La lettre juridique n°688 du 23 février 2017

La lettre juridique - Édition n°688

Éditorial

Open access, Open law : la guerre de Troie aura-t-elle lieu ?

Lecture: 4 min

N6822BWL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 23 Février 2017


Tempête dans le Landernau, d'aucuns éditeurs juridiques mettent à disposition du (grand) public certains de leurs contenus, qu'ils jugent, ce faisant et désormais, sans valeur ajoutée. Aussi, quidam peut avoir accès à l'ensemble de la législation et de la réglementation consolidées, à une foultitude de décisions de jurisprudence, et, Saint Graal, à des milliers de synthèses thématiques juridiques.

Cela fait les choux gras des commentateurs du marché de l'édition et de la documentation juridiques : sans doute parce que l'éditeur ainsi si novateur est un éditeur historique ; sans doute parce que l'éditeur ainsi si novateur aura attendu plus de 18 ans pour murir l'ouverture de "ses" données pourtant publiques à un public de non-abonnés.

Pourtant.

Et, pourtant, on n'est jamais plus généreux qu'avec ce qui appartient à tous. Quid de l'accès, 20 ans après Légifrance, à des codes consolidés ? Chacun sait que les éditeurs juridiques ont depuis longtemps une licence de rediffusion de "LégiCode" et autres "LégiLoi" et que, la publication sur Légifrance ayant force de loi, toute consolidation éditoriale n'emportera que le risque d'une mauvaise doxa de cette dernière. Bien entendu, on s'interrogera sur le fait de savoir si déverser des milliers d'articles de codes pour encombrer le web en espérant un référencement naturel pointant de facto sur des commentaires eux savants, à forte valeur ajoutée, et surtout payants, relève bien de la philosophie de l'open acces... Quant à l'accès à des milliers de fiches synthétiques juridiques pour le plus grand bien de l'intelligibilité du droit... Lexbase publie gratuitement ses milliers de synthèses, mises à jour elles quotidiennement, gratuitement sur le web... Et, il nous avait échappé que nous révolutionnions depuis des années le marché de l'édition juridique français... Dont acte.

Et, pourtant, il est amusant de voir combien les éditeurs les plus investis dans la libération de la jurisprudence... sont ceux qui l'ont délaissée, peu ou prou, pendant des dizaines d'années, sauf à lui trouver un intérêt exclusivement éditorial et partiel... sont ceux pour qui la législation et la réglementation étaient l'alpha et l'oméga de la panégyrie commerciale. Arcboutés, vent debout, contre la mise en place de Légifrance, en son temps, parce qu'attentant aux intérêts supérieurs de la maison rouge, la "vengeance" est un plat qui se mange froid : la jurisprudence, précarré d'autres éditeurs, ne pouvait échapper au dogme de la transparence et de l'accessibilité... Un partout, la balle au centre.

Et, pourtant, contrairement à la législation et à la réglementation, la jurisprudence n'est pas une donnée neutre ; c'est même une donnée sensible, voire ultra-sensible. Une dangerosité intrinsèque dont on pensait se dédouaner avec l'anonymisation, jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que la pseudo-anonymisation si répandue était insuffisante voire infectieuse, quand la loi commande désormais le respect de la vie privée, quand les risques de reconnaissance personnelle ne peuvent être annihilés. Non, la jurisprudence n'est pas une donnée à mettre devant tous les yeux, quand bien même serait-elle anonymisée. Non seulement, donner accès au citoyen à des données jurisprudentielles souvent contradictoires est inefficace du point de vue de l'intelligibilité et de la pénétration du fait juridique et judiciaire dans la société ; mais surtout, on joue à l'apprenti sorcier en faisant croire au justiciable qu'il a accès au même état de la connaissance juridique que les professionnels, alors qu'il n'a pas le savoir et la compétence nécessaires pour séparer le bon grain de l'ivraie, pour adopter une stratégie juridique et judiciaire efficace. Que gagnerons nous à voir ainsi les clients arriver devant leur avocat avec la copie d'une loi et d'une jurisprudence d'appel (éventuellement cassée), comme un patient arbore une fiche doctissimo à son médecin traitant, alors qu'une loi spéciale déroge à la loi doctement présentée, alors que dix arrêts d'appel contredisent l'arrêt savamment décelé ?

Et, pourtant, la jurisprudence, source majeure du droit, doit être libérée. Oui, mais pour qui et à quelle fin ? Aux citoyens, une donnée judiciaire publique publiable (DJPP) -une contraction de l'arrêt dépouillé de toute donnée personnelle s'attachant à la substantifique moelle juridique de la décision publiée- ; aux professionnels du droit, au premier rang desquels les avocats, une donnée brute -leur déontologie l'autorisant-, éventuellement heureusement enrichie éditorialement, bien sûr, mais aussi algorithmiquement des décisions connexes de la même affaire, des affaires proches, penchant dans le même sens ou en sens contraire, des moyens les mieux accueillis, de ceux à proscrire... Eventuellement... car, d'une part, il serait de bon aloi que l'on ne joue pas avec la prédiction judiciaire sans une certaine transparence informatique permettant aux professionnels de relativiser les prédictions savamment concoctées dans les boîtes noires de la legal tech ; d'autre part, parce qu'il est étonnant de voir combien la foule se presse pour que soit libérée au plus vite une donnée brute jugée pourtant sans valeur intrinsèque.... Cherchez l'erreur.

Et, pourtant, de fait, les arrêts d'appel, notamment, sont accessibles par la grande majorité des avocats : qui sait que 75 % d'entre eux ont déjà accès à JURICA (la base de jurisprudence d'appel) à travers leurs accès documentaires mutualisés par leurs Ordres, y compris le barreau de Paris ? Qui sait que les 25 % restants peuvent y accéder également gratuitement, pour peu que leurs Ordres acceptent notre concours.

Et, pourtant La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? : sans doute, si l'on refuse d'admettre que l'ouverture des données publiques doit s'opérer avec précaution. Or, cette précaution, seules les professions réglementées astreintes à une haute déontologie peuvent l'assurer ; à eux, pense-t-on, d'assurer la diffusion de la jurisprudence aux justiciables pour le plus grand bien de l'intelligibilité judiciaire.

newsid:456822

Avocats/Déontologie

[Brèves] Des conséquences de l'irrecevabilité de l'appel du procureur général contre une décision disciplinaire

Réf. : Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-19.855, F-D (N° Lexbase : A1968TCU)

Lecture: 2 min

N6786BWA

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 23 Février 2017

Le recours formé oralement par le procureur général devant la cour d'appel puis régularisé postérieurement à la date de la clôture des débats est irrecevable ; partant, la décision de relaxe prononcée par le conseil de discipline devient irrévocable du fait de la cassation pour irrecevabilité de l'appel du procureur général et de l'écoulement du délai de recours en suite de la notification de la décision du conseil de discipline. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 février 2017 (Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-19.855, F-D N° Lexbase : A1968TCU). Dans cette affaire, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Grenoble a cité M. X, avocat à ce barreau, devant le conseil de discipline, lui reprochant plusieurs manquements à la probité, à l'honneur et à la délicatesse et le conseil de discipline a prononcé la relaxe des fins de la poursuite par décision du 11 mai 2016. Pour déclarer l'appel du procureur général près la cour d'appel de Grenoble recevable, l'arrêt d'appel relève que, le 11 mai 2016, celui-ci a formé un recours par déclaration au greffier en chef de la cour d'appel et a remis une copie de la décision du conseil de discipline, s'acquittant ainsi de l'obligation prévue par l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) et que, par lettre remise contre récépissé au greffier en chef le 10 juin 2016, il a confirmé son recours avant l'expiration du délai d'appel, ce qui régularise si nécessaire la procédure. L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction, sans renvoi. En effet, en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le recours formé le 11 mai 2016 avait été effectué par déclaration orale et que celui du 10 juin 2016 était postérieur à la clôture des débats intervenue le 9 juin 2016, l'affaire ayant, à cette date, été mise en délibéré, la cour d'appel a violé l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 126 (N° Lexbase : L1423H4H) et 445 (N° Lexbase : L1119INR) du Code de procédure civile (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0294E7Z).

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Baux commerciaux

[Brèves] Résiliation triennale : application aux baux en cours des dispositions de l'article L. 145-7-1 du Code de commerce

Réf. : Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 16-10.350, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7677TBX)

Lecture: 1 min

N6716BWN

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par Julien Prigent

Le 23 Février 2017

L'article L. 145-7-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5439IE8), créé par la loi du 22 juillet 2009 (N° Lexbase : L5745IEI), qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l'exploitant d'une résidence de tourisme, est d'ordre public et s'applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 9 février 2017 (Cass. civ. 3, 9 février 2017, n° 16-10.350, FS-P+B+I N° Lexbase : A7677TBX). En l'espèce, par actes séparés des 20 et 22 février 2007, deux appartements pour l'exploitation d'une résidence de tourisme avaient été donnés à bail. Le 26 décembre 2012, le locataire avait donné congé pour le 1er juillet 2013, à l'expiration de la deuxième période triennale. Le 20 septembre 2013, le bailleur a assigné le locataire en nullité des congés. Les juges du fond (CA Poitiers, 10 novembre 2015, n° 14/04382 N° Lexbase : A4432NW3) ont validé les congés au motif que les baux, conclus avant l'entrée en vigueur de l'article L. 145-7-1 du Code de commerce, sont régis par les dispositions de l'article L. 145-4 du même code (N° Lexbase : L2010KGK) prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur. Ils en ont déduit que l'article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l'exploitant d'une résidence de tourisme, n'était pas applicable au litige. La Cour de cassation a rejeté cette solution en censurant la décision objet du pourvoi, au motif que l'article L. 145-7-1 du Code de commerce était d'ordre public et qu'il s'appliquait aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur. Les baux étant en cours au 25 juillet 2009, ces dispositions devaient s'appliquer et priver le preneur exploitant d'une résidence de tourisme de sa faculté de résiliation triennale (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E0323GA9).

newsid:456716

Contrats administratifs

[Brèves] Conditions de l'attribution provisoire d'une concession sans respect des règles de publicité en cas d'urgence

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 14 février 2017, n° 405157, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5671TND)

Lecture: 2 min

N6809BW4

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par Yann Le Foll

Le 24 Février 2017

En cas d'urgence résultant de l'impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l'assurer elle-même, elle peut, lorsque l'exige un motif d'intérêt général tenant à la continuité du service, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de services sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites. La durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en oeuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l'exécution de la concession de services ou, au cas contraire, lorsqu'elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 14 février 2017 (CE 2° et 7° ch.-r., 14 février 2017, n° 405157, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5671TND, voir, en supprimant la condition tenant au caractère soudain de l'impossibilité de continuer à faire assurer le service, CE 2° et 7° s-s-r., 4 avril 2016, n° 396191, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2438RBW). En l'espèce, le Grand port maritime de Bordeaux (GPMB) a été placé dans une situation urgente du fait de la défaillance de son cocontractant et de l'échec de la médiation organisée par le ministre chargé des Transports, empêchant toute exploitation du terminal du Verdon. Il justifie d'un motif d'intérêt général tenant notamment à la continuité du service, le transit portuaire s'effectuant actuellement par le terminal de Bassens, lequel ne permet pas d'accueillir des navires d'un tonnage conforme aux attentes des grands opérateurs maritimes, ainsi qu'à la nécessité d'honorer les contrats conclus avec des compagnies de transport maritime. La convention entre le GPMB et la société Y n'a été conclue qu'à titre provisoire pour pallier la défaillance de la société X dans l'attente de la désignation d'un nouveau titulaire de la convention de terminal. Elle doit ainsi prendre fin avec la désignation par le GPMB, au plus tard dix-huit mois après l'entrée en vigueur de la mise en régie, du nouveau titulaire de la convention de terminal à l'issue d'une nouvelle procédure de mise en concurrence. Le GPMB n'était donc pas tenu de procéder à des mesures de publicité pour la passation d'une telle convention. Dès lors, la société X n'est pas fondée à demander l'annulation de la convention de terminal litigieuse sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 551-18 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1598IEW) au motif tiré de l'absence de mesures de publicité.

newsid:456809

Cotisations sociales

[Brèves] Cotisations sociales dues par un employeur n'ayant pas d'établissement en France : le salarié ne peut être responsable du paiement de ces dernières !

Réf. : Cass. civ. 2, 9 février 2017, n° 16-10.796, F-P+B+I (N° Lexbase : A7678TBY)

Lecture: 2 min

N6674BW4

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par Laïla Bedja

Le 23 Février 2017

Il résulte de l'article L. 243-1-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9124I8G) que, pour remplir ses obligations relatives aux déclarations et versements des contributions et cotisations sociales, l'employeur dont l'entreprise ne comporte pas d'établissement en France peut désigner un représentant en France qui est personnellement responsable des opérations déclaratives et du versement des sommes dues ; selon l'article L. 241-8 (N° Lexbase : L4944ADH) de ce même code, la contribution de l'employeur aux cotisations de Sécurité sociale reste exclusivement à la charge de celui-ci, tout convention contraire étant nulle de plein droit. Partant, la convention par laquelle l'employeur dont l'entreprise ne comporte pas d'établissement en France désigne un salarié de son entreprise pour remplir ses obligations déclaratives et de versement des cotisations sociales est nulle de plein droit et ne peut produire aucun effet, quand bien même elle prévoit que le salarié ne supportera pas définitivement la charge résultant de ce versement. Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 février 2017 (Cass. civ. 2, 9 février 2017, n° 16-10.796, F-P+B+I N° Lexbase : A7678TBY).
Dans cette affaire, Mme X était salariée de la société F., qui ne comportait pas d'établissement en France, du 1er avril 2005 au 10 août 2016. Le 4 avril 2005, a été conclue entre l'employeur et la salariée, une convention instituant cette dernière mandataire de l'employeur chargée des déclarations sociales et des cotisations et contributions patronales relativement aux sommes perçues par celle-ci ou par tout autre salarié de la société appelé à exercer une activité en France. L'Urssaf ayant notifié une mise en demeure de payer les cotisations dues au titre des années 2005 et 2006, la salariée a saisi la juridiction de Sécurité sociale. La cour d'appel, pour rejeter sa demande, retient que la société avait régulièrement désigné Mme X, en application de l'article L. 243-1-2 du Code de la Sécurité sociale.
Sur pourvoi formé par cette dernière, la Haute juridiction casse et annule l'arrêt de la cour d'appel en énonçant la solution précitée ; les juges du fond, par leur décision, ont violé les articles susmentionnés (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E5322E7A).

