. 46, Ph. Conte.

[2] V. sur cet arrêt, J. Goldszlagier, Regard sur la tectonique de la répression du blanchiment de capitaux – À propos de deux arrêts de la Chambre criminelle, Lexbase Pénal, juin 2020 (N° Lexbase : N3606BY9).

[3] V. sur cet arrêt également, J. Goldszlagier, préc., Lexbase Pénal, juin 2020.

newsid:473677

Famille et personnes

[Le point sur...] L’ordonnance de protection : une véritable mesure d’urgence*

Réf. : Décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 (N° Lexbase : L2138LXH) ; JAF Bordeaux, 14 avril 2020, RG n° 20/02424 (N° Lexbase : A71113NP)

Lecture: 15 min

N3763BYZ

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille

Le 18 Juin 2020

 


Mots clés : ordonnance de protection • violences conjugales • violences familiales • juge aux affaires familiales (JAF) • mesure d’urgence


* Tous mes remerciements à Samuel Lainé, Président de la Chambre de la famille du Tribunal Judiciaire de Bordeaux, pour l’envoi de la décision commentée du 14 avril 2020 et nos intéressants échanges sur la pratique de l’ordonnance de protection.

Créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR), l’ordonnance de protection dans la lutte contre le fléau des violences conjugales s’est révélée plutôt décevante dans sa mise en œuvre. En effet, selon un rapport de la mission de recherche Droit et justice de 2019 [1], seules 60,5 % des femmes qui demandent une ordonnance de protection l’obtiennent. Pour améliorer le dispositif de lutte contre les violences conjugales, l’ordonnance de protection a été réformée par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (N° Lexbase : L2114LUT) [2].

Récemment, le pouvoir règlementaire par le décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 (N° Lexbase : L2138LXH), mais aussi le juge, et particulièrement un arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020 [3] et un jugement du juge aux affaires familiales de Bordeaux [4], sont venus préciser le dispositif légal tant en ce qui concerne les conditions de fond (I) que la procédure (II) de mise en œuvre de l’ordonnance de protection afin que celle-ci devienne réellement une mesure d’urgence protégeant efficacement les femmes victimes de violences conjugales.

I - Les conditions de fond de l’ordonnance de protection : l’exigence cumulative de l’existence de violences et de danger

Absence de cohabitation. L’article 515-9 du Code civil (N° Lexbase : L2997LUK) dispose désormais que « Lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ». La loi du 28 décembre 2019 a apporté deux précisions quant aux conditions de fond de l’ordonnance de protection qui vont dans le sens d’un accès facilité à l’ordonnance de protection.

D’une part, celle-ci peut être prise alors même que la victime et l’auteur des violences ne cohabitent pas ou même n’ont jamais cohabité. La violence peut en effet être exercée en dehors du cadre de la vie commune -seule une femme sur huit réside avec l’auteur des violences [5] - et l’on sait à quel point la séparation peut au contraire l’exacerber. Dans la décision bordelaise du 14 avril 2020, les époux ne vivaient pas ensemble au moment où l’épouse a sollicité une ordonnance de protection. Cette décision est en outre spécifique, car rendue dans un contexte de confinement et de plan d’urgence sanitaire. En effet, si ce dernier contexte est particulièrement dangereux lorsque les époux vivent ensemble pour la victime de violences conjugales, il est plutôt protecteur dans le cas contraire. Le juge bordelais note, avec un certain humour, que dans ce cadre « les époux ne peuvent plus se rencontrer pour échanger ou s’invectiver, sauf à cocher, sur le formulaire idoine, la case exercice physique de moins d’une heure, ce qui, dans le contexte de cette séparation sous forme d’addiction réciproque alléguée ou démontrée aux stupéfiants, pourrait paraître pour le moins surprenant. »

Plainte pénale. D’autre part, le législateur de 2019 a précisé dans l’article 515-10 du Code civil (N° Lexbase : L2999LUM) que « la délivrance de l’ordonnance de protection n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable ». Cette précision n’exclut toutefois pas la prise en compte de l’existence ou de l’absence d’une telle plainte pour évaluer la situation de danger, mais le cas échéant, son absence n’est pas rédhibitoire. Le juge aux affaires familiales de Bordeaux relève ainsi que « pour les violences dont serait coupable Monsieur, la brigade de gendarmerie déclare qu’il n’existe aucune plainte de déposée et pas davantage de main courante recensée. »

Cumul des conditions des fond. Quant aux conditions principales de la délivrance de l’ordonnance de protection que sont l’existence vraisemblable de violences et le danger auquel est exposé la victime ou un enfant, la Cour de cassation a expressément affirmé, dans l’arrêt du 13 février 2020, que « ces deux conditions sont cumulatives ». Cette affirmation pourrait au premier abord être interprétée comme un recul de la protection des victimes de violences conjugales par l’ordonnance de protection. En réalité, il s’agit moins d’un recul que d’un recentrage de l’ordonnance de protection sur son objectif premier qui est de protéger les femmes en danger et non de sanctionner en général des violences commises par un des membres du couple. C’est en ce sens que la Cour de cassation motive le rejet du pourvoi contre le refus de délivrer une ordonnance de protection, affirmant que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel, qui était tenue de se placer à la date où elle statuait, a sans inverser la charge de la preuve, estimé que Mme A. ne démontrait pas l’existence d’un danger actuel pour elle et ses enfants ». En l’espèce, les violences dont la vraisemblance avait été admise par les juges du fond avaient eu lieu plusieurs mois auparavant, sans que d’autres scènes de violences physiques soient intervenues par la suite ni que la preuve que Monsieur ait proféré des menaces de mort à l’encontre de Madame ait été rapportée. Ainsi, la Cour a-t-elle considéré que l’épouse avait bien été victime de violences physiques, mais qu’elle n’était plus en danger au moment où la décision a été rendue. Cette décision permet de considérer que l’existence de violences ne fait pas présumer du danger, surtout lorsqu’elles ont eu lieu dans le passé. Il ne s’agit évidemment pas de considérer que ces violences ne sont pas graves et ne doivent pas entraîner de conséquences, mais l’ordonnance de protection n’est pas l’outil adapté pour y répondre. L’épouse pourra en revanche obtenir un divorce pour faute aux torts de son mari en alléguant ces violences, voire solliciter une indemnisation du préjudice que celles-ci ont entraîné pour elle.

JAF Bordeaux. C’est cette même analyse qui a conduit le juge bordelais dans la décision du 14 avril 2020, à refuser de délivrer une ordonnance de protection. Dans cette affaire, la réalité et la gravité des violences physiques prêtent à discussion. Le magistrat emploie, en effet, le conditionnel lorsqu’il les évoque et note, en outre, que les faits en question « auraient consisté en un arrachage du bonnet et d’un cheveu de Madame ». Surtout le juge s’emploie à montrer que le danger n’est pas établi. En effet, les époux ne vivent pas ensemble, ne se voient pas du fait du confinement physique strict, auxquels ils sont astreints comme tout citoyen et « l’enfant ne résidant pas en garde alternée, il n’y a pas lieu à passation hebdomadaire de ce dernier ». En outre, la décision met en lumière la surveillance dont les époux font l’objet, car ils sont « désormais connus des services de gendarmerie et de la BTA de Langon. La moindre nouvelle incartade serait, à coup sûr repérée et poursuivie ». La situation jugée par cette décision au fond, comme celle ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020, ne correspondait manifestement pas aux hypothèses de violences graves et actuelles que le législateur a voulu résoudre par une ordonnance de protection. Ces hypothèses sont pourtant majoritaires. En effet, le rapport de la mission Droit et justice de 2019 sur les violences conjugales montre que 64,3 % des décisions qui statuent en faveur de la vraisemblance des violences concluent à l’existence d’une situation de danger.

II - La procédure d’urgence de mise en œuvre de l’ordonnance de protection

Délai de délivrance de l’ordonnance. Selon les statistiques du ministère de la Justice [6], le délai moyen de délivrance des ordonnances de protection était estimé à 42,4 jours, ce qui évidemment n’était pas satisfaisant pour une mesure destinée à protéger en urgence des victimes de violences. C’est pourquoi la loi du 28 décembre 2019 a précisé, dans l’article 519-11 du Code civil, que le juge aux affaires familiales doit délivrer l’ordonnance de protection « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience ».

Point de départ. Le fait de prévoir comme point de départ du délai de six jours la date de fixation de l’audience [7] et non la saisine du magistrat donne à ce dernier un temps pour apprécier l’urgence de la situation, et lui confère le pouvoir de mettre en place une procédure plus ou moins rapide selon qu’il fixe l’audience à plus ou moins brève échéance [8]. Comme le fait remarquer Marie Lamarche [9] « si le délai de six jours semble correspondre à la situation d’urgence, il faut tenir compte de son point de départ qui peut anéantir tous les efforts du législateur ».

Décret. Le décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 organise la mise en œuvre de cette exigence temporelle en précisant notamment les conditions de convocation des parties à l’audience, du déroulé de celui-ci, et les modalités d’exécution de l’ordonnance de protection.

Demande d’ordonnance de protection. Lorsqu’elle n’émane pas du ministère public, la demande d’ordonnance de protection doit être faite par requête, avec ou sans avocat, selon une forme libre, un formulaire spécifique étant disponible sur le site justice.fr.

Fixation de l’audience. Le nouvel article 1136-3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2322LXB) issu du décret du 27 mai 2020 prévoit qu’après avoir été saisi, « le juge rend sans délai une ordonnance fixant la date d’audience ». Une telle formulation met l’accent sur le caractère urgent de la réponse du juge à une demande d’ordonnance de protection, sans toutefois l’encadrer dans un délai précis.

Ministère public. Le texte précise que « à moins qu’il ne soit l’auteur de la requête, le ministère public est aussitôt avisé par le greffier du dépôt de la requête et de la date d’audience fixée par le juge aux affaires familiales ». Il rend un avis sur la demande de protection, par écrit ou oralement lors de l’audience. Cet avis est essentiel. En effet, lorsque le parquet soutient la demande de protection le taux de refus de vraisemblance des violences passe de 25 à 15,2 % [10].

Convocation des parties à l’audience. L’étape de la convocation des parties à l’audience, par la notification de l’ordonnance qui en fixe la date, nécessite une célérité particulière des différents acteurs. Pour ce qui est du demandeur, il est averti par le greffe par tout moyen, y compris la remise en main propre contre émargement ou récépissé. Pour ce qui est du défendeur, c’est l’auteur de la demande d’ordonnance de protection -la victime elle-même ou le ministère public- qui en principe lui signifie l’ordonnance fixant la date d’audience. Le texte précise que « l’acte de signification doit être remis en greffer dans un délai de vingt quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience, à peine de caducité de la requête ». Ce délai inédit traduit bien le caractère urgent de la procédure. Il risque, toutefois, de se heurter à des difficultés pratiques en ce qu’il impose aux huissiers de justice une particulière célérité. On peut se demander si cette exigence, assortie d’une sanction automatique est vraiment réaliste. En effet, l’ordonnance qui fixe l’audience constitue le point de départ du délai de six jours avant que l’ordonnance de protection ne soit rendue. Par conséquent l’audience doit avoir lieu au plus tard cinq jours après l’ordonnance qui fixe sa date, l’ordonnance étant rendue, le cas échéant, le lendemain. L’exigence de la signification dans les 24 heures implique ainsi que le défendeur doit être averti de l’audience quatre jours avant sa tenue. Il aurait été possible de procéder de manière moins exigeante en utilisant le dispositif de l’article 1137 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2326LUP) modifié par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, qui prévoit une procédure à bref délai devant le JAF, sous condition d'urgence, avec possibilité de remise de l'assignation introductive d'instance la veille de l'audience. Cette procédure est notamment utilisée dans des hypothèses où l’un des parents empêche l’autre de voir ses enfants. Le risque, en exigeant une signification dans les 24 heures de la décision, est de rendre finalement l’ordonnance de protection concrètement inaccessible, d’autant que la victime va devoir -au moins dans un premier temps- supporter le coût de la signification, alourdi par le recours aux vacations d’urgence.

Réforme de la réforme. Ces difficultés ont donné lieu à de vives critiques lors de la publication du décret qui ont incité la Garde des sceaux à s’engager publiquement à publier un autre décret corrigeant le premier. Selon un communiqué du ministère de la Justice publié après une réunion tenue le 23 juin par Isabelle Rome, haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes avec les acteurs concernés par la nouvelle procédure de délivrance des ordonnances de protection (associations de protection des droits des femmes, huissiers, avocats et magistrats) « ces échanges ont permis de montrer que le délai de 24 h pouvait être doublé pour être porté à 48 h tout en permettant aux parties d’être assistées par un avocat, que la méconnaissance de ce délai ne devait pas être relevée d’office par le juge et qu’un circuit de signification efficace était nécessaire pour tenir le délai fixé par le législateur ».

Notification par voie administrative. L’autre moyen de convoquer rapidement l’auteur présumé des violences est de laisser le juge se charger de sa convocation en faisant procéder à une notification par voie administrative, c’est-à-dire par un officier de police judiciaire, si l’on est en présence « d’un danger grave et imminent pour la sécurité d’une personne concernée par une ordonnance de protection ou lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen ». Ce mode de convocation du défendeur qui constitue une exception, pourrait cependant être le principe en matière d’ordonnance de protection dès lors que celle-ci vise à répondre à des situations d’urgence, et est, avant tout, destinée à faire cesser dans les plus brefs délais une situation de violences conjugales comportant un risque immédiat pour la victime ou ses enfants.

Audience. Les modalités d’audition des parties durant l’audience sont en outre envisagées dans le décret. Celui-ci prévoit, dans l’article 1136-6, alinéa 5, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2323LXC), que le juge les entend séparément, s’il le décide ou si l’une des parties -la victime particulièrement- le sollicite. La formulation permet de penser que l’audition séparée est de droit dans cette dernière hypothèse, ce qui est particulièrement bienvenu dans un contexte de violences conjugales.

Passerelle. En cas de rejet de l’ordonnance de protection, le décret prévoit une autre innovation qui mérite d’être saluée. Il organise, dans un nouvel article 1136-15 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2326LXG), une passerelle vers une audience pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Si l’urgence le justifie, et si une partie en fait le demande -on suppose que ce sera là aussi la victime des violences-, il fixe une date d’audience pour qu’il soit statué au fond sur ces questions, en veillant à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. Cette passerelle permet d’organiser la situation des enfants de manière rapide, sans avoir à saisir le juge une nouvelle fois après le rejet de la demande d’ordonnance de protection. Il aurait toutefois été sans doute opportun que le législateur impose au juge un délai pour fixer l’audience. Une telle opportunité -si elle avait existé- aurait pu être saisie dans l’affaire jugée par le JAF de Bordeaux le 14 avril 2020, pour organiser les relations de l’enfant de sept ans avec ses deux parents.

Conclusion. Il est particulièrement opportun pour le demandeur d’une ordonnance de protection, en présence d’enfants, de faire systématiquement à titre subsidiaire, une demande d’audience d’urgence pour fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

 

[1] S. Jouanneau (dir.), Violences conjugales, Protection des victimes : usages et conditions d’application dans les tribunaux français de mesures de protection des victimes de violences au sein du couple, Mission de recherche droit et justice 2019

[2] I. Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, Lexbase, éd. priv., n° 809, 2020 (N° Lexbase : N1877BY8) ;  L. Mauger-Vielpeau, Violences conjugales- Une nouvelle réforme de l’ordonnance de protection, Dr. Fam. 2020, Etude n° 11.

[3] Cass. civ. 1, 13 février 2020, n° 19-22.192, F-D (N° Lexbase : A75143EZ), et la brève, Lexbase, éd. priv., n° 814, 2020 (N° Lexbase : N2354BYT).

[4] JAF Bordeaux, 14 avril 2020, RG n° 20/02424 (N° Lexbase : A71113NP).

[5] S. Jouanneau (dir.), rapport préc..

[6] Infostat Justice septembre 2019 n° 17

[7] En pratique le délai commence à courir le lendemain et ne comprend pas les samedi et dimanche.

[8] L. Mauger-Vielpeau, art. préc..

[9] M. Lamarche, Violences conjugales : à la recherche de l’efficacité du dispositif légal, Dr. fam., 2020, Alerte 12.

[10] S. Jouanneau (dir.) rapport préc..

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Fiscalité des entreprises

[Le point sur...] Retour synthétique sur la notion de société holding animatrice

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par Fleur Chidaine, Avocate au Barreau de Saint-Denis, La Réunion, Séraphin et associés

Le 23 Octobre 2020

Pierre angulaire de nombreux dispositifs fiscaux, la notion de holding animatrice continue de faire débat et d’alimenter de nombreux redressements fiscaux face à l’absence de définition générale - i.e. commune à tous les dispositifs - donnée par le législateur. Pourtant, de nombreux dispositifs fiscaux ont été institués au cours des années afin de faciliter la création, la détention ou la transmission des entreprises.

L’ensemble de ces dispositifs présente la particularité d’être pensé et prévu pour un schéma d’exploitation classique, savoir une société unique exploitante dont les titres sont détenus par un contribuable. Néanmoins, cette appréhension du monde des sociétés ne prévoyait pas la structuration des exploitations en groupes de société et notamment la création de sociétés holdings têtes de groupe détentrices des titres tant des sociétés d’exploitation que des sociétés propriétaires du foncier. La question de l’éligibilité de la société holding et, par conséquent, de sa définition, est donc cruciale : son interposition fait-elle perdre le bénéfice des différents dispositifs précités ?

