La lettre juridique n°191 du 24 novembre 2005

La lettre juridique - Édition n°191

Éditorial

La location d'actions : premiers pas dans la SA

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N1197AKK

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Plantons le décor : "ne rien convoiter, c'est épargner ; ne rien acheter, c'est s'enrichir" ; seulement voilà, le bon sens -ou l'argument d'autorité, selon que vous voudrez- de Marcus Tullius Cicéron ne fait pas les bonnes affaires de notre économie en mal de renouveler ses dirigeants d'entreprises (petites et moyennes s'entend !). Car, à trop mettre en exergue les risques financiers, bien réels il est vrai, que prend tout nouvel entrepreneur désireux de reprendre une entreprise, ce dernier finit par renoncer à l'aventure "entreprenariale" ou, au mieux, crée ex nihilo sa propre société (mais quid de la viabilité de ces 189 949 créations de petites sociétés depuis le début de l'année 2005 ?). Et soyons honnêtes, l'idée de reprendre le "commerce de bouche" de papa n'a plus les faveurs d'antan. Aussi gageons que l'inflation législative serait, parfois, synonyme de nouveauté et d'avancée juridiques ! Prenons, ainsi, acte du nouveau dispositif de location de titres, issu de la loi "Jacob" du 2 août 2005, et présenté comme un nouveau mode de reprise d'entreprise. Selon l'exposé des motifs du projet de loi, ce nouveau dispositif est destiné à "ouvrir la voie à une simplification des montages existants en matière de cession ou de transmission d'entreprise". Il limiterait notamment le recours aux garanties d'actif ou de passif, tout en ouvrant des possibilités nouvelles par rapport aux schémas traditionnels de location-gérance de fonds de commerce. Grâce au mécanisme de location, le locataire pourra, en quelque sorte, bénéficier d'une "période d'essai" lui permettant de déterminer s'il est intéressant pour lui de devenir propriétaire des actions ou parts sociales qu'il loue. Le contrat de bail pourra d'ailleurs être conclu, le cas échéant, avec une option d'achat au terme de la location (Assemblée nationale, Avis n° 364 déposé le 31 mai 2005 par M. Christian Cambon rapporteur pour avis). Ainsi soit-il ! Après les capital-risqueurs et les business angels nés à la faveur de l'approche millénariste, il fallait offrir aux nouveaux entrepreneurs, qui connaissent bien les affres d'un métier, mais qui n'ont pas forcément l'âme d'un parieur, un dispositif permettant une reprise progressive, mesurée et sur le long terme, affranchis, ou presque, des risques y afférents. Ce nouveau régime vient donc compléter des dispositifs préexistants, tel le démembrement de propriété des titres sociaux, la vente à réméré, le crédit-bail, le portage de titre, les conventions de croupiers, offrant ainsi un éventail élargi de modalités de transmission des sociétés commerciales. C'est cette complémentarité de la location d'actions avec ces autres mécanismes que Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à L'ENS Cachan, antenne de Bretagne, membre du Centre de recherche en droit privé de l'université de Caen, membre du Centre de recherche en droit financier de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, propose d'analyser, cette semaine, dans Lexbase Hebdo - édition sociale, au sein de son article Portage, usufruit, convention de croupier ou... location ? Petit jeu de l'oie de la transmission de société. "Ne rien convoiter, c'est épargner ; ne rien acheter, c'est s'enrichir" ; la location ne serait-elle pas, alors, le bon intermédiaire !

newsid:81197

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Nouvelle illustration d'une différence de traitement justifiée en matière de rémunération

Réf. : Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B (N° Lexbase : A5949DLW)

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N1188AK9

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Comme on pouvait s'y attendre, la promotion récente du principe "A travail égal, salaire égal" suscite des contentieux de plus en plus nombreux engagés par des salariés qui ne comprennent pas toujours que l'un de leurs collègues, qui exerce les mêmes fonctions, perçoive une rémunération plus importante. Dans cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation était amenée à réfléchir sur la justification du paiement d'une prime réservée aux seuls salariés étrangers de l'entreprise, et a conclu dans le sens de la licéité de cette dernière. Cet arrêt est parfaitement justifié. Face à un problème délicat (1), la solution adoptée apparaît non seulement juste, mais encore souhaitable (2).
Décision

Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B (N° Lexbase : A5949DLW)

Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Grenoble, chambre sociale, 3 novembre 2003)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L1417G9D) ; principe "A travail égal, salaire égal"

Mots-clefs : rémunération ; différence de traitement ; prise en compte de la nationalité ; justification.

Liens bases : ;

Résumé

Une prime d'expatriation peut être réservée aux seuls salariés étrangers dès lors qu'elle vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international.

Faits

1. M. Diot, de nationalité française, a été engagé par la société European synchrotron radiation facility (ESRF), en 1991, en qualité d'ingénieur.

Il a fait convoquer le 10 mars 1998 la société devant la juridiction prud'homale à l'effet de la voir condamnée à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui aurait causé une discrimination prohibée en matière de salaire, tenant au paiement de la prime d'expatriation prévue à l'article 50 de la convention d'entreprise de 1993 aux seuls salariés de nationalité étrangère.

2. Pour faire droit à cette demande, l'arrêt infirmatif relève qu'aucune autre condition objective d'attribution que la nationalité étrangère n'est stipulée dans la convention d'entreprise en ce qui concerne l'indemnité d'expatriation au profit des ressortissants non-français des pays des parties contractantes et qu'ainsi, le fait que la prime d'expatriation bénéficie à un ressortissant étranger déjà installé en France au moment de son recrutement, interdit à la société ESRF de prétendre sérieusement que le but poursuivi par l'instauration de cette prime vise à favoriser la circulation et le séjour des nationaux des Etats des parties contractantes.

Solution

1. "Une inégalité de traitement entre des salariés peut être justifiée lorsqu'elle repose sur des raisons objectives, étrangères à toute discrimination prohibée".

"Il résulte des dispositions combinées du préambule de la Convention de Paris du 16 décembre 1988 relative à la construction et à l'exploitation d'une installation européenne de rayonnement synchrotron, de la résolution n° 2 jointe à l'acte final, des articles 12 et 25 des statuts de la société Installation européenne de rayonnement synchrotron annexés à ladite Convention, 50 de la convention d'entreprise de la société précitée dans sa rédaction applicable, que si la prime d'expatriation introduit une différence de traitement entre les salariés français et les salariés étrangers, cette inégalité vise non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international ; ainsi l'avantage conféré aux salariés étrangers reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".

"En statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

2. Cassation sans renvoi du seul chef de la condamnation de la société European synchrotron radiation facility (ESRF) à verser à M. Diot des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice.

Commentaire

1. La délicate question des différences de traitement entre salariés exerçant un même travail

  • Le renforcement de la lutte contre les discriminations

Le renforcement de la législation française en matière de lutte contre les discriminations s'est traduit, ces dernières années, par une montée en puissance des contentieux judiciaires engagés par des salariés qui s'estiment victimes d'une injustice dès lors qu'ils ne perçoivent pas les mêmes avantages que des collègues ayant une activité professionnelle identique ou comparable.

La loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE) a, ainsi, singulièrement facilité le travail probatoire des salariés. Il leur suffit désormais de présenter au juge "des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination" pour que l'employeur soit tenu de se justifier en rapportant la preuve que la décision incriminée, de lui refuser le bénéfice d'un avantage, "est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination" (C. trav., art. L. 122-45, alinéa 4 N° Lexbase : L1417G9D).

  • Difficultés pratiques

En pratique, deux situations peuvent se présenter.

La plus délicate, pour le salarié, concerne des hypothèses où une différence de traitement entre salariés exerçant un travail égal, ou à tout le moins équivalent, repose sur une justification apparente a priori étrangère à toute idée de discrimination, c'est-à-dire ne reposant pas sur l'un des motifs visés par l'article L. 122-45, alinéa 1er, du Code du travail. Le salarié devra alors établir que la mesure prise par l'employeur repose, en réalité, sur un motif caché et débusquer une intention malveillante.

Une autre solution, plus favorable au salarié et, partant, plus inconfortable pour l'employeur, concerne des hypothèses où la différence de traitement repose bien sur l'un des motifs prohibés par la loi, mais où le critère établi peut également se rattacher à des raisons objectives qui semblent de nature à fonder cette différence de traitement. Ainsi, l'employeur pourra valablement licencier un salarié en raison de son état de santé, ce qui constitue en apparence une discrimination, dès lors que le médecin du travail aura déclaré ce dernier inapte à occuper son poste (C. trav., art. L. 122-45-4 N° Lexbase : L1418G9E). Dans cette hypothèse, il ne saurait s'agir d'une discrimination dans la mesure où la prise en compte de l'état de santé renvoie à un autre souci de l'employeur, celui de protéger la santé du salarié.

L'exemple tiré de l'état de santé du salarié est, en réalité, à la fois significatif et trompeur, puisque le caractère légitime de la mesure arrêtée par l'employeur se déduit de l'intervention d'un tiers, le médecin du travail, qui ne peut être suspecté de vouloir "couvrir" une discrimination.