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Droit des étrangers

[Panorama] Un an de droit d'asile devant le Conseil d'Etat

Lecture: 16 min

N6747BWS

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par Caroline Lantero, Maître de conférences en droit public, Université d'Auvergne

Le 24 Février 2017

Dans les suites de la réforme du droit d'asile (1) orchestrée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 (loi relative à la réforme du droit d'asile N° Lexbase : L9673KCA), une série de décrets d'application sont intervenus à la fin de l'année 2015, rendant les nouvelles dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) pleinement applicables. L'occasion fut donnée aux juges de se prononcer à la fin de l'année 2016 sur certaines de ces nouveautés normatives, soit pour en faire une pleine application, soit pour en censurer une partie. Indépendamment de la réforme législative, la jurisprudence du Conseil d'Etat est également venue apporter élargir le spectre de son propre contrôle et affiner l'office du juge de l'asile. I - Les décrets d'application de la loi du 29 juillet 2015

A - Rejet du recours dirigé contre le décret du 21 septembre 2015

Un nouveau chapitre du CESEDA (2) a été consacré aux "conditions d'accueil des demandeurs d'asile" et a donné un rôle central à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), chargé de centraliser l'organisation, la gestion et le contrôle du dispositif national d'accueil. Le décret d'application n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 (N° Lexbase : L9815KHY) (décret pris pour l'application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile N° Lexbase : L9673KCA) a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, qui a rejeté la requête en écartant tous les moyens dirigés contre le texte. Sur la mise en place d'un guichet unique à la préfecture, où est désormais présent un représentant de l'OFII qui doit proposer les prestations d'accueil et les allocations prévues par la Directive "Accueil" (Directive (UE) 2013/33 du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale N° Lexbase : L9264IXE) et doit, notamment, procéder à une évaluation des besoins des demandeurs ainsi que de leur vulnérabilité (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 744-6 N° Lexbase : L6611KD9), la parution de l'arrêté fixant le cadre du questionnaire dissipe quelques inquiétudes (3) quant aux effets d'un double scrutin de vulnérabilité tant il reste en surface (4). Les critiques émises à l'encontre de cet examen de vulnérabilité au motif qu'il instituait une procédure administrative ont été écartées par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 30 janvier 2017.

B - Annulation partielle et "en tant que ne pas" du décret du 21 octobre 2015 relatif à l'allocation pour demandeur d'asile

  • CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 394819, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3669SYK) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E0324E9U)

La loi du 29 juillet 2015 avait substitué l'allocation temporaire d'attente (ATA), versée par Pôle Emploi (5) par l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), versée par l'OFII, et conditionnée à l'acceptation des conditions matérielles d'accueil proposées. Evaluée en fonction des ressources, de l'âge du demandeur et de son mode d'hébergement, son montant et le barème d'évaluation ont été fixés par le décret n° 2015-1329 du 21 octobre 2015, relatif à l'allocation pour demandeur d'asile (N° Lexbase : L7321KM4). Rappelons que l'allocation n'est accordée que si le demandeur accepte les conditions d'accueil et d'hébergement proposés par l'OFII. Dans un arrêt du 23 décembre 2016, le Conseil d'Etat a également validé de nombreuses dispositions dont l'exclusion des mineurs isolés du bénéfice de l'allocation en estimant "qu'il incombe au service de l'aide sociale à l'enfance des départements de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs étrangers qui sollicitent l'asile et sont privés de la protection de leur famille" et que l'exclusion des mineurs ne méconnaît donc ni les objectifs de la Directive "accueil" du 26 juin 2013, ni l'article 3-1 de la Convention internationale du 20 novembre 1989, relative aux droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL).

En revanche, le Conseil d'Etat a partiellement censuré le décret s'agissant du montant de l'allocation additionnelle attribuée au demandeur lorsque, bien qu'il accepte les conditions fixées par l'OFII, se heurte à l'insuffisance du dispositif d'accueil et à l'absence d'hébergement disponible. Sur ce point, le décret avait fixé un montant journalier de 4,20 euros. Le Conseil d'Etat a estimé que "le montant additionnel de 4,20 euros prévu par le décret attaqué est manifestement insuffisant pour permettre à un demandeur d'asile de disposer d'un logement sur le marché privé de la location", et, par une annulation "en tant que ne pas", a annulé l'article du décret qui ne fixait pas un montant additionnel suffisant, enjoignant au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de deux mois.

II - Passage au contrôle de la qualification juridique par le juge de cassation sur les clauses d'exclusion

  • CE 9° et 10° ch.-r., 9 novembre 2016, n° 388830, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2510SG3) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4343EYI)

Dans un arrêt du 9 novembre 2016, le Conseil d'Etat élargit considérablement l'étendue de son contrôle sur les arrêts de la CNDA en estimant qu'il relève de l'office du juge de cassation d'exercer un contrôle de qualification juridique sur l'appréciation à laquelle la Cour nationale du droit d'asile se livre, en l'espèce, sur le fait qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un demandeur d'asile s'est rendu coupable d'un des agissements visés au F de l'article 1er de la Convention de Genève (clauses d'exclusion) (N° Lexbase : L6810BHP).

Classiquement, le juge de cassation se borne à contrôler l'erreur de droit ou la dénaturation des faits par les juges du fond, et s'interdit de se prononcer sur la qualification juridique en vertu, notamment, de ce que l'appréciation de la CNDA est souveraine. Le Conseil d'Etat ne cesse d'accroitre son contrôle et d'affiner l'office du juge de l'asile, certes, mais il en reste à l'erreur de droit et à la dénaturation. La première est sanctionnée en présence d'une utilisation erronée des critères pertinents de détermination du statut, par exemple et pour un contrôle déjà poussé, lorsque la Cour estime qu'un demandeur d'asile est complice d'un crime sans rechercher les conditions et circonstances (pressions extérieures, son jeune âge) dans lesquelles il a assisté à ce crime (CE 9° et 10° s-s-r., 7 avril 2010, n° 319840, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5670EUK). La seconde est censurée lorsque la Cour omet par exemple d'examiner des pièces du dossier ou en déforme la portée (CE, 16 octobre 2009, n° 311793 N° Lexbase : A2341EMN). Dans l'arrêt du 9 novembre 2016, le Conseil d'Etat critique l'appréciation (qui n'est donc plus véritablement souveraine) à laquelle s'est livrée la Cour en écartant les raisons sérieuses de penser que l'intéressé s'était rendu coupable d'agissements tombant sous le coup de l'article 1er A F de la Convention de Genève alors que les éléments du dossier et les éléments révélés à l'audience semblaient -pour le Conseil d'Etat- démontrer le contraire : "En jugeant, au vu de ces éléments, qu'il n'y avait pas de raisons sérieuses de penser que M. N. se serait rendu coupable, comme auteur ou complice, à titre personnel, d'un des agissements visés à l'article 1er F de la Convention de Genève de ces éléments, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique".

III - Sur le statut de réfugié

A - Le principe de l'unité familiale est toujours un critère d'éligibilité

  • CE 2° et 7° ch-r., 11 mai 2016, n° 385788, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7041RN4(cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4341EYG)

Dans un arrêt du 11 mai 2016, le Conseil d'Etat rappelle que le statut du réfugié peut être accordé sur le fondement d'un principe général du droit applicable aux réfugiés, et que la CNDA doit en examiner au besoin d'office l'application.

En 1994, dans l'arrêt "Mme Agyepong" (6), le Conseil d'Etat consacrait pour la première fois le principe d'unité familiale en matière de statut des réfugiés. La Convention de Genève ne s'appliquant qu'à la seule personne du réfugié, l'administration avait jusqu'alors toujours statué séparément sur les demandes de chaque conjoint. Très fréquemment, au regard des circonstances, si l'un était admissible au statut, l'autre aussi. En revanche, le cas du conjoint d'un réfugié n'étant pas ou ne risquant pas d'être persécuté individuellement, n'est pas prévu par les textes. Le Conseil d'Etat, saisi par l'épouse d'un réfugié qui s'était vue refuser le statut réclamé au nom de l'unité de la famille, a dû se prononcer sur l'applicabilité d'un tel principe. Faisant appel aux "Principes Généraux du Droit" applicable aux réfugiés, c'est-à-dire à une source non écrite, mais inspirée de la Convention de Genève, le juge administratif a estimé qu'en vue de la pleine protection prévue en faveur du réfugié, cette qualité devait être également reconnue aux membres de sa famille proche. La décision du Conseil d'Etat "Mme Agyepong" fondait ainsi le principe général du droit selon lequel "la qualité de réfugié doit être reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ainsi qu'aux enfants mineurs de ce réfugié".

Dans l'arrêt du 11 mai 2016, le Conseil d'Etat rappelle l'existence de ce critère d'éligibilité à part entière et précise qu'il appartient à la CNDA de l'examiner d'office. La Cour avait reconnu le statut de réfugié à l'époux mais n'avait accordé à l'épouse que le bénéfice de la protection subsidiaire. En statuant ainsi, sans rechercher si la reconnaissance du statut à l'un devait conduire à reconnaître le statut à l'autre et en omettant d'examiner si le conjoint pouvait se voir reconnaître la qualité de réfugié sur le fondement du PGD, la Cour a commis une erreur de droit.

B - Retrait pour fraude

  • CE 9° et 10° ch.-r., 28 novembre 2016, n° 389733, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3764SLY(cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5527E7T)

Si la jurisprudence française a consacré un critère d'éligibilité à part entière avec le PGD tiré du principe de l'unité familiale, elle a également isolé un critère de cessation que la Convention de Genève n'avait pas prévu, fondé sur la fraude et entraînant l'application du mécanisme de retrait des actes administratifs. Dans un arrêt du 28 novembre 2016, le Conseil d'Etat se prononce sur le retrait du statut pour fraude, dans le contexte d'un avis favorable du juge judiciaire pour procéder à l'extradition de l'intéressé, impliquant une articulation avec les clauses d'exclusion du statut.

Le retrait pour fraude est une pratique jurisprudentielle ancienne (7) désormais inscrite dans la loi à la suite de la réforme de juillet 2015 (8). La jurisprudence du Conseil d'Etat en avait toutefois déjà fixé des contours assez nets, refusant toute présomption de fraude et toute automaticité du retrait, et exigeant que la fraude eût une incidence déterminante sur la décision de reconnaissance du statut. Cette fraude peut résulter soit d'une action positive, comme la présentation de faux documents ou des déclarations mensongères, soit d'une omission portant sur une situation propre à remettre en cause l'admission au statut (comme un mariage, ou un séjour dans le pays d'origine). En l'espèce, le bénéficiaire du statut avait utilisé l'état civil et les éléments de biographie de son frère lors de sa demande de protection à laquelle l'OFPRA avait donné une suite favorable en 2012. L'Office, informé de ces éléments, avait pris une décision de retrait du statut en 2013, et la CNDA avait rétabli l'intéressé dans sa qualité de réfugié en 2015 estimant qu'en dépit de la fraude, l'intéressé devait encore être regardé comme pouvant conserver sa qualité de réfugié. Sur ce principe, le Conseil d'Etat confirme que l'appréciation de la CNDA est souveraine. De même, et alors que l'intéressé faisait l'objet d'un avis favorable du juge judiciaire quant à son extradition "sous réserve du retrait de sa qualité de réfugié" (faute de quoi, bien évidemment, on se heurterait frontalement à l'interdiction d'extrader un réfugié (9), la Cour pouvait, sans commettre d'erreur de droit puisqu'elle n'est pas liée par le juge judiciaire, considérer qu'il demeurait éligible à la protection. Mais, faisant application de la jurisprudence du 9 novembre 2016 (CE 9° et 10° ch.-r., 9 novembre 2016, n° 388830, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2510SG3), cf. supra) sur l'étendue du contrôle de cassation, le Conseil d'Etat sanctionne l'erreur de qualification juridique de la Cour et estime qu'en ne prenant pas la mesure "des critères de droit et de l'ensemble des pièces du dossier, notamment la concomitance du départ de M. B. de son pays d'origine avec l'engagement des poursuites criminelles à son encontre et les éléments rassemblés dans l'avis de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, la Cour nationale du droit d'asile n'a pas légalement justifié sa décision rétablissant M. B. dans sa qualité de réfugié". En l'espèce, ce n'est pas tant la fraude initiale que les poursuites diligentées par la Turquie à l'encontre de l'intéressé pour crime grave de droit commun (meurtre de sa belle-soeur) et fondant la demande d'extradition, qui font basculer l'intéressé dans les clauses d'exclusion du statut au sens des stipulations du b) du paragraphe F de l'article 1er de la Convention de Genève. Notons que la loi du 29 juillet 2015 a expressément prévu que l'autorité judiciaire communique désormais à l'OFPRA ou à la CNDA tout élément "de nature à faire suspecter" que la personne relève d'une clause d'exclusion (10) ou que sa demande d'asile ou de statut d'apatride revêt un caractère frauduleux (11).

IV - Compétence et office du juge de l'asile

A - Compétence de la CNDA pour toute décision relative à l'asile

La loi du 29 juillet 2015 a élargi la compétence de la CNDA, qui ne statuait jusqu'alors que sur les recours formés contre les décisions de l'OFPRA relatives à l'asile constitutionnel, à l'asile conventionnel et à la protection subsidiaire. Les nouvelles dispositions de l'article L. 731-2 (N° Lexbase : L9276K4C) lui donnent compétence pour statuer sur les décisions que l'OFPRA peut désormais prendre (décision d'irrecevabilité de la demande (12), demande de réexamen (13), refus ou retrait du statut (14)), et lui transfère la compétence pour statuer sur certaines décisions de l'OFPRA (refus d'enregistrement de la demande d'asile, rejet pour tardiveté) qui étaient jusqu'alors contestées devant le juge administratif de droit commun territorialement compétent (le tribunal administratif de Melun au regard du siège de l'OFPRA). Par trois arrêts du 23 décembre 2016, le Conseil d'Etat attribue le jugement à la CNDA.

  • CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 403976, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8806SXG) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" [LXB=E4237EYL])

La décision par laquelle l'OFPRA met fin au statut de réfugié relève désormais de la compétence de la CNDA.

  • CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 403975, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8805SXE(cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4237EYL)

La décision par laquelle l'OFPRA refuse d'enregistrer une demande d'asile au motif qu'elle a été introduite à la suite de manoeuvres frauduleuses relève de la compétence de la CNDA.

  • CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 403971, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3670SYL(cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" [LXB=E4237EYL])

La décision par laquelle l'OFPRA rejette une demande d'asile pour tardiveté relève de la compétence de la CNDA.

B - Office du juge de l'asile et mesures provisoires CEDH

  • CE 9° et 10° ch.-r., 9 novembre 2016, n° 392593, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2491SGD) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" [LXB=E4303EYZ])

La décision par laquelle la cour européenne des droits de l'Homme ordonne, sur le fondement des mesures provisoires d'urgence, de ne pas renvoyer un demandeur d'asile est sans incidence sur l'office du juge de l'asile, mais son respect s'impose, même lorsque la demande d'asile est définitivement rejetée, tant que la CEDH n'a pas statué au fond.

