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par Axel Valard
Le 06 Octobre 2025
À l’origine, c’est un procès qui devait durer une demi-journée. Et puis, le tribunal judiciaire de Paris a convenu qu’il serait préférable de lui consacrer une journée entière. Mais, las dans tous les sens du terme, les magistrats de la 31e chambre n’ont pas eu d’autre choix, vendredi 3 octobre vers 1h30 du matin, que d’ordonner la poursuite des débats à une date ultérieure, en se rappelant que cette audience avait tout de même démarré la veille, à 9h30. Soit seize heures plus tôt... Il faudra donc y retourner le vendredi 24 octobre prochain.
Et pourtant, au cœur des débats, il n’y a qu’une séquence de quelques secondes. Mais quelle séquence ! Un bout de vidéo où l’on voit Gérard Depardieu, dans un haras en Corée du Nord, en train de tenir des propos abjects à l’égard des femmes, et peut-être d’une fillette d’une dizaine d’années. Et c’est tout l’objet de ce dossier. Près de deux ans après sa diffusion, le numéro de l’émission « Complément d’enquête » consacré au « monstre sacré du cinéma », comme certains l’appellent encore, n’en finit plus de faire polémique.
Intitulé La chute de l’ogre, ce reportage montre donc l’acteur des Valseuses en train de sexualiser une petite fille, selon les journalistes qui en sont à l’origine : « Si jamais il galope, elle jouit », dit-il d’abord. « C’est bien ma fifille, continue… Tu vois ? Elle se gratte là », poursuit-il alors que la jeune fille effectue des tours de poney sous ses yeux. « Truquage », tonne Jérémie Assous, l’avocat de l’acteur à l’origine de la procédure.
Convaincu que cette émission a « tué socialement » son client, l’avocat a fait citer directement en justice la société de production, Hikari, pour les délits de « travail dissimulé », « abus de confiance » et donc, surtout « montage illicite ». Dans le camp adverse, on a répliqué par une citation en « dénonciation calomnieuse ».
Une « œuvre de fiction » ou un vrai reportage ?
Ambiance électrique dans la petite salle 4.04 du tribunal judiciaire de Paris dès le début de l’audience. À coups d’exception de nullité et de conclusions tardives, les invectives fusent. « C’est idiot, balance Jérémie Assous à l’attention de ses contradicteurs qui viennent de développer un point de droit. Peut-être pas en première année, mais c’est une notion qu’on apprend en deuxième année ! » Christophe Bigot, l’un des avocats des journalistes, monte au créneau : « Madame la présidente. Il vient de traiter mon confrère d’idiot. On connaît les méthodes. Je vous demande de tenir cette audience, de faire la police ! ».
Après d’autres échanges d’amabilité, le cœur du dossier est finalement abordé en début d’après-midi. Jérémie Assous, et son confrère Édouard Bodéré, débutent en développant le fait que les images étaient tournées dans le but d’en faire une « œuvre de fiction ». Comment, dès lors, peut-on reprocher à Gérard Depardieu d’avoir tenu ces propos ? « C’est comme si on attaquait Benoît Poelvoorde pour sa phrase dans C’est arrivé près de chez vous : ‘Dans dix ans, elle sucera des bites comme sa mère !’ », lâche Jérémie Assous.
Mais l’avocat a prévu le coup. Quand bien même le tribunal considérerait que ces images sont bien le reflet de la réalité, Jérémie Assous se lance dans une grande démonstration pour tenter de montrer que son client ne visait pas une fillette mais une cavalière adulte avec ses propos orduriers. L’enjeu est capital, selon lui. « Il y a des délits qui vous tuent. Il y a dix ans, c’était l’antisémitisme ! Aujourd’hui, c’est la pédophilie ! », assène-t-il.
Et à la barre d’avancer des planches photographiques destinées à montrer que son client ne visait pas la fillette. Et de faire les cent pas dans le prétoire pour montrer les positions des uns et des autres lors de la sèche litigieuse, sous les yeux d’un tribunal qui semblait un peu perdu…
« C’est Gérard Depardieu qui s’est tué lui-même... »
Après trois heures épuisantes, c’est Tristan Waleckx qui lui succède la barre. Journaliste-présentateur de l’émission incriminée et représentant de France Télévisions dans cette procédure, il n’a pas peur. Un peu brouillon mais toujours avec le sourire dans la voix, il démonte point par point les éléments avancés par l’avocat juste avant lui.