Pour les autres motifs prohibés par la loi, la démonstration qu'une différence de traitement justifiée par l'un des motifs prohibés repose en réalité sur "des éléments objectifs étrangers à toute discrimination" apparaît des plus délicates dans la mesure où l'employeur ne pourra trouver de soutien dans l'intervention d'un tiers.

  • La question particulière des différences de traitement fondées sur un critère de nationalité

C'est toute la difficulté à laquelle était confrontée la Cour de cassation dans cette affaire où le différend portait sur le bénéfice d'une prime réservée aux seuls salariés étrangers de l'entreprise.

La prime en cause résultait directement des dispositions combinées du préambule de la Convention de Paris du 16 décembre 1988 relative à la construction et à l'exploitation d'une installation européenne de rayonnement synchrotron, de la résolution n° 2 jointe à l'acte final, des articles 12 et 25 des statuts de la société Installation européenne de rayonnement synchrotron annexés à ladite Convention, 50 de la convention d'entreprise de la société. Il s'agissait d'une prime d'expatriation réservée aux seuls salariés étrangers embauchés par l'entreprise, semble-t-il sur le constat du seul critère de nationalité.

Pour faire droit à la demande présentée par un salarié français, qui prétendait en bénéficier également, la cour d'appel de Grenoble avait relevé qu'aucune autre condition objective d'attribution que la nationalité étrangère n'était stipulée dans la convention d'entreprise et que l'octroi de la prime à des salariés étrangers mais résidant déjà en France au moment de leur embauche interdisait de considérer qu'il s'agissait, pour l'entreprise, de favoriser la circulation et le séjour des nationaux des Etats des parties contractantes.

Tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse cet arrêt, qui plus est sans renvoi, après avoir relevé que la prime d'expatriation visait non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international.

2. Une analyse pertinente de la justification de la différence de traitement

Cet arrêt est particulièrement riche d'enseignements et s'inscrit dans la continuité de décisions récentes visant à préciser les motifs qui peuvent être invoqués par un employeur pour justifier une différence de traitement.

  • L'identité de raisonnement entre principe de non-discrimination et principe "A travail égal, salaire égal"

La lecture du visa montre que la Cour de cassation entend raisonner de manière identique selon que l'on se situe dans le cadre du principe de non-discrimination (C. trav., art. L. 122-45) ou dans celui du principe "A travail égal, salaire égal" (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle, publié N° Lexbase : A9564AAH, JCP E 1997, II, 904, note A. Sauret ; Dr. soc. 1996, p. 1013, obs. A. Lyon-Caen).

Même si la discrimination constitue une espèce particulière du genre "inégalité" (il s'agit, en effet, d'une inégalité reposant sur un motif identifié et reconnu comme illicite par la loi), on sait que la jurisprudence applique au principe "A travail égal, salaire égal", de manière analogique, le régime légal prévu pour les discriminations. En visant, en même temps, ces deux principes, la Haute juridiction confirme ainsi son désir d'assurer un traitement identique à ces deux questions.

  • La question de la justification des différences de traitement

On remarquera, en deuxième lieu, que le différend portait bien sur la justification d'une différence de traitement qui pouvait s'apparenter à une discrimination (en l'occurrence une différence de traitement fondée sur un motif illicite, la nationalité du salarié). Il ne s'agissait donc ni d'une discussion portant sur le champ d'application du principe de non-discrimination, puisque les salariés appartenaient bien à la même entreprise, ni de déterminer si les salariés se trouvaient dans une situation identique, puisqu'il semblait admis que les salariés exerçaient les mêmes fonctions.

  • La recherche de la cause réelle du versement de la prime

On remarquera, en troisième lieu, que l'argument tiré de l'absence de justification au versement de la prime dans les textes l'ayant instaurée, argument qui avait été retenu par les juges du fond, n'a même pas été relevé par la Haute juridiction, qui s'est attachée à rechercher la finalité réelle de la prime litigieuse.

Ce refus de s'arrêter aux seuls termes de l'accord collectif ayant institué la prime est parfaitement justifié, tant au regard des règles relatives à la cause des obligations qu'à la logique qui guide traditionnellement le juge.

L'article 1132 du Code civil (N° Lexbase : L1232ABA), qui traite de la cause des obligations en général, dispose en effet que "La convention n'en est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée" ; ce n'est donc pas parce que la convention collective ne justifiait pas formellement l'octroi de la prime aux seuls salariés étrangers que son caractère illicite doit être immédiatement affirmé. Seule une recherche de la cause réelle peut conduire à une telle conclusion. Cette recherche de la cause réelle, sans s'arrêter à la cause formelle ou, pire, à l'absence de cause apparente, définit parfaitement la méthode réaliste qui anime le juge lorsqu'il cherche à qualifier un acte juridique ou un comportement.

  • La considération de l'intérêt bien compris de l'entreprise

On remarquera, en quatrième et dernier lieu, et c'est sans doute sur ce dernier point que l'arrêt retiendra le plus l'attention, que c'est bien la considération de l'intérêt de l'entreprise qui a convaincu le juge de l'absence de toute discrimination dans le fait d'avoir réservé le bénéfice de la prime aux seuls salariés étrangers.

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, la prime litigieuse visait non seulement à compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, "mais aussi à faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international". En d'autres termes, la prime devait rendre le salaire plus attractif pour des travailleurs étrangers, placer le concert mondial de la concurrence entre les chercheurs de haut niveau et habitués à des rémunérations plus élevées dans d'autres pays (Japon ou Etats-Unis notamment).

Cette solution est à rapprocher très directement d'un autre arrêt rendu par la Haute juridiction le 21 juin 2005 (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7983DII, lire nos obs., La justification des inégalités de rémunération, Lexbase Hebdo n° 174 du 30 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N6023AIW). Dans cette affaire, on se rappellera que la différence de rémunération constatée entre la remplaçante d'une directrice de crèche et la titulaire du poste partie en congés avait été justifiée par le fait "que l'employeur était confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie". Or, c'était bien la situation du marché de l'emploi, compte tenu de la nature des fonctions exercées et de la nécessité d'assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise, qui avait permis de justifier la différence de traitement.

Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt rendu le 9 novembre 2005, ce sont bien des considérations comparables qui ont justifié l'octroi d'une prime particulière aux salariés étrangers, et ce afin de rendre l'emploi plus attractif.

  • Une solution parfaitement justifiée

Comme nous avions eu l'occasion de le souligner lors de la précédente décision, cette solution nous semble particulièrement justifiée. Le principe de non-discrimination et son corollaire en matière de rémunération, le principe "A travail égal, salaire égal", visés tous deux dans l'arrêt, n'impliquent nullement de traiter de manière rigoureusement identique des salariés accomplissant les mêmes tâches, mais visent à éviter que l'employeur n'impose des différences de traitement gratuites ou, pire, discriminatoires.

La "valeur" du travail, qui se traduit dans le niveau de rémunération, dépend en effet également du contexte économique (la situation de l'entreprise), social (l'état du marché du travail), matériel (le secteur d'activité de l'entreprise), temporel (le moment de l'embauche) et géographique (le lieu d'exercice de l'activité) dans lequel s'exécute la prestation de travail. Oublier cette règle élémentaire de la vie des entreprises aboutirait à nier la relativité de la valeur "travail" et condamnerait toute forme de politique salariale incitative dans les entreprises.

La Cour de cassation l'a parfaitement compris, et on ne peut que s'en féliciter.

newsid:81188

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'annulation d'un accord de substitution vaut absence d'accord

Réf. : Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ) ; Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM)

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N1150AKS

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Le 07 Octobre 2010

Lorsqu'une convention ou un accord collectif est dénoncé, l'employeur a tout intérêt à conclure un accord de substitution. A défaut d'un tel accord, en effet, les salariés concernés pourront prétendre au maintien des avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé. Que se passe-t-il, cependant, lorsqu'un accord de substitution ayant été signé, il vient à être postérieurement annulé ? Ainsi que le décide la Cour de cassation dans deux arrêts d'importance rendus le 9 novembre 2005, "l'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution". Si cette solution trouve à se justifier d'un point de vue juridique, elle n'en conduit pas moins à de lourdes conséquences pratiques pour l'employeur, les salariés recouvrant le bénéfice des avantages individuels acquis.

Décisions

Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-43.290, M. Pierre Verk c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5088DLZ)

Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-45.774, M. Jean-Michel Amestoy c/ Société Suez Lyonnaise des eaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5104DLM)

Cassation (CA Montpellier, chambre sociale, 12 mars 2003 et CA Paris, 21e chambre B, 19 juin 2003)

Texte visé : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN)

Mots-clefs : convention et accord collectif de travail ; dénonciation ; accord de substitution ; nullité ; absence d'accord de substitution ; maintien des avantages individuels acquis.

Lien bases :

Résumé

L'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution. Par suite, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de l'accord dénoncé.