Des ressortissants russes d'origine tchétchène ont introduit un pourvoi en cassation contre la décision de la CNDA rejetant leur demande d'asile dans le cadre d'une demande de réexamen. Destinataires d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'une assignation à résidence à la suite du rejet définitif de leur demande d'asile initiale, ils avaient saisi la CEDH d'une demande de mesures provisoires sur le fondement de l'article 39 du Règlement de la Cour (15), à laquelle le juge désigné avait donné une suite favorable et demandé au Gouvernement français de ne pas renvoyer les requérants vers la Fédération de Russie pendant la durée de la procédure devant la Cour. Devant le Conseil d'Etat, les requérants faisaient notamment grief à l'arrêt de la CNDA de n'avoir pas rouvert l'instruction suite aux mesures ordonnées par la CEDH. Le Conseil d'Etat a rapidement écarté ce moyen dès lors que la CNDA avait rejeté la requête en dépit desdites mesures provisoires et qu'elle en avait donc nécessairement tenu compte, ne méconnaissant ainsi pas le principe du caractère contradictoire de la procédure (moyen qui ne peut en tout état de cause pas être soulevé au bénéfice de l'adversaire (16)). Les requérants reprochaient également à la CNDA d'avoir méconnu les règles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales relatives à un procès équitable (6 § 1) (N° Lexbase : L7558AIR), au droit à un recours effectif (article 13 N° Lexbase : L4746AQT) et à l'effectivité du droit au recours individuel devant la CEDH (article 34 N° Lexbase : L4769AQP). Le Conseil d'Etat a saisi l'occasion de rappeler (ce qu'il a rarement l'occasion de faire) que les moyens tirés de la méconnaissance de 6 § 1 de la Convention sont inopérants dès lors que le juge de l'asile ne statue "pas sur des contestations de caractère civil ni sur des accusations en matière pénale" (17). Il a ensuite écarté les moyens tirés de la violation des articles 13 et 34 de la Convention en précisant la portée des mesures provisoires adressées "au gouvernement" s'agissant de l'éloignement des étrangers. Il indique de manière très pédagogique qu'elle ne sont pas adressées à la CNDA et sont donc "sans incidence sur l'office du juge national statuant sur l'admission au bénéfice de la qualité de réfugié", mais bien adressées aux autorités préfectorales à qui il "incombe de s'abstenir de mettre à exécution les mesures décidées à ce titre" tant "que la Cour européenne des droits de l'Homme n'aura pas statué au fond sur le fondement de l'article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ou mis fin aux mesures provisoires". La CEDH s'est depuis prononcée au fond et a rejeté la requête (18).

V - Garanties procédurales

A - De la confidentialité

Un principe de confidentialité gouverne la procédure d'asile et comporte notamment une obligation de non divulgation qui pesait déjà sur l'OFPRA et a été formellement étendue à la CNDA par la loi du 29 juillet 2015 (19), impliquant que la collecte d'information nécessaire à l'examen d'une demande ou d'un recours "ne doit pas avoir pour effet de divulguer aux auteurs présumés de persécutions ou d'atteintes graves l'existence de cette demande d'asile ou d'informations la concernant". Par deux arrêts de février et juillet 2016, relatifs à des décisions prises antérieurement à la réforme législative, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de rappeler les principes gouvernant le respect de la confidentialité dans la procédure d'asile.

1 - Rupture de confidentialité justifiant un réexamen

  • CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 373529, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2028PLP) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4301EYX)

Dans un arrêt rendu le 10 février 2016, le Conseil d'Etat a énoncé que la transmission aux autorités du pays d'origine, après qu'une demande d'asile a été définitivement rejetée, d'informations relatives à l'existence ou au contenu de cette demande constitue un fait nouveau justifiant un nouvel examen de la demande d'asile. Venant surtout rappeler le principe fondamental de la garantie de confidentialité due aux demandeurs d'asile, il indique également que la rupture de confidentialité sur l'existence de la demande d'asile est un fait nouveau justifiant un réexamen de cette demande. Dans cet arrêt commenté au sein de cette revue (20), le Conseil d'Etat rappelle la valeur constitutionnelle du principe de confidentialité et la garantie particulièrement essentielle qu'il représente lorsque des informations sur une personne qui dit craindre une persécution dans son pays d'origine sont précisément communiquées à son pays d'origine. Toutefois, en l'espèce, ce n'est pas le juge de l'asile ou l'OFPRA qui a brisé la confidentialité, mais la préfecture, qui n'est a priori pas soumise aux mêmes règles.

2- Excès de confidentialité résultant en une erreur de droit

  • CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2016, n° 386797, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0077RYI(cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4201EYA)

Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat censure l'erreur de droit de la CNDA qui méconnait son office en refusant de demander la communication d'information relative à l'épouse d'un demandeur d'asile, alors même que l'OFPRA s'était appuyé "de manière déterminante" sur des éléments issus du dossier de ladite épouse pour prendre la décision attaquée. La Haute juridiction administrative précise que s'il "incombe à l'OFPRA de garantir la confidentialité des éléments d'information susceptibles de mettre en danger les personnes qui sollicitent l'asile ainsi que le respect de la vie privée ou du secret médical, aucune règle ni aucun principe ne font obstacle, de manière absolue, à ce qu'il se fonde, pour apprécier le bien-fondé d'une demande d'asile, sur des éléments issus du dossier d'un tiers".

B - Moyen d'ordre public et procédure d'asile

  • CE 2° et 7° s-s-r., 11 mai 2016, n° 390351, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7044RN9) (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E4301EYX)

La CNDA s'était fondée, pour rejeter la demande d'asile des intéressés (de nationalité russe), sur le fait qu'ils bénéficiaient d'une seconde nationalité (arménienne) et qu'ils n'établissaient pas ne pas pouvoir se prévaloir de la protection de la République d'Arménie. Or, l'OFPRA n'a jamais étudié leur demande au regard de cette seconde nationalité. Ainsi, la Cour a soulevé un moyen d'office, ce qu'elle a parfaitement le droit de faire, à condition d'en informer préalablement les parties, à peine d'irrégularité de la procédure. Ce principe bien connu de la procédure contentieuse administrative (21), et régulièrement pratiqué par la CNDA (22), a intégré les textes régissant la procédure devant la cour en 2013 (23). Le Conseil d'Etat censure pour la première fois la méconnaissance de cette obligation préalable des parties "lorsque la formation de jugement est susceptible de fonder sa décision sur un moyen soulevé d'office".


(1) Nos obs., La "réforme" du droit d'asile in Lexbase, éd. pub., n° 384, 2015 (N° Lexbase : N8741BUB).
(2) Du titre IV : "Droit au séjour des demandeurs d'asile" du Livre VII du CESEDA rebaptisé "Accès à la procédure et conditions d'accueil des demandeurs d'asile".
(3) CFDA, Analyse du projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile, avril 2015, 18 p..
(4) Arrêté du 23 octobre 2015, relatif au questionnaire de détection des vulnérabilités des demandeurs d'asile prévu à l'article L. 744-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L3589KPM).
(5) Qui ne disparait pas complètement et restera en vigueur "pour une durée déterminée" pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides.
(6) CE, Ass. 2 décembre 1994, n° 112842, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4039ASE), p. 523, concl. Denis-Linton, AJDA, 1994, p. 914 et p. 878, chron. Touvet et Stahl, RFDA, 1995, p. 86, concl. Denis-Linton.
(7) CE, 12 décembre 1986, n° 57214, 57789, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4850AML), p. 279.
(8) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-4 (N° Lexbase : L2529KDZ) : "[...] L'office peut également mettre fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque : [...] 2° La décision de reconnaissance de la qualité de réfugié a résulté d'une fraude [...]".
(9) CE, 1er avril 1988, n° 85234, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7654AP8), p. 135 ; principe étendu au bénéficiaire de la protection subsidiaire dans l'arrêt CE 2° et 7° ch.-r., 30 janvier 2017, n° 394172, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6988TA3).
(10) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 713-5 (N° Lexbase : L2534KD9).
(11) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-6 (N° Lexbase : L2531KD4).
(12) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-11 (N° Lexbase : L2561KD9).
(13) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-15 (N° Lexbase : L2555KDY) et L. 723-16 (N° Lexbase : L2556KDZ).
(14) Lorsqu'aux termes des dispositions de l'article L. 711-6 : "1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ; 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société".
(15) Voir CEDH, fiche thématique, Les mesures provisoires, janvier 2017, 13 p..
(16) CE, 15 mars 2000, n° 185837 (N° Lexbase : A0659AUX), T. pp. 1047-1161-1184.
(17) CE 10° et 9° s-s-r, 10 janvier 2001, n° 207159 (N° Lexbase : A2220AI3) ; CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2005, n° 254882 (N° Lexbase : A4973DLR).
(18) CEDH, 12 juillet 2016, Req. 68264/14 (N° Lexbase : A9901RWM).
(19) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-10 (N° Lexbase : L2547KDP) et L. 733-4 ([LXB=L6592KD]).
(20) Nos obs., Communication d'informations concernant un demandeur d'asile et accroissement du risque de persécution : un fait nouveau justifiant le réexamen de la demande, Lexbase, éd. pub., n° 408, 2016 (N° Lexbase : N1776BWP).
(21) CJA, art. R. 611-7 (N° Lexbase : L2017K9L).
(22) CNDA, 2 décembre 2009, "Omoruyi", n° 09006046.
(23) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 733-16 (N° Lexbase : L9464IXS), issu du décret n° 2013-751 du 16 août 2013, relatif à la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d'asile (N° Lexbase : L7246IXN).

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Licenciement

[Brèves] Propos dénigrant la politique tarifaire de la société devant la clientèle : de l'absence de volonté de nuire du salarié pour caractériser sa faute lourde

Réf. : Cass. soc., 8 février 2017, n° 15-21.064, FS-P+B (N° Lexbase : A2022TCU)

Lecture: 2 min

N6697BWX

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par Blanche Chaumet

Le 24 Février 2017

Ne caractérise pas l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise, l'arrêt qui retient que le salarié, sans se contenter de remplir son obligation contractuelle d'information, a tenu devant les clients de son employeur des propos contraires aux intérêts de celui-ci en remettant en question le bien fondé de sa politique tarifaire, que ce faisant il a fait preuve de déloyauté à l'égard de son employeur en le plaçant en situation de porte-à-faux vis-à-vis de plusieurs de ses clients sur l'un des éléments essentiels de la relation contractuelle à savoir le prix de la prestation, que compte tenu de son niveau de responsabilité (directeur d'agence) et de sa qualification (expert-comptable), l'auteur de ces propos dénigrant la politique tarifaire de la société devant la clientèle ne pouvait ignorer leur impact et leur caractère préjudiciable. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dan un arrêt rendu le 8 février 2017 (Cass. soc., 8 février 2017, n° 15-21.064, FS-P+B N° Lexbase : A2022TCU ; voir également sur l'intention de nuire Cass. soc., 22 octobre 2015, deux arrêts, n° 14-11.291 N° Lexbase : A0160NUH et n° 14-11.801 N° Lexbase : A0259NU7, FP-P+B).
En l'espèce, M. X a été engagé le 23 juin 1998 en qualité de chef de mission par la société Y. Au dernier état de la relation de travail, il occupait les fonctions de directeur d'agence. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et a été licencié pour faute lourde le 29 novembre 2005. La cour d'appel (CA Nîmes, trois arrêt dont un rendu le 6 septembre 2011, n° 10/01572 N° Lexbase : A4145H7N) ayant déclaré le licenciement fondé sur une faute lourde, le salarié s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 223-14 alinéas 1er et 4 (N° Lexbase : L5916AC4), devenu article L. 3141-26 du Code du travail (N° Lexbase : L6923K9B), en sa rédaction résultant de la décision n° 2015-523 du Conseil constitutionnel en date du 2 mars 2016 (Cons. const., décision n° 2015-523 QPC, du 2 mars 2016 N° Lexbase : A7973QDN). Elle précise qu'en se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à caractériser la volonté de nuire du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9192ESA).

newsid:456697

Notaires

[Brèves] Rachat de parts de SCP et délibération contestée en justice : absence de caractère effectif de la cession des parts

Réf. : Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-13.002, F-D (N° Lexbase : A2012TCI)

Lecture: 2 min

N6784BW8

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 23 Février 2017

Une délibération d'une assemblée générale d'une SCP décidant du rachat de parts sociales ne peut produire d'effets si elle contestée en justice ; dès lors le juge ne peut retenir la date de cette délibération pour décider qu'à partir de cette date, un notaire associé n'a plus vocation à percevoir les bénéfices dégagés par la SCP. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 février 2017 (Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 16-13.002, F-D N° Lexbase : A2012TCI). En l'espèce, Me X, notaire associé depuis le 11 décembre 1988 avec MM. Y et Z, au sein d'une SCP, a cessé toute activité à compter du 1 février 1997, puis fait valoir ses droits à la retraite le 16 septembre 2003, mais refusé de se retirer de la SCP. Par arrêté du Garde des Sceaux du 21 octobre 2008, devenu définitif depuis un arrêt du Conseil d'Etat du 12 février 2012, il a été déclaré démissionnaire d'office et ses associés ont engagé une action pour voir ordonner la cession forcée de ses parts. Les parties étant en désaccord sur la valeur de celles-ci, un expert a été désigné en référé. La cour d'appel de Rennes, sur renvoi après cassation (Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.983, FS-P+B N° Lexbase : A6441MY9) ayant rejeté sa demande de provision sur sa quote-part de bénéfices au titre des années 2010 à 2014, Me X a formé un pourvoi en cassation. Enonçant la solution précitée la Haute juridiction va censurer les juges du fond. En effet, pour fixer à la date du 15 mai 2015, la cession des parts sociales détenues par Me X, au sein de la SCP, et juger en conséquence qu'à partir de cette date, il n'avait plus vocation à percevoir les bénéfices dégagés par celle-ci, l'arrêt retient que, par délibération du 15 mai 2015, l'assemblée générale des associés a décidé du rachat des parts de Me X. Or, en statuant ainsi sans prendre en compte que la délibération était contestée en justice, ce dont il résultait que la cession des parts litigieuses n'était pas effectivement réalisée, la cour d'appel a violé les articles 28, 31 et 32 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 (N° Lexbase : L1983DY4).

newsid:456784

Pénal

[Brèves] Inconstitutionnalité du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes

Réf. : Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 (N° Lexbase : A7723TBN)