« On vous dit qu’on a tué socialement Gérard Depardieu. Mais c’est lui qui s’est tué lui-même en tenant ces propos ! En validant, finalement, tout ce que les femmes dénoncent depuis des années. Nous avons fait un travail équilibré. Il y a douze minutes de témoignage contre Gérard Depardieu. Et vingt minutes en sa faveur. Quant à la scène du haras, elle est fidèle à ce qu’il s’est passé ».
Pour le démontrer, le journaliste et ses équipes ont préparé un film d’une vingtaine de minutes. Une modélisation en trois dimensions de toute la scène. Après moult péripéties techniques, le tribunal parvient enfin à la visionner. Et il est vrai que sa projection semble donner raison aux journalistes.
Toujours aussi insondables, les trois membres du tribunal écoutent les plaidoiries des uns et des autres et referment le dossier consacré au « montage illicite ». Ne reste plus qu’à examiner l’accusation de « dénonciation calomnieuse », cette fois-ci portée à l’encontre de Gérard Depardieu. Ce sera donc le 24 octobre, à partir de 13h30 avec des débats qui s’annoncent encore une fois tendus. La décision de la 31e chambre devrait ensuite être mise en délibéré.
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par Robert Rézenthel, docteur en droit
Le 01 Octobre 2025
Mots clés : domaine public • activités portuaires • domaine public • redevances portuaires • droits de port
Les ports sont des pôles économiques dont l'impact dépasse régulièrement les frontières des États dans lesquels ils sont implantés. Sur le ton de la boutade certains affirment que le port d'Anvers est le premier port français. Il est vrai que son trafic pénètre notre territoire, mais il faut aussi reconnaître que des ports français desservent en particulier des États sans littoral comme l'Autriche et la Suisse.
En France, les ports assurent la gestion de services publics [1], d'une part, à caractère administratif comme les aménagements et l'entretien des ouvrages, la gestion du domaine public, l'exercice de polices spéciales portuaires, et d'autre part, à caractère industriel et commercial comme l'exploitation d'outillages publics dans les ports territoriaux, l'exercice du pilotage, du remorquage et du lamanage.
Toutes les activités exercées dans un port ne relèvent pas du service public, c'est le cas pour la gestion du domaine privé [2] ou pour l'exercice du gardiennage [3] des équipements et des marchandises. Cependant, la plupart des activités exercées par les autorités portuaires ou pour leur compte sont des missions de service public.
Leur financement est assuré principalement par des redevances domaniales et pour service rendu. Le Conseil d'État le reconnaît, la qualification des redevances n'est pas toujours facile à établir.
I. La qualification des redevances portuaires
Le Code des transports vise les droits de port et les redevances d'usage des outillages publics. Le lien avec le service public n'est pas évoqué. Dans la jurisprudence, on relève que les usagers d'un port sont des usagers du service public portuaire [4]. Les ouvrages participant au développement du trafic maritime contribuent au fonctionnement d'un tel service [5].
Ainsi les exploitants de navires entrant ou sortant d'un port sont des usagers du service public. Il en va de même pour les entreprises qui utilisent les outillages publics [6] et les plaisanciers qui fréquentent les ports de plaisance [7].
Les services nautiques des ports, bien qu'exploités par des entités de droit privé, constituent des services publics, c'est le cas du pilotage [8], du remorquage [9] et du lamanage [10].
Il a été jugé que le fonctionnement normal du service public portuaire inclut « à la fois, la sécurité des biens et des personnes et le bon emploi des outillages et des ouvrages du port » [11].
La redevance est la contribution d'un usager d'un service public soit pour un service rendu, soit pour l'occupation du domaine public portuaire. Elle doit être instituée par un texte réglementaire à la différence de la taxe qui doit être prévue par la loi [12].
Le régime des droits de port étant fixé par la loi, le Gouvernement s'est interrogé sur leur nature juridique, et à cette fin il a interroger le Conseil constitutionnel. Celui-ci a considéré [13] qu'il s'agissait de redevances pour service rendu. La Cour de justice adopte [14] la même analyse. Le Règlement (UE) n° 2017/352 du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2017 N° Lexbase : L1374LDA, établissant un cadre pour la fourniture de services portuaires et des règles communes relatives à la transparence financière des ports, qualifie les droits de port de « redevances d'infrastructure portuaire ».