Faits

1. Le 19 janvier 2003, la société Suez Lyonnaise des eaux a dénoncé un accord du 22 juin 1947 portant statut du personnel et reconnaissant aux salariés des avantages particuliers consistant, notamment, en un sursalaire familial, une indemnité d'échelon d'ancienneté et une indemnité de congé parental. Le 20 janvier 2003, a été conclu un accord de substitution, qui a toutefois été déclaré nul par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 9 février 2000. A la suite de cette décision, la société a conclu, le 7 mars 2000, un accord dit "de sauvegarde" et, le 22 juin 2000, un accord définitif reprenant, pour l'essentiel, les dispositions de l'accord annulé.

Invoquant la nullité de l'accord de substitution du 20 janvier 1993, plusieurs salariés ont alors demandé le paiement de sommes correspondant aux avantages précités résultant de l'accord de 1947 dont ils avaient été privés à la suite de la fusion.

2. Les salariés ont été déboutés de leurs demandes aussi bien par la cour d'appel de Montpellier que par celle de Paris, qui ont adopté une motivation similaire. Selon les juges d'appel, l'accord de substitution constituant un contrat à exécution successive ayant produit des effets irréversibles, la nullité ne peut jouer que pour l'avenir, sauf, précise en outre la cour d'appel de Paris, à faire bénéficier les salariés à la fois des avantages de l'ancien accord et de ceux de l'accord annulé.

Solution

1. Cassation des arrêts des cours d'appels de Paris et de Montpellier au visa de l'article L. 132-8 du Code du travail.

2. "Attendu, cependant, que l'annulation de l'accord conclu en vue de remplacer l'accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution et que lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, les salariés des entreprises concernés conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé à l'expiration de ces délais".

Commentaire

1. De l'intérêt de négocier un accord de substitution

  • Rappel sur le régime juridique de la dénonciation d'un accord collectif

Les règles légales relatives à la dénonciation des conventions et accords collectifs de travail sont suffisamment connues pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir en détails. On se bornera simplement à rappeler qu'en application de l'article L. 132-8 du Code du travail, lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou salariés, la norme conventionnelle continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis.

En s'en tenant là, on pourrait avancer que l'employeur n'a aucun intérêt à signer un accord de substitution. Ce serait oublier les prescriptions de l'alinéa 6 de l'article précité, qui indiquent que "lorsque la convention ou l'accord qui a été dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au troisième alinéa [...], les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention ou de l'accord, à l'expiration de ces délais".

Le maintien des avantages individuels acquis constitue ainsi, pour l'employeur, une incitation très forte à conclure un accord de substitution. Dit autrement, "la conclusion d'une telle convention ou d'un tel accord de substitution est la solution normale, souhaitée, des problèmes posés par une dénonciation ; et ses effets constituent une incitation à conclure, notamment pour la partie patronale, aussi rapidement que possible" (Y. Chalaron, Négociations, conventions et accords collectifs. Fin d'application. Révision, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 1-38, spéc. § 25).

  • L'accord de substitution

Il convient de souligner que ne saurait recevoir la qualification d'accord de substitution n'importe quel accord intervenant durant la période de survie de la norme conventionnelle dénoncée. Ainsi que le note le Professeur Chalaron à juste titre, "la négociation de substitution doit être spécifique et adéquate et aucune équivoque ne doit régner sur sa finalité de substitution et sur la volonté des négociateurs de chercher à régler spécifiquement les problèmes soulevés par la dénonciation" (Y. Chalaron, Etude préc., § 27).

Cela étant, la Cour de cassation a pu considérer que des discussions en vue du remplacement par un nouvel accord d'un accord collectif existant peuvent être engagées avant toute dénonciation de cet accord. Toutefois, la nouvelle négociation qui doit s'engager en cas de dénonciation d'un accord par la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, en vue de la signature éventuelle d'un accord de substitution, ne peut avoir lieu qu'après la dénonciation.

En outre, toutes les organisations syndicales de salariés représentatives doivent être invitées à cette nouvelle négociation (1) (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-22.619, Union syndicale des personnels de la société Lyonnaise des eaux Dumez c/ Société Lyonnaise des eaux et autres, publié N° Lexbase : A4721AGX). Il nous sera donné de revenir sur cet arrêt plus avant dans la mesure où, très précisément, il se trouve à l'origine de l'affaire commentée.

Pour l'heure, et pour en terminer avec l'accord de substitution, il faut encore préciser qu'il reste valable même s'il ne reprend pas l'ensemble des questions abordées dans l'accord dénoncé, ou encore s'il est moins favorable que ce dernier (Cass. soc., 3 mars 1998, n° 96-11.115, Syndicat du livre du papier et de la communication CGT Moselle c/ Société Sollac, publié N° Lexbase : A2616ACU).

En outre, il convient de ne pas oublier que l'accord de substitution est, d'abord et avant tout, un accord collectif. Par suite, et pour ce qui est de ses conditions de validité, l'accord est évidemment et notamment soumis au fameux principe majoritaire.

2. Les conséquences de la nullité de l'accord de substitution

  • Nullité de l'accord de substitution

Il va de soi que la nullité de l'accord de substitution peut être prononcée pour différentes causes. Il pourra en aller ainsi en cas de vice du consentement ou encore en l'absence d'écrit (C. trav., art. L. 132-2, al. 1er N° Lexbase : L5680ACD). De même, et en application de l'article L. 132-2-2, § V du même Code (N° Lexbase : L4693DZT), "les textes frappés d'opposition majoritaire et les textes n'ayant pas obtenu l'approbation de la majorité des salariés sont réputés non écrits".

S'agissant de l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait déclaré nul l'accord de substitution parce qu'il avait été conclu sans que l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés ait été invité à la nouvelle négociation qui s'était engagée après la dénonciation de l'accord de 1947. Plus précisément, des négociations avaient été engagées en 1990 par la société Suez Lyonnaise des eaux en vue de réviser le statut du personnel issu d'un accord de 1947. Le 19 janvier 1993, lors d'une réunion avec les organisations syndicales, constatant le blocage des négociations, l'entreprise avait dénoncé l'accord de 1947 et notifié la dénonciation aux syndicats à 22 heures. Les délégués CGT et CFDT avaient alors quitté la réunion. Les discussions s'étaient cependant poursuivies avec les représentants des organisations syndicales CGT-FO et CFE-CGC et avaient abouti à la signature d'un accord le 20 janvier 1993, à une heure du matin. C'est cet accord que la Chambre sociale avait à juste titre déclaré nul pour les motifs évoqués précédemment (Cass. soc., 7 février 2000, préc.).

  • L'absence d'accord de substitution

Lorsque la convention ou l'accord dénoncé n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans le délai de 12 mois courant à compter de l'expiration du préavis, les salariés conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé (C. trav., art. L. 132-8, al. 6).

La règle du maintien des avantages individuels acquis a d'abord vocation à jouer lorsque aucun accord de substitution n'a pu être conclu dans le délai imparti. Mais, et c'est là tout l'apport de la décision commentée, il en va également ainsi lorsqu'un accord de substitution ayant été conclu, il est postérieurement annulé. Pour reprendre les termes de la Cour de cassation, "l'annulation d'un accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé équivaut à une absence d'accord de substitution".

D'un point de vue strictement juridique, cette solution est difficilement contestable dès lors qu'un acte nul est réputé n'avoir jamais existé. Il en va différemment en opportunité, dans la mesure où cette nullité a, en quelque sorte, pour effet d'entraîner la résurrection de la règle du maintien des avantages individuels acquis. Ce qui conduit à mettre à la charge de l'employeur le paiement de sommes pour le moins importantes, ainsi qu'en témoigne l'arrêt commenté.

Cela explique, sans doute, la solution retenue par les juges du fond en l'espèce, lesquels, et spécialement la cour d'appel de Paris, avaient considéré que s'agissant d'un contrat à exécution successive ayant produit des effets irréversibles, la nullité ne pouvait jouer que pour l'avenir, sauf à faire bénéficier les salariés à la fois des avantages de l'ancien accord et de ceux de l'accord annulé. Réponse de la Cour de cassation, "en statuant comme elle l'a fait alors, d'une part, que l'accord nul du 20 janvier 1993 n'avait pu produire aucun effet et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que les accords des 7 mars 2000 et 22 juin 2000 n'avaient pas été conclu dans les délais du troisième alinéa de l'article L. 132-8 du Code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Les salariés étaient donc en droit de prétendre aux avantages individuels acquis en application de l'accord de 1947.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Soulignons que l'organisation syndicale qui conclut l'accord de substitution n'est pas nécessairement signataire ou adhérente de l'accord dénoncé. Il s'agit de ne pas confondre dénonciation et révision.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Liquidation des régimes matrimoniaux : justification des récompenses

Réf. : Cass. com., 8 novembre 2005, n° 03-19.570, Mme Jocelyne Courchevel, épouse Bordes c/ Directeur des services fiscaux d'Eure et Loir, FS-P+B (N° Lexbase : A5077DLM)