Genèse de la notion

La notion de holding animatrice serait apparue pour la première fois dans les commentaires administratifs à l’occasion du vote de la loi concernant la réévaluation légale des immobilisations rendue obligatoire au 31 décembre 1976 pour certaines sociétés ayant une activité industrielle ou commerciale, par opposition à celles n’ayant qu’une activité civile ou patrimoniale. L’administration assimilait pour les besoins de ce dispositif les sociétés holdings aux sociétés ayant une réelle activité commerciale et de ce fait assujetties à l’obligation de réévaluation.

Par suite, le concept a régulièrement été repris par l’administration fiscale pour déterminer l’éligibilité des sociétés holdings aux différents dispositifs fiscaux. Ce n’est qu’avec le vote de la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ) et des articles 199 terdecies-0 A (N° Lexbase : L9407LHU)  et 885-0 V bis (N° Lexbase : L1404IZZ) du Code général des Impôts, prévoyant respectivement la réduction d’impôt sur le revenu dite « Madelin » et la réduction « ISF-PME », que le législateur est venu définir la notion en prévoyant que « pour l’application du présent article, une société holding animatrice s’entend d’une société qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, participe activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rend, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ».

Il apparait donc qu’aucune définition généralisée de la société holding animatrice n’a été à ce jour prévue par le législateur, obligeant ainsi les contribuables à appréhender de nombreux critères et faisceaux d’indices pour étudier la qualification d’animatrice de toute société holding en fonction de chaque dispositif fiscal. La définition retenue par l’administration fiscale, la jurisprudence et le législateur pour certains dispositifs conduit donc à distinguer plusieurs critères illustrés par la jurisprudence.

I - Dispositifs fiscaux faisant intervenir la notion de holding animatrice

La notion de société holding animatrice intervient de plus en plus régulièrement dans les différents schémas fiscaux compte tenu de l’organisation des groupes de sociétés. Sont concernés par cette notion notamment le Pacte Dutreil et l’exonération en matière d’impôt sur la fortune immobilière.

Ainsi, conformément à l’article 787 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L5936LQW), les transmissions par décès et les donations de parts ou actions de sociétés ayant fait l'objet d'un engagement collectif de conservation (ou « pacte Dutreil ») sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois quarts de leur valeur (sans limitation de montant). Cette exonération s’applique aux transmissions : (i) de parts ou actions de sociétés (quel que soit leur régime fiscal) exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale qui ont fait l'objet d'un engagement collectif de conservation ou (ii)  de parts ou actions de sociétés interposées. Il s'agit des parts ou actions de sociétés détenant, soit directement (simple niveau d'interposition), soit indirectement par l'intermédiaire d'une autre société (double niveau d'interposition), une participation dans la société dont les titres font l'objet de l'engagement collectif de conservation. Dans ce cadre, la documentation administrative prévoit que « Les transmissions de parts ou actions de sociétés holdings animatrices de groupe peuvent bénéficier de l'exonération partielle "directe" » [1].

D’autre part, en matière d’impôt sur la fortune immobilière, bien que les parts ou actions des sociétés soient, en principe, imposables à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement - quel que soit le nombre de niveaux d'interposition - par la société cible, l’article 966 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9113LHY) prévoit l’exclusion de l’assiette imposable de l’immobilier affecté à une activité opérationnelle et commerciale. Or, l’article susvisé prévoit que « sont également considérées comme des activités commerciales les activités de sociétés qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ». A nouveau, la définition de la notion de holding animatrice prend toute son importance en ce qu’elle conditionne directement l’assiette imposable d’une imposition non négligeable pour le contribuable.

D’autres dispositifs font également intervenir cette notion, parmi lesquels notamment :

  • l’article 83, 3° du Code général des impôts (N° Lexbase : L6158LUM), qui permet aux salariés et dirigeants assimilés aux salariés de déduire des rémunérations qu'ils perçoivent, selon le régime des frais réels, les intérêts d'emprunt et autres frais supportés pour acquérir ou souscrire les titres de la société dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle principale, dès lors que ces dépenses sont utiles à l'acquisition ou la conservation du revenu et que leur montant est proportionné à leur rémunération annuelle. Dans ce cadre, la documentation administrative considère que sont visés notamment les titres d’une société holding animatrice de son groupe [2] ;
  • l’article 150-0 D, 1 quater du Code général des impôts (N° Lexbase : L6171LU4), qui permet aux contribuables réalisant une plus-value de cession de titres d’une PME de moins de dix ans de bénéficier sous certaines conditions d’un abattement proportionnel renforcé, étant entendu qu’à nouveau le dispositif peut être appliqué aux titres d’une société holding à condition pour cette dernière de respecter l’ensemble des conditions applicables aux sociétés commerciales [3] ;
  • l’article 199 terdecies 0-A du Code général des impôts ([LXB=]), qui permet aux contribuables de bénéficier d’une réduction d'impôt au titre des versements effectués en vue de souscrire en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital de certaines sociétés non cotées, et notamment de sociétés holdings animatrices. La loi prévoit ainsi que les souscriptions réalisées au capital d'une société holding animatrice ouvrent droit à l'avantage fiscal lorsque la société remplit deux conditions : (i) être constituée depuis au moins douze mois et (ii) contrôler au moins une filiale depuis au moins douze mois.

Le nombre grandissant des dispositifs concernés par cette notion nécessite de rassembler les différents critères énoncés par l’administration fiscale et la jurisprudence afin d’en délimiter tant que possible les contours.

II - Critères de la société holding animatrice

Tant la jurisprudence que la documentation administrative distinguent un premier critère composé de deux éléments cumulatifs : le contrôle et l’animation des filiales, critère obligatoire, et un second critère non obligatoire qu’est la prestation de services administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers aux filiales.

1 - Contrôle des filiales

Sur la notion de contrôle, ni la doctrine administrative ni la jurisprudence ne fixent de seuil minimal de détention obligatoire. Toutefois, cette participation doit être suffisante pour permettre à la société holding d’exercer sur les filiales une influence réelle. A notamment été jugé qu’une participation de 1,3 % était insuffisante [4], tandis que l’administration considère généralement que la condition de contrôle est satisfaite si la société holding est l’actionnaire majoritaire de la filiale et qu’aucun autre actionnaire ne détient de participation supérieure [5].

Sur la notion de filiale et de groupe, il a été précisé qu’une société qui ne détient encore aucune participation mais cherche à constituer un groupe ne peut se voir reconnaitre le caractère de holding animatrice alors même qu’elle chercherait à acquérir des participations [6]. En revanche, le fait pour une société holding de ne détenir qu’une participation unique dans une seule filiale peut caractériser l’existence d’un groupe et son éligibilité à la qualification de holding animatrice [7]. Enfin, si l’administration considère qu’une société ne détenant que des filiales patrimoniales ne peut pas être qualifiée d’holding animatrice [8], le Conseil d’Etat a, pour sa part, jugé comme étant animatrice une société holding qui détenait notamment une participation dans une société foncière détenant des locaux d’habitation [9].

2 - Animation des filiales

L’animation des filiales par la société holding concerne tout d’abord un « périmètre d’animation ». Il a ainsi été jugé par la Cour de cassation qu’une société holding peut être animatrice alors même qu’elle détient une participation non animée [10]. De même, elle a jugé qu’une société holding détenant de façon minoritaire son groupe pouvait malgré tout être considérée comme animatrice dès lors qu’elle participait à la conduite de la politique et au contrôle des filiales, conjointement avec l’associé majoritaire, dans le cadre d’un pacte d’associé conclu entre eux et a donc implicitement admis la possibilité de co-animer conjointement un groupe [11].

Concernant le caractère mixte de certaines sociétés holdings, hypothèse dans laquelle ces dernières exercent en parallèle de leur fonction d’animation une activité de nature patrimoniale, le juge judiciaire et le Conseil d’Etat retiennent des interprétations différentes. En effet, la cour d’appel de Paris a jugé à propos des conditions cumulatives exigeant pour bénéficier du dispositif du Pacte Dutreil (i) qu’au moins 50 % du chiffre d’affaires de la société provienne d’une activité opérationnelle éligible et (ii) que son actif immobilisé représente au moins 50 % de son actif brut total que seul le critère du bilan serait applicable aux sociétés holdings [12]. Le Conseil d’Etat a quant à lui jugé qu’en cas d’activité mixte, la holding n’est animatrice que si cela constitue son activité principale [13]. Cette position a par ailleurs été confirmée et complétée dans une décision du 23 janvier 2020 [14], le Conseil d’Etat confirmant à cette occasion que la situation d’une société holding mixte ne peut s’apprécier qu’au regard d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de son activité et les conditions de son exercice.

Sur les moyens d’animation à proprement parler, il a notamment été précisé :

  • Sur l’identité des dirigeants de la société holding et de la filiale, qu’elle pouvait, à l’appui d’autres éléments de preuve, être suffisante à démontrer le caractère d’animation selon le Conseil d’Etat [15] en matière de plus-value de cession de valeur mobilière mais insuffisante aux yeux de l’administration fiscale et de la Cour de Cassation [16] ;
  • Sur l’importance des moyens matériels et humains, que si le fait de disposer de moyens importants n’était pas nécessaire pour obtenir la qualification d’animatrice d’une société holding [17], ces mêmes moyens matériels et humains devaient a minima exister [18].
     

3 - Prestations de services rendues au bénéfice des filiales

Comme énoncé ci-avant, le second critère non obligatoire visé par la définition de la holding animatrice vise les prestations de services rendues au bénéfice des filiales. Ainsi, la doctrine administrative admet que la société holding puisse fournir à ses filiales des prestations de services, bien que précisant que ce critère ne suffit pas à lui seul à qualifier l’activité de la société d’animatrice [19]. Laissant des traces matérielles et effectives, ce critère permet notamment de rassembler les documentations écrites prouvant lesdits services.

La matérialité et l’effectivité des prestations doit pouvoir être rapporté en tant qu’élément de preuve si besoin, la Cour de cassation ayant écarté la validité des conventions dont la contrepartie était illusoire ou dérisoire [20]. Il a ainsi été jugé que les services rendus peuvent concerner l’administration générale (comités, coordination des actions opérationnelles dans des domaines spécifiques stratégiques), les services juridiques et fiscaux, les services financiers et comptables et notamment la gestion de trésorerie via une convention d’omnium, les systèmes informatiques, la centralisation des achats et la gestion des ressources humaines…autant de services devant tant aux yeux du Conseil d’Etat que de la Cour de cassation être facturés aux filiales, en principe dans le respect des règles de pleine concurrence [21].

4 - Risques liés à la notion de société holding animatrice

Il ressort de ce qui précède que la notion de société holding animatrice reste un concept peu sécurisé pour les contribuables souhaitant bénéficier des différents dispositifs fiscaux les impliquant. Ainsi, les interprétations doctrinales, jurisprudentielles et légales varient selon les dispositifs et sont ainsi susceptibles de créer un contexte peu sécurisant pour les groupes de sociétés. A titre d’exemple, sur la preuve de l’effectivité de l’animation la question de la charge de la preuve oppose la cour de Cassation et l’administration, pour lesquelles elle incombe au contribuable, au Conseil d’Etat pour lequel chacune des parties doit produire les éléments de preuve en sa possession. En effet, l’administration et la Cour de cassation considèrent que la notion ne constitue qu’une tolérance administrative d’interprétation stricte [22] tandis que le Conseil d’Etat considère que la société holding exerce une activité commerciale au sens fiscal et ne constitue donc pas une tolérance [23]. Ces éléments, qui ne sont pas isolés, confortent la volonté des praticiens à réclamer une clarification et une définition unifiée du concept permettant la sécurisation des schémas de structuration des groupes et, par conséquent, facilitant la transmission des entreprises initialement recherchée par les dispositifs fiscaux recherchés.

 

[1] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 50 (N° Lexbase : X6754ALQ).

[2] BOI-RSA-BASE-30-50-30-30 n° 140 et 150 (N° Lexbase : X6410ALY).

[3] BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10 n° 170 et 180, 4 mars 2016 (N° Lexbase : X3738AP7).

[4] CA Paris, 1ère ch., 10 mars 2006, n° 04/1636.

[5] Position conférence IACF 10 juin 2013.

[6] Cass. com., 16 juin 1992, n ° 89-21.949, publié au bulletin (N° Lexbase : A4056ABT).

[7] Cass. com., 2 juin 1992, n° 90-14.613 (N° Lexbase : A4183ABK).

[8] Projet BOI 2014 n° 110 ; QE n° 9030 de M. Ducout Pierre, JOANQ 23 décembre 2002 p. 5076, réponse publ. 19 mai 2003 p. 3885, 12e législature (N° Lexbase : L4438BHT).

[9] CE, Ass. Plén., 13 juin 2018, n° 395495, 399121, 399122, 399124, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9347XQA).

[10] CA Paris, 27 mars 2017, n° 15/02542 (N° Lexbase : A5263UMU), confirmé par Cass. com., 19 juin 2019, n° 17-20.556, F-D (N° Lexbase : A2972ZG8).

[11] CA Rennes, 8 mars 2016, n° 15/00775 (N° Lexbase : A3109QYS) confirmé par Cass. com., 31 janvier 2018 n° 16-17.938, F-D (N° Lexbase : A4810XC7).

[12] CA Paris, 5 mars 2018, n° 16/08688 (N° Lexbase : A1982XGI).

[13] CE Ass. Plén., 13 juin 2018, n° 395495, 399121, 399122, 399124 précité.

[14] CE 8° et 3° ch.-r., 23 janvier 2020, n° 435562, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A56683CW).

[15] CE, Ass. Plén., 13 juin 2018, n° 395495, 399121, 399122, 399124 précité.

[16] Cass. com., 15 février 1994, n° 91-22.140, inédit au bulletin (N° Lexbase : A4981CTN).

[17] Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-20.665, FS-P+B (N° Lexbase : A5807DKB).

[18] Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19.770, F-P+B (N° Lexbase : A5153HUE).

[19] Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-20.665, FS-P+B (N° Lexbase : A5807DKB).

[20] Cass. com., 8 février 2005, n° 02-12.855, F-D (N° Lexbase : A6834DG9).

[21] Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-70.465, F-D (N° Lexbase : A7595GLU).

[22] Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-20.432, F-D (N° Lexbase : A6788KMD).

[23] CE, Ass. Plén., 13 juin 2018, préc.

newsid:473698

Fiscalité immobilière

[Brèves] Déduction des revenus fonciers des intérêts d’emprunts souscrits par un associé pour acquérir les parts d'une société de personnes

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 9 juin 2020, n° 426342, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A15443NI)

Lecture: 2 min

N3733BYW

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Juin 2020

Sauf disposition législative spécifique, seuls les intérêts des emprunts contractés pour l'acquisition de biens ou droits immobiliers destinés à procurer des revenus fonciers sont déductibles du revenu brut foncier. Il en va notamment ainsi des intérêts des emprunts souscrits par un associé pour acquérir les parts d'une société de personnes dont les résultats sont imposables dans la catégorie des revenus fonciers. Il en est de même pour le remboursement des parts d'un associé par une telle société lorsqu'il est établi que l'emprunt est nécessaire pour la conservation du revenu foncier de celle-ci.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause la déduction, au titre des revenus fonciers de la requérante pour les années 2007 à 2009, des intérêts de l'emprunt qui a été contracté par une SCI, dont elle était l'un des quatre associés à parts égales, pour financer le rachat des parts d'un autre associé. Le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la requérante tendant à la décharge notamment des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles elle a été assujettie ainsi que des pénalités correspondantes. La cour administrative d’appel de Marseille réforme le jugement du tribunal administratif de Nice (CAA Marseille, 16 octobre 2018, n° 17MA04955 N° Lexbase : A9457YGD).

Pour rappel, le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu (CGI, art. 13 N° Lexbase : L9162LNN). Sont compris dans la catégorie des revenus fonciers, lorsqu'ils ne sont pas inclus dans les bénéfices d'une entreprise industrielle, commerciale ou artisanale, d'une exploitation agricole ou d'une profession non commerciale des revenus des propriétés bâties. Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent pour les propriétés urbaines, les intérêts de dettes contractées pour la conservation, l'acquisition, la construction, la réparation ou l'amélioration des propriétés (CGI, art. 31 N° Lexbase : L6165LUU).

La cour administrative d’appel de Marseille a déduit que les intérêts de l’emprunt que la SCI avait souscrit pour rembourser ces parts étaient déductibles en application des dispositions précitées de l’article 31 du Code général des impôts. Raisonnement validé par le Conseil d’Etat.

newsid:473733

Licenciement

[Brèves] Compétence du juge judiciaire pour apprécier la conformité du PSE aux dispositions du Code du travail relatives au transfert d’entreprise

Réf. : Cass. soc., 10 juin 2020, n° 18-26.229, FS-P+B (N° Lexbase : A53843NQ)

Lecture: 2 min

N3755BYQ

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par Charlotte Moronval

Le 17 Juin 2020

► Le juge judiciaire est compétent pour connaître de l’action exercée par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) relatives au transfert d’entreprise, de nature à priver d’effet les licenciements économiques prononcés à l’occasion du transfert d’une entité économique autonome, et de demander au repreneur la poursuite des contrats de travail illégalement rompus ou à l'auteur des licenciements illégaux la réparation du préjudice en résultant.

Ainsi statue la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juin 2020 (Cass. soc., 10 juin 2020, n° 18-26.229, FS-P+B N° Lexbase : A53843NQ).