Toutes les activités exercées par une collectivité territoriale ou leur groupement ou un établissement public de l'État ne constituent pas des services publics, c'est le cas pour la gestion du domaine privé [15] d'une personne publique et pour l'exercice du gardiennage [16] dans les ports. Les prestations relevant de ces activités ne donnent pas lieu au paiement d'une redevance, mais simplement d'un prix.
Une question se pose à propos de la garantie d'usage pour la réservation de longue durée d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance. Ce régime prévu par l'article R. 5314-34 du Code des transports N° Lexbase : L8285MK3 dispose qu'en contrepartie de ce droit, l'usager participe au financement d'ouvrages, de bâtiments ou équipements ayant un rapport avec l'exploitation du port ou de nature à contribuer au développement de celui-ci et constituant une dépendance du domaine public de l'État ou des collectivités territoriales et de leurs groupements. Est-ce une redevance domaniale ou une redevance pour service rendu ? On pourrait retenir la seconde hypothèse car selon l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4561IQY, « La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation », or la participation financière à la réalisation de travaux ne fait aucune référence aux avantages dont bénéficient les plaisanciers, alors que le Conseil d'État admet [17] la participation au financement de travaux portuaires à condition que ceux-ci présentent un intérêt pour les usagers concernés.
Dans le cadre de la procédure de sélection des candidats à l'octroi d'une concession, il est parfois prévu un "droit d'entrée" correspondant au financement de la reprise des investissements réalisés par le précédent concessionnaire. Est-ce une redevance ? Dès lors qu'il s'agit d'une somme amortissable[18], et qui s'ajoute à la redevance domaniale payée par ailleurs par le concessionnaire dans les conditions prévues par l'article L. 2125-3 du Code général de la propriété des personnes publiques, ce droit d'entrée ne devrait pas être qualifié de redevance. L'article L. 3114-4 du Code de la commande publique N° Lexbase : L4434LRN dispose que « Les montants et les modes de calcul des droits d'entrée et des redevances versées par le concessionnaire à l'autorité concédante doivent être justifiés dans le contrat de concession ». Le droit d'entrée dans une concession ne doit pas avoir un fondement étranger à l'objet du contrat [19], il semble parfois être assimilé de manière ambiguë à une redevance [20].
Enfin, on rappellera la jurisprudence selon laquelle l'occupation d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance donnant le droit d'utiliser un engin élévateur à bateau donnait lieu à une redevance domaniale [21] et non à une redevance pour service rendu. Il y a un effet attractif du régime de la domanialité publique.
II. L'instruction administrative et compétences juridictionnelles
A. Les droits de port
La procédure d'approbation des redevances d'usage des outillages publics et des droits de port n'est pas uniforme.
A propos des droits de port dont la perception n'est pas obligatoire pour le gestionnaire du port, l'article L. 5321-1 du Code des transports N° Lexbase : L5618L4T dispose que : « Un droit de port peut être perçu dans les ports maritimes relevant de l'Etat, des collectivités territoriales ou de leurs groupements, à raison des opérations commerciales ou des séjours des navires et de leurs équipages qui y sont effectués. L'assiette de ce droit, qui peut comporter plusieurs éléments, et la procédure de fixation de ses taux sont fixées par voie réglementaire ».
Les droits de port comprennent [22], pour les navires de commerce : une redeance sur le navire, de stationnement, sur les marchandises, sur les passagers, sur les déchets des navires, hors résidus de cargaison ; pour les navires de pêche une redevance d'équipement des ports de pêche et une redevance sur les déchets des navires, pour les ports de plaisance ; une redevance d'équipement des ports de plaisance et une redevance sur les déchets des navires, lorsque les coûts de réception et de traitement des déchets de ces navires ne sont pas déjà couverts par une taxe ou une redevance.
Dans les grands ports maritimes et le grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, à la suite d'une instruction administrative comportant un affichage, une consultation du service des douanes et du service des affaires maritimes, ainsi que du premier collège du conseil de développement, les taux des droits de port sont fixés par le directoire s'il n'y a pas d'opposition du commissaire du Gouvernement [23], et après information des usagers au moins deux mois avant la date à laquelle ces taux prendront effet [24]. Toutefois, le directoire prend ses décisions dans le cadre de la politique tarifaire approuvée par le conseil de surveillance [25] et après avis du conseil de développement [26] de l'établissement public portuaire.
Pour les ports territoriaux, c'est-à-dire ceux ne relevant pas de l'État, les taux des redevances au titre des droits de port sont fixés par la collectivité dont relève le port, et le cas échéant, sur proposition du concessionnaire. Les projets de fixation des taux font l'objet d'une instruction [27] diligentée par le responsable de l'exécutif de la collectivité concernée. L'instruction comporte un affichage dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers, ainsi que le consultation du préfet, du service des douanes et du conseil portuaire [28].