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

L'encaissement de deniers propres par la communauté suffit, sauf preuve contraire, à justifier un droit à récompense. La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient, ainsi, de simplifier l'établissement d'un droit à récompense lorsque, durant le régime de communauté, un des deux époux a cédé des biens qui lui étaient propres et que le prix a été encaissé par la communauté, sans que l'époux ne l'ai employé dans l'acquisition d'un nouveau bien propre. On sait que le fonctionnement d'un régime de communauté fait naître des créances et des dettes entre ladite communauté et chaque époux. Ces dettes sont liquidées au moyen du procédé des "récompenses". Les causes de récompenses sont au nombre de deux, l'une consistant dans le cas où la communauté a tiré profit de biens propres (C. civ., art. 1433 N° Lexbase : L1561ABG), l'autre consistant dans le cas où c'est l'un des époux qui a tiré profit d'un bien commun (C. civ., art. 1437 N° Lexbase : L1565ABL). En principe, l'époux qui invoque une récompense doit démontrer qu'il est créancier. C'est dans l'établissement de cette preuve que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de parachever un revirement de jurisprudence initié par la Chambre civile. 1. Sévérité dans l'exigence de la preuve : jurisprudence antérieure

Dans le dernier état de sa doctrine (réponse Perrut, JOAN, 11 janvier 1999, p. 201), l'administration fiscale a précisé que la jurisprudence de la Cour de cassation consacrait le principe qu'en cas d'encaissement de deniers propres ou provenant de la vente d'un bien propre par la communauté sans qu'il y ait eu emploi ou remploi, celui qui allègue la récompense, et notamment l'administration, doit rapporter la preuve du profit retiré par la communauté par tout moyen, y compris par présomption. En effet, le juge exigeait "la preuve dès la notification de redressement de la réalisation et de l'étendue du profit tiré par la communauté de l'utilisation des deniers propres" (Cass. com., 11 février 1992, n° 89-14.079, Mme Treanton c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A3943ABN). Autrement dit, la preuve de l'encaissement de fonds propres par l'un des époux, en raison, par exemple, de la cession d'un bien qu'il avait reçu par succession, ne suffisait pas pour exiger, lors de la liquidation du régime matrimonial, une récompense. Pour qu'il y ait droit à récompense, l'époux devait établir un profit réel et positif de la communauté, c'est-à-dire son enrichissement. Tel est le cas lorsqu'il est constaté que peu de temps après la cession d'un propre à un époux, la communauté a procédé à l'acquisition d'un immeuble (TGI Bordeaux 30 juillet 1996, n° 94-8795). La Chambre civile de la Haute juridiction décidait dans le même sens : elle refusait, ainsi, tout droit à récompense en cas d'utilisation de capitaux propres pour les besoins du ménage lorsque ces paiements ne laissaient subsister aucun profit pour le patrimoine commun (Cass. civ., 26 juin 1990, Gonod c/ Poulain, inédit). Cette preuve du profit réel de la communauté était, donc, à juste titre, considérée comme une preuve difficile à rapporter.

2. La récompense se déduit de l'encaissement : revirement de jurisprudence

Dans une décision datant de 2003, la Chambre civile a infléchi sa position en exigeant seulement l'emploi des fonds propres "dans l'intérêt de la communauté" (Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-21.108, F-P+B N° Lexbase : A6887A4T). Autrement dit, l'exigence d'un profit réel disparaissait pour être remplacé par la preuve que les fonds avaient été utilisés pour les besoins de la communauté, comme par exemple les dépense courantes. Le droit à récompense n'était, donc, écarté que dans l'hypothèse où il aurait été démontré que l'époux ayant cédé un bien propre avait dépensé égoïstement le produit de cette cession. Cependant, c'est un revirement indiscutable qui a, ensuite, été opéré en février 2005 (Cass. civ. 1, 8 février 2005, n° 03-13.456, FS-P+B+R N° Lexbase : A6901DGP). En effet, la Cour énonce clairement qu'il incombe à celui qui demande récompense à la communauté d'établir que les deniers provenant de son patrimoine propre ont profité à celle-ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte, notamment, de l'encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de remploi. La Cour établit, ainsi, une présomption simple selon laquelle le profit se déduit de l'encaissement des fonds propres par la communauté. L'époux défendeur devra, quant à lui, démontrer, si cette preuve peut être établie, que le demandeur a, en réalité, utilisé les fonds en cause dans son seul intérêt personnel au lieu d'avoir été consommés pour les besoins de la communauté. C'est ce revirement, opéré en premier lieu par la Chambre civile qui a été parachevé par la Chambre commerciale. Dans un attendu identique, elle précise que l'administration, lorsqu'elle fonde un redressement de droits de mutation par décès sur l'existence d'une récompense due à la succession par la communauté, doit établir que les deniers provenant du patrimoine propre du défunt ont profité à celle ci ; que, sauf preuve contraire, le profit résulte notamment de l'encaissement de deniers propres par la communauté, à défaut d'emploi ou de remploi. Au cas particulier, à la suite du contrôle d'une déclaration de succession, des héritiers avaient reçu une notification de redressement fondé sur l'existence d'une récompense due à la succession par la communauté en raison de l'encaissement par celle ci du prix de vente de biens immobiliers appartenant en propre au défunt et de liquidités, le tout lui provenant des successions de ses parents ouvertes après son mariage.

3. Conséquences au regard du contrôle des successions

La décision du 8 novembre 2005, en facilitant la preuve des récompenses, va permettre à l'administration fiscale de rétablir plus aisément une plus grande transparence dans les déclarations de successions. Dans la mesure où l'encaissement conduit à une présomption de profit pour la communauté, point ne sera besoin de rapporter la preuve, pour justifier l'omission de la récompense, que, peu de temps après cet encaissement, la communauté a, par exemple, acquis un bien immobilier ou investi des liquidités dans un portefeuille de valeurs mobilières. Certes, cette présomption reste simple et les héritiers seront toujours en droit de démontrer que les fonds en cause n'ont, en définitive, pas profité à la communauté.

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Taxes diverses et taxes parafiscales

[Jurisprudence] Conformité de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat au droit communautaire

Réf. : CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-266/04, Nazairdis SAS, devenue Distribution Casino France SAS c/ Caisse nationale de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (N° Lexbase : A0982DLX).

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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt en date du 27 octobre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a jugé que les articles 87, § 1, du Traité CE et 88, § 3, du même Traité devaient être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à la perception d'une taxe, telle que la taxe française d'aide au commerce et à l'artisanat (TACA). En d'autres termes, la perception de la taxe française d'aide au commerce et à l'artisanat est autorisée par le droit communautaire. En l'espèce, plusieurs sociétés exploitantes de magasins de la grande distribution avaient chacune formé un recours dirigé contre l'Organic (Organisation Autonome d'Assurance Vieillesse des Travailleurs non salariés des professions Industrielles et Commerciales) devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Etienne, afin d'obtenir le remboursement des sommes qu'elles avaient versées au titre de la TACA.

Elles estimaient que cette taxe avait été instituée en violation des dispositions des articles 87, §1 et 88, § 3, du Traité CE.

Dans les affaires C-321/04 à C-325/04, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Etienne avait rejeté les recours des sociétés demanderesses. La cour d'appel de Lyon avait été, alors, saisie, mais avait décidé de surseoir à statuer. Par un arrêt du 24 février 2004, celle-ci avait, alors, demandé à la CJCE qu'elle se prononce sur la qualification en aide d'Etat ou non, au sens de l'article 87 du Traité CE, de la TACA recouvrée sur les parties demanderesses (CA Lyon, 24 février 2004, n° 03/03383, La société Casino France c/ Organic de recouvrement N° Lexbase : A8505DBM).

Dans les affaires C-266/04 à C-270/04, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Etienne avait décidé, également, de surseoir à statuer pour le même motif.

Par décisions du 5 avril 2004 (affaires C-266/04 à C-270/04 et C-276/04), le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Etienne avait posé à la CJCE la question préjudicielle suivante :

"L'article 87 du Traité CE doit-il être interprété en ce sens que les concours publics versés par la France dans le cadre du comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC), du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac), de l'aide au départ des artisans et commerçants et de la dotation aux régimes d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales, ainsi qu'à celui des travailleurs non salariés des professions artisanales, constituent des régimes d'aide d'Etat ?"

Par ordonnance du président de la Cour du 24 septembre 2004, les présentes affaires ont été jointes.

Aux questions préjudicielles portant sur l'interprétation des articles 87 et 88 du Traité CE, la  Haute cour communautaire a conclu à la légalité de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat (TACA) au regard du droit communautaire et a, notamment, relevé l'absence de lien d'affectation contraignant entre la TACA et les régimes d'assurance vieillesse des artisans et des commerçants, ainsi qu'entre la TACA et les mesures financées par le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac) et le Comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC).

A titre liminaire, il est utile de préciser que la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, créée par l'article 4 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés (N° Lexbase : L9212AZ9), est une taxe progressive, ayant pour finalité de financer une aide spéciale accordée aux commerçants impécunieux qui ont cessé toute activité et destinée à compenser de façon partielle la perte de leur fonds de commerce ou artisanal.

Elle est supportée directement par les magasins de détail situés en France, disposant d'une surface de vente supérieure à 400 m², et réalisant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 460 000 euros. Les taux d'imposition sont progressifs en fonction du montant du chiffre d'affaires annuel par m².