Dans les faits. Un groupement d’intérêt économique (GIE) présente un projet de transformation de son activité. Celui-ci s’accompagne d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyant la cessation de son activité et la suppression de nombreux emplois. L’accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi est validé par la Direccte. Deux salariés, dont les contrats ont été rompu dans le cadre du licenciement collectif, saisissent la juridiction prud'homale, notamment de demandes en paiement de dommages-intérêts fondées sur la fraude aux dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail. L’employeur, de son côté, soulève une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

La position de la cour d’appel. La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 8 novembre 2018, n° 18/01678 N° Lexbase : A7952YKQ) rejette l’exception d’incompétence et estime que le conseil de prud’hommes est matériellement compétent pour connaître du litige. L’employeur forme un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. La cour d’appel, qui a constaté que le conseil de prud’hommes était saisi de demandes des salariés tendant à la condamnation de l’auteur des licenciements au paiement de dommages-intérêts en raison d’une fraude aux dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail, en a exactement déduit que la juridiction prud’homale était compétente (sur La compétence des juridictions judiciaires après la loi du 14 juin 2013, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E1056E9Y).

newsid:473755

Procédure pénale

[Focus] Les 20 ans de la loi du 15 juin 2000 : la genèse de l’article préliminaire du Code de procédure pénale

Lecture: 24 min

N3670BYL

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par Christine Lazerges, Rapporteure à l’Assemblée nationale de la loi du 15 juin 2000, Professeure émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)

Le 17 Juin 2020

 


Mots-clés : présomption d’innocence • droits des victimes • article préliminaire • principes directeurs • procédure pénale • contradictoire • information des victimes • dignité de la personne • loyauté des preuves • procès équitable • séparation des fonctions de justice • égalité de traitement

L’article préliminaire du Code de procédure pénale, socle de la matière, est issu de l’article premier de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Cette dernière revisitait le procès pénal depuis la première interpellation jusqu’au terme de l’exécution de la peine. Le plus grand soin fut apporté à la rédaction de cet article préliminaire, siège de principes directeurs. Décrire la genèse de ce texte c’est rendre compte des apports qui peuvent être ceux d’une navette parlementaire complète (deux lectures à l’Assemblée nationale, deux lectures au Sénat avant une commission mixte paritaire et une ultime lecture) ainsi que de débats de grande qualité où chaque mot est pesé avec l’exigence requise pour la création d’un texte fondateur. Tenter d’exposer les étapes de la fabrication des principes directeurs de l’article préliminaire permet, dans le même temps, d’en exposer les fonctions et de préciser les attentes fortes du législateur à son égard. Les fonctions pédagogique et herméneutique de l’article préliminaire ne font aucun doute, plus débattue est sa fonction normative. 


 

La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (N° Lexbase : L0618AIQ) revêt cette spécificité de revisiter la procédure pénale de l’interpellation d’une personne au terme de l’exécution de la peine, quand condamnation il y a. Pour cette raison, elle fut passionnante à élaborer d’abord au cabinet de la garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, et dans les services de la Chancellerie, puis lors d’une longue navette parlementaire à l’Assemblée nationale et au Sénat. La navette parlementaire fut complète et non pas accélérée ou à l’économie, deux lectures à l’Assemblée nationale, deux lectures au Sénat, une commission mixte paritaire et une nouvelle lecture dans chaque chambre. À chaque étape le projet de loi initial fut enrichi et précisé y compris son article premier devenu article préliminaire du Code de procédure pénale [1]

L’ambition était de consacrer l’européanisation et l’internationalisation de la procédure pénale, outre sa constitutionnalisation, par une grande loi de mise en conformité de la procédure pénale française avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH N° Lexbase : L4742AQP) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). 

La voie était tracée par le rapport Justice pénale et droits de l’Homme, issu de la Commission présidée par Mireille Delmas-Marty [2]. Le rapport préconisait que dix principes directeurs viennent encadrer le droit pénal, un seul concernait le droit pénal de fond, le principe de légalité, les autres gouvernaient le modèle de procédure pénale échafaudé. Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes avait retenu l’idée émise par le rapport Delmas-Marty. Les débats parlementaires ont enrichi non seulement l’article premier du projet de loi mais l’ensemble de ce projet de loi. Ainsi n’étaient prévu initialement ni l’appel des décisions de cours d’assises, ni la juridictionnalisation de l’application des peines. « Ce fut Noël pour les députés » s’était exclamé le député, Jacques Floch, membre de la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

L’ambition de la loi du 15 juin 2000 imposait un article premier devenu préliminaire qui soit autre chose qu’un exposé des motifs, qu’une préface, qu’un préambule. Cet article préliminaire n’est pas non plus une exhortation, un prélude, un prologue, ou simplement un fronton. Pierre Truche, qui fut membre de la Commission Delmas-Marty, s’exprimait ainsi à propos de l’article préliminaire : « Ce n’est pas un emballage pouvant couvrir n’importe quelle marchandise, un gadget pour âmes sensibles » [3]

L’article préliminaire est un socle législatif qui caractérise l’essence de notre procédure pénale. Il décline des normes supérieures dans la hiérarchie des normes. Rapporteur au Sénat, Charles Jolibois qualifiait l’article préliminaire de guide destiné à « faciliter l’interprétation et l’application du Code de procédure pénale » [4].  Rapporteure à l’Assemblée nationale, je disais, moi-même, des principes directeurs de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, « qu’ils étaient en quelque sorte l’équivalent des balises pour ceux qui aiment naviguer ou des cairns en montagne, pour ceux qui aiment marcher » [5], façon imagée d’affirmer que les principes directeurs montrent la voie, fixe un cap, sont un guide. En réalité, l’article préliminaire s’est avéré être plus encore. Preuve en est une doctrine très abondante sur ce texte.  Les traités et manuels se sont saisis immédiatement de l’article préliminaire [6]. La jurisprudence plus qu’abondante, elle aussi, a renforcé les fonctions de l’article préliminaire au-delà d’une fonction pédagogique et herméneutique faisant l’unanimité au Parlement. Dès 2003, une fonction normative vint compléter les deux fonctions initiales [7]. Dans l’édition 2020 du code Dalloz de procédure pénale font suite aux références doctrinales, 23 pages de jurisprudence. Pourtant la circulaire d’application de la loi du 15 juin 2000 promettait le premier article de la loi à un médiocre devenir ou à un petit avenir en ces termes : « Il convient d’indiquer que l’inscription dans la loi des principes fondamentaux du procès pénal n’a en soi aucune conséquence juridique, dans la mesure où ces principes préexistaient à la loi du 15 juin 2000, le nouvel article préliminaire du Code de procédure pénale n’ayant pour objectif que de les rendre plus accessibles. Par ailleurs les dispositions de l’article préliminaire, de nature législative, n’ont pas vocation à remettre en cause les autres dispositions législatives du Code de procédure pénale qui décrivent l’ensemble des règles devant être suivies tout au long de la procédure. Cet article préliminaire permettra en revanche de guider si nécessaire les juridictions dans l’interprétation et l’application de ces différentes règles de procédure et notamment dans celles concernant l’instruction préparatoire et l’audience correctionnelle qui sont successivement examinée par la présente circulaire ». 

Les enjeux de politique criminelle de la loi du 15 juin 2000, renforçant les libertés et les droits fondamentaux dans le champ de la procédure pénale expliquent qu’une telle attention au cours de la navette parlementaire ait été accordée à la rédaction de son article premier qu’il s’agisse de sa construction (I) longuement débattue, ou du choix des mots pour chaque principe directeur énoncé (II) sans que rien ne soit laissé au hasard, comme peut le permettre une navette parlementaire complète. Le bien-fondé de l’énoncé de principes directeurs de fut pas discuté. L’exposé des motifs du projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes en atteste et justifie l’article 1er en ces termes : « Les différents principes qui gouvernent notre procédure pénale sont depuis longtemps reconnus dans le droit positif, et certains d’entre eux figurent même dans différents textes de valeur constitutionnelle. Cette reconnaissance est toutefois éparse et parcellaire. »

I. La construction de l’article préliminaire

La fabrication d’un article préliminaire énonçant des principes directeurs suppose un plan, une construction pensée, une architecture qui fasse sens en elle-même. Un soin tout particulier fut attaché à cette construction tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat [8].

Les racines immédiates de l’article 1er sont à rechercher aussi bien dans le bloc de constitutionnalité que dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ou même dans de nombreuses dispositions du Code de procédure pénale les déclinant sur un mode technique. Conscient du désordre émanant de la diversité des sources des principes directeurs, le Gouvernement proposa une architecture largement inspirée du Rapport Delmas-Marty qui procédait à une mise en ordre [9].

La commission Justice Pénale et droit de l’Homme avait dégagé dix principes directeurs classés en trois rubriques :

• les principes d’encadrement par le législateur (principe de légalité) et par l’autorité judiciaire (garanties judiciaires des libertés) ainsi que le respect du principe de proportionnalité ;

• la compatibilité de la procédure pénale avec les principes relatifs aux droits fondamentaux : présomption d’innocence, respect des droits de la défense, égalité entre les justiciables et dignité de la personne humaine ;

• l’égalité des armes, la célérité de la procédure et l’accès des victimes à la justice pénale

Le Gouvernement opta pour une construction similaire en trois parties, la première rappelait que l’objectif des personnes concourant à la procédure pénale est la recherche de la manifestation de la vérité et introduisait les principes énumérés dans les deux parties suivantes. La seconde partie regroupait les garanties dont bénéficie la personne mise en cause. La troisième partie était consacrée aux droits des victimes sous une forme plus incitative qu’impérative : « L’autorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». 

La Commission des lois de l’Assemblée nationale, en première lecture, approuva un texte construit différemment. La rapporteure souhaitait marquer dans le plan même de l’article préliminaire la spécificité de la procédure pénale française concernant les victimes d’infractions et le développement de leurs droits, en plaçant au cœur de l’article 1er les principes directeurs du droit des victimes, étoffés par rapport au texte du Gouvernement. Vingt ans de politique criminelle renouvelée à l’égard des victimes devaient se traduire, dans un texte renforçant les droits des victimes, une place autre que les derniers mots du projet gouvernemental d’article préliminaire. La loi n° 98-468, du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs (N° Lexbase : L8570AIA), ne venait-elle pas dans un même texte pour la première fois de légiférer sur les auteurs et sur les victimes comme le projet de loi du 15 juin 2000 ? Dans un article 1er pour lequel un plan en trois parties était retenu, placer les droits des victimes en seconde partie, au centre des principes directeurs du procès pénal, consistait à consacrer leur place sur la scène pénale et le respect qui leur est dû [10]. Ce respect suppose une information à toutes les étapes de la procédure ; aujourd’hui encore cela demeure difficile à mettre en application.

L’Assemblée nationale soutint donc jusqu’au terme de la navette parlementaire une architecture simple et symbolique :

• une partie I centrée sur le principe du contradictoire [11] et du procès équitable ;

• une partie II réservée aux victimes : « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale » ;

• une partie III consacrée aux garanties dont doit bénéficier la personne suspectée ou poursuivie. Ces garanties sont une déclinaison nouvelle de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, du « bloc de constitutionnalité », de la CESDH et du Pacte des Nations unies sur les droits civils, civiques et politiques. 

Cette architecture, finalement adoptée consensuellement en commission mixte paritaire, avait fait l’objet d’un refus et en première lecture et en seconde lecture au Sénat ; le Gouvernement s’en était, pour sa part, remis à la sagesse de l’Assemblée. Les arguments soutenus furent les mêmes que ceux développés par Bernard Bouloc dans sa chronique législative sur la loi du 15 juin 2000 [12]. La place réservée aux victimes, nous dit Bernard Bouloc, peut être contestée : « car avant de garantir les droits de la victime, lesquels peuvent être assurés comme dans de nombreuses législations par le droit civil, il importe de protéger le suspect contre tous excès le donnant comme coupable hâtivement ». À cela, il importe de répondre que la structure retenue n’établit pas une hiérarchie entre protection de la victime et protection du suspect ce qui serait un non-sens, mais exprime une spécificité de la procédure pénale française et une politique clairement affirmée dans le projet de loi de meilleure prise en compte des victimes. 

II. Le choix des mots de l’article préliminaire

Chaque mot et expression de l’article préliminaire ou presque furent débattus avec beaucoup de sérieux. Peu d’articles de lois ont donné lieu à autant d’heures d’échanges au sein de chaque groupe politique, ainsi que dans les groupes de travail ad hoc, et bien sûr à la Commission des lois aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.

Quelques exemples peuvent illustrer le choix de mots ou d’expressions ou éventuellement leur refus sans débat difficile.

      Ainsi pas un seul parlementaire ne contestait l’introduction dans le Code de procédure pénale de l’expression « présomption d’innocence » qui n’apparaissait jusqu’alors que dans l’article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ). Le titre même de la loi du 15 juin 2000 imposait que la présomption d’innocence prenne corps expressément dans le Code de procédure pénale et fasse désormais l’objet d’une rubrique dans l’index alphabétique du Code de procédure pénale [13]

      Aussi importante que l’affirmation explicite du droit à la présomption d’innocence était celle du principe du contradictoire. Pierre Albertini, professeur de droit et membre de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, s’inquiéta du caractère abstrait de l’expression « principe du contradictoire », retenue dans le projet du Gouvernement. Il proposa de substituer à l’expression « principe du contradictoire », l’expression : « caractère contradictoire de la procédure », ce qui n’apparut guère plus concret.  Après débat c’est finalement une formule très simple qui fut retenue : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties ».

      Aisément résolu à la fin de la navette parlementaire fut aussi le choix des mots de l’alinéa second de la partie III de l’article préliminaire, ainsi rédigé jusqu’au passage en ultime commission mixte paritaire : « Toute personne suspectée ou poursuivie… a le droit d’être informée de la nature des charges retenues contre elle… ». Robert Badinter, membre de la commission des lois du Sénat et de la commission mixte paritaire, très judicieusement, fit observer qu’au début de la procédure, il n’était souvent pas facile de se prononcer sur la nature des charges et qu’il valait mieux en conséquence supprimer le mot « nature »

      De même, à propos des droits des victimes, l’introduction du droit à l’information des victimes, qui pourtant a des incidences considérables sur le déroulement du procès, ne rencontra pas d’obstacles.

      L’introduction de la non-atteinte à la « la dignité de la personne » en cas de mesures de contraintes strictement limitées aux nécessités de la procédure et proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée, fit immédiatement consensus. Le principe d’égale dignité des personnes humaines affirmé par l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’Homme devait être rappelé dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale français. 

Quelques autres exemples peuvent témoigner de débats plus ardus voire houleux lorsque le choix des mots a des incidences directes sur le sens que l’on veut donner à tel ou tel principe directeur énoncé dans l’article préliminaire.

      Il en fut ainsi tout au long de la navette parlementaire de la question de la loyauté des preuves, fallait-il ou non en parler ? Certains commentateurs de l’article préliminaire regrettent encore cette absence de référence à la loyauté des preuves qui, loin d’être un oubli a été mûrement réfléchie [14]. Ce n’était évidemment pas le principe même de loyauté des preuves qui était débattu dans un système procédural qui n’avait pas changé de nature pour devenir accusatoire, mais la nécessité de son rappel. Lors de chaque lecture, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, quelques parlementaires ont exprimé l’exigence de l’inscription dans les principes directeurs d’un jugement qui se fonde sur des preuves loyalement obtenues. Cependant pour la majorité des sénateurs de la commission des lois : « si la loyauté des preuves est un principe bien connu dans les pays anglo-saxons, il paraît difficile de mesurer les conséquences que pourrait avoir son introduction, sous une forme aussi générale dans notre droit compte tenu de la marge d’appréciation très grande qu’il laisse au juge ». Il fut à plusieurs reprises rappelé au Sénat comme à l’Assemblée nationale que le principe de loyauté des preuves, dans un pays qui en certaines circonstances admet les agents infiltrés, n’aurait pas d’autre portée que celle d’un idéal difficile à atteindre. Ce seul argument ne convainc pas dans la mesure où il en est ainsi par nature des principes directeurs, dont Pierre Truche dit qu’ils sont un guide déontologique [15]. Il est intéressant de noter que les parlementaires les plus désireux d’introduire le principe de loyauté des preuves, en réalité inclus dans l’exigence d’un procès équitable et contradictoire, étaient tous avocats.  L’argument qui finalement l’emporta fut tiré de la jurisprudence de la chambre criminelle. Cette dernière n’impose le principe de loyauté des preuves que pour les autorités publiques. 

Le choix des mots pour parler de la séparation des fonctions de justice n’était pas moins délicat. Le projet du Gouvernement éludait la question de la séparation des fonctions de justice. L’introduction de ce principe directeur, étroitement lié à la notion même de procès équitable, résulte des amendements apportés dès la première lecture à l’Assemblée nationale par la rapporteure dans les termes suivants : « Elle [la procédure pénale] doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement ». Dès la première lecture au Sénat, les critiques furent vives et déterminées au motif que ce principe de séparation des fonctions de justice n’appartient pas à la catégorie des principes directeurs mais relève de la seule responsabilité du législateur. Ce propos est cohérent avec la fonction que la Haute assemblée dira conférer à l’article préliminaire : une fonction purement herméneutique. Pour le Sénat, l’article s’adresse au juge pour le guider dans l’interprétation et non au législateur. L’Assemblée nationale tint bon, y compris en commission mixte paritaire. Il paraissait important d’intégrer dans l’article préliminaire la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 février 1995 relative à l’injonction pénale (Cons. const., décision n° 95-360 DC, du 2 février 1995 N° Lexbase : A8324ACB), rappelant la nécessaire séparation des fonctions de poursuite et de jugement. 

Le législateur de l’an 2000 considéra indispensable d’affirmer que la procédure pénale doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement alors même que l’on assiste à un renforcement des pouvoirs des procureurs généraux et des procureurs de la République. Hervé Henrion, dans son analyse très fouillée de l’article préliminaire [16], s’étonne de la formulation retenue pour parler de la séparation des fonctions de justice : « Cette formulation est surprenante par son manque de généralité, puisqu’elle n’exprime que l’un des aspects du principe de séparation des fonctions de justice, en passant sous silence la séparation de la poursuite et de l’instruction, ainsi que la séparation de l’instruction et du jugement. ». 