Les droits de port constituent des recettes ordinaires pour les gestionnaires de port, sauf les redevances d'équipement des ports de pêche et de plaisance qui sont des recettes affectées. En effet, l'article R. 5321-17 du Code des transports N° Lexbase : L3544I7E dispose que : « Le produit des redevances d'équipement des ports de pêche et des ports de plaisance ne peut être utilisé qu'à des dépenses effectuées respectivement dans l'intérêt de la pêche ou de la plaisance et relatives à l'établissement, à l'amélioration ou au renouvellement et à l'entretien de tous les équipements du port et à l'amélioration des profondeurs de ses rades, passes, chenaux et bassins ».
Pour le recouvrement et le contrôle des droits de port, il résulte de l'article L. 5321-3 du Code des transports N° Lexbase : L6212M8L que ces opérations interviennent selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûreté et privilèges que les droits de douane. Les réclamations sont représentés, instruites et jugées selon les règles applicables à ces mêmes droits. Toutefois, il est prévu [29] que c'est l'autorité portuaire qui établit et perçoit la redevance sur les déchets dans les ports de plaisance.
Les bénéficiaires des droits de port ont un privilège sur le navire, le fret du voyage pendant lequel la créance privilégiée est née, et sur les accessoires du navire [30].
La procédure relative aux droits de port comporte deux volets, d'une part, le barème qui est un acte administratif susceptible d'un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives [31], et d'autre part, le recouvrement [32] des redevances qui est intervient comme en matière de douane et dont le contentieux relève des juridictions judiciaires [33]. Celles-ci sont toutefois compétentes, compte tenu de la plénitude de juridiction, pour apprécier la légalité de l'acte administratif approuvant le barème des droits de port [34]. A propos de l'appréciation de la nature juridique d'une redevance, il y a lieu pour la Cour de cassation de respecter la séparation des pouvoirs [35].
B. Les redevances d'usage des outillages publics
La notion d'outillage public n'est définie par aucun texte législatif ou réglementaire. La jurisprudence n'a pas été constante, tantôt elle a considéré que l'outillage public ne pouvait qu'avoir une nature mobilière [36], puis elle a également admis sa nature immobilière [37]. Le Tribunal des conflits a confirmé [38] cette solution.
Depuis la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 N° Lexbase : L6302MS9, (art. 7) les grands ports maritimes métropolitains ne sont plus autorisés, sauf pour de rares exceptions, à exploiter de l'outillage public pour la manutention des marchandises. Désormais, en principe, seuls les grands ports maritimes ultramarins (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion), et les ports territoriaux peuvent exploiter ces outillages.
Pour ces établissements et pour ceux de métropole exceptionnellement autorisés à exploiter de tels outillages, à défaut de règles spécifiques concernant la procédure d'approbation des tarifs d'usage, ce sont les règles relatives aux ports maritimes autonomes qui s'appliquent [39]. Il y a donc un affichage pendant quinze jours dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers, ou d'une information diffusée par voie électronique et accessible aux usagers du port, avant la délibération du directoire [40].
Concernant le tarif des outillages publics dans les ports territoriaux, une distinction doit être faite selon que ces équipements sont exploités en régie par les collectivités territoriales ou leurs groupements, oudont l'exploitation est concédée.
Dans l'hypothèse d'une exploitation en régie de l'outillage public [41], les décisions fixant ou modifiant les tarifs des outillages non concédés sont précédées :
1° De l'affichage des dispositions projetées pendant quinze jours dans les endroits du port principalement fréquentés par les usagers ;
2° De la consultation du conseil portuaire.
Ces opérations sont conduites à la diligence de l'autorité compétente, laquelle est l'exécutif [42] de la collectivité ou du groupement concernés.
Les tarifs et conditions d'usage projetés sont applicables trois semaines après la clôture de l'instruction, si dans ce délai l'autorité compétente n'a pas fait connaître son opposition.
La procédure d'instruction est la même qu'il s'agisse de la fixation initiale des tarifs ou de leur modification.