Finançant, dans un premier temps, une aide spéciale compensatrice de départ en faveur de certains commerçants et artisans, cette dernière ayant été remplacée, par la suite, par une indemnité de départ, la TACA a permis de financer, également, les régimes d'assurance vieillesse de base des travailleurs non salariés des professions artisanales et des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales, le Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac) et le Comité professionnel de la distribution des carburants (CPDC).

Dans l'affaire commentée, la TACA était perçue par la Caisse nationale de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés des professions industrielles et commerciales (Organic).

Les sociétés de la grande distribution, parties à la procédure, considéraient que les exonérations de taxe accordées à certains commerçants et artisans et la distribution d'"indemnité de départ" faisaient de ce régime une aide d'Etat non autorisée par la Commission, à défaut de notification préalable.

Il convient de rappeler que l'article 87 § 1 du Traité CE dispose que, sauf dérogations prévues par le présent Traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

Par ailleurs, l'article 88 § 2 et 3, du Traité CE précise que si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. La Commission doit, alors, être informée en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.

Au vu des dispositions susvisées, les sociétés, parties à la procédure, estimaient que, dans la mesure où seuls les magasins de détail situés en France disposant d'une surface de vente supérieure à 400 m² et réalisant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 460 000 euros sont assujettis à la TACA et que le paiement de cette taxe permet de financer le régime d'indemnité de départ à la retraite des commerçants et artisans, la légalité d'une telle taxe au titre du droit communautaire et, plus particulièrement, au regard des articles 87 et 88 du Traité CE doit être remise en cause.

Leur position était compréhensible dans la mesure où certains grands commerces non alimentaires voient leur imposition majorée dans des proportions considérables.

Or, dans un contexte de budgétisation de la TACA et du maintien de la dotation budgétaire du FISAC, il est aisé de comprendre que certains représentants du commerce estiment, aujourd'hui, que cette augmentation des taux rompt avec le principe de solidarité et d'entraide entre les professionnels du commerce qui fondait la création de cette taxe en 1972 et qui, pourtant, s'impose plus que jamais.

A l'opposé, la caisse, dans l'affaire en cause, estimait que le régime de retraite financé par la taxe d'entraide ne pouvait pas être une aide d'Etat déguisée, car, d'une part, l'aide est accordée à des commerçants ou artisans âgés ou invalides, aux revenus modestes, sous conditions préalables d'une cessation d'activité. Elle ne s'adresserait, donc, qu'à des particuliers. D'autre part, les cas d'exonération de la taxe ne seraient pas de nature à fausser le jeu normal de la concurrence entre les entreprises, car comme tout système de protection sociale fondée sur la solidarité professionnelle, cette taxe peut parfaitement être assise en fonction des capacités contributives de chaque entreprise et donner lieu au versement d'une aide au profit de non cotisants.

Les juridictions nationales ayant choisi de surseoir à statuer, il appartenait, dès lors, à la CJCE de trancher le différend opposant la caisse aux sociétés de la grande distribution, à savoir de déterminer si la TACA est une aide d'Etat légale au regard du droit communautaire.

Il convient de rappeler que constitue une aide d'Etat toute mesure nationale procurant un avantage à une entreprise ou à une ou plusieurs catégories d'entreprises (caractère sélectif de l'aide), accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d'Etat et imputable à l'Etat (voir en ce sens, CJCE, 16 mai 2002, aff. C-482/99, République française c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A6926AY8). Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la notion d'aide comprend les avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui, normalement, grèvent le budget d'une entreprise. A titre d'exemple, un dégrèvement partiel des charges sociales incombant aux entreprises d'un secteur industriel et commercial particulier constitue une aide au sens de l'article 87 §1, du Traité CE, si cette mesure est destinée à exempter partiellement ces entreprises des charges pécuniaires découlant de l'application normale du système général de prévoyance sociale, sans que cette exemption se justifie par la nature ou l'économie de ce système (voir en ce sens, CJCE, 5 octobre 1999, aff C-251/97, République française c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A0510AWS).

En revanche, la CJCE, dans un arrêt en date du 20 novembre 2003, a considéré que la taxe d'équarrissage mise en place en 1996, afin de financer le service public de collecte et d'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs (service public d'équarrissage), participait d'un dispositif instaurant une aide d'Etat incompatible avec le droit communautaire (CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-126/01, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Gémo SA N° Lexbase : A1832DA4) ; J.-P. Lehman, La taxe d'équarrissage contraire au droit communautaire, Lexbase Hebdo n° 96 du 26 novembre 2003 - édition fiscale N° Lexbase : N9563AAG). Ce service étant gratuit pour les éleveurs et les abattoirs, ainsi que pour les petits détaillants, la CJCE a jugé que cette taxe constituait une aide d'Etat contraire au droit communautaire. A l'instar de la jurisprudence communautaire sur la taxe d'équarrissage, il était tout à fait possible de penser que la Cour allait suivre la même position quant à la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat. La Cour aurait, ainsi, pu considérer comme illégal au regard du droit communautaire le régime d'aide accordé aux petites surfaces financé par la TACA perçue auprès des grandes surfaces. En effet, il est patent que le but même du financement du régime de retraite susvisé est de soutenir les petits commerçants et artisans face aux grandes surfaces (lire Fabien Girard de Barros, Taxe d'entraide au commerce et à l'artisanat : la "théorie des dominos" en action ?, Lexbase Hebdo n° 118 du 29 avril 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N1378ABH).

Toutefois, la Cour a estimé que la perception de la TACA ne venait pas fausser le jeu de la concurrence entre les grandes et petites surfaces. Estimant qu'il n'existe pas de lien d'affectation contraignant entre la TACA et les différentes autre mesures financées par l'excédent du produit de cette taxe, la CJCE n'a pas condamné ce régime d'aide et la taxe y afférente. C'est pourquoi, elle n'a pas accueilli la demande de remboursement de la TACA payée par les sociétés de la grande distribution.

newsid:81097

Bancaire

[Jurisprudence] Coffre-fort et incendie : le banquier est-il toujours responsable ?

Réf. : Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-10.975, Crédit Lyonnais c/ Sirin, FS-P+B (N° Lexbase : A0188DLK)

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Le 07 Octobre 2010

Le contentieux relatif au contrat de location de coffre-fort tend souvent à rechercher la responsabilité du banquier pour la perte de la chose entreposée. Mais il peut, aussi, se manifester à l'occasion d'une privation temporaire. En témoigne l'arrêt du 11 octobre dernier, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (1), condamnant le banquier à indemniser le client qui a été privé, pendant un certain temps, de l'accès à son coffre, quand bien même l'entrave serait-elle due à un évènement extérieur à la volonté du banquier. En l'espèce, une banque conclut un contrat de location de coffre-fort avec un client qui y dépose des bons au porteur avant qu'un incendie ne dévaste ses locaux. Un arrêté de péril est alors pris par le préfet de police et, quelque temps plus tard, le client est informé par la banque que, si la salle des coffres n'a pas directement été atteinte par l'incendie, d'importants travaux de consolidation doivent, néanmoins, être entrepris, ce qui rend son accès impossible avant plusieurs mois. Le client, n'ayant pu effectivement accéder à son coffre pendant près d'un an, assigne subséquemment la banque en responsabilité pour la perte des intérêts consécutive à l'immobilisation de ses titres. Débouté par les premiers juges, il est, ensuite, accueilli par les juges du second degré (2). La banque forme, alors, un pourvoi que rejette finalement la Chambre commerciale en apportant plusieurs réponses inédites aux différentes questions posées.

La banque peut-elle d'abord soutenir que la mise à disposition d'un coffre-fort, moyennant un loyer, est un contrat de location soumis aux règles de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW), et partant, qu'une interdiction administrative relève du fait du prince et exclut toute indemnisation ? Placer le débat sur la nature juridique du contrat est habile car aux termes de cet article, "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite [...] par cas fortuit [...], il n'y a lieu à aucun dédommagement". La banque pouvait, d'ailleurs, d'autant plus, emprunter une telle voie que la jurisprudence y paraissait favorable. Dans ce même incendie, mais pour un autre client, la cour d'appel de Paris avait ainsi déjà pu considérer que le contrat de coffre-fort constituait un contrat de louage de bien meuble pour lequel l'article 1722 du Code civil devait recevoir application, même quand -suivant une jurisprudence constante (3)-, le locataire se trouve dans l'impossibilité de jouir de la chose (4). La Cour de cassation, dans un arrêt plus ancien, avait pu, au contraire, qualifier un tel contrat de louage d'immeuble, mais c'était pour rendre plus encore applicable l'article 1722 (5). Dans une autre décision, elle avait aussi admis le caractère exonératoire du fait du prince (6). Une telle argumentation ne pouvait à la vérité prospérer. Rompant avec les arrêts antérieurs, les Hauts magistrats décident, très justement, que "l'article 1722 du Code civil n'est pas applicable au contrat par lequel la banque loue à un client un compartiment ou un coffre dont elle assume la surveillance et auquel le client ne peut accéder qu'avec le concours du banquier". La déconnexion opérée sur ce point, entre le contrat de location de coffre-fort et le droit commun du louage, ne peut qu'apparaître salutaire pour le client, car en définitive, il n'a qu'un accès limité à la chose louée, sans jamais en avoir la maîtrise.