En réalité c’est très volontairement que le législateur n’a pas évoqué l’instruction car le principe directeur est la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement. Les principes directeurs de l’article préliminaire, proches dans leur rédaction des principes de la CESDH, quoique non identiques, se doivent de participer au rapprochement des procédures pénales d’Europe et non de renforcer certaines spécificités comme l’instruction. La question de la séparation des fonctions de justice déborde celle de l’impartialité. Elle ne concerne, strictement entendue, que la séparation des autorités chargées des poursuites et des autorités chargées du jugement d’où le choix des mots opéré par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Pour Fabrice Parisi, dont la thèse conforte la position adoptée dans la loi du 15 juin 2000, : « La séparation des fonctions de justice ne peut résider dans le seul pouvoir de préserver l’impartialité du tribunal. Son objet est aussi de réguler le pouvoir de chaque organe, de tendre à un équilibre des pouvoirs » [17]

      Le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction ne manqua pas de soulever des difficultés. La formule finale de l’article 1er de la loi du 15 juin 2000 est en effet : « Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. » Rien de tel dans le projet du Gouvernement qui ne s’exprimait pas sur le sujet. Pourtant ce principe est explicitement inscrit dans le Pacte international relatif aux droits civils, civiques et politiques adopté en 1966 (N° Lexbase : L6816BHW). L’instrument d’adhésion de la France contenait une réserve : « Les décisions rendues en dernier ressort peuvent faire l’objet en droit français d’un recours devant la Cour de cassation ». 

Bien que le dernier alinéa de l’article 1er de la loi du 15 juin 2000 n’évoque pas explicitement l’appel, certains députés et sénateurs trouvèrent incongru de spécifier, à titre de principe directeur, le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction, alors que l’appel des décisions de cour d’assises n’existait toujours pas en droit français. Pour répondre à l’incongruité, et pour d’autres raisons encore, un amendement dès la première lecture au Sénat introduisit l’appel des décisions des cours d’assises mettant ainsi le droit français en conformité avec la norme européenne. Le protocole additionnel n° 7 de la CESDH (N° Lexbase : L4679LAK) dispose expressément dans son article 2 qu’en matière criminelle la règle est celle du double degré de juridiction. Par des dérogations, des réserves et la possibilité du recours en cassation, la France avait pu jusqu’alors échapper à la condamnation. L’occasion était donnée de signifier avec force que l’objectif premier de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, était précisément une mise en conformité avec les exigences de la CESDH et de la jurisprudence de la CEDH. Une fois admis l’appel des décisions rendues par les cours d’assises, le débat se déplaça sur les modalités de cet appel qui firent l’objet de longs débats au sein des deux commissions des lois et dans l’hémicycle. Le Gouvernement qui, dans un premier temps, ne fut pas d’avis d’introduire dans le projet de loi par amendements l’appel des décisions de cours d’assises mais plutôt d’y consacrer un texte ultérieur, se rangea à la volonté du Parlement. 

      Posa problème, à titre de dernier exemple, l’égalité de traitement érigée en principe directeur dans les termes suivants : « Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. » Ainsi adoptée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale ; la formulation fut contestée à la Commission des lois du Sénat pour qui le texte était porteur d’une atteinte au principe de l’opportunité des poursuites. En outre, faire d’un idéal impossible à atteindre un principe directeur était discuté mais l’argument selon lequel on ne pouvait renoncer au principe d’égalité comme on ne peut renoncer à l’idéal de justice, l’emporta. C’est précisément la mission première des principes directeurs que d’être des guides pour le législateur chaque fois qu’il légifère dans le champ de la procédure pénale et également pour l’interprète. Fonction pédagogique et fonction herméneutique de l’article préliminaire s’entrelacent nécessairement. 

Au travers des exemples pris et de l’ensemble des débats parlementaires, on peut opposer le pragmatisme et le réalisme du Sénat à l’ambition de l’Assemblée nationale de faire de l’article préliminaire le moteur d’une évolution de la procédure pénale française marquée par son européanisation

En conclusion sur la genèse de l’article préliminaire, posons la question des ajouts à l’article préliminaire. Devait-il évoluer ? S’agissant de principes directeurs, certains ont-ils été oubliés dans la loi du 15 juin 2000 ? L’avis de la rapporteure de cette loi pourrait manquer d’objectivité mais l’ensemble du Parlement a estimé que la rédaction même de l’article préliminaire n’avait pas vocation à être ajustée sauf affirmation de nouveaux droits ou libertés fondamentaux. Or, à trois reprises déjà des ajustements ou des compléments ont été apportés à l’article préliminaire. 

S’agissant de la loi n° 2011-392, du 14 avril 2011, relative à la garde à vue, entrée en vigueur le 1er juin 2011 (N° Lexbase : L9584IPN), on peut considérer utile d’avoir ajouté un dernier paragraphe à la partie III de l’article préliminaire : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement des déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ». 

Concernant l’article 4 de loi n° 2013-711, du 5 août 2013, portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France (N° Lexbase : L6201IXX), l’ajustement de pure forme à l’alinéa 4 est sans incidence, en revanche le complément consacrant le droit à un interprète tout au long de la procédure avec tous les détails techniques indispensables n’aurait pas dû être intégré à l’article préliminaire autrement que pour poser le principe. Les dispositions techniques déclinant le droit posé devaient trouver place dans le corps du Code de procédure pénale.

Enfin, l’article 44, I de la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, entrée en vigueur le 1er juin 2019 (N° Lexbase : L6740LPC), devait lui aussi trouver place dans le corps du Code de procédure pénale et non dans l’article préliminaire. Il dispose : « Au cours de la procédure pénale, les mesures portant atteinte à la vie privée d’une personne ne peuvent être prises, sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire, que si elles sont, au regard des circonstances de l’espèce, nécessaires à la manifestation de la vérité et proportionnées à la gravité de l’infraction ».

Gonfler l’article préliminaire par commodité, plutôt que de rechercher une place cohérente dans le Code de procédure pénale pour de nouvelles dispositions, est une lourde erreur car ce procédé induit une perte de sens des fonctions de l’article préliminaire et de ce que sont des principes directeurs.

 

[1] Ch. Lazerges et H. Delesalle, Parlement et parlementaires dans l’élaboration de la loi pénale, RSC, mars 2000, p. 145 ; Ch. Lazerges, Le renforcement de la présomption d’innocence et les droits des victimes : histoire d’une navette parlementaire, RSC, mars 2001, p. 7

[2] Commission Justice pénale et Droits de l’Homme, La mise en état des affaires pénale, Rapport, La Documentation française, 1991 [en ligne]

[3] P. Truche, Introduction à l’article préliminaire du Code de procédure pénale, Arch. pol. crim. 2001/1, n° 23, p. 7

[4] Ch. Jolibois, rapport n° 283, 22 mars 2000, [en ligne]

[5] Ch. Lazerges, rapport n° 1468, 11 mars 1999, [en ligne]

[6] Le traité de procédure pénale de Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, par exemple, offre dans sa table analytique une série de renvois à l’article préliminaire outre de longs développements sur le texte. Economica, 2014, 4ème édition § 226 et s.

[7] Cass. crim.,7 octobre 2003, n° 02-88.383, F-P+F (N° Lexbase : A9470C9M) : Dr. pén., 2004, p. 22, note A. Maron, Cass. crim., 15 septembre 2004, n° 03-86.110 : D., 2005, p.1138, note S. Lavric et G. Royer ; Commission de réexamen, 16 octobre 2003.

[8] Cf. Rapport n° 1468 fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 1079) renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, 11 mars 1999 (1ère lecture) [en ligne], et rapport n° 2136 sur le projet de loi modifié par le Sénat, 2 février 2000 (2ème lecture) [en ligne]. Le rapport de la commission mixte paritaire a été établi conjointement avec le rapporteur au Sénat (Rapport n° 2409 à l’Assemblée nationale [en ligne] et n° 349 au Sénat, 18 mai 2000 [en ligne]). Cf. aussi, Hervé Henrion, La présomption d’innocence dans les travaux préparatoires au XXème siècle, Arch. pol. crim., n° 27, p.37 et s.

[9] M. Delmas-Marty, Rapport de la commission Justice pénale et droits de l’Homme, précité.

[10] G. Giudicelli-Delage et Ch. Lazerges (dir), La victime sur la scène pénale en Europe, puf, Les voies du droit, 2008

[11] L’article préliminaire du Code de procédure pénale ne revient pas avec autant de précision sur le sens du principe du contradictoire que l’article 16 du Nouveau code de procédure civile rédigé en ces termes : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ».

[12] B. Bouloc, Procédure pénale : la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, RSC, mars 2001, p. 193 et s.

[13] La rubrique « présomption d’innocence » dans l’édition Dalloz du Code de procédure pénale renvoie à l’article préliminaire et aux articles 11, 177-1, 212-1 et R. 210 de ce même code.

[14] P. Couvrat, Geneviève Giudicelli-Delage, Rapport de synthèse, RSC, 2001 p. 146.

[15] P. Truche, op.cit . p. 10

[16] H. Henrion, L’article préliminaire du Code de procédure pénale : vers une « théorie législative » du procès pénal, Arch. pol. crim., n° 23, p. 27.

[17] F. Parisi, La séparation des fonctions de justice en matière pénale, Thèse Montpellier I, 2005.

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Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Décision du Conseil constitutionnel du 20 mai 2020 : censure juridique sans incidence pratique pour la HADOPI

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-841 QPC, du 20 mai 2020 (N° Lexbase : A83343LA)

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N3719BYE

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour, Nataf Fajgenbaum & Associés

Le 17 Juin 2020

La décision rendue le 20 mai 2020 par le Conseil constitutionnel présente la particularité de ne satisfaire personne ou tout le monde selon que, d'un naturel optimiste ou non, l'on aime à considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein. Dans le cadre de la conciliation de l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle, d'une part, et du droit au respect de la vie privée (DDHC, art. 2 N° Lexbase : L1366A9H et 4 N° Lexbase : L1368A9K), d'autre part, le juge constitutionnel a en effet partiellement censuré certaines des prérogatives d'investigation reconnues par l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3539IES) aux agents de la HADOPI.

Pour autant, la mise en œuvre de la « réponse graduée » promue par l'autorité publique indépendante ne s'en trouve pas véritablement entravée, dès lors que la Commission de protection des droits conserve la possibilité de recueillir l'identité et les coordonnées des auteurs de manquements à l'obligation de sécurisation des accès internet prévue à l'article L. 336-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8870IEA). D'ailleurs, non sans une certaine malice, le communiqué diffusé le 25 mai 2020 par la HADOPI ne manque pas de souligner qu'elle n'a jamais pris la peine d'appliquer les dispositions censurées et enfonce le clou en se félicitant de voir son action ainsi « confortée » par la décision du Conseil constitutionnel…

 

Le 13 février 2020 [1], le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par La Quadrature du Net, French data Network, Franciliens.net et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs. Les associations requérantes ont en commun de promouvoir un accès à internet qu'elles voudraient neutre, libre et éthique et d'être globalement réfractaires au droit d'auteur ; dire qu'elles ne sont pas favorables à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (plus connue sous le nom de la HADOPI) relève ainsi de l'euphémisme. Le Conseil était donc interrogé sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle [2], dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (N° Lexbase : L3432IET).

I. La mission de sauvegarde de la propriété intellectuelle confiée à la HADOPI

Pour rappel, la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 a créé une autorité publique indépendante, la HADOPI, lui conférant des prérogatives élargies dans le cadre de la lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet, afin de répondre à l'objectif constitutionnel de sauvegarde de la propriété intellectuelle. L'une des trois missions qui lui ont été confiées par le législateur consiste ainsi à protéger les œuvres et objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin contre les atteintes commises sur les réseaux de communications électroniques, autrement dit sur internet.

La Commission de protection des droits de la HADOPI est en charge d'intervenir et de prendre les mesures nécessaires en cas de manquement constaté à l'obligation pour tout titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'œuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires desdits droits (CPI, art. L. 336-3) ; pour le dire plus simplement, il lui appartient donc d'empêcher, par une négligence caractérisée, que son abonnement internet ne soit exploité par des tiers pour commettre des actes de contrefaçon, notamment par la pratique du peer to peer. La mise en place d'un logiciel de sécurisation est dès lors préconisée.

L'abonné aux services internet auteur du manquement se voit adresser par la HADOPI une « recommandation lui rappelant les dispositions de l'article L. 336-3, lui enjoignant de respecter l'obligation qu'elles définissent et l'avertissant des sanctions encourues » [3]. Il s'agit de la première étape du dispositif à vocation pédagogique et dissuasive de la « réponse graduée » voulue par le législateur, laquelle a été mise en œuvre à 619 687 reprises pendant l'année civile 2019 [4].

Toute la difficulté pour les membres de la Commission de protection des droits et les agents de la HADOPI consiste à identifier les abonnés défaillants et à recueillir les données y afférentes, pour prise de contact. Tel est précisément l'objet des dispositions de l'article L. 331-21 en cause, leur conférant le droit d'obtenir ces informations auprès des opérateurs de communication électroniques. Il convient de préciser que ces agents doivent avoir été dûment habilités et assermentés à cet effet et que l'utilisation des données ainsi recueillies est soumise au secret professionnel.

En pratique, les sociétés de défense des ayants droit de droit d'auteur (SACEM, SCPP, SDRM, ALPA etc.) mandatent un prestataire privé avec pour mission de détecter l'adresse IP des contrevenants. Les procès-verbaux ainsi dressés sont alors communiqués à la HADOPI ; celle-ci se rapproche ensuite des fournisseurs d'accès à internet afin d'obtenir, au visa de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle, la communication des données des titulaires des abonnements à internet qui ont été identifiés lorsque l'infraction aux droits d'auteur a été constatée.

Les associations requérantes reprochaient à ces dispositions de permettre à la HADOPI de se passer de l'intervention d'un juge pour lever l'anonymat des internautes, à partir de leur adresse IP, en recueillant les données de connexion y associées. Elles y décelaient une violation du droit au respect de la vie privée, de la protection des données à caractère personnel et du secret des correspondances, reprochant aux trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 de ne pas limiter le champ des documents auxquels ont accès les agents de la HADOPI et de ne pas prévoir suffisamment de garanties.

II. La constitutionnalité de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle en question

À ce stade, il n'est pas inutile de rappeler que, dans le cadre du processus législatif ayant abouti à l'adoption de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, le texte adopté par le Sénat le 13 mai 2009 avait été déféré au Conseil constitutionnel à l'initiative de 184 députés. Certaines dispositions [5] avaient alors été jugées contraires à la Constitution [6] et retirées du projet de loi : la possibilité pour l'autorité administrative de sanctionner le titulaire de l'abonnement à internet par la suspension de son accès à internet, d'une part, et la mise en place d'une présomption de responsabilité à l'encontre du titulaire de l'abonnement internet, d'autre part.

En revanche, les trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle, n'ayant suscité aucun commentaire du Conseil constitutionnel, avaient été déclarés conformes à la Constitution. La décision rendue une décennie plus tard par le juge de la constitutionnalité opère donc un revirement radical, lequel a été rendu possible par une autre décision intervenue entretemps et ayant jugé contraire au droit au respect de la vie privée des dispositions (C. com., art. L. 450-3 N° Lexbase : L0353LTA) instaurant un droit de communication des données de connexion au profit des agents de l'Autorité de la concurrence [7]. Ce changement de circonstances justifiait dès lors le réexamen des dispositions contestées, la question posée étant jugée sérieuse [8].

Dans sa décision du 20 mai 2020, le Conseil constitutionnel procède à une analyse différenciée des dispositions en cause.

S'agissant du dernier alinéa de l'article L. 331-21 conférant aux agents de la HADOPI le droit d'obtenir communication de l'identité et des coordonnées électroniques, téléphoniques et postales de l'auteur du manquement, le Conseil relève que les données ainsi recueillies sont nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 336-3 précité et que le droit de communication contesté a été assorti par le législateur français de « garanties propres à assurer, entre le respect de la vie privée et l'objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée ». Le secret des correspondances n'est pas davantage méconnu.

Dès lors, à l'exception de l'adverbe « notamment » qui ouvre de manière illimitée et donc excessive la liste des documents auxquels les agents de la HADOPI pourraient avoir accès, ce texte a été jugé conforme à la Constitution.

Les 3ème et 4ème alinéas de l'article L. 331-21, qui confèrent aux agents de la HADOPI le droit d'obtenir communication et copie de tous documents, quel qu'en soit le support, y compris les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique, n'ont pas connu le même sort. S'il n'est pas contesté que l'exercice de ce droit répond aux nécessités de la mise en œuvre de l'article L. 336-3 précité, le Conseil constitutionnel relève, en revanche, qu'il n'a pas été assorti des limites et garanties requises. En effet, en faisant porter le droit de communication sur « tous documents, quel qu'en soit le support » et en ne précisant pas les personnes auprès desquelles il est susceptible de s'exercer, le législateur n'a ni limité le champ d'exercice de ce droit de communication, ni garanti que les documents en faisant l'objet présentent un lien direct avec le manquement à l'obligation énoncée à l'article L. 336-3.

Par ailleurs, ce droit de communication vise indifféremment l'ensemble des données de connexion détenue par les opérateurs, permettant donc aux agents d'avoir accès à des informations nombreuses et précises sur les personnes en cause, particulièrement attentatoires à leur vie privée et pas nécessairement en lien direct avec le manquement poursuivi. Ces dispositions encourent donc la censure comme étant contraires à la Constitution.