C. Les redevances d'occupation du domaine public portuaire
L'occupation du domaine public portuaire concerne à la fois la partie terrestre des ports, mais également leurs plans d'eau lorsqu'ils sont individualisables [43]. La concession d'outillage public dans les ports vaut autorisation d'occupation du domaine public, et à ce titre, donne lieu au paiement d'une redevance domaniale par le concessionnaire au profit de l'autorité concédante. C'est le cas également des conventions de terminal qui sont des conventions d'occupation du domaine public [44].
Toutefois, les tarifs et conditions d'usage des installations portuaires ou leur modification relèvent de la procédure prévue pour les concessions d'outillage public [45], alors que la jurisprudence considère [46] que les redevances perçues pour l'occupation des postes d'amarrage dans ces ports sont des redevances domaniales et non pour service rendu.
Depuis, l'obligation de mise en concurrence [47] en vue de l'octroi des autorisations d'occupation du domaine public, le règlement de la consultation devrait prendre en compte les modalités de calcul de la redevance d'occupation pour les intégrer dans la convention d'occupation.
En principe, compte tenu des conditions de détermination du montant de la redevance domaniale [48], l'établissement d'un barème de ce type de recette dans les ports paraît difficile à établir. C'est essentiellement le code général de la propriété des personnes publiques qui détermine les règles de la domanialité publique.
III. La distinction entre la redevance pour service rendu et la redevance domaniale
Pour la redevance pour service rendu, il convient d'envisager le financement du prestation de service public, soit par les contribuables, soit par les usagers. Dans la première hypothèse, c'est l'impôt ou plus précisément la taxe qui assure ce financement, dans la seconde, c'est la rétribution des avantages dont bénéficient les occupants du domaine public.
Parfois, le distinction entre la redevance domaniale et celle pour service rendu est délicate à établir, c'est ainsi que l'assemblée générale du Conseil d'État a été conduite à qualifier la redevance perçue par un établissement public hospitalier qui mettait à la disposition d'un praticien un local, du matériel et du personnel pour recevoir une clientèle privée. La Haute juridiction a estimé qu'en l'espèce pour l'ensemble des prestations fournies par l'établissement, il s'agissait d'une redevance pour service rendu [49].
En revanche, dans une autre instance, il a été jugé [50] que la mise à disposition d'un poste d'amarrage dans un port de plaisance donnant la possibilité à son titulaire d'utiliser un élévateur à bateau impliquait le paiement d'une redevance pour occupation du domaine public portuaire, et qu'il n'y avait pas lieu de dissocier les deux prestations.
S'il est admis que la redevance payée par l'usager d'un service public soit la contrepartie directe et proportionnelle des prestations fournies par ce service [51], le respect de cette équivalence peut être assuré, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de celui-ci pour son bénéficiaire [52]. Il s'agit de la valorisation de l'intérêt que représente pour l'usager la prestation de service public. Parmi les critères valorisables, on relève : la jouissance privative du domaine public [53], la taille [54] et la localisation [55] dans le port d'une embarcation, la rareté des postes d'amarrage disponibles [56] dans le port, la notoriété de l'établissement d'accueil [57], le savoir-faire du personnel et les efforts financiers [58]... Le chiffre d'affaires [59] de l'usager peut également servir de base de calcul de la redevance.
À propos des droits de port, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé [60] qu'une autorité portuaire ne pouvait pas fixer ce type de redevance en fonction de la provenance ou de la destination pour des navires de même taille. En effet, le service portuaire est le même quelle que soit la provenance ou la destination des navires.
Dans le cadre de relations contractuelles, la modification du taux de la redevance en cours de contrat ne peut intervenir que s'il existe des circonstances nouvelles [61] justifiant une évolution tarifaire.
Lorsque le barème des redevances est annulé pour excès de pouvoir, la personne publique peut fixer, afin d'assurer la continuité du fonctionnement du service public, de nouveaux tarifs applicables pour la période couverte par la décision annulée [62]. Les usagers ne peuvent pas profiter de l'annulation du tarif des redevances, ils doivent les payer au nouveau taux, situation qui est logique dès lors qu'ils ont bénéficié d'une prestation.
Enfin, l'arrêt rendu par le Conseil d'État concernant le port du Barcarès [63] nous éclaire sur la différence entre la redevance pour service rendu et la redevance domaniale. Si l'évolution de la jurisprudence tend à harmoniser les critères applicables, dans la première hypothèse l'usager ne paye la redevance que s'il a bénéficié du service, dans le second cas, la redevance d'occupation du domaine public est due même si les terrains ne sont pas utilisés.