Lecture: 2 min

N6676BW8

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par June Perot

Le 14 Janvier 2018

L'article 421-2-5-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C), relatif au délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, issu de la loi du 3 juin 2016 (N° Lexbase : L4202K87), est contraire à la Constitution en ce qu'il porte une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Concernant le critère de nécessité, le Conseil a relevé que les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution. S'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité, il a relevé que les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes, pas plus qu'elles n'exigent pas la preuve que cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services. Tel est le sens de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 février 2017 (Cons. const., décision n° 2016-611 QPC, du 10 février 2017 N° Lexbase : A7723TBN). Le Conseil constitutionnel avait été saisi, le 7 décembre 2016, par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ce délit (Cass. crim., 29 novembre 2016, n° 16-90.024, FS-D N° Lexbase : A8297SNM). Le requérant faisait valoir que les dispositions contestées méconnaissaient la liberté de communication et d'opinion dès lors qu'elles réprimaient la seule consultation d'un service de communication au public en ligne sans que soit exigée concomitamment la preuve de ce que la personne est animée d'intentions illégales. Le Conseil conclut à l'inconstitutionnalité de l'article 421-2-5-2. Il indique par ailleurs que, si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation effectuée de "bonne foi", les travaux parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption alors même que l'incrimination instituée, ainsi qu'il vient d'être rappelé, ne requiert pas que l'auteur des faits soit animé d'une intention terroriste. Il en a déduit que les dispositions contestées faisaient peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations. Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet immédiatement et s'applique donc à toutes les instances non définitivement jugées (cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E5500EXY).

newsid:456676

Procédure

[Brèves] Courriers informant des sociétés de l'interprétation de la réglementation faite par l'administration et les invitant à s'y conformer : actes constituant des décisions susceptibles de recours

Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 7 février 2017, n° 395588, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2499TCK)

Lecture: 1 min

N6813BWA

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par Yann Le Foll

Le 26 Février 2017

Les courriers informant des sociétés de l'interprétation de la réglementation faite par l'administration et les invitant à s'y conformer sont des actes constituant des décisions susceptibles de recours. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 7 février 2017 (CE 4° et 5° ch.-r., 7 février 2017, n° 395588, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2499TCK, voir CE, 11 octobre 2012, n° 357193 N° Lexbase : A2714IU3). Les courriers litigieux des 23 août et 25 novembre 2013 ont eu pour objet d'informer les sociétés requérantes que, contrairement à ce qu'elles avaient cru pouvoir déduire d'un courrier du 28 avril 2011 adressé au Syndicat des casinos de France par le secrétaire d'Etat chargé de la Santé, les dispositions du Code de la santé publique et de l'arrêté du 14 mai 2007, relatif à la réglementation sur les jeux dans les casinos (N° Lexbase : L5865HXI), interdisent d'installer des machines à sous dans des espaces fumeurs. Ces courriers, par lesquels le ministre a fait connaître la portée qu'il fallait selon lui donner aux dispositions en cause et a invité les sociétés à se conformer à cette interprétation sous peine de sanctions prises au titre de ses pouvoirs de police spéciale des jeux, étaient, eu égard à leur caractère impératif, susceptibles de recours. Dès lors, en jugeant qu'il s'agissait d'un simple rappel de la réglementation applicable, pour en déduire que les conclusions à fin d'annulation étaient irrecevables comme dirigées contre des actes ne faisant pas grief et que les conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de décisions prises par le ministre de l'Intérieur reposaient sur des moyens inopérants, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les courriers litigieux et commis une erreur de droit.

newsid:456813

Procédure pénale

[Brèves] Motivation de la culpabilité et motivation de la peine : la Cour de cassation marque la distinction

Réf. : Cass. crim., 8 février 2017, trois arrêts, n° 15-86.914 (N° Lexbase : A4743TBB), n° 16-80.389 (N° Lexbase : A4744TBC) et n° 16-80.391 (N° Lexbase : A4745TBD), FS-P+B+I

Lecture: 2 min

N6666BWS

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par Aziber Seïd Algadi

Le 23 Février 2017

En cas de condamnation par la cour d'assises, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui l'ont convaincue de la culpabilité de l'accusé ; en l'absence d'autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu'ils prononcent dans les conditions définies à l'article 362 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9836I3P). Telle est la solution retenue par trois arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 8 février 2017 (Cass. crim., 8 février 2017, trois arrêts, n° 15-86.914 N° Lexbase : A4743TBB, n° 16-80.389 N° Lexbase : A4744TBC et n° 16-80.391 N° Lexbase : A4745TBD, FS-P+B+I ; cf., sur le contenu de la motivation en matière pénale, Cass. crim., 20 novembre 2013, n° 12-86.630, FS-P+B N° Lexbase : A0469KQG et, plus récemment, Cass. crim., 16 novembre 2016, n° 15-86.106, F-P+B N° Lexbase : A2440SI9). Dans les trois affaires, les énonciations de la feuille de motivation faisaient état, non pas de la déclaration de culpabilité, mais de la motivation de la peine. Ainsi, le premier arrêt (pourvoi n° 15-86.914) a retenu que "l'absence de remise en cause de l'accusé n'est pas apparue comme un gage de réadaptabilité" ; dans le deuxième arrêt (pourvoi n° 16-80.389), les juges d'appel ont relevé que "la gravité des faits, au cours desquels les accusés n'ont pas hésité à exercer des violences graves sur des victimes âgées, les antécédents judiciaires des accusés et leur positionnement consistant à nier les évidences à l'audience, ce qui est de pronostic très défavorable pour l'avenir, justifient le prononcé de peines fermes significatives, étant relevé que M. Jean X se trouve en état de récidive légale". Enfin, dans le dernier arrêt (pourvoi n° 16-80.391), la juridiction de second degré a estimé que "la dangerosité de Joël X, en totale inadéquation avec les problèmes de voisinage qu'il invoque, les conséquences irréversibles de cet incendie dans lequel une jeune fille de vingt-six ans a trouvé la mort, et le peu d'introspection et de compassion manifestées par l'accusé plus de cinq ans après les faits justifient le prononcé d'une peine d'enfermement d'une durée très significative". La Haute juridiction censure, sous le visa des articles 365-1 (N° Lexbase : L9537IQB) et 591 (N° Lexbase : L3975AZA) du Code de procédure pénale, les décisions ainsi rendues car contrevenant au principe ci-dessus énoncé (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E2228EU3).

newsid:456666

Procédures fiscales

[Brèves] Détermination de l'interprétation administrative invocable : date du fait générateur de la plus-value résultant d'une cession de titres ou de droits

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 10 février 2017, n° 386221, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9956TMP)

Lecture: 2 min

N6763BWE

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par Jules Bellaiche

Le 28 Février 2017

Lorsque sont contestées, sur le fondement d'une interprétation plus favorable de l'administration, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu frappant la plus-value résultant d'une cession de titres ou de droits, il convient de se placer, pour déterminer l'interprétation invocable, à la date du fait générateur de cette plus-value, c'est-à-dire à la date à laquelle est intervenue la cession, et non pas au 31 décembre de l'année d'imposition, date du fait générateur de l'impôt sur le revenu. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 10 février 2017 (CE 9° et 10° ch.-r., 10 février 2017, n° 386221, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9956TMP). En l'espèce, le requérant, exerçant la profession d'avocat, a mis son fonds libéral en location-gérance à compter de janvier 2001 au profit d'une SELARL dont il était le gérant et l'associé majoritaire puis a cédé ce fonds à cette SELARL le 1er avril 2006, recherchant le bénéfice de l'exonération des plus-values professionnelles prévue par le VII de l'article 238 quindecies du CGI (N° Lexbase : L1921KGA) en faveur de la transmission d'activités ayant fait l'objet d'un contrat de location-gérance. Pour la Haute juridiction, selon le principe dégagé, afin d'apprécier si ce requérant pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), d'une réponse ministérielle faite le 31 janvier 2006, il convenait de se placer à la date du fait générateur de la plus-value litigieuse, soit le 1er avril 2006, date de la cession à la SELARL du fonds ayant fait l'objet du contrat de location-gérance. Ainsi, en jugeant qu'il convenait de se placer à la date du 31 décembre 2006 pour apprécier l'invocabilité de cette réponse, qui devait être regardée comme ayant été rapportée, à cette date, par la réponse ministérielle faite à M. Roques, député, le 24 octobre 2006 (QE n° 93895 de M. Roques Serge, JOANQ, 9 mai 2006, p. 4839, min. éco., réponse publ. 24 octobre 2006, p. 11063, 12e législature N° Lexbase : L0237HTX), la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit (CAA Douai, 1er octobre 2014, n° 13DA00481) .

newsid:456763

Responsabilité

[Jurisprudence] Responsabilité du fait des produits défectueux : une responsabilité à géométrie variable

Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 16-11.726, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4925S48)

Lecture: 31 min

N6723BWW

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par Louis Thibierge, Maître de conférences à l'Université Paris Ouest, Membre du CEDCACE

Le 24 Février 2017

Les relations entre responsabilité générale et responsabilités spéciales ne sont pas d'une éclatante limpidité. Les relations entre responsabilités spéciales atteignent quant à elles un degré de complexité inégalé, et pour tout dire peu souhaitable (1). Le contentieux des produits défectueux en fournit un exemple topique.

Comment, d'une part, combiner le droit commun de la responsabilité et le droit spécial issu de la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT) ? Le premier ne distingue ni entre les choses par lesquelles le dommage est arrivé, ni entre celles qui en souffrent. Il retient la responsabilité tant du vendeur que du producteur, sur un fondement purement objectif : l'obligation de sécurité. Le second canalise la responsabilité autour du producteur, et opère de subtiles dichotomies quant à l'usage ou la destination du produit ou de la chose endommagée. Ajoutons que, depuis 2009, la Cour de justice de l'Union européenne autorise le législateur ou le juge à prévoir, en matière de choses à usage professionnel, une réglementation particulière, ces dommages ne relevant pas du champ de la Directive.

Comment, d'autre part, articuler la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux et la responsabilité, tout aussi spéciale, du fait de la garantie des vices cachés, propre au droit de la vente ? Lorsque le vice affectant le produit vendu, au sens de l'article 1641 du Code civil (N° Lexbase : L1743AB8), est également constitutif d'un défaut de sécurité au sens de la Directive, un texte doit-il primer l'autre ? Une responsabilité prend-elle le pas sur l'autre ? Au contraire, la victime dispose-t-elle d'une option en faveur du régime le plus favorable ?

Autant de questions complexes... qui ne suscitent souvent que des réponses sibyllines de la Haute juridiction. L'arrêt rendu le 11 janvier 2017 par la première chambre civile en fournit l'illustration.

Les faits de l'espèce étaient les suivants. Diverses sociétés du groupe X acquièrent auprès de la société S. trois semi-remorques. Ceux-ci sont équipés d'essieux commercialisés par la société F. et portant sa marque, mais fabriqués par la société Y. Les 6 octobre 2004, 6 août 2005 et 6 avril 2006, les trois semi-remorques prennent feu. Une expertise impute l'incendie à l'échauffement du dispositif de freinage de l'essieu avant-droit, qui a provoqué la liquéfaction de la graisse de roulement puis l'éclatement du pneu, et ce compte tenu d'un défaut d'étanchéité dans le corps de l'essieu.

L'acquéreur assigne en responsabilité et indemnisation la société S., vendeur des camions, la société F., vendeur des essieux, et Y, fabricant desdits essieux défectueux. Il demandait réparation de son préjudice, tenant dans la destruction des camions et de la marchandise transportée, le coût du dépannage et de l'immobilisation. Les trois défenderesses furent tour à tour placées en liquidation judiciaire.

Le 8 décembre 2010, le tribunal de commerce de Romans condamne, in solidum, les trois défenderesses. Le jugement est infirmé par la cour d'appel de Grenoble le 3 décembre 2015. Celle-ci met hors de cause les vendeurs des camions (société S.) et des essieux (société F.), retenant la seule responsabilité du fabricant des essieux (société Y.). Pour les juges du fond, "il est ainsi justifié du caractère défectueux de chacun de ces essieux au sens de l'article 1386 [sic] du Code civil permettant de retenir la seule responsabilité de la société Y en sa qualité de fabricant de ces essieux, produit défectueux à l'origine de l'entier sinistre et dès lors de mettre hors de cause les autres sociétés soit S. et F., la défectuosité à l'origine des sinistres en cause ne leur étant pas imputable".

Pourvoi fut alors formé par les acquéreurs, estimant la mise hors de cause des vendeurs infondée. Le pourvoi comportait trois moyens. Seul le premier retiendra notre attention.

La première branche du pourvoi reprochait aux juges du fond d'avoir appliqué à tort les articles 1386-1 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1494ABX). La majeure du syllogisme était la suivante : la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la Directive. La mineure avançait que les produits défectueux étaient les semi-remorques vendus par la société S. et équipés des essieux de la marque F.. Le pourvoi en déduisait que la Directive de 1985 était inapplicable. Partant, en retenant la responsabilité exclusive du fabricant des essieux, sur le fondement de la Directive de 1985, transposée aux articles 1386-1 et suivants du Code civil, la cour d'appel aurait violé ces textes par fausse application.

La deuxième branche du pourvoi alléguait que la cour d'appel aurait dû rechercher si la société S., venderesse des camions, n'avait pas engagé sa responsabilité au titre d'un manquement à son obligation de sécurité, la Directive de 1985 étant inapplicable du fait de l'usage professionnel des semi-remorques vendus.

La troisième branche déclinait le même argument que la précédente, mais l'appliquait à la société F., venderesse des essieux.

Enfin, la quatrième branche reprochait aux juges du fond de n'avoir pas recherché si les venderesses des camions et des essieux n'auraient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés, en application de l'article 1641 du Code civil.

Ces arguments rencontreront un bonheur variable. Les trois premières branches du pourvoi sont écartées par la Cour de cassation, qui retient en substance que la Directive du 25 juillet 1985 était applicable, ce qui justifiait la responsabilité exclusive du producteur des essieux défectueux et, partant, la mise hors de cause des venderesses des essieux et des camions qui en étaient équipés.

Pour la Cour, si la Directive est inapplicable à la réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel, elle s'applique en revanche "au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de l'usage de ce produit".

Quant à la dernière branche du moyen, elle se voit couronnée de succès, la Cour de cassation censurant l'arrêt pour défaut de base légale, reprochant aux juges du fond de n'avoir pas vérifié si "les sociétés S. et F., en leur qualité de vendeurs, n'avaient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés".

En somme, la responsabilité des vendeurs des essieux et des camions se voit écartée sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux, mais recherchée sur celui de la garantie des vices cachés.

L'arrêt apporte un certain nombre d'éclaircissements sur la responsabilité du fait des produits défectueux (I) et la garantie des vices cachés (II).