III. Un coup d'épée dans l'eau ?

Que retenir de cette décision du 20 mai 2020 ? Les associations requérantes en faveur d'un internet « libre » sont-elles les grandes gagnantes, ainsi qu'elles l'ont tout d'abord proclamé ? Au contraire, la HADOPI se voit-elle confortée dans ses missions et son action ? Comme souvent, il convient d'être nuancé. D'abord particulièrement enthousiaste, La quadrature du Net s'est montrée finalement plus réservée [9], reconnaissant que sa victoire — car il y a indiscutablement victoire — n'était pas aussi « retentissante » [10] qu'espéré. De son côté, la HADOPI a diffusé le 25 mai 2020 un communiqué de presse [11] à l'occasion duquel elle n'a pas manqué de souligner que les dispositions censurées n'avaient jamais été utilisées par la Commission de protection des droits pour assurer la mise en œuvre de la réponse graduée. La HADOPI préfère donc retenir de la décision du Conseil constitutionnel une « déclaration de conformité » à la Constitution des autres dispositions de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle, qui « valide ainsi le fonctionnement actuel de la procédure de réponse graduée ». Il est vrai que, contrairement à ce qu'ont d'abord cru les associations requérantes, le juge de la constitutionnalité n'a pas contesté dans leur principe les pouvoirs de la HADOPI, dont la mission n'est donc pas fondamentalement remise en cause.

À noter que, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution, qui est en principe la règle conformément à l'article 62 de la Constitution, a été écartée par le Conseil compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'elle emporterait. La date d'abrogation a donc été reportée au 31 décembre 2020, laissant ainsi au législateur français le temps d'y remédier en adaptant les dispositions du Code de la propriété intellectuelle.

Or, précisément, est actuellement discuté devant le Parlement un projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, prévoyant notamment de fusionner la HADOPI et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au sein d'une entité nouvellement créée, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ou ARCOM), qui se verrait alors confier leurs missions respectives.   

Le timing de la question prioritaire de constitutionnalité ne devait donc rien au hasard, ainsi que l'a elle-même souligné La Quadrature du Net aux termes d'un communiqué du 20 mai 2020 : « la stratégie de notre action contentieuse consistait à attendre ce moment pour inciter le Parlement, au moment de supprimer la HADOPI, à ne pas perpétuer des missions dont l'incompatibilité à la Constitution a été aujourd'hui reconnue » [12]. Un coup d'épée dans l'eau, semble-t-il.

 

[1] CE, 10° ch., 12 février 2020, n° 433539, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A35313EI).

[2] Pour mémoire, les dispositions contestées étaient les suivantes :
« [Les membres de la commission de protection des droits et les agents mentionnés au premier alinéa] peuvent, pour les nécessités de la procédure, obtenir tous documents, quel qu'en soit le support, y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques en application de l'article L. 34-1 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L0413IZC) et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC).
Ils peuvent également obtenir copie des documents mentionnés à l'alinéa précédent.
Ils peuvent, notamment, obtenir des opérateurs de communications électroniques l'identité, l'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l'abonné dont l'accès à des services de communication au public en ligne a été utilisé à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'œuvres ou d'objets protégés sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu'elle est requise
 ».

[3] CPI, art.  L. 331-25 (N° Lexbase : L3510IEQ).

[4] Chiffres HADOPI, Bulletin d'information n° 9, mars 2020 [en ligne] ; pour 208 104 deuxièmes recommandations et 1 748 transmissions au procureur de la République.

[5] Articles 5 et 11.

[6] Conseil constit., décision n° 2009-580 DC, du 10 juin 2009 (N° Lexbase : A0503EIH).

[7] Conseil constit., décision n° 2015-715 DC, du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG) ; cf. également Cons. constit., décision n° 2017-646/647 QPC, du 21 juillet 2017 (N° Lexbase : A3325WNH), visée dans les conclusions de Madame la Rapporteure publique Anne Iljic et par le Conseil d'Etat dans son arrêt de renvoi du 12 février 2020. À noter également une évolution de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 8 avril 2014, aff. jointes C-293/12 et C-594/12 N° Lexbase : A7603MIG, not. point 27).

[8] Cf. conclusions de Madame la Rapporteure publique Anne Iljic, préc., qui souligne toutefois que les données de connexion auxquelles peuvent accéder les agents assermentés de la HADOPI « sont de manière beaucoup plus évidente que pour l'Autorité de la concurrence ou l'AMF au cœur même de la mission de la HADOPI, qui est de faire cesser les atteintes aux titulaires de droits d'auteur sur internet ».

[9] Admettant finalement sur son site internet laquadrature.net d'une « victoire nettement plus modeste » [en ligne].

[10] À titre d'exemple, P. Crochart, Clap de fin pour Hadopi ? Le Conseil constitutionnel déclare ses pouvoirs contraires à la Constitution, Clubic, 20 mai 2020 [en ligne].

[11] HADOPI, communiqué de presse du 25 mai 2020 [en ligne].

[12] Les quatre associations avaient en effet demandé au Premier Ministre d'abroger le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010, relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du Code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet » (N° Lexbase : L6093IGR) ; dans le silence de ce dernier et la décision implicite de rejet qui en est découlée, elles ont donc saisi le Conseil d'État d'une demande de renvoi au Conseil constitutionnel concernant la constitutionnalité des trois derniers alinéas de l'article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle.

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Social général

[Pratique professionnelle] Prise en charge par les employeurs des frais de transport entre le domicile et le lieu de travail habituel de leurs salariés

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N3740BY8

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par Jean-Jacques Fournier, Avocat associé chez Fromont Briens

Le 17 Juin 2020

Depuis plusieurs années, la mobilité est devenue un des enjeux majeurs de notre société.

Naturellement, dans les réflexions et les préoccupations relatives à la mobilité des personnes, une place importante est faite aux déplacements entre leur lieu de résidence et leur lieu de travail.

En l’espace d’une dizaine d’années, cinq textes législatifs sont ainsi venus traiter de la question de la prise en charge, par l’employeur, des coûts de déplacement « domicile-lieu de travail » de leurs salariés [1].

Ces différents textes ont tous poursuivi un double objectif :

→ inciter les employeurs à participer à la prise en charge des frais de trajets de leurs salariés ;

→ encourager le recours aux modes de transports les plus respectueux de l’environnement ;

En dernier lieu, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 (N° Lexbase : L1861LUH), dite loi d’orientation des mobilités, est encore venue accroître le rôle des employeurs, privés ou publics, dans l’organisation et la gestion de la mobilité au niveau local.

À la suite de la publication récente de son décret d’application (décret n° 2020-541 du 9 mai 2020, relatif au « forfait mobilités durables » N° Lexbase : L8308LWM), il nous est donc apparu important de faire un point complet sur les obligations et les différentes possibilités de prise en charge, par les employeurs, des frais de transport « domicile-lieu de travail habituel » de leurs salariés [2].

I - Les obligations légales pesant sur les employeurs en matière de prise en charge des frais de transport « domicile / lieu de travail habituel » de leurs salariés

A - L’obligation de prendre en charge la moitié des frais de transports publics exposés par leurs salariés pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail

1 - Employeurs concernés

L’obligation de prendre en charge au moins la moitié des frais de transports publics de leurs salariés concerne tous les employeurs de droit privé ou public (C. trav., art. L. 3261-1 N° Lexbase : L3213LUK)  situés sur le territoire français quelle que soit leur taille (C. trav., art. L. 3261-2 N° Lexbase : L2712ICG).

2 - Salariés bénéficiaires

Par principe, tous les salariés utilisant les transports publics pour se rendre de leur résidence habituelle à leur lieu de travail peuvent demander à leur employeur le remboursement de la moitié du prix de leurs titres d’abonnements.

Par exception, l’employeur n’est pas tenu de prendre en charge les frais de transports publics lorsque :

  • le salarié perçoit déjà des indemnités représentatives de frais pour ses déplacements entre sa résidence habituelle et son ou ses lieux de travail d’un montant égal ou supérieur à la prise en charge légale (C. trav., art. R. 3261-8 N° Lexbase : L5221ICD) [3] ;
  • le salarié n’expose pas de frais pour se rendre sur son lieu de travail (ce qui peut être le cas lorsque l’employeur assure lui-même le transport de ses salariés).

3 - Montant de la prise en charge

Les employeurs ont l’obligation de prendre en charge la moitié du prix des titres d’abonnements souscrits par leurs salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos (C. trav., art. L. 3261-2 et R. 3261-1 N° Lexbase : L5258ICQ) [4].

La prise en charge par l'employeur est effectuée sur la base des tarifs de deuxième classe (C. trav., art. R. 3261-3 N° Lexbase : L5236ICW) [5].

Si plusieurs abonnements sont nécessaires pour réaliser le trajet (par exemple un abonnement SNCF complété par un abonnement de bus), l’employeur doit alors prendre en charge 50 % de ces différents titres d’abonnement.

Le salarié doit, en tout état de cause, normalement demander la prise en charge du ou des titres de transport lui permettant d'accomplir le trajet de la résidence habituelle à son lieu de travail dans le temps le plus court (C. trav., art. R. 3261-3) [6].

En revanche, le Code du travail ne pose pas de condition concernant la situation géographique de la résidence du salarié.

L’obligation de remboursement n’est donc pas limitée aux seuls trajets effectués par le salarié dans le secteur géographique de son lieu de travail [7].

La notion de domicile peut toutefois soulever des difficultés lorsque le salarié a plusieurs résidences (notamment une résidence la semaine à proximité de son lieu de travail et une résidence, plus éloignée, le week-end et les congés où demeure sa famille).

Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que la résidence habituelle du salarié est plutôt celle où le salarié réside pendant les jours travaillés [8].

De même, la notion de lieu de travail peut également poser un problème lorsque le salarié travaille sur plusieurs sites.

Dans ce cas, l’article R. 3261-10 du Code du travail (N° Lexbase : L5232ICR) prévoit expressément que si le salarié exerce son activité sur plusieurs lieux de travail, il peut alors solliciter la prise en charge du ou des titres de transports qui lui sont nécessaires pour réaliser l’ensemble des déplacements qui lui sont imposés entre sa résidence et ses différents lieux de travail ainsi qu’entre ces lieux de travail.

Enfin, pour les salariés à temps partiel, l’article R. 3261-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5239ICZ) distingue selon leur durée contractuelle de travail :

  • soit la durée du travail du salarié est égale ou supérieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : ce dernier bénéficie alors d’une prise en charge équivalente à celle d’un salarié à temps complet ;
  • soit la durée du travail du salarié est inférieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : ce dernier bénéficie alors d’une prise en charge calculée à due proportion du nombre d’heures travaillées par rapport à la moitié de la durée du travail à temps complet [9].

4 - Modalités de versement de la prise en charge

Pour bénéficier de la prise en charge des frais de transports publics, le salarié doit justifier de l’achat des titres de transport [10] :

  • soit en remettant ou en présentant son ou ses titres, lesquels doivent permettre d’identifier le titulaire et être conformes aux règles de validité définies par l’établissement public, la régie, l’entreprise… ;
  • soit, lorsqu’il s’agit d’un titre d’abonnement à un service public de location de vélos qui ne comporte pas les noms et prénoms du bénéficiaire, en remettant une attestation sur l’honneur.

La prise en charge doit être versée au plus tard dans le mois suivant celui pour lequel les titres de transports ont été achetés par le salarié [11].

Si les titres ont une périodicité annuelle, la prise en charge est alors répartie mensuellement pendant la période d’utilisation.

Un accord collectif de travail peut prévoir d’autres modalités de preuve ou de remboursement des frais de transport, sans que les délais de remboursement des titres puissent excéder ceux mentionnés aux deux paragraphes précédents [12].

En cas de changement de modalités de preuve ou de remboursement des frais de transport, l’employeur doit avertir les salariés au moins 1 mois avant la date fixée pour le changement [13].

En tout état de cause, l’employeur est tenu d’indiquer le montant de la prise en charge des frais de transports collectifs ou d’abonnement à un service public de location de vélos sur le bulletin de paie du salarié [14].

5 - Traitement social et fiscal du montant versé par l’employeur aux salariés au titre de ce remboursement de frais de transports publics

La prise en charge légale de 50 % des frais de transports collectifs des salariés, dans les conditions mentionnées ci-avant (trajet le plus court sur la base d’un tarif de 2nde classe), est exonérée d’impôt sur le revenu et est exclue de l’assiette de calcul des cotisations sociales, de la CSG et de la CRDS [15].

6 - Sanction en cas de non-respect de l’obligation de remboursement

Le fait pour l’employeur de méconnaître son obligation de remboursement des frais de transports publics est sanctionné par une contravention de la 4ème classe (C. trav., art. R. 3261-16 N° Lexbase : L5211ICY)

B - L’obligation pour les entreprises dotées d’un délégué syndical et occupant au moins 50 salariés sur un même site de négocier et de mettre en place des mesures visant à améliorer la mobilité de leurs salariés entre leur lieu de résidence et leur lieu de travail habituel

1 - Les négociations périodiques sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail doivent désormais également porter sur la mise en place de mesures visant à améliorer la mobilité des salariés lors de leurs déplacements « domicile - lieu de travail »

Depuis le 1er janvier 2020, les entreprises dotées d’un délégué syndical et occupant au moins 50 salariés sur un même site doivent désormais, à défaut d’accord collectif prévoyant des dispositions spécifiques [16], négocier, chaque année, sur la mise en place de mesures visant à améliorer la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail, notamment en réduisant le coût de la mobilité, en incitant à l'usage des modes de transport vertueux et/ou en prenant en charge les frais de transports personnels (C. trav., art. L. 2242-17, 8° du Code du travail N° Lexbase : L3212LUI).

La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a en effet intégré cette nouvelle thématique à la négociation périodique obligatoire sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Dans le cadre de leurs négociations, les partenaires sociaux pourront, par exemple, envisager de recourir aux différentes possibilités offertes aux employeurs en matière de prise en charge des frais de transport de leurs salariés entre leur domicile et leur lieu de travail (voir ci-après).

Un bilan sera, en principe, réalisé, en milieu d’année 2021, sur les différents accords collectifs conclus sur le thème de la mobilité.

Pour le Gouvernement, ce bilan permettra ainsi d’évaluer le degré d’implication des entreprises concernant le développement des modes de mobilité respectueux de l’environnement.

Il convient en effet de bien noter que dans le cadre de la loi du 24 décembre 2019, le Gouvernement s’est réservé la possibilité de pouvoir prendre, dans les 24 mois, par voie d’ordonnance, des mesures sur les conditions de prise en charge, par l’employeur, des frais de transport de ses salariés.

Il ne faut donc pas exclure l’instauration, sur le second semestre 2021, d’une réglementation plus contraignante pour les employeurs, si le bilan réalisé en milieu d’année n’est pas bon.

2 - L’obligation d’établir un plan de mobilité employeur à défaut d’accord collectif portant sur ce thème

Les entreprises concernées par l’obligation de négocier (à savoir, pour rappel, les entreprises dotées d’un délégué syndical et occupant au moins 50 salariés sur un même site) doivent, en cas d’échec de la négociation avec leurs partenaires sociaux, élaborer un plan de mobilité employeur sur leurs différents sites pour améliorer la mobilité de leurs salariés (C. transp., art. L. 1214-8-2, II bis et III N° Lexbase : L3398LUE) [17].

Ce plan doit alors inclure des dispositions concernant le soutien aux déplacements domicile-travail des salariés, notamment en prévoyant, le cas échéant, la prise en charge de leurs frais de transport personnel.

Les entreprises situées sur un même site peuvent établir un plan de mobilité employeur commun.

Dans tous les cas, le plan doit être transmis à l’autorité organisatrice de la mobilité territoriale compétente [18].

Pour autant, à ce jour, le législateur n’a curieusement pas prévu de sanction en cas de non-respect par l’employeur de l’obligation d’établir un plan de mobilité [19].

II - Les possibilités et opportunités offertes aux employeurs en matière de prise en charge des frais de transport « domicile / lieu de travail habituel » de leurs salariés

A titre liminaire, il convient de rappeler qu’à l’exception de l’obligation de rembourser la moitié du coût des titres d’abonnement à des transports publics (voir I), la prise en charge par l’employeur des frais de transports « domicile -lieu de travail habituel » de ses salariés n’est qu’une simple faculté (même s’ils sont de plus en plus encouragés par le législateur à le faire).

Il existe toutefois des dispositifs légaux permettant aux employeurs de participer, en exonération de charges sociales, à une telle prise en charge.

Ces dispositifs pourraient donc s’intégrer dans le cadre d’une politique salariale optimisée [20].

Ils peuvent également participer à l’attractivité de l’entreprise (notamment lorsque celle-ci est située dans une zone rurale non desservie par les transports publics) [21].

Les employeurs peuvent toujours décider de verser à leurs salariés des indemnités ou primes de transport

Naturellement, les employeurs ont toujours la possibilité de verser à leurs salariés des indemnités ou des primes destinées à compenser leurs frais de déplacement entre leur résidence et leur lieu de travail.

La seule limite à cette faculté est le respect du principe d’égalité de traitement entre les salariés [22].

Le montant de ces éventuelles primes ou indemnités peut être forfaitaire (du même montant pour l’ensemble des salariés) ou proportionnel à la distance existante entre le domicile de chacun des salariés et leur lieu de travail.

Dans la mesure où elles sont versées à l’occasion du travail, ces indemnités ou primes de transports doivent normalement entrer dans l’assiette de calcul des cotisations de Sécurité sociale et de l’impôt sur le revenu.