Au vrai, le contrat de coffre fort est un contrat de nature plus complexe qu'un simple contrat de louage (7) : en ne conférant pas une "jouissance directe" au preneur (8), le contrat est hybride, à mi-chemin du contrat de location et du contrat de dépôt. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que la Cour de cassation, qui a déjà eu l'occasion de n'y voir qu'un "contrat de garde" (9), ait pu, ici, encore repousser l'application du louage.

Le loueur du coffre-fort peut-il davantage invoquer une clause du contrat aménageant sa responsabilité ? La clause prévoyait, en l'espèce, "qu'en cas de sinistre prouvé, par [...] incendie, [...] ou toute autre cause, entraînant la disparition ou la détérioration des objets contenus dans le compartiment de coffre, le titulaire de la location devrait, outre la preuve que [la banque] n'a pas apporté la diligence normale convenue, faire celle de la consistance et du montant de son préjudice par tous moyens en son pouvoir [...] pour pouvoir prétendre à indemnisation". Elle précisait, également, que la responsabilité de la banque "ne pourrait être mise en cause en cas de force majeure". La Chambre commerciale écarte, cependant, totalement la clause en décidant que "l'incendie, qui est à l'origine de l'arrêté de péril, ne constitue pas un événement imprévisible et irrésistible". A contrario, si l'incendie peut être prévu et s'il est possible d'y résister, sa seule survenance permet d'inférer que la banque n'a probablement pas apporté la diligence attendue.

Cela étant, faut-il admettre la solution pour tous les incendies ? Ne faut-il pas rechercher la cause précise de l'incendie ? La responsabilité du banquier se conçoit sans peine si la cause directe du sinistre lui est imputable. C'est le cas, par exemple, si l'incendie résulte d'un défaut d'entretien de son installation électrique, s'il s'est déclaré au cours de travaux qu'il a entrepris, ou plus généralement, s'il s'avère qu'il n'a pas pris les mesures suffisantes. Mais la force majeure doit-elle encore lui être refusée si l'incendie a une origine criminelle (10), s'il est le fait de tiers ayant pénétré par effraction (11), ou s'il lui a été communiqué par un immeuble voisin ? L'hésitation est permise au regard de la jurisprudence rendue en d'autres domaines. Mais l'arrêt du 11 octobre 2005 ne faisant pas spécialement de distinction, il est possible de penser que le banquier dont les installations sont dévastées par un incendie devrait toujours indemniser ses clients.

Il est, en fait, assez normal que le banquier soit responsable. En premier lieu, même s'il s'agit d'une location dérogatoire au droit commun du louage, comme tout bailleur, il est "obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail" (12). En second lieu, la fin principale du contrat est, comme on l'a vu, la garde de la chose dans les installations louées. Une obligation de sécurité particulière s'impose donc à la banque : celle de mettre tous les moyens en oeuvre pour que les valeurs que ses installations abritent ne soient pas exposées. En dernier lieu, la garde suppose restitution, ou, ce qui revient au même, de faire en sorte, ici, que le client puisse reprendre possession de la chose déposée. Or, le banquier ne peut ordinairement pas invoquer la force majeure pour se libérer de son obligation de restitution (13).

Une dernière question se posait encore à la Cour : la responsabilité de la banque pouvait-elle être retenue en l'absence de lien de causalité entre le défaut de paiement des intérêts afférents aux bons et une éventuelle négligence de sa part ; qui plus est si, à aucun moment, elle n'a été informée de l'existence des bons au porteur et de la date avant laquelle ceux-ci devaient être récupérés ? La Cour de cassation répond par l'affirmative. Le fait que les bons au porteur devaient être présentés physiquement à leur échéance pour percevoir les intérêts, ce qui n'a pu être fait en raison de l'impossibilité pour la banque d'assurer à son client l'accès à la salle des coffres, atteste l'existence d'un lien de causalité.

La solution découlant du présent arrêt, qui n'admet pas que le banquier loueur de coffre-fort puisse tirer parti de l'incendie qui le frappe pour s'exonérer de ses obligations, est à approuver. Son incidence pour le banquier est au demeurant très relative, s'agissant d'un sinistre, qui, de toute façon, est -ou peut être- couvert par les assurances.

Richard Routier
Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. com., 11 octobre 2005, n° 03-10.975, Crédit Lyonnais c/ Sirin, FS-P+B.
(2) CA Paris, 15ème ch., sect. A, 26 novembre 2002, n° 2001/05578, Sirin c/ Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A7782A4Y).
(3) Cass. civ. 1, 5 juillet 1965, n° 63-10.325, Obadia c/ Philippe, Bull. civ. I n° 446 ; Cass. civ. 3, 17 octobre 1968, n° 66-13 032, Société Mansour c/ Riffert (N° Lexbase : A0931AUZ), Bull. civ. III, n° 383 ; Cass. com., 16 juillet 1980, n° 78-16.022, Société Centre Bretagne de Paris c/ Société Gho (N° Lexbase : A7330AGL), Bull. civ. IV, n° 294.
(4) CA Paris, 31 mars 2000, Vannier c/ Crédit lyonnais, D. 2001, Somm. p. 166, obs. CRDP Nancy II.
(5) Cass. req., 11 février 1946, D. 1946, Jur. p. 365, note A. Tunc.
(6) Cass. civ. 1, 29 novembre 1965, D. 1966, p. 101.
(7) CA Paris, 19 avril 1984, JCP éd. E, 1985, II, 14491 ; Cass. civ. 1, 15 novembre 1988, SA Banque La Henin c/ Consorts Souleyreau (N° Lexbase : A8250CTQ), D. 1989, Somm. p. 332, obs. M. Vasseur, et Jur. p. 349, note Ph. Delebecque ; RTD com. 1989, p. 285 obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
(8) Th. Bonneau, Droit bancaire, 5ème éd. Montchrestien, spéc. n° 783.
(9) Cass. civ. 1, 2 juin 1993, n° 91-10.971, Consorts Goldfinger et autres c/ M. Sébastien (N° Lexbase : A3601ACD), Bull. civ. I n° 197, D. 1994, Jur. p. 582, note B. Fauvarque-Cosson.
(10) Cass. civ. 3, 28 septembre 1983, n° 81-15.840, Cie Rhin et Moselle c/ Mohamed Chenna, Mohamed Ouali (N° Lexbase : A8822AH9), Bull. civ. III n° 172.
(11) Cass. civ. 3, 21 décembre 1987, n° 86-14.626, Norwich union fire insurance society limited et autres c/ Compagnie les Assurances générales de France (AGF) et autres (N° Lexbase : A4894CI4), Bull. civ. III n° 211.
(12) Cass. civ. 3, 19 mai 2004, n° 02-19.908 et 02-19.730, Caisse des règlements pécuniaires des avocats de Papeete c/ Société n° 4 rue du Ct Destremeau (N° Lexbase : A1977DC9), Bull. civ. III n° 100, D. 2004, IR p. 1640.
(13) CA Paris, 22 novembre 1924, DH 1925, 48.

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Social général

[Textes] La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif

Réf. : Accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 relatif a l'emploi des seniors en vue de promouvoir leur maintien et leur retour a l'emploi

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Le 07 Octobre 2010

Conformément aux obligations fixées par la loi n° 2003-775 du 21 aôut 2003 portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), organisations professionnelles et syndicats ont mis en chantier, en mars 2005, des négociations interprofessionnelles sur l'emploi des seniors. Le projet d'accord national interprofessionnel (Ani), issu de ces réunions, est ouvert à la signature jusqu'au 10 novembre 2005, les organisations syndicales devant consulter leurs instances avant de se prononcer. L'Ani conclu le 13 octobre 2005 traite de l'emploi des travailleurs vieillissants en ses deux composantes : les dispositions visant, d'une part, les salariés âgés en situation d'activité (productivité et performance économique, gestion de l'emploi et des carrières, conditions de travail et pénibilité, formation) et, d'autre part, ceux, sans activité, qui sont demandeurs d'un emploi (critère de l'âge dans les offres d'emploi, contrat de professionnalisation, travail à temps partagé, aménagement d'un CDD spécialement dédié aux travailleurs vieillissants). 1. Dispositifs de maintien dans l'emploi au profit des travailleurs vieillissants en position d'activité

Promouvoir le vieillissement actif est un objectif fixé en droit interne (1), mais aussi en droit communautaire (objectifs de la stratégie européenne pour l'emploi définie à l'horizon 2010 par le Conseil européen de Lisbonne, en 2000 ; Conseil de Stockholm, en 2001 ; Barcelone, en 2002). En France, la proportion de salariés âgés exerçant une activité professionnelle est plus faible que dans la plupart des autres pays européens : 36,8 % des 55-64 ans occupaient un emploi en 2003, soit près de 5 points de moins que la moyenne de l'Union, loin de l'objectif moyen européen (2).