I - La responsabilité du fait des produits défectueux

Jugeant la responsabilité du fait des produits défectueux applicable au cas d'espèce, la Cour de cassation en déduit deux conséquences : d'une part, elle met hors de cause les vendeurs (A) ; d'autre part, elle met en cause le producteur (B).

A - La mise hors de cause des vendeurs

Les sociétés S. et F. voient leur mise hors de cause confirmée par la Cour de cassation. Cette mise hors de cause peut sembler surprenante ou logique, selon que l'on estime la Directive du 25 juillet 1985 inapplicable au présent litige, ou au contraire applicable.

1) Inapplicabilité de la Directive : une mise hors de cause injustifiée

L'applicabilité de la Directive du 25 juillet 1985, telle que transposée aux articles 1386-1 et suivants du Code civil (2), était incertaine.

En effet, l'incendie causé par l'échauffement des essieux défectueux avait entraîné la destruction des semi-remorques et de leur cargaison. Or, comme l'énonce l'article 9 de la Directive, le dommage réparable ne s'entend que du "dommage causé à une chose ou la destruction d'une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d'une franchise de 500 Ecus, à condition que cette chose : i) soit d'un type normalement destiné à l'usage ou à la consommation privés et ii) ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés". Dit autrement, la Directive ne permet pas la réparation du dommage causé à une chose destinée à un usage professionnel. Eu égard au caractère professionnel de l'usage des camions, la Directive de 1985 ne paraissait pas applicable.

C'est du reste ce que rappelle la Cour de cassation, se référant expressément à l'arrêt "Leroy Somer" rendu le 4 juin 2009 (CJCE, 4 juin 2009, aff. C-285/08 N° Lexbase : A9623EHU) par la CJCE (3) : "la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la Directive".

Dont acte. Si la Directive est inapplicable en raison du caractère professionnel de l'usage des camions endommagés, il faut alors se tourner vers le droit commun. En effet, l'arrêt "Leroy Somer" a expressément réservé la possibilité pour le législateur -ou le juge- national de permettre la "réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée à cet usage, dès lors que la victime rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et ce dommage". On notera que la formule n'exige nullement la démonstration d'une faute indépendante du défaut de sécurité.

Partant, à supposer la Directive inapplicable au cas d'espèce, il était loisible au juge d'autoriser l'acquéreur des camions à engager la responsabilité des sociétés S. et F., venderesses respectivement des semi-remorques et des essieux, dès lors qu'était rapportée la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité. D'aucuns l'avaient suggéré : "le droit interne demeure compétent pour régir la réparation des dommages affectant des biens à usage professionnel, et donc [...] la responsabilité des fournisseurs peut continuer d'être recherchée sur le terrain du droit commun : délivré du carcan de la Directive, puisque la réparation de ce type de dommages reste en dehors de son champ d'application, le régime jurisprudentiel français de responsabilité du fait des produits défectueux reposant sur l'obligation de sécurité peut donc pleinement s'appliquer" (4).

C'est bien la piste que suggérait le pourvoi, reprochant aux juges du fond de n'avoir pas recherché si, "indépendamment des articles 1386-1 et suivants du Code civil, [chacune des venderesses] n'avait pas engagé sa responsabilité sur le fondement du manquement à son obligation de sécurité".

L'argument ne manque pas de sens. Si, dans la lignée de l'arrêt "Leroy Somer", on estime que le droit national conserve une compétence pour définir les règles régissant la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel, on ne voit guère ce qui conduirait à exclure le fondement du manquement à l'obligation de sécurité. Si l'on sait ce fondement exclu lorsque la Directive est applicable (5), tel n'est pas le cas lorsque la même Directive est inapplicable. Le droit commun recouvre sa pleine liberté : "la raison d'imposer une interprétation uniforme de la Directive cesse lorsque le dommage causé est hors champ de son application" (6).

Partant, si la Directive était effectivement inapplicable aux faits de l'espèce en raison du caractère professionnel de l'usage des semi-remorques endommagés, alors oui, la cour d'appel aurait dû vérifier si la responsabilité des vendeurs des semi-remorques et des essieux n'était pas engagée du seul fait de leur manquement à leur obligation de sécurité.

2) Applicabilité de la Directive : une mise hors de cause justifiée

Le pourvoi est néanmoins rejeté sur ce plan. La Cour de cassation estime que les juges grenoblois n'étaient pas "tenu[s] de procéder aux recherches visées par les deuxième et troisième branches, que ses constatations rendaient inopérantes". Mais qu'est-ce à dire ?

Tout simplement que le litige s'inscrivait dans le champ d'application de la Directive du 25 juillet 1985, telle que transposée aux articles 1386-1 et suivants anciens. Comme l'affirme la Cour de cassation, "la Directive s'applique, en revanche, au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de l'usage de ce produit". Nous reviendrons dans un instant sur les raisons de cette assertion qui, pour l'heure, peut surprendre par son caractère général, voire péremptoire. Considérons-la, à ce stade, comme un postulat.

A supposer la Directive de 1985 applicable au cas d'espèce, la mise hors de cause des venderesses s'explique par la logique de subsidiarité. En effet, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux focalise l'action sur le producteur. Si la France avait initialement tenté d'aligner le statut du fournisseur sur celui du producteur, cela lui a valu une condamnation des autorités européennes. Désormais, la solution ne fait guère de doute. L'article 1386-7 ancien (N° Lexbase : L9247GUZ), repris à l'article 1245-6 (N° Lexbase : L0626KZ9) nouveau, prévoit que "si le producteur ne peut être identifié, le vendeur [...] ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du défaut de sécurité". En l'espèce, le producteur était parfaitement identifié : il s'agissait de la société Y, qui avait fabriqué les essieux défectueux. Il n'était donc pas possible d'engager la responsabilité des venderesses, dès lors que le producteur était identifié, et donc responsable de plein droit.

Deux observations toutefois : tout d'abord, le producteur avait été placé en liquidation judiciaire, ce qui n'était pas de nature à favoriser l'indemnisation des acquéreurs. On touche du doigt une limite du système : face à un producteur insolvable, la victime ne peut se tourner vers le vendeur. Ensuite, on peut s'interroger sur le statut de la société F.. Certes, elle n'avait pas produit les essieux, se bornant à les vendre, mais il est précisé que les essieux "porta[ient] sa marque". Or, l'article 1386-6 ancien (N° Lexbase : L1499AB7), devenu 1245-5 nouveau (N° Lexbase : L0625KZ8), assimile au producteur "toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif" (nous soulignons). Etait-il alors justifié de la traiter exclusivement comme venderesse ?

En somme, la mise hors de cause des sociétés S. et F., venderesses des semi-remorques et des essieux, paraît ambivalente. Si l'on estime devoir se placer hors du champ d'application de la Directive européenne, rien ne justifie que les venderesses ne voient pas leur responsabilité engagée sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité. A rebours, si l'on estime la Directive applicable, nonobstant l'utilisation professionnelle des choses endommagées, alors il paraît cohérent d'exclure leur responsabilité, le producteur étant identifié. Reste que l'applicabilité de la Directive n'est pas sans susciter de débats, comme le révèle avec acuité la mise en cause du producteur.

B - La mise en cause du producteur

La responsabilité de la société Y, ès-qualité de producteur des essieux défectueux, peut-elle être engagée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants anciens ? La question est épineuse, et la réponse donnée sibylline : pour la Cour, si "la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la Directive", celle-ci s'applique "en revanche, au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit la destination, privée ou professionnelle, de l'usage du produit". Les deux propositions peuvent sembler difficiles à concilier, et la solution finale s'explique en bonne part par les carences du pourvoi.

Eprouvons-les tour à tour, en allant de l'indifférence de l'utilisation professionnelle du produit défectueux à l'incidence de l'utilisation professionnelle de la chose objet du dommage.

1) L'indifférence de l'utilisation professionnelle du produit défectueux

En 2016, la Cour de cassation a commis une singulière "erreur de plume" (7). Par un arrêt du 17 mars, elle affirmait "si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux qui ne sont pas destinés à l'usage professionnel ni utilisés pour cet usage n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, telles la garantie des vices cachés ou la faute" (nous soulignons) (8).

La confusion est patente. La Cour a opéré un regrettable glissement, trahissant sans doute involontairement la jurisprudence de la CJUE qu'elle entendait justement faire appliquer. Qu'on en juge : la CJUE considère que la Directive ne régit pas la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel. La Cour de cassation, à l'inverse, exclut du champ de la Directive les produits défectueux destinés à l'usage professionnel.

La différence est flagrante : la CJUE parle de la chose qui subit le dommage, la Cour de cassation de celle qui le cause, celle qu'on appelle produit défectueux. La position adoptée en 2016 par la Cour de cassation n'a guère de sens. Elle conduit à permettre l'application du droit commun -en ce compris l'obligation de sécurité- dès lors que l'on est hors du champ (mal) supposé de la Directive européenne, i.e. lorsque le produit qui a causé le dommage est à usage professionnel.

Or, la Directive européenne n'est pas en ce sens. Elle ne distingue pas selon l'utilisation professionnelle ou non du produit défectueux. Seule est exclue par l'article 9 la réparation du dommage causé à une chose non destinée à l'usage professionnel.

Le pourvoi marche dans les brisées de l'arrêt du 17 mars 2016. Habile, il entretient la confusion, exposant dans les trois premières branches qu'il "ressort des propres constations de l'arrêt que les produits défectueux étaient les semi-remorques [...] et, partant, étaient des choses destinées à un usage ne relevant pas de la Directive".

Rien n'est moins exact. Les "produits défectueux", ce ne sont pas les semi-remorques, mais les essieux produits par la société Y. Les semi-remorques sont, non pas l'instrument, mais l'objet du dommage. Dès lors, il devient indifférent de distinguer suivant que le produit défectueux est destiné ou non à un usage professionnel.

C'est pourquoi la Cour affirme que la Directive s'applique "au producteur d'un produit affecté d'un défaut, quelle que soit l'utilisation, privée ou professionnelle, de l'usage de ce produit".

La formule a le mérite de rompre avec l'ambiguïté générée par l'arrêt du 17 mars 2016. Sa généralité doit néanmoins être bornée par la combinaison avec un deuxième facteur : l'utilisation professionnelle de la chose objet du dommage.

2) L'incidence de l'utilisation professionnelle de la chose objet du dommage

Une fois rétablie l'orthodoxie sémantique, quid de l'orthodoxie juridique ? Il n'est pas certain qu'elle sorte grandie de cet arrêt. Pas davantage que l'objectif d'accessibilité du droit.

Pourquoi le pourvoi est-il rejeté ? Parce que la Directive de 1985 est jugée applicable au présent litige, ce qui justifie la mise hors de cause des vendeurs, le producteur attirant à lui l'intégralité de la responsabilité.

L'arrêt d'appel n'avait pas accordé une ligne à la question de l'applicabilité de la Directive. La question ne point qu'à l'occasion du pourvoi : la Directive ne devait-elle pas être écartée, eu égard au caractère professionnel de l'usage des semi-remorques équipés des essieux Y ? C'est ce que soutenait la première branche : la cour d'appel aurait "violé, par fausse application, les articles 1386-1 et suivants du Code civil".

La réponse qui y est donnée est plus qu'ambiguë.

D'abord, parce que la CJUE a laissé au législateur français, ou au juge français, une autonomie considérable en la matière. Il résulte de l'arrêt "Leroy Somer" que l'atteinte à un bien à usage professionnel, comme les semi-remorques en l'espèce, peut être réparée par le truchement du droit commun français, sans connaître ni les limitations du droit spécial (franchise de 500 euros, délai de prescription, excuse de développement...), ni de restriction quant au fondement retenu, ce qui permet notamment d'envisager une responsabilité pour manquement à l'obligation de sécurité. De fait, quand bien même la Cour de cassation aurait considéré que la Directive de 1985 était inapplicable au présent litige, eu égard au caractère professionnel de l'usage des biens endommagés, la réparation n'en aurait pas moins été possible, sur le fondement du droit commun.

Ensuite, la solution rendue par la Cour de cassation a tout du miroir aux alouettes.

Oui, affirme-t-elle avec emphase, la responsabilité du producteur peut être poursuivie, du seul fait qu'il a produit un produit défectueux (on appréciera l'aspect circulaire, sinon tautologique de l'incise "la Directive s'applique au producteur d'un produit défectueux", nonobstant l'usage dudit produit.

Mais quid de l'utilisation des biens endommagés ? En l'espèce, la seule réparation sollicitée par les acquéreurs portait sur les semi-remorques et la marchandise perdue. A n'en pas douter, des biens à utilisation professionnelle. De fait, la réparation ne pouvait être accordée sur le fondement de la Directive du 25 juillet 1985.

Ne donne-t-on pas d'une main ce qu'on reprend de l'autre ? Quel sens y a-t-il à reconnaître l'applicabilité de la Directive, parce que l'on n'a cure de l'usage du produit défectueux, pour laisser aux juges du fond le soin de dire que l'action est vaine, eu égard à l'usage professionnel de la chose objet du dommage ? Plutôt que d'asséner que "la même Directive est en revanche applicable [...]", n'aurait-il pas été préférable que la Cour évoque, non pas la Directive, mais les articles 1386-1 et suivants ? De fait, seul le truchement de l'article 1386-2 du Code civil (N° Lexbase : L1495ABY) permet ici l'indemnisation par le producteur, au prix d'une nette contradiction portée à la Directive (9).

Certes, on pourra objecter que, sur un plan processuel, la solution s'explique par le fait que "la cour d'appel n'était pas saisie d'un moyen fondé sur le caractère professionnel de l'usage auquel étaient destinés les véhicules et marchandises endommagés". Ce serait donc la carence des demandeurs qui expliquerait la solution.

On peine cependant à voir ce qui justifie ce mouvement de ciseaux, cette fausse ouverture. A plus forte raison lorsque l'on sait que c'est le choix du fondement des articles 1386-1 et suivants anciens qui commande la mise hors de cause des venderesses. Au final, l'acquéreur se trouve privé de recours contre les venderesses, parce que la Directive est jugée applicable, mais il devrait être privé d'indemnisation effective contre le producteur sur le fondement de la même Directive, parce que le siège du dommage en excède le champ d'application. Procuste n'est pas loin (10) !

II - La garantie des vices cachés

Le demandeur, cette fois plus prévoyant, avait toutefois songé à un fondement alternatif : celui de l'article 1641 du Code civil. Bien lui en prit, puisque la Haute juridiction reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché "si les sociétés S. et F., en leur qualité de vendeurs, n'avaient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés". En d'autres termes, la responsabilité spéciale du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application concurrente de la responsabilité, tout aussi spéciale, afférente à la garantie des vices cachés, propre au droit de la vente. En l'espèce, c'est la responsabilité du vendeur non-producteur qui est recherchée (A). Les demandeurs auraient également pu engager la responsabilité du vendeur producteur sur le même fondement (B).