Les lois successives ont toutefois prévu différents dispositifs d’exonération fiscale et sociale en matière de prise en charge par l’employeur des frais de transports « domicile/lieu de travail » de leurs salariés tout en bénéficiant de mesures d’exonération

Les employeurs peuvent bénéficier de mesures d’exonération de cotisations et charges sociales en recourant à certains dispositifs de prise en charge des frais de transport de leurs salariés

1 - Les employeurs peuvent aller au-delà de leur obligation légale en matière de prise en charge des frais de transports publics de leurs salariés

Comme indiqué ci-dessus, les employeurs ont uniquement l’obligation de prendre en charge 50 % du prix des titres d’abonnement souscrits par leurs salariés pour leurs déplacements au moyen de transports publics entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail (C. trav., art. L. 3261-2 et R. 3261-1).

L’employeur peut toutefois décider d’aller au-delà de cette obligation légale en prenant en charge une fraction du coût de l’abonnement supérieure à 50 % [23].

Selon la circulaire DGT-DSS n° 01 du 28 janvier 2009, une telle prise en charge facultative peut alors être exonérée de cotisations sociales dans la limite des frais réellement engagés par les salariés.

Toutefois, l’exonération de charges sociales pour la fraction du remboursement excédant les 50 %, prévus par la loi, ne s’applique pas si le salarié n’habite pas, par convenance personnelle, dans la même région que celle où il travaille [24].

En revanche, le remboursement peut être exclu de l’assiette des cotisations si l’éloignement du domicile du salarié par rapport à son lieu de travail résulte, non pas d’une convenance personnelle, mais de contraintes d’origine familiale (telles que : prise en compte du lieu d’activité du conjoint ou du concubin, scolarité des enfants, état de santé du salarié ou d’un membre de sa famille…) ou liées à la situation de l’emploi (telles que : difficulté de trouver un emploi ; précarité ou mobilité de l’emploi, mutation suite à promotion, déménagement de l’entreprise, multi-emploi….) que l’employeur doit alors établir [25].

Enfin, pour l’administration fiscale, l’avantage résultant d’une prise en charge des frais de transports publics au-delà de l’obligation légale doit être considéré comme un complément de revenu imposable à l’impôt sur le revenu selon les règles de droit commun des traitements et salaires (BOI-RSA-CHAMP-20-30-10-20).

2 - Les employeurs peuvent, sous certaines conditions, prendre en charge, en exonération de charges sociales, les frais de transports personnels de leurs salariés

Les possibilités pour les employeurs de prendre en charge tout ou partie des frais d’utilisation, par leurs salariés, de véhicules à moteur pour leurs déplacements entre leur domicile et leur lieu de travail habituel

Dans l’esprit du législateur, lorsqu’ils en ont la possibilité, les salariés doivent privilégier l’utilisation des transports publics à l’utilisation de leur véhicule à moteur (même électrique, hybride ou hydrogène).

En conséquence, la participation de l’employeur au coût de carburant ou d’alimentation des véhicules à moteur ne peut, en principe, bénéficier d’un régime social et fiscal de faveur que pour les salariés ne pouvant pas prendre les transports publics pour se rendre sur leur lieu de travail habituel [26].

Cette participation de l’employeur peut prendre la forme :

  • soit d’un remboursement au réel sous forme d’indemnités kilométriques ;
  • soit d’un remboursement forfaitaire.

Le remboursement « au réel » par le versement d’indemnités kilométriques

Cette possibilité n’est pas prévue par les dispositions du Code du travail.

Elle résulte toutefois des dispositions de la circulaire DSS/SDFSS/5 B n°2003-07 du 7 janvier 2003.

En effet, selon ce texte, lorsque le salarié est contraint d’utiliser son véhicule personnel pour se rendre de son lieu de résidence à son lieu de travail, le versement par son employeur d’indemnités kilométriques peut être exonérée de cotisations et charges sociales dans la limite du barème fiscal fixé chaque année par arrêté ministériel [27].

L'utilisation du véhicule personnel pour se rendre de son domicile à son lieu de travail doit toutefois résulter d’une nécessité pour le salarié [28].

Tel est le cas lorsque le salarié ne peut pas utiliser les transports en commun, soit parce que son trajet domicile-lieu de travail n'est pas desservi ou l'est dans des conditions trop incommodes pour lui, soit en raison de ses conditions d'horaires particuliers de travail.

En outre, lorsque la résidence est éloignée du lieu de travail, la déduction des frais d'utilisation du véhicule personnel sous forme d’indemnités kilométriques n’est admise par l’Administration que si cet éloignement ne résulte pas d’une convenance personnelle du salarié [29].

Au regard des formalités, on peut considérer que l’employeur ne sera pas tenu par les dispositions de l’article L. 3261-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3215LUM) pour mettre en place ce système de versement d’indemnités kilométriques.

En revanche, ce mode de prise en charge des frais de déplacement est, en pratique, particulièrement lourd à gérer.

En effet, pour pouvoir bénéficier de la mesure d’exonération sociale prévue par la circulaire DSS/SDFSS/5 B n° 2003-07 du 7 janvier 2003, l’employeur doit pouvoir justifier de la réalité des frais ainsi remboursés, en apportant, en cas de contrôle, pour chaque salarié bénéficiaire, des justificatifs relatifs :

  • au moyen de transport utilisé par le salarié ;
  • à la distance séparant le domicile du lieu de travail ;
  • à la puissance fiscale du véhicule ;
  • au nombre de trajets effectués chaque mois.

Le salarié doit, en outre, attester qu'il ne transporte dans son véhicule aucune autre personne de la même entreprise bénéficiant des mêmes indemnités.

Il convient enfin de bien noter que l’exclusion d’assiette des cotisations des indemnités kilométriques peut se cumuler avec celle prévue pour la prise en charge des frais de carburant et frais d’alimentation de certains véhicules. Le montant cumulé total exclu de l’assiette de cotisations ne doit toutefois pas excéder le montant des frais réellement engagés par le salarié.

La prise en charge forfaitaire des frais de carburant ou d'alimentation d'un véhicule électrique, hybride rechargeable ou hydrogène

Ce dispositif incitatif (et, pour rappel, facultatif) de prise en charge forfaitaire des frais liés à l’usage d’un véhicule personnel pour les trajets entre la résidence et le lieu de travail des salariés résulte de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 [30].

Ce dispositif a ensuite été complété par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, puis, plus récemment, par la loi n° 2019-1428 d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019.

Cette possibilité de prise en charge par l’employeur des frais de carburant ou d’alimentation exposés par ses salariés en cas d’utilisation d’un véhicule à moteur pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail est réglementée aux articles L. 3261-3, L. 3261-4 et R. 3261-11 à R. 3261-15 du Code du travail.

En principe, les modalités et les critères d’attribution de la prise en charge des frais de transports personnels liés aux véhicules à moteur doivent être déterminés par accord d’entreprise ou par accord interentreprises ou à défaut, par accord de branche (C. trav., art. L. 3261-4).

A défaut d’accord, la prise en charge de ces frais peut toutefois être mise en œuvre par décision unilatérale de l’employeur, après consultation, s’il existe, du comité social et économique.

Lorsqu’elle est mise en place par décision unilatérale, l’employeur doit avertir les salariés au moins 1 mois avant tout changement de modalités de preuve ou de remboursement des frais de carburant ou d’alimentation électrique [31].

Dans le cadre de ce dispositif, les employeurs peuvent ainsi, sous certaines conditions exposées ci-après, verser à leurs salariés une prime forfaitaire, destinée à compenser une partie de leurs frais de carburant ou d’alimentation de leur véhicule à moteur, qui sera exonérée de charges sociales et d’impôt sur le revenu [32] dans la limite de 400 euros par an, dont 200 euros maximum pour les frais de carburant [33].

Cette possibilité d’exonération sociale et fiscale ne se cumule pas avec celle prévue pour la prise en charge des frais d’abonnement aux transports publics [34].

En revanche, la prise en charge des frais « de carburant ou d'alimentation de véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène » peut se cumuler avec le « forfait mobilité durable » (qui sera étudié ci-après).

En effet, aux termes de l’article 81-19°, ter-b du CGI (auquel l’article L. 136-1-1 du Code de la Sécurité sociale renvoie), il est précisé que les frais relatifs à la « mobilité durable » peuvent être cumulés avec les frais de carburant dans la limite de 400 euros intégrant, le cas échéant, 200 euros maximum au titre des frais de carburant [35].

En tout état de cause, l’exonération de la prise en charge par l’employeur des frais de carburant ou d’alimentation électrique des véhicules à moteur de leurs salariés est toutefois conditionnée au respect de plusieurs conditions.

En premier lieu, les frais liés aux véhicules à moteur susceptibles d’être ainsi pris en charge sont :

  • les frais de carburant ;
  • les frais exposés pour l’alimentation des véhicules électriques et hybrides rechargeables (depuis la loi du 12 juillet 2010) ;
  • les frais exposés pour l’alimentation des véhicules à hydrogène (depuis la loi du 24 décembre 2010).

En second lieu, pour bénéficier du régime social de faveur, l’employeur ne peut prendre en charge de tels frais pour les déplacements de ses salariés entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail que dans deux situations :

  • lorsque la résidence habituelle du salarié ou le lieu de travail est situé dans une commune non desservie par un service public de transport collectif ou un service privé mis en place par l’employeur, ou qui n’est pas inclus dans le périmètre d’un plan de mobilité obligatoire ;
  • lorsque l’utilisation d’un véhicule personnel est indispensable du fait des horaires de travail particuliers du salarié ne lui permet pas d’emprunter un mode collectif de transport.

En troisième lieu, doivent être exclus du bénéfice de cette prise en charge :

  • les salariés bénéficiant d'un véhicule mis à disposition de manière permanente par l'employeur avec prise en charge des dépenses de carburant ou d'alimentation électrique ;
  • les salariés logés dans des conditions telles qu'ils ne supportent aucun frais de transport pour se rendre à leur travail ;
  • les salariés dont le transport est assuré gratuitement par l'employeur [36].

En quatrième lieu, le remboursement de tout ou partie des frais liés aux véhicules à moteur doit s’appliquer à l’ensemble des salariés éligibles dans les mêmes conditions, en fonction de la distance entre le domicile et le lieu de travail [37].

A ce titre, si le salarié exerce son activité sur plusieurs lieux de travail au sein d'une même entreprise, le montant de la prise en charge doit alors tenir compte de ses déplacements entre sa résidence habituelle et ses différents lieux de travail et de ses déplacements entre ces lieux de travail.

En outre, pour les salariés à temps partiel, l’article R. 3261-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8407LWB) prévoit que :

  • si leur durée contractuelle du travail est égale ou supérieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : les salariés bénéficient alors d’une prise en charge équivalente à celle des salariés à temps complet ;
  • si leur durée contractuelle du travail est inférieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : les salariés bénéficient alors d’une prise en charge calculée à due proportion du nombre d’heures travaillées par rapport à la moitié de la durée du travail à temps complet.

En cinquième lieu, les salariés doivent transmettre à l’employeur les éléments justifiant de cette prise en charge. En cas de contrôle, l’employeur doit ainsi être en mesure de fournir, à tout le moins, la photocopie de la carte grise du véhicule utilisé par chaque salarié bénéficiaire [38].

→ La possibilité pour les employeurs de verser à leurs salariés un forfait « mobilités durables »

L’article 82 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 a instauré, à l’article L. 3261-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3258LU9), un « forfait mobilités durables » dont les contours ont ensuite été précisés par le décret n° 2020-541 du 9 mai 2020.

Par ce dispositif, l’objectif du législateur est d’encourager les salariés à utiliser des modes de transports vertueux au regard de la préservation de l’environnement.

Ce « forfait mobilités durables » est ainsi venu remplacer les anciennes « indemnités kilométriques vélo » [39] et l’ancien « forfait covoiturage ».

Les modalités et les critères d’attribution de ce forfait « mobilités durables » doivent, en principe, être déterminés par accord d’entreprise ou par accord interentreprises ou à défaut, par accord de branche (C. trav., nouvel art. L. 3261-4 N° Lexbase : L3215LUM).

A défaut d’accord, ce dispositif peut toutefois être mis en œuvre par décision unilatérale de l’employeur, après consultation, s’il existe, du comité social et économique.

Ce « forfait mobilités durables » permet ainsi aux employeurs de prendre en charge, de façon forfaitaire, tout ou partie des frais engagés par leurs salariés pour effectuer les trajets entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail lorsqu’ils se déplacent selon l’une des modalités suivantes :

  • cycle ou cycle à pédalage assisté personnel (vélo électrique ou non) ;
  • conducteur ou passager en covoiturage ;
  • transports publics de personnes (à l’exception des frais d’abonnement annuel, mensuel ou hebdomadaire de transports publics, qui relèvent de la prise en charge obligatoire de 50 %, tels que visés ci-avant) [40] ;
  • services de mobilité partagée [41].

Cette prise en charge pourra, à l’avenir, prendre la forme d’une solution de paiement spécifique intitulée « titre-mobilité » [42].

Le « forfait mobilités durables » doit bénéficier à l’ensemble des salariés éligibles dans les mêmes conditions [43].

Toutefois, comme en matière de prise en charge des frais de carburant ou d’alimentation de véhicule à moteur, l’article R. 3261-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8407LWB) prévoit pour les salariés à temps partiel que :

  • si leur durée contractuelle du travail est égale ou supérieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : les salariés bénéficient alors d’un forfait d’un montant équivalent à celui accordé aux salariés à temps complet ;
  • si leur durée contractuelle du travail est inférieure à la moitié de la durée légale hebdomadaire ou conventionnelle (si cette dernière lui est inférieure) : les salariés bénéficient alors d’un forfait d’un montant calculé à due proportion du nombre d’heures travaillées par rapport à la moitié de la durée du travail à temps complet.

De même, si le salarié exerce son activité sur plusieurs lieux de travail au sein d'une même entreprise, le montant du forfait auquel il peut prétendre doit alors tenir compte de ses déplacements entre sa résidence habituelle et ses différents lieux de travail et de ses déplacements entre ces lieux de travail.

Les forfaits versés par les employeurs dans les conditions exposées ci-avant sont exonérés de charges sociale et d’impôt sur le revenu dans la limite de 400 euros par an et par salarié [44].

Ce forfait peut, en outre, se cumuler avec la prise en charge des frais de transports publics (notamment si le salarié utilise un vélo pour rejoindre une gare ou une station de transports publics).

Toutefois, en cas de cumul de prise en charge des frais relatifs à la « mobilité durable » et des frais d’abonnement aux transports publics, le montant du plafond d’exonération de charges sociales et d’impôt sur le revenu (CGI, art. 81-19°, ter-b) est alors le montant le plus élevé entre :

  • un montant fixe de 400 € ;
  • ou, s’il est supérieur, le montant de prise en charge par l’employeur de l’abonnement de transport public du salarié[45].

De même comme indiqué ci-avant, le « forfait mobilité durable » peut se cumuler avec la prise en charge des frais « de carburant, les frais liés à l'alimentation de véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène » [46].

En tout état de cause, pour pouvoir bénéficier des exonérations, les salariés doivent transmettre à leur employeur les éléments justifiant les frais engagés pour leurs déplacements selon les modalités de « mobilité durable », à savoir :

  • un justificatif de paiement ;
  • ou une attestation sur l’honneur relative à l’utilisation effective d’un ou plusieurs des moyens de déplacement éligibles au forfait mobilités durables [47].

[1] Historiquement, seuls les employeurs situés en région Ile-de-France avaient l’obligation de prendre en charge 50 % du coût des titres d’abonnements (carte orange) souscrits par leurs salariés pour leurs déplacements accomplis au moyen de transports publics de personnes entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail. La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité Sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8) a étendu cette obligation de remboursement à l’ensemble du territoire français et aux abonnements à des services publics de location de vélos. Cette loi a également prévu la possibilité, dans certaines limites et sous certaines conditions, pour les employeurs de prendre en charge, en exonération de cotisations et charges sociales, les frais de transports personnels (frais de carburant ou d’alimentation de véhicules électriques) engagés par leurs salariés ne pouvant pas prendre les transports publics, pour leur déplacement entre leur domicile habituel et leur lieu de travail. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 (N° Lexbase : L7066IMN) (article 57) a, ensuite, élargi cette possibilité de prise en charge aux frais exposés pour l’alimentation des véhicules hybrides rechargeables. Elle a également prévu la possibilité, pour l’employeur, de permettre la recharge des véhicules électriques ou hybrides sur le lieu de travail sans que cela ne constitue, pour les salariés bénéficiaires, un avantage en nature assujetti à cotisations de Sécurité Sociale. La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 (N° Lexbase : L2619KG4) (article 50, modifié par la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 N° Lexbase : L1131KWS (article 15 III qui est juste venu confirmer le fait que cette prise en charge n’était qu’une faculté pour l’employeur)) a créé la possibilité pour l’employeur de prendre en charge, sous forme « d’indemnité kilométrique vélo », tout ou partie des frais engagés par leurs salariés se déplaçant à vélo ou à vélo à assistance électrique. La loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 (N° Lexbase : L6297LNK) (article 3) a étendu cette possibilité pour les employeurs de prendre en charge les frais de transport « domicile-lieu de travail » de leurs salariés, sous forme d’un forfait global lorsque ces derniers se déplacent en co-voiturage (création de l’indemnité forfaitaire « co-voiturage »). « L’indemnité kilométrique vélo » et « l’indemnité forfaitaire de co-voiturage » ont finalement été supprimées et remplacées par le « forfait mobilité durable » par la loi n° 2019-1428 d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 (N° Lexbase : L1861LUH). Cette loi a, par ailleurs, inclus dans la liste des frais éventuellement susceptibles d’être pris en charge par l’employeur ceux exposés par les salariés pour l’alimentation des véhicules « hydrogènes ». Cette loi a, en outre, intégré la question de la prise en charge des trajets « domicile-travail » dans les thèmes de négociations obligatoires pour les entreprises dotées de délégués syndicaux et occupant au moins 50 salariés sur un même site. Enfin, cette loi a prévu qu’à défaut d’accord, les employeurs concernés par l’obligation de négociations doivent élaborer un plan de mobilité comportant des mesures destinées à favoriser la mobilité entre le domicile et le lieu de travail de leurs salariés.