1.1. Mesures de maintien dans l'emploi : valoriser les salariés âgés

  • Productivité et performance économique des salariés âgés

Les partenaires sociaux rappellent que vieillissement et productivité ne sont pas nécessairement posés en des termes contradictoires (Ani 13 oct 2005, art. 1). Si, au plan micro-économique, le vieillissement peut avoir des incidences négatives sur l'emploi lorsqu'il s'accompagne d'un coût du travail considéré ou perçu par les entreprises comme déconnecté de la productivité, il apparaît, au plan macro-économique, contrairement à certaines idées reçues, que le vieillissement de la population active n'a pas d'impact sur la productivité moyenne. Les économistes dressent le même constat (3). Les syndicats ont voulu montrer, en signant l'Ani du 13 octobre 2005 (art. 2), qu'il existe un lien entre pratique de gestion des âges et performance, et mobiliser sur ce thème non seulement les chefs d'entreprises mais, également, tout l'encadrement.

  • Gestion de l'emploi et des carrières

La mise en place d'une gestion anticipative des emplois et des compétences dans toutes les entreprises requiert une implication des partenaires sociaux à tous les niveaux : branches, territoires, entreprises (Ani 13 oct. 2005, art. 4). Les partenaires sociaux admettent que de nombreuses dispositions devront être mobilisées pour permettre une réelle mise en oeuvre d'une gestion anticipative des emplois et des compétences et souhaitent qu'un premier bilan soit réalisé dans les 2 ans qui suivent la signature de l'Ani du 13 octobre 2005.

A cet effet, l'Ani a mis en place les entretiens professionnels de deuxième partie de carrière (Ani 13 oct 2005, art. 1). Chaque salarié a droit, à l'occasion de l'entretien professionnel (Ani 5 déc. 2003 et ses avenants), qui suit son 45ème anniversaire et, ensuite, tous les 5 ans, à un entretien de deuxième partie de carrière destiné à faire le point avec son responsable hiérarchique, au regard de l'évolution des métiers et des perspectives d'emplois dans l'entreprise, sur ses compétences, ses besoins de formation, sa situation et son évolution professionnelle. Cet entretien, distinct des entretiens d'évaluation éventuellement mis en place par l'entreprise, a lieu sur l'initiative du salarié, de l'employeur ou de son représentant.

  • Conditions de travail - pénibilité

L'amélioration des conditions de travail revêt une réelle importance pour améliorer le taux d'emploi des travailleurs vieillissants compte tenu des effets du vieillissement, des exigences de compétitivité et des transformations technologiques (Ani 13 oct 2005, art. 6). La recherche d'une plus grande compatibilité entre le poste de travail et l'évolution des capacités de chaque salarié englobe tant les questions d'organisation du travail que de gestion des ressources humaines, qui doit être mise en oeuvre très en amont au sein de l'entreprise et à toutes les phases de l'activité. Les partenaires sociaux ont repris à leur compte les conclusions des travaux déjà publiés (4).

  • Formation professionnelle

Les statisticiens ont montré qu'à partir de 45 ans, l'accès à la formation continue baisse pour les actifs en emploi, en se réduisant encore plus au-delà de 55 ans. Ceci s'explique, notamment, par les politiques de gestion de la main-d'oeuvre des employeurs qui ne sont pas enclins à investir dans la formation des travailleurs dont les perspectives de carrière sont limitées (5).

L'Ani en tient compte et aménage diverses dispositions du droit de la formation. Par dérogation aux dispositions relatives au Dif, le salarié de 50 ans et plus peut abonder de plein droit, au moyen de ses droits au Dif, une action de formation professionnelle déterminée en accord avec son employeur lors de l'entretien de deuxième partie de carrière, afin de lui permettre d'être pleinement acteur de son parcours professionnel (Ani 13 oct 2005, art. 7).

Afin d'encourager la définition d'un projet professionnel pour la seconde partie de sa carrière, après 20 ans d'activité professionnelle et à compter de son 45ème anniversaire, tout salarié bénéficie, à son initiative et sous réserve d'une ancienneté minimum d'un an dans l'entreprise qui l'emploie, d'un bilan de compétences (Ani 13 oct 2005, art. 8).

Afin d'étayer la seconde partie de carrière de ces salariés, les branches professionnelles définiront les modalités d'information sur l'accès à la VAE dans les entreprises (Ani 13 oct 2005, art. 9). De même, les partenaires sociaux ont prévu que pour faciliter le développement du tutorat, du parrainage ou de toute autre modalité de transmission des savoirs et des savoirs-faire, les entreprises pourront confier cette mission à des salariés volontaires, ayant une légitimité professionnelle fondée sur une expérience reconnue.

La transmission des savoirs et des savoirs-faire est un échange, valorisant pour les travailleurs vieillissants, entre un salarié qui a besoin d'un accompagnement et un ou des salariés de plus de 45 ans qui transmettent leur savoir et leur expérience. L'exercice de la mission ainsi confiée au salarié devra être pris en compte dans l'appréciation de ses résultats individuels. Là aussi, l'influence des travaux des statisticiens est manifeste (6).

Enfin, la période de professionnalisation contribue au maintien dans l'emploi des salariés de plus de 45 ans et les motive dans la définition de leur seconde partie de carrière. Pour répondre à leurs besoins de formation, les salariés de plus de 45 ans accèdent en priorité au dispositif de la période de professionnalisation. Les accords de branche et d'entreprise se fixent, en fonction des besoins des entreprises et des personnes concernées, les objectifs à atteindre (Ani 13 oct 2005, art. 11).

1.2. Mesures destinées à soutenir le taux d'emploi des travailleurs vieillissants

Selon les partenaires sociaux, il est nécessaire de passer d'une logique où l'âge a été considéré comme un facteur d'ajustement du marché du travail, à une pratique conduisant au maintien ou à la reprise de l'activité professionnelle jusqu'à ce que les conditions pour obtenir une retraite à taux plein soient réunies. L'Igas était parvenu au même constat, dans son rapport publié en 2004 (Gestion des âges et politiques de l'emploi, Rapport annuel, La documentation française 2004, spec. p. 37-46).

  • Aménager les transitions entre activité et inactivité

Afin de faciliter l'adoption de modes d'organisation du travail adaptés à la situation des travailleurs vieillissants et d'encourager la mise en place de dispositifs destinés à permettre la prolongation de l'activité en facilitant la transition entre la vie professionnelle et la retraite, tout en améliorant les droits à pension des intéressés, les partenaires sociaux demandent au pouvoir réglementaire :
- d'accélérer la publication des textes d'application de l'article 30 de la loi du 21 août 2003 portant sur la retraite progressive (Ani 13 oct 2005, art. 25) ;
- d'examiner les conditions dans lesquelles les inégalités de traitement entre salariés engendrées par le dispositif actuel de cumul emploi-retraite pourraient être atténuées, dans la perspective des rendez-vous à venir sur les retraites (Ani 13 oct 2005, art. 22) ;
- enfin, de procéder à des études sur les effets de la contribution Delalande (Ani 13 oct 2005, art. 23).

Une fois de plus, les partenaires sociaux ne prennent pas position sur un sujet il est vrai délicat, alors que les travaux disponibles sur la contribution Delalande ne sont pas concordants quant aux résultats ou aux préconisations (7).

Enfin, les partenaires sociaux ont préconisé, toujours de manière incitative, que les employeurs procèdent à un aménagement des horaires de travail (Ani 13 oct 2005, art. 19), visant les salariés âgés de 55 ans et plus. Cet aménagement des horaires de travail pourra prendre la forme de temps partiels, organisés sur la semaine, le mois ou l'année. Les entreprises doivent s'efforcer de limiter l'impact de ces aménagements d'horaires sur les droits à retraite à taux plein des intéressés.

De même, les employeurs sont invités à mettre en place des aménagements de fin de carrière liés à la pénibilité (Ani 13 oct 2005, art. 20). A cette occasion, les négociateurs traiteront des opportunités de rétablissement du système de préretraire progressive au bénéfice de salariés ayant occupé des emplois pénibles.

  • Restreindre le champ des mesures de cessation anticipée d'activité

L'Ani du 13 octobre 2005, en tant qu'instrument d'une politique de vieillissement actif, préconise un renversement de tendance dans le recours des entreprises aux "mesures d'âge", c'est-à-dire les préretraites. Les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont également tenté de limiter l'usage des préretraites.

Dans un premier temps, l'allocation spéciale du Fond National de l'Emploi (AS-FNE) a été recentrée sur les petites et moyennes entreprises et les établissements en très grande difficulté économique et la contribution financière des entreprises a été augmentée.

Puis, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a supprimé certains dispositifs de préretraite totale, dans le secteur privé et dans la fonction publique : préretraite progressive (qui organise le passage à un travail à temps partiel), depuis le 1er janvier 2005 ; charges sociales spéciales pour les préretraites dites "d'entreprise". Ne subsistent que les mesures particulières destinées à des travailleurs ayant vécu des conditions de travail pénibles ou dangereuses.

2. Dispositifs d'accès à l'emploi au profit des salariés âgés sans emploi

L'Ani du 13 octobre 2005 vise une seconde catégorie de travailleurs âgés, ceux qui sont à la recherche d'un emploi, pour lesquels des efforts particuliers doivent être mis en place. L'objectif est d'éliminer les discriminations négatives (employeurs) et les désincitations au retour à l'emploi (chômeurs âgés), et de renforcer les discriminations positives.