A - La responsabilité du vendeur non-producteur

L'arrêt reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché si les sociétés S. et F., en qualité de vendeurs, n'auraient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés. La première avait vendu les camions, la seconde les essieux les équipant. Elles n'étaient donc pas producteurs au sens de la Directive, mais fournisseurs. En cette qualité, elles ne pouvaient voir leur responsabilité engagée sans faute. De fait, la CJCE a considéré dans son arrêt "Skov" que "la Directive doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une règle nationale selon laquelle le fournisseur répond, au-delà des cas limitativement énumérés à son article 3, paragraphe 3, de la responsabilité sans faute que cette Directive institue et impute au producteur". Certains en déduisaient une "véritable immunité" (11) du fournisseur professionnel non-fabricant.

D'immunité, il n'est pas ici question. Plus modestement, il faut considérer que la responsabilité du vendeur non-producteur ne saurait être retenue sur le fondement de l'obligation de sécurité, mais peut être engagée sur le fondement de la faute ou de la garantie des vices cachés.

1) Exclusion de l'obligation de sécurité

Le pourvoi soutenait que la responsabilité des vendeurs pouvait, nonobstant les articles 1386-1 et suivants anciens du Code civil, être engagée sur le fondement du manquement à leur obligation de sécurité. La Cour de cassation repousse sèchement l'argument, estimant que la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à cette recherche. Implicitement, elle juge que la responsabilité des vendeurs ne pouvait être engagée sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité.

Ce reflux du droit commun n'est pas une simple reprise de la jurisprudence "Gonzales Sanchez" (CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00 N° Lexbase : A5768AYB), laquelle juge que l'article 13 de la Directive "n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute". A contrario, l'action ne pourrait être engagée sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité, qui ne diffère pas du fondement retenu par la Directive. Cette solution, adoptée par la Cour de cassation en 2010, a récemment été confirmée, à la faveur d'un arrêt du 17 mars 2016 : "si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux [...] n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou délictuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit, telles la garantie des vices cachés ou la faute" (12). Partant, si la Cour estime, dans l'arrêt commenté, que la Directive est applicable, alors elle exclut logiquement tout raisonnement fondé sur le manquement des venderesses à leur obligation de sécurité.

La jurisprudence "Gonzales Sanchez" a peu à voir avec le cas d'espèce. En effet, elle a trait à la responsabilité du producteur, et exclut -pour lui seul- le recours au droit commun de la responsabilité.

En réalité, il faut voir dans l'arrêt étudié une application, non de la jurisprudence "Gonzales Sanchez", mais de la jurisprudence "Skov" de 2006. Est ici en cause la responsabilité, non du producteur, mais des vendeurs. Or, comme l'expose un auteur, "on avait pu se demander si le fournisseur qui, lorsque le producteur est connu, ne peut être déclaré responsable de plein droit sur le fondement de la Directive, ne pourra cependant se voir appliquer le droit commun de la responsabilité contractuelle, y compris l'obligation de sécurité de résultat" (13). Et de fait : dans son arrêt "Skov", la Cour de Luxembourg estime que la Directive "s'oppose à une règle nationale selon laquelle le fournisseur répond, au-delà des cas limitativement énumérés à l'article 3, § 3 de la Directive, de la responsabilité sans faute que la Directive institue et impute au producteur" (14).

En somme, l'arrêt "Skov" consacre une règle simple, dictée par différentes considérations. La règle est la suivante : la responsabilité du fournisseur, lorsqu'il n'est pas producteur, ne peut pas être étendue au-delà des cas limitativement énumérés par la Directive. Elle ne peut être engagée sans faute que lorsque le producteur ne peut être identifié.

Pourquoi cette règle ? Deux raisons la sous-tendent. D'abord, le choix politique de canaliser la responsabilité sur le producteur. Le fournisseur n'a qu'un rôle subsidiaire. Ensuite, la crainte qu'une extension de la responsabilité des fournisseurs n'entraîne une hausse significative du coût assurantiel, répercuté sur les consommateurs, et une prolifération des recours (15).

De fait, lorsque la Directive est applicable, on opère un alignement du statut des fournisseurs sur celui des producteurs. Leur responsabilité sans faute ne peut être étendue au-delà de ce que prévoit la Directive.

Cette solution ne s'impose pas avec la force de l'évidence. On pourrait, au contraire, estimer que, dès lors que les fournisseurs ne sont pas visés par la Directive (hormis en tant que garants d'un producteur non-identifié), la Directive n'a pas vocation à régir leur responsabilité. En d'autres termes, hors de son champ d'application, la Directive n'a plus aucune compétence. Elle ne pourrait donc empêcher qu'un Etat membre organise "un régime de responsabilité pour les personnes non visées par la Directive, fût-ce pour des dommages liés à la défectuosité d'un produit, surtout s'il existait déjà avant la Directive" (16). De fait, les fournisseurs pourraient être soumis au droit commun, sans aucune restriction. A ce titre, on pourrait songer que "lorsque le défaut du produit affecte des biens à usage professionnel, la responsabilité du fournisseur [peut] alors certainement continuer d'être engagée sur le terrain du droit commun pour manquement à son obligation de sécurité de résultat" (17).

Telle n'est pourtant pas la vue consacrée. Parce qu'il serait "artificiel de vouloir cantonner à la responsabilité des producteurs l'interdiction communautaire de maintien d'un régime de droit commun, alors que c'est manifestement la responsabilité du fait des produits défectueux en son entier que la Directive a entendu régir, y compris celle des fournisseurs en refusant de leur appliquer la responsabilité sans faute pesant sur les producteurs" (18), il faut accorder, non pas une véritable "immunité" aux fournisseurs (19), mais interdire d'engager leur responsabilité sans faute.

Si l'on s'inscrit dans ces brisées, qui ne dénient pas à la Directive une certaine vocation hégémonique, il est logique que la Cour, dans l'arrêt étudié, écarte l'argument fondé sur la responsabilité des vendeurs pour manquement à leur obligation de sécurité.

2) Responsabilité pour faute et responsabilité du fait de la garantie des vices cachés

La faute écartée. L'arrêt "Skov" avait laissé subsister la responsabilité pour faute. On aurait pu assimiler la fourniture d'un produit présentant un vice, a fortiori un défaut de sécurité, à une faute contractuelle. Après tout, le vendeur professionnel étant réputé connaître les vices de sa chose, ne commet-il pas une faute en la vendant sans en informer son acquéreur ? La solution peut paraître tentante, mais doit être fermement rejetée. En effet, voir une faute dans le seul fait de vendre un produit défectueux revient à faire peser une responsabilité objective sur le fournisseur (20). Or, cette hypothèse paraît exclue par la Cour de Luxembourg. Ce rejet est d'autant plus net sous la plume de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 26 mai 2010 (Cass. com., 26 mai 2010, n° 08-18.545, FS-P+B N° Lexbase : A7205EX7), elle affirmait que "le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux exclut l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à l'exception de la responsabilité pour faute et de la garantie des vices cachés ; qu'ayant relevé, d'abord, que la société E. n'était que le fournisseur du matériel litigieux et non son fabricant, puis, que la société A. et la société F. connaissaient l'identité du producteur, et enfin, que celles-ci n'établissaient aucune faute distincte du défaut de sécurité du produit, la cour d'appel en a exactement déduit, sans dénaturer les conclusions qui lui étaient soumises, que l'action en responsabilité délictuelle fondée sur l'article 1382 du Code civil était irrecevable à l'encontre de la société E. par application des articles 1386-1 et suivants du Code civil" (nous soulignons). En d'autres termes, lorsque la faute alléguée se confond avec le défaut de sécurité, l'action dirigée contre le fournisseur est irrecevable.

Les vices cachés consacrés. L'arrêt reproche aux juges du fond de n'avoir pas vérifié si les sociétés S. et F., en leur qualité de vendeurs professionnels, n'avaient pas engagé leur responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés.

D'emblée, on peut être surpris.

D'abord, par le vocable. La Cour de cassation emploie une formule alambiquée, qui laisse entendre une certaine gêne : "la responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés". Mais, à la réflexion, de quoi s'agit-il ? D'une responsabilité ? D'une garantie ? Elle ne peut être l'une et l'autre. La jurisprudence est du reste très claire en la matière : "le vice caché, lequel se définit comme un défaut rendant la chose impropre à sa destination, ne donne pas ouverture à une action en responsabilité contractuelle mais à une garantie dont les modalités sont fixées par les articles 1641 et suivants du Code civil" (21). Il en résulte, notamment, que la clause limitative de responsabilité stipulée en cas d'inexécution des obligations contractuelles ne relève pas du droit commun de la responsabilité, et notamment de la jurisprudence "Faurecia 2" (Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5360E3W), aujourd'hui codifiée à l'article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH). Stricto sensu, il n'est donc pas exact de parler de responsabilité du fait de la garantie des vices cachés.

Ensuite, par la disponibilité du régime. Certes, la Cour de cassation a admis le 26 mai 2010 que le fournisseur puisse engager sa responsabilité au titre de la garantie des vices cachés. L'argument positiviste a néanmoins une valeur relative. On pourrait ajouter que le maintien du régime des vices cachés s'explique par la volonté de la Cour de Luxembourg d'aligner le statut du producteur et celui du fournisseur quant aux causes d'engagement de leur responsabilité. L'un comme l'autre ne peuvent se voir poursuivis sur le fondement de l'obligation de sécurité ; l'un comme l'autre peuvent se voir poursuivis sur celui des vices cachés. On peut y voir une approche transversale de la dialectique des produits défectueux, indépendamment du défendeur à l'action. On peut, à rebours, être surpris que le régime des vices cachés demeure disponible à la victime souhaitant agir contre le fournisseur. Quelle différence y a-t-il entre le vice caché et le défaut de sécurité ? Certes, il est des cas dans lesquels le vice caché ne se confond pas avec le défaut de sécurité, soit que le vice soit apparent (22), soit qu'il ne porte pas sur la sécurité du produit. Mais dans bien des cas, comme en l'espèce, le vice caché n'est que la vêture dont l'on drape le défaut de sécurité pour en permettre la réparation par un fournisseur que la Directive immunisait. A l'encontre de l'arrêt, et de la décision du 26 mai 2010 précitée, ne pourrait-on considérer que "ce n'est pas seulement la possibilité d'engager la responsabilité du fournisseur dans les termes de la Directive qui doit être interdite mais, plus largement, dès lors que les conditions de la responsabilité spéciale des producteurs sont réunies, toute responsabilité objective susceptible d'être encourue par les différents maillons de la chaîne de commercialisation, fournisseurs et autres intermédiaires, y compris celle que l'article 1645 du Code civil (N° Lexbase : L1748ABD) fait peser sur le vendeur" (23) ?

Si l'on peut ne pas rester insensible à la plainte de la victime qui ne sera ici guère indemnisée par le producteur placé en liquidation judiciaire, encore que le jeu de l'assurance ne puisse être occulté, est-il bien logique d'exonérer le fournisseur en vertu de la Directive, qui focalise la responsabilité sur le seul producteur, pour ensuite poursuivre ce même fournisseur, motif tiré d'un vice caché qui se confond pleinement avec le défaut de sécurité ? Pourquoi la Cour exige-t-elle pour la faute qu'elle se distingue du défaut de sécurité, mais ne transpose pas cette exigence au vice caché ?

B - La responsabilité du vendeur producteur

Les demandeurs auraient également pu songer à engager la responsabilité du producteur (la société SAE) sur le fondement des vices cachés. En effet, la victime jouit d'une option aux enjeux significatifs.

1) Les enjeux de l'option

Quel intérêt la victime pouvait-elle avoir à se placer sur le terrain des vices cachés plutôt que sur celui de la responsabilité du fait des produits défectueux ?

Il ne se situe pas sur le terrain de la prescription. Depuis que le législateur a rompu avec le "bref délai" de l'article 1648 (N° Lexbase : L9212IDK), la prescription de l'action en garantie des vices cachés est de deux ans, contre trois pour la responsabilité du fait des produits défectueux (24).

En revanche, inscrire son action dans le droit spécial de la vente permet à la victime de tourner les restrictions propres à la responsabilité du fait des produits défectueux. On songe notamment à la forclusion qui intervient dix ans après la mise en circulation du produit (25), à l'exonération pour "risque de développement" (26) ou à l'efficacité des clauses limitatives de responsabilité entre professionnels (27). Opter pour la garantie des vices cachés permet également d'obtenir l'anéantissement de la vente, via l'action rédhibitoire, ce que ne permet pas la responsabilité du fait des produits défectueux.

Plus encore, un enjeu significatif tient dans le préjudice indemnisable. Si la victime agit sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, elle peut obtenir l'indemnisation des atteintes à sa personne et des atteintes à d'autres choses que le produit défectueux, déduction faite d'une franchise de 500 euros. Elle ne peut, en revanche, être indemnisée du dommage subi par la chose elle-même. Elle ne peut semble-t-il davantage voir son préjudice commercial réparé (28). Quant aux dommages causés à une chose à usage professionnel, ils ne peuvent être réparés sur le fondement de la Directive, mais au prix d'une transposition fort peu fidèle, le sont sur le terrain l'article 1386-2 ancien.

En l'espèce, le préjudice des demandeurs tenait dans la destruction des essieux et des semi-remorques, les frais de dépannage, la destruction de la marchandise transportée et l'immobilisation des camions. Si l'on s'en tient à la seule Directive, aucun de ces chefs de préjudice n'était indemnisable. Les essieux sont le produit défectueux lui-même. Les semi-remorques et la marchandise sont des choses à usage professionnel. Les frais de dépannage et l'immobilisation ne sont pas des "choses" que le produit défectueux a endommagées. En substance, n'était-ce le truchement de l'article 1386-2 ancien, le demandeur n'aurait pu voir son préjudice indemnisé.

Par contraste, sur le terrain de la garantie des vices cachés, aucune restriction particulière ne s'impose. Dès lors que la chose présente un vice la rendant impropre à l'usage auquel on la destine, le vendeur -et les vendeurs successifs- peut être condamné à indemniser l'entier préjudice.

En somme, opter pour le régime de la garantie des vices cachés pouvait paraître séduisant.

2) Le jeu de l'option

Mais par-delà l'aspect pragmatique de l'option, ne faut-il pas s'intéresser, sur un plan plus théorique, à l'idée même d'une option ? Est-il logique que, confronté à un vice caché portant sur la sécurité de la chose vendue, l'acquéreur puisse choisir de faire reposer son action contre le producteur sur deux fondements alternatifs ?