[2] La présente étude porte uniquement sur la question des déplacements entre le domicile et le lieu de travail habituel des salariés et ne traite donc pas de la question de la prise en charge par l’employeur des frais exposés par leurs salariés lors de trajets effectués dans le cadre de leur activité professionnelle.

[3] En effet, il peut exister dans certaines entreprises ou certaines branches professionnelles des dispositifs de prise en charge des frais de déplacements entre la résidence habituelle et le lieu de travail. Dans l’hypothèse où une prise en charge financière existe mais que son montant est inférieur au dispositif légal, l’employeur doit alors soit la compléter à hauteur de 50 % du coût des frais engagés par ses salariés, soit appliquer le dispositif légal.

[4] Selon l’article R. 3261-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5188IC7), l’employeur prend en charge les titres souscrits par leurs salariés parmi les catégories suivantes :

> Abonnements multimodaux à nombre de voyages illimité, abonnements annuels, mensuels, hebdomadaires ou à renouvellement tacite à nombre de voyages illimité émis par la SNCF, ainsi que par les entreprises de transport public, les régies et les autres personnes mentionnées au II de l'article 7 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, d'orientation des transports intérieurs (N° Lexbase : L6771AGU) ;

> Cartes et abonnements mensuels, hebdomadaires ou à renouvellement tacite à nombre de voyages limité délivrés par la RATP, la SNCF, les entreprises de l'Organisation professionnelle des transports d'Ile-de-France ainsi que par les entreprises de transport public, les régies et les autres personnes mentionnées au II de l'article 7 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, d'orientation des transports intérieurs ;

> Abonnements à un service public de location de vélos.

[5]  Si le salarié souscrit un abonnement en première classe, la prise en charge se fera sur la base de l’abonnement de seconde classe.

[6]  Dans sa lettre circulaire DGT-DSS n° 01 du 28 janvier 2009, le ministère du Travail donne notamment l’exemple suivant : « En Ile de France, lorsque le lieu de travail et la résidence habituelle d’un salarié sont tous deux situés en banlieue, il peut être plus rapide de passer par Paris, et donc de souscrire un abonnement comprenant une zone supplémentaire, que de réaliser le trajet de banlieue à banlieue. Dans ce cas, la prise en charge se fera sur la base de l’abonnement souscrit ». Si plusieurs trajets sont possibles et que le salarié n’opte pas pour un titre lui permettant de réaliser le trajet dans le temps le plus court, la prise en charge de l’employeur doit alors, en principe, s’effectuer sur la base de l’abonnement qui permet de réaliser strictement ce trajet dans le temps le plus court. De même, « lorsque l’abonnement souscrit excède pour des motifs de commodité personnelle, l’abonnement strictement nécessaire pour réaliser les déplacements entre la résidence habituelle et le lieu de travail, la prise en charge se fera sur la base de l’abonnement strictement nécessaire à ces trajets » (Circ. DGT-DSS n° 01 du 28 janvier 2009 N° Lexbase : L9041ICT).

[7] Dans un arrêt en date du 12 décembre 2012 (Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-25.089, FS-P+B N° Lexbase : A1186IZX), la Cour de Cassation a ainsi approuvé une décision d’un conseil de prud’hommes ayant condamné un employeur qui avait décidé, pour un salarié qui habitait Chartres et qui travaillait à Paris, de limiter la prise en charge du prix des titres d’abonnement aux seuls déplacements effectués dans la Région Ile de France.

[8] Pour la Cour de cassation, l’appréciation de la résidence habituelle du salarié est une question de fait relevant des juges du fonds. Dans un arrêt en date du 22 juin 2016 (Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-15.986, FS-P+B N° Lexbase : A2561RUE), la Cour de Cassation a ainsi rejeté un pourvoi dirigé contre une décision de la cour d’appel de Limoges qui, à propos d’un salarié qui résidait la semaine à Limoges à proximité de son lieu de travail et les week-ends et les période de congés à Villeneuve d’Ascq où demeuraient son épouse et leurs enfants, a décidé que le lieu de résidence habituelle de ce-dernier était situé à Limoges où il disposait « d’un logement et d’un minimum d’affaires lui permettant d’y passer, au final, plus de temps qu’à Villeneuve d’Ascq ».

[9] Exemple : si la durée hebdomadaire du travail dans l’entreprise est de 35h, et que celle du salarié est de 10h hebdomadaires : la durée du travail du salarié étant inférieure à la moitié de la durée légale (35h/2=17,5h), ce dernier bénéficiera alors d’une prise en charge de ses frais de transport calculée comme suit : 50% du coût de son abonnement X (10h/17,5h).

[10] C. trav., art. R. 3261-5 (N° Lexbase : L5214IC4).

[11] C. trav., art. R. 3261-4 (N° Lexbase : L5271IC9).

[12] C. trav., art. R. 3261-6 (N° Lexbase : L5136IC9).

[13] C. trav., art. R. 3261-7 (N° Lexbase : L5277ICG).

[14] A défaut, il s’expose à une contravention de la 3ème classe.

[15] CSS, art. L. 136-1-1, III, d) (N° Lexbase : L7940LUM) et L. 242-1, I (N° Lexbase : L4986LR4) ; CGI, art. 81-19°, ter-a N° Lexbase : L4048LSQ).

[16] Ce nouveau sujet de négociation ne s’applique qu’à défaut d’accord collectif précisant les thèmes des négociations périodiques obligatoires au sein de l’entreprise considérée. En effet, pour rappel, les articles L. 2242-10 (N° Lexbase : L7811LGE) et L. 2242-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1407LKC) permettent aux partenaires sociaux d’aménager, au sein des entreprises, par accord collectif, les modalités de négociations obligatoires. Un tel accord collectif pourrait, ainsi, porter à 4 ans la périodicité de la négociation, voire même exclure du champ de la négociation périodique sur "l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail", le thème relatif à la mobilité des salariés.

[17] L’obligation pesant sur les employeurs de mettre en place un plan de mobilité existait déjà dans le Code des transports avant l’entrée en vigueur de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Cette obligation résultait en effet de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 (article 51). Elle pesait alors sur les entreprises qui regroupaient, dans le périmètre d’un plan de déplacements urbains, au moins 100 travailleurs sur un même site.

[18] Depuis le 1er janvier 2020, les autorités chargées de l’organisation des transports dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants sont tenues d’informer les employeurs implantés dans leur ressort territorial du contenu du plan de déplacements urbains qu’elles doivent mettre en œuvre, afin de favoriser la mobilité quotidienne des personnels des entreprises et des collectivités publiques en recourant à des modes de transports respectueux de l’environnement. Naturellement, les entreprises devront tenir compte de ces plans de déplacements urbains pour l’établissement de leur propre plan de mobilité employeurs (cf. notamment sur ce point, l'article L. 1214-2, 9° du Code des transports N° Lexbase : L7343LUI).

[19] La loi du 24 décembre 2019 a même supprimé le fait qu’antérieurement, lorsqu’une entreprise ne respectait pas son obligation d’établir un plan de mobilité, elle ne pouvait alors pas bénéficier du soutien technique et financier de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (C. transp., ancien art. L. 1214-8-2 N° Lexbase : L2944KG7, dans sa rédaction antérieure à la loi du 24 décembre 2019)

[20] Il pourrait par exemple être ainsi plus avantageux pour une entreprise de verser une prime « carburant » de 200 € (qui pourrait, sous certaines conditions (voir ci-après) être exonérée de cotisations et de charges sociales) plutôt que d’augmenter, du même montant, les salaires de base.

[21] Certaines entreprises peuvent rencontrer des difficultés de recrutement du fait de leur localisation.

[22] En vertu de ce principe d’égalité de traitement, il serait notamment discutable de réserver le versement de la prime ou indemnité de transport aux seuls salariés relevant d’une catégorie professionnelle particulière (par exemple les cadres).

[23] L’employeur pourrait également décider d’aller au-delà de son obligation légale pour les salariés à temps partiel travaillant moins d’un mi-temps.

[24] La circulaire DGT-DSS renvoie en effet aux conditions prévues au 3.4.1 de la circulaire DSS/SDFSS/5B/2003/07 du 7 janvier 2003 pour l’exonération de la prise en charge par l’employeur des coûts d’abonnements à des transports publics au-delà de ses obligations légales.

[25] Site des URSSAF et paragraphe 3.4.1 de la circulaire DSS/SDFSS/5B/2003/07 du 7 janvier 2003.

[26] Il convient toutefois de bien noter que la circulaire DSS/SDFSS/5B/2003/07 du 7 janvier 2003 prévoit expressément que lorsque le salarié utilise son véhicule personnel pour convenance personnelle, la prise en charge des indemnités de transport peut quand même être exonérée de cotisations et charges sociales mais uniquement à concurrence du tarif du transport en commun le plus économique. Cette tolérance doit encore, à notre sens, trouver à s’appliquer malgré les différentes réformes intervenues depuis ce texte. En conséquence, si l’employeur a fait le choix de prendre en charge les frais de déplacement de ses salariés en véhicule à moteur sous forme de versement d’indemnités kilométriques, il pourra alors exonérer une partie de ces indemnités même pour les salariés qui ont la possibilité de prendre des transports en commun.

[27] Les indemnités kilométriques sont en effet réputées être utilisées conformément à leur objet lorsque leur montant n’excède pas les limites des barèmes fixés par l'Administration fiscale. L’indemnité qui excèderait ces barèmes peut toutefois être déduite de l’assiette des cotisations dès lors que l’employeur justifie de son utilisation effective et conforme à son objet, à défaut il y a lieu à réintégration dans l’assiette. Toutefois la Cour de cassation procède à une appréciation très stricte des conditions d’exclusion de l’assiette des cotisations.

[28] A défaut, selon la circulaire DSS/SDFSS/5B/2003/07 du 7 janvier 2003, la prise en charge des indemnités de transport peut être exonérée de cotisations et charges sociales qu’à concurrence du tarif du transport en commun le plus économique (voir note précédente).

[29] Cette contrainte peut résulter de circonstances liées :

  • soit à l'emploi (difficulté de trouver un emploi, précarité ou mobilité de l'emploi, mutation suite à promotion, déménagement de l'entreprise, multi-emploi...) ;
  • soit à des contraintes familiales (prise en compte du lieu d'activité du conjoint, concubin ou de la personne liée au salarié par un PACS, état de santé du salarié ou d'un membre de sa famille, scolarité des enfants...).

[30] Historiquement, les employeurs avaient la possibilité de verser, en exonération de charges sociales, sans justificatif, une prime mensuelle de transport de 4 euros (anciennement 23 frs). Cette prime (initialement instituée par l’arrêté du 28 septembre 1948) ne pouvait toutefois pas se cumuler avec la prise en charge partielle des titres d’abonnements aux transports publics. On peut se demander si, malgré les réformes intervenues depuis la loi du 17 décembre 2008, cette faculté n’est pas encore toujours d’actualité. La circulaire DSS/SDFSS/5B/2003/07 du 7 janvier 2003 fait d’ailleurs référence à cette prime forfaitaire (paragraphe 3.4.1 de la circulaire).

[31] C. trav., art. R. 3261-13 (N° Lexbase : L8404LW8).

[32] CSS, art. L. 136-1-1, III, e) (N° Lexbase : L7940LUM) (pour l’exonération de CSG et CRDS) ; CSS, art. L. 242-1, I (N° Lexbase : L4986LR4) (pour l’exonération des cotisations du régime général : ce texte renvoie à l’article L. 136-1-1 N° Lexbase : L7940LUM) ; CGI, art. 231, 1° (N° Lexbase : L5499HWL) (pour l’exonération de la taxe sur les salaires) et 81-19, ter b) (N° Lexbase : L4048LSQ) (pour l’exonération d’IR).

[33] La limite d’exonération est donc de 200 euros par an pour la prise en charge de frais d’essence ou de diésel et de 400 euros par an pour la prise en charge des frais d’alimentation des véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène.

[34] L’article L. 3261-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3214LUL) prévoit en effet expressément que : « Le bénéfice de cette prise en charge [relative aux frais de carburant …] ne peut être cumulé avec celle prévue à l'article L. 3261-2 [relative aux frais d’abonnement aux transports publics] ». Ainsi, en cas de cumul entre ces deux dispositifs de prise en charge des frais de déplacement, le montant du plafond d’exonération sera le montant le plus élevé entre d’une part les frais « de carburant, les frais liés à l'alimentation de véhicules électriques, hybrides rechargeables ou hydrogène » (à savoir 400 €, dont 200 € maximum de frais de carburant) et les frais d’abonnement aux transports publics.

Exemple 1 : si au terme de l’année, un salarié a dépensé, pour se rendre sur son lieu de travail, 500 € au titre de frais d’essence alors que l’employeur prend en charge 300 € au titre de son abonnement RATP : il ne peut valablement cumuler les deux avantages. Il pourrait, en principe, bénéficier d’une prise en charge exonérée plafonnée à 300 € (correspondant à son abonnement RATP, dans la mesure où la prise en charge des frais d’essence aurait été limitée à 200 €).

Exemple 2 : au terme de l’année, un salarié a dépensé, pour se rendre sur son lieu de travail, 500 € au titre de frais d’essence alors que l’employeur prend également en charge 600 € au titre de son abonnement SNCF : il ne peut valablement cumuler les deux avantages. Il pourrait, en principe, bénéficier d’une prise en charge exonérée plafonnée à 600 € (correspondant à son abonnement SNCF).

[35] Par exemple : si au terme de l’année, un salarié a bénéficié, pour se rendre sur son lieu de travail, d’une prise en charge de 600 € au titre de frais de covoiturage et de 300 € d’essence, le montant du plafond de prise en charge exonéré sera de 400 €.

Exemple 2 : si au terme de l’année, un salarié a bénéficié, pour se rendre sur son lieu de travail, d’une prise en charge de 600 € au titre de frais de covoiturage, le montant du plafond de prise en charge exonéré sera également de 400 €.

[36] C. trav., art. R. 3261-12 (N° Lexbase : L8403LW7)

[37] C. trav., art. R. 3261-11 (N° Lexbase : L8402LW4). Le rédactionnel de cet article semble laisser penser que le montant de la prime doit varier en fonction de la distance séparant le domicile du salarié de son lieu de travail.

[38] C. trav., art. R. 3261-11 et lettre circulaire DGT-DSS n° 01 du 28 janvier 2009.

[39] Pour rappel, la loi du 17 août 2015 avait prévu la possibilité pour les employeurs de verser à leurs salariés utilisant un vélo une indemnité kilométrique qui était exonérée de charge sociale et d’impôt sur le revenu à hauteur de 25 centimes d’euro par kilomètre (avec un plafond annuel de 200 €). Le versement de ces indemnités kilométriques pouvait, à l’époque, se cumuler avec la prise en charge par l’employeur des abonnements des transports publics pour les trajets de rabattement vers un arrêt ou une gare. La prise en charge des frais de déplacements à vélo est donc désormais devenue forfaitaire, et non plus kilométrique. Le décret du 9 mai 2020 a toutefois prévu que les employeurs qui versaient au 10 mai 2020 des indemnités kilométriques vélo sont considérés désormais comme versant le forfait mobilités durables.

[40] Il s’agit de l’achat de titre de transport à l’unité.

[41] Les services de mobilité partagée, tels que déterminés par le décret n° 2020-541 du 9 mai 2020 (C. trav., nouvel art. R. 3261-13-1 N° Lexbase : L8405LW9) comprennent :

  • La location ou la mise à disposition en libre-service des véhicules suivants avec ou sans station d’attache et accessibles sur la voie publique, à condition qu’ils soient équipés d’un moteur non thermique ou d’une assistance non thermique lorsqu’ils sont motorisés :
    • Cyclomoteur (véhicule de catégorie L1e ou L2e) ;
    • Motocyclette (véhicule de catégorie L3e ou L4e, avec ou sans adjonction d’un side-car) ;
    • Cycle (véhicule ayant au moins deux roues et propulsé exclusivement par l’énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l’aide de pédales ou de manivelles) ;
    • Cycles à pédalage assisté (cycle équipé d’un moteur auxiliaire électrique d’une puissance continue maximale de 0,25 kilowatt, dont l’alimentation est réduite progressivement et finalement interrompue lorsque le véhicule atteint une vitesse de 25 km/h, ou plus tôt si le cycle arrête de pédaler) ;
    • Engin de déplacement personnel (motorisé ou non motorisé).
  • Les services d’auto-partage (mise en commun d’un véhicule ou d’une flotte de véhicules de transport terrestre à moteur au profit d’utilisateurs abonnés ou habilités par l’organisme ou la personne gestionnaire des véhicules. Chaque abonné ou utilisateur peut accéder à un véhicule sans conducteur pour le trajet de son choix et pour une durée limitée). Les véhicules mis à disposition dans le cadre de ces services d’auto-partage sont éligibles au forfait « mobilités durables » sous réserve d’être à faibles émissions, ce qui comprend :
    • les véhicules dont les émissions de gaz à effet de serre et polluants atmosphériques sont inférieurs ou égales à 60 grammes par kilomètre pour les émissions de dioxyde carbone ;
    • les véhicules dont la source d’énergie est l’une des suivantes :électricité, hydrogène, hydrogène- électricité (hybride rechargeable), hydrogène- électricité (hybride non rechargeable), air comprimé.