2.1. Eliminer les discriminations négatives (employeurs) et les désincitations au retour à l`emploi (chômeurs âgés)

  • Employeurs : les discriminations négatives

Les partenaires sociaux visent, en premier lieu, le critère d'âge dans l'offre d'emploi (Ani 13 oct 2005, art. 13). Les méthodes de recrutement doivent s'interdire de faire de l'âge un critère de choix et doivent, au contraire, rechercher davantage à valoriser les aptitudes de chacun.

Les organisations syndicales, à cet effet, entendent demander conjointement auprès de l'ANPE, l'Apec et des organisations professionnelles représentatives des cabinets de recrutement et des entreprises d'intérim, toute absence de discrimination en fonction de l'âge des candidats.

Il n'est pas sûr qu'une telle démarche soit efficace et très opérationnelle, ni n'infléchisse les pratiques de recrutement des entreprises. Les entreprises sont réticentes à recruter des salariés âgés. Les études statistiques indiquent que la situation globale des plus âgés sur le marché du travail s'aggrave. Après 55 ans, les chômeurs intériorisent la discrimination liée à l'âge et considèrent d'eux-mêmes qu'ils sont trop âgés pour être recrutés (8).

  • Chômeurs : supprimer les mesures désincitatives au retour à l`emploi

Les partenaires sociaux n'ont pas investi ce terrain dans le cadre de l'Ani du 13 octobre 2005, mais dans un autre cadre, celui de la signature d'une nouvelle convention d'assurance chômage, qui doit prendre effet le 1er janvier 2006.

Le débat porte sur les dispositifs publics ou conventionnels (issus du régime d'assurance chômage) qui paraissent peu compatibles avec une politique volontariste de vieillissement actif. Parmi ces dispositifs, la dispense de recherche d'emploi des chômeurs âgés (C. trav., art. L. 351-16 N° Lexbase : L8887G7B ; C. trav., art. R. 351-26 N° Lexbase : L0268ADB ; C. trav., art. D. 311-6 N° Lexbase : L3787ABU).

La dispense de recherche d'emploi est une situation particulière de certains demandeurs d'emploi au regard de la condition de recherche d'emploi. Les chômeurs doivent remplir certaines conditions. Cette dispense est psychologiquement malheureuse, car elle vaut présomption légale, en quelque sorte, de l'inemployabilité des chômeurs âgés, non incités à se réinsérer dans le marché du travail.

2.2. Renforcer les discriminations positives

  • Mobilisation des dispositifs des politiques publiques de l'emploi

Depuis 10 ans, les pouvoirs publics ont fortement mobilisé les dispositifs de la politique de l'emploi pour favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés : en 2002, les plus de 50 ans représentent 14 % des entrées en contrats emploi-solidarité (disparus, remplacés par le contrat d'accompagnement dans l'emploi), 29 % en contrats emploi-consolidé (CEC, disparus, remplacés par le contrat d'accompagnement dans l'emploi) et 26 % en contrats initiative-emploi (CIE : nouveau régime depuis la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 N° Lexbase : L6384G49).

Cette mobilisation plus forte des moyens de la politique de l'emploi en faveur des plus de 50 ans s'est accompagnée d'un redéploiement entre dispositifs. Depuis 1997, les embauches dans le secteur non marchand deviennent plus importantes que celles du secteur marchand. En 2001, pour 122 130 seniors embauchés en contrat aidé, 65 % l'ont été en CES ou CEC. A partir de 1994, les dispositifs ciblés des politiques d'emploi se recentrent sur les publics les plus en difficultés pour accéder au marché du travail.

Les partenaires sociaux n'évoquent pas le CIE ou le contrat d'accompagnement dans l'emploi, mais le contrat de professionnalisation (Ani 13 oct 2005, art. 15). Ils estiment que ce contrat doit être le dispositif prioritaire pour favoriser la réinsertion des salariés de 45 ans et plus privés d'emploi, en leur assurant une qualification.

  • Propositions des partenaires sociaux

Les partenaires sociaux explorent une première piste, le travail à temps partagé (Ani 13 oct 2005, art. 16). La formule serait de nature à faciliter l'emploi de travailleurs vieillissants susceptibles d'intervenir dans les entreprises membres de groupements d'employeurs. Lorsque ces groupements seront composés majoritairement d'entreprises relevant d'une même branche professionnelle, leurs salariés bénéficieront des dispositions conventionnelles applicables dans ladite branche. Dans les autres cas, les groupements détermineront, avec les organisations syndicales de salariés représentatives, la convention collective de rattachement.

La seconde piste de réflexion porte sur un contrat de travail seniors, le seul dispositif sur lequel les médias se sont focalisés (Ani 13 oct 2005, art. 17). Un contrat à durée déterminée d'une durée maximum de 18 mois renouvelable une fois pourrait être conclu avec un salarié de plus de 57 ans, inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de 3 mois ou en convention de reclassement personnalisé, afin de lui permettre d'acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein. Les syndicats de salariés ne sont pas unanimes sur ce nouveau contrat "travailleurs vieillissants", qui "balkanise" encore un peu plus les contrats de travail spéciaux conclus au titre des politiques de l'emploi.

Certains syndicats suggèrent, plus simplement, de mobiliser le contrat initiative emploi existant en adaptant ses modalités, permettant de ne pas créer un nouveau type de contrat de travail tout en ayant un dispositif plus efficace pour garantir le retour des chômeurs âgés vers l'emploi.

Christophe Willmann
Professeur à l'université de Haute Alsace


(1) D. Anglaret et R. Cancé, Le papy-boom renforce l'activité des seniors, Dares, 1eres informations, 1eres synthèses, 2002-04, n° 15.2

(2) P. Marioni, Accroître l`emploi des travailleurs vieillissants : entre volontés et difficultés, Dares, 1eres informations, 1eres syntheses, 2005-01, n° 04.1 ; Synthèse actualisée d'un ouvrage collectif coordonné par F. Lerais et P. Marioni, Dossier Age et Emploi : synthèse des principales données sur l'emploi des seniors, Document d'études n° 82, Dares, 2004.

(3) B. Crépon, N. Deniau et S. Perez-Duarte, Productivité et salaire des salariés âgés, Revue française d'économie, vol. XVIII, n° 1, p. 157 ; Igas, Gestion des âges et politiques de l'emploi, Rapport annuel, La documentation française 2004, spec. p. 67-71 ; P. Aubert et B. Crépon, Age, salaire et productivité : la productivité des salariés décline-t-elle en fin de carrière ?, novembre 2003, série des documents de travail de la Direction des études et synthèses économiques de l'Insee.

(4) Igas, Gestion des âges et politiques de l'emploi, Rapport annuel, La documentation française 2004, spec. p. 71-81 ; E. Bressol, Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés, Rapport, Conseil économique et social avril 2004 ; Y. Struillou, Pénibilité et retraite, Rapport Conseil d'orientation des retraites, 2001 ; B. Arnaudo, I. Magaud-Camus, N. Sandret, T. Coutrot, M.-C. Floury, N. Guignon, S. Hamon-Cholet, D. Waltisperger, L'exposition aux risques et aux pénibilites du travail de 1994 à 2003, Premiers résultats de l'enquête Sumer 2003, Dares, 1ères informations, 1ères synthèses, 2004-12, n° 52.1 (analyse générale, non spécifiquement consacrée aux salariés âgés).

(5) F. Lainé, Les seniors et la formation continue : un accès en général limité mais avec de grandes différences selon les situations professionnelles, Dares, 1ères informations, 1ères synthèses, mars 2003, n° 12.1.

(6) O. Monso et M. Tomasini, Le vieillissement dans les entreprises : faire face aux innovations technologiques, Dares, 1ères informations, 1ères synthèses, 2003-02, n° 09.2.

(7) A. Arseguel et Ph. Isoux, La rupture du contrat de travail des salariés âgés de plus de 50 ans : réflexions sur la contribution Delalande, Dr. soc. 1990, p. 808 ; L. Behaghel, B. Crépon et B. Sédillot, Contribution Delalande et transitions sur le marché du travail, Economie et statistiques n° 372, 2004, p. 61 ; L. Behaghel, La protection de l'emploi des travailleurs âgés en France : une étude de la Contribution Delalande, mimeo, Crest ; P. Gassman, Pour la suppression de la contribution Delalande, Rapport à la Chambre de commerce et d'industrie, adopté par l'Assemblée générale le 12 avril 2001 ; D. Fougère et D. Margolie, Moduler les cotisations employeurs à l'assurance chômage : les expériences de bonus-malus aux Etats-unis, Revue française de l'économie, vol. XV, n° 2, p. 3 ; OCDE, Protection de l'emploi et performance du marché du travail, in Perspectives de l'emploi, chap. 2.

(8) D. Anglaret et S. Bernard, Chômage et retour à l'emploi après 50 ans : une moindre exposition au chômage, des difficultés pour retourner en emploi, Dares, 1ères informations, 1ères syntheses, 2003-11, 45.1.

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