L'arrêt du 11 janvier 2017, marchant dans les traces de la jurisprudence "Leroy Somer" de la Cour de justice et la jurisprudence française (29), permet la cohabitation des deux fondements. Celui qui acquiert un produit défectueux peut choisir d'assigner le producteur, lorsqu'il est également vendeur, soit en responsabilité au titre des produits défectueux, soit au titre de la garantie des vices cachés.

On peut n'être pas convaincu de cette logique de cohabitation, et lui préférer une logique d'exclusion. Ne conviendrait-il pas, lorsque le vice caché se confond avec un défaut de sécurité, d'écarter la garantie des vices cachés au profit de la seule responsabilité du fait des produits défectueux ? Cela éviterait certains effets d'aubaine, de liability-shopping si l'on ose dire.

Cette exclusion n'est pas commandée par l'adage specialia generalibus derogant ni par son pendant contemporain, l'article 1105 nouveau du Code (N° Lexbase : L0820KZE), qui dispose : "les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières". Il est en effet bien difficile de considérer la responsabilité du fait des produits défectueux comme une règle générale et la responsabilité du fait de la garantie des vices cachés comme une règle spéciale. On est au contraire confronté à la concurrence de deux règles spéciales.

Leur domaine d'application ratione personae est extrêmement proche. La garantie des vices cachés n'est depuis 1820 plus cantonnée aux seules relations entre le vendeur et l'acquéreur. En dépit de l'effet relatif des conventions, le sous-acquéreur dispose d'une action directe contractuelle contre tout vendeur, en ce compris le fabricant ou tout vendeur intermédiaire dans la chaîne de contrats. Il n'est donc pas nécessaire que la victime soit liée par contrat au fabricant, pour peu qu'elle tienne la chose d'une chaîne translative de propriété, homogène ou hétérogène. On se rapproche ici, à un stade plus modeste il est vrai, de la responsabilité du fait des produits défectueux, qui profite à toute personne qui subit, dans sa chair ou dans ses biens, les effets du produit défectueux.

Ratione materiae, la proximité est patente. Dans bien des cas, et notamment dans le cas d'espèce, le vice caché est un défaut de sécurité. L'assertion se vérifie d'autant plus que la jurisprudence retient une conception conquérante du défaut de sécurité, jugeant notamment qu'"un produit est défectueux même s'il n'a pas encore dysfonctionné ni causé aucun dommage, dès lors qu'il présente une dangerosité anormale" (30). Du défaut potentiel au vice caché, la frontière est poreuse.

En somme, les deux actions ont un domaine quasi-superposable. Quant à leur fondement, elles ne se différencient guère. Lorsqu'on répute le vendeur professionnel irréfragablement de mauvaise foi et, qu'en conséquence, on le condamne à indemniser l'acquéreur de tout préjudice subi du fait du vice caché, n'opte-t-on pas pour une responsabilité purement objective ? Partant, si la Cour de cassation estime le régime de responsabilité du fait des produits défectueux "exclusif d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun fondés sur le défaut d'un produit qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre" (31), ne devrait-elle pas y inclure la garantie des vices cachés lorsqu'elle porte sur un défaut de sécurité ?

Et, pour s'en tenir au droit spécial de la vente, comment justifier que la responsabilité du fait des produits défectueux interdise toute action fondée sur l'obligation de délivrance conforme (C. civ., art., 1603 N° Lexbase : L1703ABP (32)) mais pas celle fondée sur l'article 1641 du même Code ? Quand on sait à quel point ces deux actions sont proches, on peine à saisir ce qui justifie l'exclusion de la première et l'admission de la seconde.

Force est aujourd'hui de constater la tendance "de la Cour de cassation à étendre l'impérialisme du régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux au-delà du domaine fixé par les juges de Luxembourg" (33). Cette tendance se traduit notamment par l'alignement du statut du fournisseur sur celui du producteur et par l'indifférence de l'usage professionnel de la chose endommagée par le produit défectueux. Il est d'autant plus surprenant que cette vocation hégémonique de la responsabilité du fait des produits défectueux butte encore sur la garantie des vices cachés, qui joue le rôle d'un encombrant supplétif.

La donne sera peut-être rebattue par la réforme annoncée de la responsabilité civile. L'avant-projet présenté le 29 avril 2016 par la Chancellerie apporte notamment deux éléments nouveaux au débat.

Champ d'application. D'une part, l'article 1290, alinéa 2 (N° Lexbase : L0828INY) de l'avant-projet prévoit que les dispositions afférentes à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent "à la réparation du préjudice supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, à condition que ce bien soit d'un type normalement destiné à l'usage ou à la consommation privés et ait été utilisé par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés" (nous soulignons). Le droit français s'alignerait sur la Directive, cantonnant la réparation aux seules choses à usage non-professionnel. Sur ce point, si le texte était adopté, la solution rendue dans l'arrêt étudié serait remise en cause.

Articulation des régimes de responsabilité. D'autre part, l'article 1299-4 maintient une certaine ambiguïté quant à l'articulation des régimes. Il dispose que les règles applicables à la responsabilité du fait des produits défectueux "ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle. Elles ne lui interdisent pas non plus d'invoquer les dispositions de la responsabilité extracontractuelle prévues par le présent chapitre, ou d'autres régimes spéciaux de responsabilité, dès lors que ceux-ci ont un fondement différent de la responsabilité prévue à la présente section". Mais qu'est-ce à dire ? Pourquoi avoir cantonné l'exigence d'un fondement différent à la seule responsabilité extracontractuelle ?

Il n'est donc pas acquis que le droit de la responsabilité du fait des produits défectueux accède de sitôt à la limpidité.


(1) Rappr. J.-J. Barbieri, Produits défectueux : l'insécurité d'un régime complexe, JCP éd. G, 2010, n° 35, 849.
(2) L'arrêt d'appel évoque, à tort, l'article 1386 (ancien) du Code civil, relatif à la responsabilité du fait des bâtiments en ruine. Depuis le 1er octobre 2016, les articles 1386-1 et suivants sont renumérotés 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) et s..
(3) Depuis devenue CJUE.
(4) D. Bakouche, Resp. civ. et ass., 2016, n° 5, comm. 158 ; adde La responsabilité des fournisseurs, Resp. civ. et ass., 2016, n° 1, dossier 5.
(5) Voir notamment CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00 (N° Lexbase : A5768AYB).
(6) P. Jourdain, La réparation des dommages aux biens à usage professionnel causés par un produit défectueux, JCP éd. G, 2009, n° 27, 82.
(7) J.-S. Borghetti, obs. à la RDC, 2016, n° 3, p. 442.
(8) Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B (N° Lexbase : A3596Q8P).
(9) Rappr. J.-S. Borghetti, Quand le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux exclut les règles de la responsabilité contractuelle... à tort ou à raison, RDC, 2016/3, p. 442 : "les Etats membres de l'U.E. sont libres d'organiser la réparation [des dommages dont le texte ne prévoit pas la réparation] comme ils l'entendent, y compris en leur appliquant le régime de la Directive" (nous soulignons).
(10) Rappr. J.-S. Borghetti, Quand le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux exclut les règles de la responsabilité contractuelle... à tort ou à raison, RDC, 2016/3, p. 442 : "la nature du dommage ferait basculer l'affaire hors du champ d'application de la Directive, mais non hors de celui des articles 1386-1 et suivants du Code civil [...]. La question du dommage réparable dans le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est suffisamment complexe pour faire perdre leur latin même aux juristes les plus chevronnés".
(11) D. Bakouche, Resp. civ. et ass., 2016, n° 5, comm. 158.
(12) Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B (N° Lexbase : A3596Q8P).
(13) P. Jourdain, obs. à la RTDCiv., 2016, p. 646.
(14) CJCE, 10 janvier 2006, aff. C-402/03 (N° Lexbase : A2043DMM), D., 2006, p. 1259, obs. C. Nourrissat.
(15) Considérant 28 : "Cette facilité serait chèrement payée en ce que, obligeant tous les fournisseurs à s'assurer contre une telle responsabilité, elle conduirait à un enchérissement considérable des produits [...] et à une multiplication des recours".
(16) P. Jourdain, obs. à la RTDCiv., 2006, p. 333.
(17) D. Bakouche, La responsabilité des fournisseurs, op. cit.
(18) P. Jourdain, obs. à la RTDCiv., 2006, p. 333.
(19) D. Bakouche, Resp. civ. et ass., 2016, n° 5, comm. 158 : "L'immunité de principe du fournisseur ne vaut que pour les actions fondées sur le défaut de sécurité du produit dommageable" (19).
(20) Voir en ce sens J.-S. Borghetti, La responsabilité des fournisseurs du fait du défaut de sécurité de leurs produits, RDC, 2006/3, p. 835 ; adde. Cass. civ., 22 juillet 1931, Gaz. Pal., 1931, 2, 683 ; Cass. soc., 28 février 2002, 4 arrêts, n° 00-10.051, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0806AYI), n° 99-18.389, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0766AYZ), n° 00-11.793, FP/P+B+R+I (N° Lexbase : A0602AYX) et n° 99-17.201, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0761AYT), JCP éd. G, 2002, II, 10053.
(21) Cass. com., 19 mars 2013, n° 11-26.566, FP-P+B (N° Lexbase : A5922KAL).
(22) Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-29.000, F-D (N° Lexbase : A4445QDY) : l'épandeur était défectueux du fait de l'absence de carter et d'éléments de protection sur les parties mobiles de l'engin, mais ce défaut était apparent.
(23) D. Bakouche, La responsabilité des fournisseurs, op. cit.
(24) C. civ., art., 1245-16 nouveau (N° Lexbase : L0636KZL).
(25) C. civ., art. 1245-15 nouveau (N° Lexbase : L0635KZK). A rapprocher du délai-butoir de l'article 2232 du Code civil (N° Lexbase : L7744K9P).
(26) C. civ., art. 1245-10 nouveau (N° Lexbase : L0630KZD).
(27) C. civ., art. 1245-14, alinéa 2 (N° Lexbase : L0634KZI).
(28) P. Jourdain, Responsabilité du fait des produits défectueux : le préjudice commercial est-il indemnisable ?, RTD civ., 2015 p. 892.
(29) Voir notamment Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-29.000, F-D (N° Lexbase : A4445QDY) ; Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B (N° Lexbase : A3596Q8P).
(30) J.-.S. Borghetti, Quand la responsabilité du fait des produits défectueux concurrence (abusivement) la garantie des vices cachés, RDC, 2015/4, p. 852.
(31) Cass. civ. 1, 25 février 2016, n° 14-29.000, F-D, précité.
(32) Voir notamment Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B, précité : "leur action ne pouvait être fondée que sur les articles 1386-1 et suivants du Code civil, et non sur les articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ou 1603 (N° Lexbase : L1703ABP) du même code".
(33) J.-S. Borghetti, Quand le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux exclut les règles de la responsabilité contractuelle... à tort ou à raison, RDC, 2016/3, p. 442.

newsid:456723

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Conditions d'exonération d'une livraison intracommunautaire : quid en cas d'absence d'inscription de l'acquéreur au système d'échange d'informations ?

Réf. : CJUE, 9 février 2016, aff. C-21/16 (N° Lexbase : A6430TBR)

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par Jules Bellaiche

Le 02 Mars 2017

L'administration fiscale d'un Etat membre ne peut refuser d'exonérer de la TVA une livraison intracommunautaire au seul motif que, au moment de cette livraison, l'acquéreur, domicilié sur le territoire de l'Etat membre de destination et titulaire d'un numéro d'identification à la TVA valable pour les opérations dans cet Etat, n'est ni inscrit dans le système d'échange d'informations en matière de TVA, ni couvert par un régime de taxation des acquisitions intracommunautaires, alors même qu'il n'existe aucun indice sérieux suggérant l'existence d'une fraude et qu'il est établi que les conditions de fond de l'exonération sont réunies. Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt rendu le 9 février 2017 (CJUE, 9 février 2017, aff. C-21/16 N° Lexbase : A6430TBR). En l'espèce, la société requérante est une succursale portugaise d'une société de droit néerlandais. Elle exerce une activité d'importation, d'exportation et de commercialisation de pneus de différentes marques auprès de détaillants établis au Portugal et en Espagne. Sur le marché espagnol, elle réalise ses ventes par l'intermédiaire d'un distributeur. Le litige porte sur plusieurs ventes réalisées à cette société distributrice. Au moment de ces ventes, cette dernière était enregistrée comme assujetti à la TVA en Espagne. En revanche, elle n'était pas encore soumise, dans cet Etat membre, au régime de taxation des acquisitions intracommunautaires, ni inscrite dans le système d'échange d'informations en matière de TVA. A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration a alors considéré que les conditions de l'exonération n'étaient pas remplies. Cependant, la Cour européenne, au regard de la solution dégagée, interprétée à la lumière du principe de proportionnalité, s'est opposée à un tel refus car le vendeur avait connaissance des circonstances caractérisant la situation de l'acquéreur au regard de l'application de la TVA et était persuadé que, ultérieurement, l'acquéreur serait enregistré en tant qu'opérateur intracommunautaire avec effet pour le passé .

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Voies d'exécution

[Jurisprudence] Traitement des incidents de la procédure de saisie immobilière : entre rigueur et tolérance

Réf. : Cass. civ. 2, 5 janvier 2017, trois arrêts, n° 15-25.692 (N° Lexbase : A4732S3N), n° 15-28.798 (N° Lexbase : A4854S38) et n° 15-28.798 (N° Lexbase : A4854S38), F-P+B

Lecture: 9 min

N6571BWB

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par Guillaume Payan, Maître de conférences (HDR) à l'Université de Toulon

Le 23 Février 2017

Au moyen de trois arrêts prononcés le 5 janvier 2017 et publiés au bulletin, la Cour de cassation apporte des précisions sur le traitement de certains incidents auxquels la procédure de saisie immobilière peut donner lieu. Alors que le premier (pourvoi n° 15-25.692) a trait à la caducité d'un commandement de payer valant saisie immobilière qui n'a pas été publié au fichier immobilier dans le délai de deux mois à compter de sa signification (I), les deux autres arrêts concernent respectivement la sanction procédurale encourue en cas de méconnaissance du délai pour notifier le projet de distribution du prix de vente de l'immeuble saisi (pourvoi n° 15-28.798) ainsi que la nature non contradictoire de l'ordonnance d'homologation d'un tel projet de distribution (pourvoi n° 15-29148) (II). I - Caducité du commandement valant saisie pour défaut de publicité dans le délai imparti

Dans l'affaire ayant donné lieu au premier arrêt prononcé par la deuxième chambre civile le 5 janvier 2017 (Cass. civ. 2, 5 janvier 2017, n° 15-25.692, F-P+B ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E0385E97), après avoir fait délivrer à ses débiteurs un commandement valant saisie immobilière, un établissement bancaire assigne ces derniers à une audience d'orientation. Après une tentative infructueuse en première instance auprès du juge de l'exécution compétent, lesdits débiteurs demandent et obtiennent, en appel, l'annulation du commandement ainsi que de l'assignation subséquente à l'audience d'orientation. Cette annulation est obtenue aux motifs que la banque n'a pas accompli les formalités de publicité dudit commandement dans le délai de deux mois prévu à l'article R. 321-6 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L7862IUQ). Sur un moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7861I4W), la Cour de cassation casse fort logiquement l'arrêt attaqué au visa des articles R. 311-11 (N° Lexbase : L7882IUH) et R. 321-6 du Code des procédures civiles d'exécution. En effet, le commandement valant saisie ne saurait être déclaré "nul et sans effet", comme l'a jugé la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 2 juillet 2015, n° 13/00014 N° Lexbase : A3586NMR). Conformément à la lettre de l'article R. 311-11 précité, la sanction ici encourue n'est pas l'annulation, mais la caducité. Autrement dit, le commandement de payer est en soi valable, mais privé d'effet en raison de l'inaccomplissement dans le délai précité, par le créancier, des formalités de publicité. Lesquelles formalités sont, par définition, considérées comme essentielles à l'efficacité du commandement (1).