[42] La prise en charge des frais de transport personnels (frais liés aux véhicules à moteur et « forfait mobilité ») pourra prendre la forme d’une solution de paiement spécifique, dématérialisée et prépayée, intitulée « titre-mobilité ». Les entreprises pourront ainsi acquérir auprès de sociétés spécialisées des « titres-mobilités » (à l’instar des tickets restaurants). Ces titres mobilités constitueront des solutions de paiement prépayée et dématérialisée qui permettront aux employeurs de prendre en charge les frais de transports personnels de leurs salariés. Le décret qui doit venir déterminer les modalités d’application de ce « titre mobilité » (mentions obligatoires, conditions d'utilisation et de remboursement ; règles de fonctionnement des comptes bancaires spécialement affectés à l'émission et à l'utilisation des titres mobilité ; conditions du contrôle de la gestion des fonds) n’est toutefois pas encore paru.

[43] C. trav., art. R. 3261-13-2 (N° Lexbase : L8406LWA).

[44] CSS, art. L. 136-1-1, III, e) (N° Lexbase : L7940LUM) (pour l’exonération de CSG et CRDS) ; CSS, art. L. 242-1, I (N° Lexbase : L4986LR4) (pour l’exonération des cotisations du régime général : ce texte renvoie à l’article L. 136-1-1 N° Lexbase : L7940LUM) ; CGI, art. 231, 1° (N° Lexbase : L5499HWL) (pour l’exonération de la taxe sur les salaires) et 81-19, ter b) (N° Lexbase : L4048LSQ) (pour l’exonération d’IR).

[45] Exemple 1 : si au terme de l’année, un salarié a bénéficié, pour se rendre sur son lieu de travail, d’une prise en charge de 400 € au titre de frais de covoiturage et de 200 € au titre de son abonnement de transports publics, le montant du plafond de prise en charge exonéré sera limité à 400 €.

Exemple 2 : si au terme de l’année, un salarié a bénéficié, pour se rendre sur son lieu de travail, d’une prise en charge de 200 € au titre de frais de covoiturage et de 600 € au titre de son abonnement de transports publics (SNCF par exemple), le montant du plafond de prise en charge exonéré sera de 600 €.

[46] Aux termes de l’article 81-19° ter-b du CGI, il est précisé que les frais relatifs à la « mobilité durable » peuvent être cumulés avec les fais de carburant dans la limite de 400 € intégrant, le cas échéant, 200 € maximum au titre des frais de carburant (voir note n°35 pour des exemples de cumul).

[47] C. trav., art. R. 3261-13-2 (N° Lexbase : L8406LWA).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Assujettissement à la TVA d’une vente d’un terrain à bâtir lorsqu’elle procède de démarches actives de commercialisation foncière

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 9 juin 2020, n° 432596, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A15483NN)

Lecture: 2 min

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par Marie-Claire Sgarra

Le 17 Juin 2020

La livraison, par une personne physique, de terrains à bâtir est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en oeuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique.

En l’espèce, au terme d'une vérification de comptabilité, le requérant a été assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de la cession, en 2011 et 2012, de dix-huit parcelles de terrain à bâtir qu'il avait fait préalablement aménager. Le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge des pénalités pour manquement délibéré dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 et a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge de ces rappels.

Pour le Conseil d’État, de tels travaux ne relevent pas de la simple gestion d’un patrimoine privé, mais caractérisent l’existence de démarches actives de commercialisation, comparables à celles d’un professionnel, la vente devait être soumise à la TVA.

Cette décision reprend ainsi les critères posés par la CJUE dans un arrêt du 15 septembre 2011 (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180-10 N° Lexbase : A7298HXL). Elle a ainsi jugé qu’une personne physique exerçant une activité agricole ne peut pas être considérée comme assujettie à la TVA lorsqu'elle revend un terrain requalifié indépendamment de sa volonté de terrain constructible. Il s'agissait du simple exercice du droit de propriété par son titulaire et que cela ne relevait pas d'une activité économique taxable à la TVA.

Il semble utile de mentionner que la cour administrative d’appel de Bordeaux a elle retenu qu’en commercialisant les terrains ainsi reçus par donation, le requérant s'est borné à gérer son patrimoine immobilier en exerçant les droits afférents à sa qualité de propriétaire, sans mettre en oeuvre les moyens commerciaux utilisés par les professionnels de la vente immobilière (CAA de Bordeaux, 20 mai 2020, n° 18BX01002 N° Lexbase : A13403ML).

Il n’existe a priori donc pas de consensus sur le sujet.

(Cf. le BOFiP annoté N° Lexbase : X4347ALL).

 

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Urbanisme - Intérêt à agir

[Jurisprudence] L’intérêt à agir du riverain dans le cadre d’un contentieux lié au transfert d’office d’une voie privée dans le domaine public

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 mai 2020, n° 433608, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A56493M8)

Lecture: 12 min

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par Marie-Odile Diemer, Maître de conférences de droit public, Université Côte d’Azur, CERDACFF (EA 7267)

Le 18 Juin 2020

 

Mots clés : refus de transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public • intérêt pour agir • riverains de la voie
Le transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l'ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de la transférer dans le domaine public de la commune sur le fondement de l'article L. 318-3 du Code de l'urbanisme.

 

En 1950, le Président Chenot avait déclaré qu’il ne faut pas « autoriser n’importe qui à se pourvoir contre n’importe quoi au risque de troubler le fonctionnement des juridictions », mais encore faut-il savoir quel est ce « qui ». Le courant jurisprudentiel concernant l’intérêt à agir en droit de l’urbanisme, s’il a été teinté de libéralisme, devient de plus en plus maîtrisé voire circonscrit. Le Conseil d’État, dans cet arrêt du 27 mai 2020 ? ouvre pourtant les portes du prétoire au riverain d’une voie privée susceptible d’être transférée dans le domaine public. Le riverain d’une voie publique en devenir est-il alors une nouvelle catégorie de requérants ? Cette précision inédite de la Haute juridiction administrative quant à l’application de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L8011IMN) impose de s’attarder sur les modalités de l’intérêt à agir en la matière ainsi que sur cette catégorie particulière qu’est le riverain.

L’arrêt du Conseil d’État pourrait être résumé sous cette unique phrase : le droit d’accès du riverain est double, droit d’accès aux voies et droit d’accès au juge. 

Mais qu’est-ce qu’un riverain, n’est-il qu’un tiers ou également un usager ? Le riverain n’a bénéficié en droit administratif que d’études doctrinales ponctuelles et non d’ampleur. Il est pourtant une catégorie claire lorsqu’il est un riverain de voies publiques, lui octroyant certains droits, notamment concernant les aisances de voierie - c’est à dire de ses droits d’accès à la voie publique - mais en contrepartie il se voit imposé certaines sujétions. La catégorie de riverain ouvre également un régime propre de responsabilité lorsque les sujétions sont anormales puisqu’elle s’intègre au cœur de la responsabilité pour dommages de travaux publics. Le riverain bénéficie d’ailleurs d’une présence large au sein de plusieurs codes : c’est notamment le cas du Code général de la propriété des personnes publiques, du Code de la voierie routière, ou encore du Code de l’environnement et du Code de l’urbanisme. L’ensemble de ces codes permet de connaître l’étendue des droits et obligations auxquels le riverain est connecté. Ainsi, outre les servitudes dont il peut bénéficier, le riverain doit aussi connaître les modalités de délimitation des propriétés, notamment quand il est riverain d’un cours d’eau. Beaucoup d’articles du Code général de la propriété des personnes publiques sont d’ailleurs consacrés au riverain du domaine public fluvial et maritime, liant par là, la définition originelle du riverain à savoir « la personne dont la propriété borde une voie d’eau », mais, nous précise G. Cornu, « et par extension toute voies de communication » [1].

Quid des riverains de voies privées ? Le droit administratif devrait ainsi les ignorer et le riverain de se transformer en voisin, puisant dans les règles du Code civil les réponses aux éventuels nuisances ou troubles de voisinage qu’il voudrait voir cesser. Toutefois, à la lecture de l’arrêt commenté, la question se pose d’une réelle déconnexion entre les catégories de riverains et celle de voisin notamment quand la voie privée est ouverte à la circulation. Le droit public n’ignore d’ailleurs pas le voisinage notamment en contentieux de l’urbanisme. De même, le droit administratif des biens peut s’emparer de la notion [2].

Ainsi, la question qui se posait au Conseil d’État dans cet arrêt du 27 mai 2020 se situe précisément à la frontière du droit de l’urbanisme et du droit administratif des biens, même s’il s’agissait uniquement de connaître les virtualités contentieuses de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme. En effet, ce dernier permet le transfert d’office de certaines voies privées dans le domaine public communal qui se réalise - étonnamment mais constitutionnellement (Cons. const., décision n° 2010-43 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9924GAS) - sans indemnités, mais après enquête publique. L’article précise ensuite : « (…) La décision de l'autorité administrative portant transfert vaut classement dans le domaine public et éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existant sur les biens transférés. / Cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l'Etat dans le département, à la demande de la commune ».

L’on connaissait déjà certaines modalités d’application de cet article notamment sur l’appréciation du consentement des propriétaires des voies privées concernés [3] ou encore concernant la vérification de la réalité de l’ouverture de la voie publique à la circulation qui contribue à l’applicabilité de l’article [4]. La question restait cependant inédite concernant les riverains de ces voies privées et de leur éventuel intérêt leur donnant qualité pour agir dans ces circonstances.  

En l’espèce, il faut faire un petit voyage en Bretagne, et plus particulièrement dans l’Île-et-Vilaine dans la commune de Saint-Lunaire, impasse de la Poste, pour mieux comprendre les faits. La commune souhaitait récupérer la propriété de cette voie privée dont certaines parcelles lui appartenaient déjà. Les consorts B., propriétaires des autres parcelles s’y sont opposés. La procédure de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme permet toutefois à la commune de se tourner vers le préfet lorsque les propriétaires n’approuvent pas le transfert. Cependant le préfet refuse d’y procéder dans une décision du 5 mai 2015. C’est à ce moment là que les consorts A., riverains de la voie privée litigieuse, et bénéficiant d’une servitude de passage sur la voie privée, font leur entrée en scène. Ils demandent ainsi au préfet de retirer sa décision. N’ayant obtenu que le silence du préfet, ils portent ce refus implicite devant le tribunal administratif de Rennes. Ce dernier rejetant leur demande le 24 novembre 2017, ils se tournent alors vers la cour administrative d’appel de Nantes qui fait droit à leur demande le 18 juin 2019 et enjoint au préfet de se prononcer à nouveau [5]. Les consorts B forment alors un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État, sur conclusions contraires du rapporteur public, et en contradiction également avec un arrêt de la CAA de Lyon du 21 juin 2012 [6], mais dans la continuité des solutions énoncées par les précédents juges du fond dans cette procédure, admet l’intérêt donnant qualité pour agir à des riverains, et confirme la position de la cour d’appel quant à l’injonction faite au préfet.

Le regard de la doctrine et des praticiens concernant la jurisprudence sur l’intérêt à agir s’est effectivement concentré, ces dernières années, sur le droit de l’urbanisme, mais vis-à-vis de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L0037LNP) dans sa rédaction refondue par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW). Schématiquement, l’intérêt à agir est envisagé en fonction de l’effet que peut avoir la mesure sur le requérant. Cette notion d’intérêt est la clé d’entrée indispensable pour accéder au prétoire puisqu’elle est la condition même de l’existence de l’action en justice. L’intérêt doit être personnel, légitime, direct et certain et s’apprécie en fonction de « cercles d’intérêts » qui avaient été découverts par le Président Chenot [7]. En clair, c’est souvent en fonction d’une appréciation concrète et géographique que le requérant pourra ou non intégrer le fameux cercle et si, selon la lettre du code, le projet « affecte directement les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance du bien du requérant » [8].

Ainsi, la situation d’un voisin permet soit de fermer les portes du contentieux, soit au contraire de lui offrir de nouvelles perspectives lorsqu’il est considéré comme « voisin immédiat » et donc à proximité du terrain litigieux [9]. Par exemple, dans un arrêt du 20 février 2019 [10], le Conseil d’État avait précisé que le voisin immédiat d’un projet constructif est présumé avoir un intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire. Cette proximité semble effectivement être également prise en compte dans l’application de l’article L. 318-3 du Code de l’urbanisme.

Le rapporteur public, Romain Victor, dans ses conclusions, refuse pourtant l’analogie avec l’article L. 600-1-2 et de ses usages jurisprudentiels (« nous ne voyons pas de justification convaincante de déduire mécaniquement l’intérêt à agir de la seule qualité de voisin immédiat de la voie privée », précise-t-il), mais s’était attaché au contraire à reconstruire la philosophie de l'article L. 318-3 s’appuyant sur l’objectif d’intérêt général que contient l’article. Surtout, il s’était concentré sur le fonctionnement d’une voie privée ouverte à la circulation, notamment dans le maintien de l’exercice des pouvoirs de police du maire sur la voie ou encore dans le cadre des régimes de responsabilités. Il aboutit d’ailleurs à la conclusion d’une déconnexion entre la demande administrative et celle contentieuse en sauvegardant toutefois « l’ouverture du prétoire à la commune pour lui permettre de faire valoir devant le juge le motif d’intérêt public local justifiant le transfert ».

Ainsi, si un riverain peut demander au préfet de retirer sa décision de transférer d’office dans le domaine public une voie privée, il n’aurait pas d’intérêt à agir devant le juge quant à ce refus, seule la commune le pourrait. Le rapporteur avait ainsi des difficultés à relier l’intérêt général - et plus particulièrement l’intérêt local - avec la demande contentieuse de riverains, si ce n’est que la voirie serait supposé mieux entretenue si elle l’était par la personne publique. Loin d’être détaché de l’intérêt des riverains, il évoque également les relations de voisinage qui pâtiraient d’une telle reconnaissance.  Pourtant, un entretien public ainsi que la certitude d’une ouverture à la circulation publique pourraient bien être la justification d’un intérêt à agir des riverains. C’est d’ailleurs ce qui a motivé le Conseil d’État à reconnaître l’intérêt à agir en précisant que « le transfert d'une voie privée ouverte à la circulation publique dans le domaine public communal ayant notamment pour effet de ne plus faire dépendre le maintien de l'ouverture à la circulation publique de la voie du seul consentement de ses propriétaires et de mettre son entretien à la charge de la commune, les riverains de la voie justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision refusant de la transférer dans le domaine public de la commune ».

Tout au long des conclusions du rapporteur public et de la lecture de l’arrêt du Conseil d’État, c’est donc la question pérenne du contenu de l'article L. 318-3 qui reste en filigrane mais aussi de l’étendue de la catégorie de riverain.

On voudrait notamment croire que la précision concernant le moyen écarté, car nouveau en cassation, est peut-être un appel aux avocats pour que le juge puisse contrôler un jour la conventionalité de cet article : « En second lieu, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu les stipulations de l'article premier du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en faisant application de l'article L. 318-3 du Code de l'urbanisme n'a pas été soulevé devant la cour administrative d'appel et ne présente pas le caractère d'un moyen d'ordre public ».

En définitive, le Conseil d’État choisit une lecture stricte et empreinte de logique : si l'article est là, c'est qu'il faut l'appliquer pleinement, donc il ne voit pas de raison de scinder les possibilités d’action pour le riverain entre la demande administrative et la demande contentieuse qui lui est potentiellement afférente.

Avec cet arrêt, le Conseil d’État ouvre ainsi la voie à la doctrine à s’interroger sur les différentes catégories de « voisins » : voisins immédiats, contigus ou attenants, riverains divers, dont les régimes juridiques publics et privés peuvent différer. L’ouverture au prétoire de ces catégories ne relève probablement pas de la même logique ni des mêmes matières. Il s’agit de protéger le voisin immédiat de certaines nuisances dans le cadre de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, il s’agit pour l’application de l’article L. 318-3 d’assurer au futur riverain de la voie publique l’entretien de cette voie et son ouverture certaine à la circulation. Il s’agit également, dans le premier cas, de conférer une sécurité juridique aux décisions en matière d’urbanisme à la faveur des titulaires d’autorisations, alors qu’il semble dans le second cas que la protection, à travers la reconnaissance d’un intérêt à agir pour le riverain se répercute en fait sur la commune qui pourra récupérer la propriété de la voie.

En tout état de cause, il est une nouvelle fois démontré que le contentieux de l’urbanisme n’a pas fini de déployer ses potentialités [11] et que la catégorie de riverain d’une voie privée ouverte à la circulation doit être envisagée dans un nouveau « cercle d’intérêts ».

  1.  
 
  1. [1] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, collection Quadrige.

[2] D. Roman,  Voisinage et droit administratif des biens , in M. Deguergue et L. Fonbaustier (dir.), Confluences, Mélanges en l’honneur de J. Morand-Deviller, Montchrestien, 2008, p. 723.

[3] CE, 3 juin 2015, n° 369534 (N° Lexbase : A1992NKY) ; CE, 17 juin 2015, n° 373187 (N° Lexbase : A5377NLQ).

[4] CE, 13 octobre 2016, n° 381574 (N° Lexbase : A8102R79).

[5] CAA Nantes, 18 juin 2019, n° 18NT00294 (N° Lexbase : A67233CY).

[6] CAA Lyon, 21 juin 2012, n° 11LY00363 (N° Lexbase : A1111IQ9).

[7] Conclusions sous CE, 10 février 1950, Gicquel, Rec. p. 100.

[8] CE 10 juin 2015, n° 386121 (N° Lexbase : A6029NKI).

[9] CE, 13 avril 2016, n° 389798 (N° Lexbase : A6777RCY).

[10] CE, 20 février 2019, n° 420745 (N° Lexbase : A5344YX9).

[11] Voir R. Noguellou, Le contentieux de l’urbanisme, AJDA, 2020, p. 230.

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