Cet arrêt offre l'occasion de revenir sur le domaine (A) et la portée (B) de la sanction de la caducité appliquée à la procédure de saisie immobilière.

A - Domaine de la caducité du commandement

Aux termes de l'article R. 311-11 du Code des procédures civiles d'exécution, plusieurs délais ponctuant la procédure de saisie immobilière sont prescrits à peine de caducité du commandement de payer valant saisie. Ainsi en est-il des délais prévus pour dénoncer le commandement au conjoint lorsque l'immeuble appartenant en propre au débiteur constitue la résidence familiale (C. proc. civ. exécution, art. R. 321-1, al. 3 N° Lexbase : L2398ITY : un jour ouvrable suivant la signification de l'acte) et aux créanciers inscrits au jour de la publication du commandement (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-6 N° Lexbase : L5884IRD : cinq jours ouvrables suivant la délivrance au débiteur de l'assignation à l'audience d'orientation). Il en est de même pour les délais prévus pour assigner le débiteur à comparaître devant le juge de l'exécution à l'audience d'orientation (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-4 N° Lexbase : L7886IUM : deux mois qui suivent la publication du commandement au fichier immobilier et entre un et trois mois avant la date de l'audience). Sont également prescrits à peine de caducité du commandement, le délai à l'intérieur duquel le créancier poursuivant doit déposer au greffe du juge de l'exécution un cahier des conditions de vente (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-10, al. 1 N° Lexbase : L2429IT7 : cinq jours ouvrables suivant l'assignation délivrée au débiteur saisi), celui à respecter pour annoncer la vente forcée de l'immeuble (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-31 N° Lexbase : L2450ITW) : délais compris entre un et deux mois avant l'audience d'adjudication) et enfin le délai visé à l'article R. 321-6 du Code des procédures civiles d'exécution, dont il était question dans l'affaire soumise à la Cour de cassation dans l'arrêt sous commentaire.

B - Portée de la caducité du commandement

A l'instar d'une annulation (2), la caducité frappant le commandement de payer valant saisie immobilière le prive rétroactivement de tous ses effets (3) et atteint d'ailleurs tous les actes de la procédure de saisie qu'il engage (4).

Cependant, le régime de la caducité n'est pas en tout point identique à celui de la nullité du commandement de payer valant saisie et, plus généralement, de la nullité des actes jalonnant la procédure de saisie immobilière. A ce propos, il est permis de rappeler que la nullité des actes de la procédure de saisie immobilière est régie par les dispositions de la section IV du chapitre II du titre V du livre Ier du Code de procédure civile (5), qui constituent le droit commun des exceptions de nullité. Par voie de conséquence, les règles applicables en matière d'annulation sont gouvernées par la distinction entre la nullité des actes pour irrégularité de fond (6) et -ce qui sera le plus souvent le cas- celle encourue en cas de vice de forme. Ainsi par exemple, si les mentions énumérées à l'article R. 321-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L7888IUP) devant figurer dans le commandement de payer valant saisie sont prescrites à peine de nullité dudit commandement, il s'agit d'une nullité pour vice de forme.

Point n'est besoin ici d'insister sur les différences de régime. Rappelons simplement tout d'abord que la nullité pour vice de forme doit causer un grief à celui qui l'invoque. Par voie de conséquence, pour obtenir l'annulation du commandement, le demandeur doit démontrer le grief que lui cause l'irrégularité (8). Inversement, la caducité n'est pas soumise à une telle démonstration. Ensuite, la nullité pour vice de forme d'un acte ne peut être évoquée que par l'adversaire de celui à la demande duquel il a été rédigé. A l'inverse, "toute partie intéressée" peut demander au juge de l'exécution de déclarer la caducité du commandement valant saisie immobilière (9).

Ainsi qu'on peut le constater, la caducité du commandement est une sanction plus rigoureuse que la nullité -du moins celle encourue pour vice de forme-, même s'il est vrai que l'article R. 311-11 du Code des procédures civiles d'exécution prévoit deux atténuations. D'une part, la demande visant à faire déclarer la caducité du commandement n'est pas couronnée de succès si le créancier poursuivant "justifie d'un motif légitime" (10). D'autre part, la déclaration de la caducité peut "être rapportée" si ledit créancier poursuivant "fait connaître au greffe du juge de l'exécution, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de celle-ci, le motif légitime qu'il n'aurait pas été en mesure d'invoquer en temps utile".

II - Contestation du projet de distribution du prix de vente de l'immeuble saisi et de l'ordonnance l'homologuant

Une fois la vente de l'immeuble saisi réalisée, se pose la question de la distribution du prix entre les différents créanciers. Il revient à la partie poursuivante d'élaborer un projet de distribution (11) et de le notifier notamment aux créanciers inscrits et au débiteur, suivant les formes définies par le Code des procédures civiles d'exécution (12). En l'absence de contestation soulevée dans le délai imparti, la partie poursuivante peut solliciter l'homologation judiciaire dudit projet (13) auprès du juge de l'exécution. A l'égard de cette phase de la procédure de saisie immobilière, la Cour de cassation est invitée à clarifier non seulement la portée du délai prévu dans le Code des procédures civiles d'exécution, pour procéder à la notification au débiteur du projet de distribution (A), mais également la nature juridique de la décision d'homologation de ce projet (B).

A - Absence de sanction de la méconnaissance du délai pour notifier le projet de distribution amiable au(x) débiteur(s)

Dans un deuxième arrêt datant du 5 janvier 2017 (Cass. civ. 2, 5 janvier 2017, n° 15-28.798, F-P+B ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9679E8Y), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a eu à connaître d'une affaire dans laquelle des débiteurs contestent un projet de distribution du prix d'adjudication d'un bien immobilier leur appartenant, que leur a notifiés le créancier saisissant (en l'occurrence, le Trésor public). Déboutés en première instance et en appel de leur contestation, les débiteurs se pourvoient en cassation. Au soutien de leur recours, ils avancent la méconnaissance du délai d'un mois -établi à l'article R. 332-4 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2498ITP)- à l'intérieur duquel la notification du projet de distribution doit avoir lieu (14). Ils font grief à la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 5 novembre 2015, n° 13/00018 N° Lexbase : A7474NUD) d'avoir validé la requête en distribution judiciaire intervenue sans que ledit projet de distribution n'ait été notifié dans le délai précité. Le problème portait donc sur la sanction s'imposant en cas de méconnaissance du délai ainsi prescrit.

La Cour de cassation ne fait pas sienne l'argumentation des demandeurs au pourvoi. Elle souligne que c'est avec raison que la cour d'appel a fait droit à la requête en distribution judiciaire du Trésor public, après avoir relevé l'absence d'établissement d'un procès-verbal d'accord sur le projet de distribution revêtu de la formule exécutoire. Elle relève, en effet, que "le délai imparti à la partie poursuivante par l'article R. 332-4 du Code des procédures civiles d'exécution pour notifier aux débiteurs le projet de distribution amiable n'[est] assorti d'aucune sanction".

Assurément, le pouvoir règlementaire n'a pas jugé souhaitable de prévoir expressément une sanction procédurale en cas de violation d'un tel délai, alors que de telles sanctions -ex. la caducité ou la nullité- sont encourues en cas de méconnaissance d'autres délais rythmant la procédure de saisie immobilière (15). On peut néanmoins s'interroger sur la portée et l'utilité de délais ainsi mentionnés à titre seulement "indicatif".

B - Caractère non contradictoire de l'ordonnance d'homologation du projet de distribution

En l'absence de contestation dans les quinze jours de la réception de la notification aux débiteurs du projet de distribution amiable, la partie poursuivante peut solliciter son homologation par le juge de l'exécution, dans le délai défini à l'article R. 332-6 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2500ITR). La nature -non contradictoire- de l'ordonnance d'homologation a été rappelée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un troisième arrêt rendu également le 5 janvier 2017 (Cass. civ. 2, 5 janvier 2017, n° 15-29.148, F-P+B ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9681E83).

Dans cette affaire, à l'occasion de poursuites exercées par une banque à l'encontre de son débiteur, des immeubles ont été saisis entre les mains de deux sociétés -en leur qualité de tiers détenteurs- et ont été adjugés à un certain prix. Par la suite, le débiteur et les tiers détenteurs des immeubles ont saisi le juge de l'exécution compétent et ont non seulement demandé à ce que l'ordonnance d'homologation du projet de distribution du prix de vente soit déclarée non avenue, mais également formé opposition à l'encontre de cette ordonnance. Toutes leurs demandes ayant été rejetées par la cour d'appel de Poitiers (CA Poitiers, 13 octobre 2015, n° 14/03999 N° Lexbase : A1792NTK), ils formèrent un pourvoi en cassation. L'argumentation avancée par les demandeurs au pourvoi reposait sur la qualification de l'ordonnance d'homologation du projet de distribution du prix de vente et, partant, de la procédure ayant conduit au prononcé de cette ordonnance : s'agissait-il d'une procédure de nature contradictoire, au cours de laquelle les parties ne peuvent agir sans être représentées par un avocat ? Contrairement à ce que soutenaient les demandeurs, la Cour de cassation répond par la négative à cette question. Elle affirme que "l'ordonnance d'homologation du projet de distribution [est] une décision non contradictoire, rendue à la requête d'une partie, au terme d'une procédure n'exigeant pas de comparution" (16). De cette qualification découlent deux conséquences principales.

Tout d'abord, les dispositions de l'article 478 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6592H7B) ne sont pas applicables à l'égard de l'ordonnance d'homologation du projet de distribution du prix de vente, laquelle ne peut -comme le réclamaient le débiteur et les tiers détenteurs des immeubles saisis- être analysée comme un jugement rendu par défaut. A cet égard, les demandeurs entendaient -en vain- obtenir gain de cause en arguant de la violation de cet article aux motifs que ladite ordonnance n'avait pas été notifiée dans les six mois de sa date et que, dès lors, elle devait être frappée de caducité.

Ensuite, à l'instar de l'appel (17), la voie de l'opposition est fermée à l'encontre de l'ordonnance d'homologation de distribution du prix de vente. Les conditions d'ouverture de cette seconde voie de recours ne sont pas réunies (18). Avec cet arrêt, la Cour de cassation complète donc utilement la solution dégagée dans un arrêt du 18 octobre 2012 (19) dans lequel la deuxième chambre civile affirme que "l'ordonnance rendue en dernier ressort par laquelle le juge de l'exécution confère, en application de [...] l'article R. 332-6 du Code des procédures civiles d'exécution, force exécutoire au projet de distribution, est une décision susceptible de recours ; D'où il suit que le pourvoi est recevable". Ainsi, tout recours contre cette ordonnance n'est pas exclu. En ce sens, il s'agit bien d'une décision juridictionnelle et non d'une simple mesure d'administration judiciaire. Cependant, ces voies de recours sont strictement limitées.


(1) A rapprocher de : "V° Caducité", in S. Guinchard et T. Debard, (dir.), Lexique des termes juridiques, 24ème éd., 2016.
(2) A ce sujet, voir Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-10.622, FS-P+B (N° Lexbase : A0233NCM), Procédures, 2015, comm. n° 120, obs. C. Laporte.
(3) En cela compris son effet interruptif de prescription (en ce sens, Cass. civ. 2, 4 septembre 2014, n° 13-11.887, FS-P+B N° Lexbase : A0507MWP, Bull. civ., 2014, II, n° 179).
(4) En ce sens, Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 13 -28.445, FS-P+B (N° Lexbase : A9982NBC), Procédures, 2015, comm. n° 119, obs. C. Laporte.
(5) C. proc. civ. exécution, art. R. 311-10 (N° Lexbase : L2396ITW).
(6) C. pr. civ., art. 117 (N° Lexbase : L1403H4Q) à 120.
(7) C. pr. civ., art. 112 (N° Lexbase : L1390H4A) à 116.
(8) Voir par exemple, à l'égard des mentions (énumérées à l'art. R. 321-3 du Code des procédures civiles d'exécution) devant figurer dans le commandement valant saisie : Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-15.973, F-D (N° Lexbase : A2317E4L).
(9) C. proc. civ. exécution, art. 311-11, al. 2.
(10) Sur l'interprétation rigoureuse de l'existence d'un tel motif, voir par ex. CA Aix-en-Provence, 2 novembre 2007, n° 07/12609 (N° Lexbase : A5957RQP), D., 2008, Pan., p. 1167, obs. A. Leborgne (grève des services postaux).
(11) C. proc. civ. exécution, art. R. 332-3.
(12) C. proc. civ. exécution, art. R. 332-4.
(13) C. proc. civ. exécution, art. R. 332-6.
(14) Ce délai d'un mois, au sein duquel la partie poursuivante notifie le projet de distribution du prix de vente, débute à l'expiration d'un délai de quinze jours accordé aux créanciers pour réaliser la déclaration actualisée de la créance dont la demande doit leur être faite au plus tard dans les deux mois de la publication du titre de vente.
(15) Pour des illustrations, voir supra.
(16) A rapprocher de l'article 493 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6608H7U) aux termes duquel une ordonnance sur requête est une décision "rendue non contradictoirement".
(17) C. proc. civ. exécution, art. R. 332-10, dernier al.
(18) A rapprocher de l'article 571 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6724H78) selon lequel cette voie de recours tend à faire rétracter un "jugement rendu par défaut".
(19) Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-20.314, FS-P+B (N° Lexbase : A7105IUP), Bull. civ. II, n° 172, Dr. et proc., 2013, p. 15, obs. A. Leborgne.

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