Conclusion
Les juges n'exercent qu'un contrôle minimum [64] sur les modalités de calcul des redevances, en raison du principe de la séparation des pouvoirs, mais également compte tenu des caractéristiques spécifiques consacrées par la législation ou par la jurisprudence.
Nous avons évoqué le critère de la valeur économique des avantages dont bénéficiaient certains usagers du service public portuaire. Parfois ces avantages ne sont que potentiels, c'est le cas des redevances payées par les armateurs au titre du pilotage portuaire, alors que leur capitaine est titulaire d'une licence de capitaine pilote [65] qui le dispense de recourir à un pilote pour entrer ou sortir son navire du port. Selon le Conseil d'État, les recettes de pilotage sont qualifiées de redevances pour service rendu, toutefois, elles peuvent être dues sans le recours aux services du pilotage, et ce, en contrepartie de la disponibilité permanente des pilotes pour intervenir [66].
Nous pouvons également citer la doctrine libérale résultant du Règlement (UE) n° 2017/352 du Parlement européen et du conseil du 15 février 2017. En effet, dans son préambule (§ 48) il est précisé que ses dispositions ne devraient pas porter atteinte aux droits éventuels des ports et de leurs clients de s'entendre sur des remises commerciales confidentielles. En outre, selon son article 13.3 « Afin de contribuer à l’efficience du système de tarification de l’utilisation des infrastructures, la structure et le montant des redevances d’infrastructure portuaire sont déterminés en fonction de la stratégie commerciale et des plans d’investissement de chaque port et respectent les règles de concurrence ».
En définitive, à l'heure où certains critiquent la complexité du droit, les redevances portuaires offrent un exemple de régime juridique qui mériterait d'être simplifié !
[1] CE, 17 avril 1959, Abadie, Rec. p. 236 ; CE 26 juillet 1982, n° 16957 N° Lexbase : A1343ALC, Rec. p. 293.
[2] T. confl., 24 avril 2006, n° 3500 N° Lexbase : A10163YB ; T. confl., 18 juin 2001, n° 3241 N° Lexbase : A5606BQP.
[3] T. confl., 8 avril 2019, n° 4157 N° Lexbase : A6319Y9W.
[4] CE, 3 février 2010, n° 330184 N° Lexbase : A5926ERW.
[5] CE, 29 décembre 1999, n° 197720 et 197781 N° Lexbase : A3265AX9.
[6] T. confl., 17 novembre 2014, n° 3965 N° Lexbase : A9525M38 ; T. confl., 3 juin 1996, n° 2968 N° Lexbase : A08853YG.
[7] CE, 3 février 2010, n° 330184 N° Lexbase : A5926ERW ; CE, 9 juin 2010, n° 337107 N° Lexbase : A9273EY4.
[8] Avis CE Sect. Trav. Publ., 10 novembre 1966, n° 294.831 ; CE Sect., 2 juin 1972, n° 78410 N° Lexbase : A1705B7B.
[9] CE, 21 mai 2008, n° 291115 N° Lexbase : A7205D8D.
[10] Pour la Cour de justice de l'Union européenne, le lamanage est à la fois un service d'intérêt économique général et un service universel (CJCE, 18 juin 1998, aff. C-266/96 N° Lexbase : A1961AWK, Corsica Ferries France, Rec. p. I-3949.
[11] CE, 4 octobre 2004, n° 259525 N° Lexbase : A5496DDW.
[12] Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 N° Lexbase : L0860AHC selon lequel « la loi fixe également les règles concernant : ... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures...".
[13] Cons. const. décision n° 92-171 L du 17 décembre 1992 N° Lexbase : A8271ACC, JO 20 décembre 1992 p. 17477.
[14] CJCE, 16 mars 1983, aff. C-266/81, Societa italiana per l’Oleodotto Transalpino (S.I.O.T.) c/ ministère italien des finances e.a. N° Lexbase : A2281AWE, Rec. p. 731 ; CJCE, 10 octobre 1973, aff. C-34/73, Sté Variola S.p.a. c/ Administration des finances italiennes N° Lexbase : A6840AUU, Rec. p. 981.
[15] T. confl., 15 janvier 2007, n° 3521 N° Lexbase : A11473Y7.
[16] T. confl., 8 avril 2019, n° 4157 N° Lexbase : A6319Y9X.
[17] CE, 2 février 1996, n° 149427 N° Lexbase : A7696AND.
[18] CE, 10 novembre 2021, n° 449985 N° Lexbase : A741674G ; CE, 31 octobre 2024, n° 487995 N° Lexbase : A32506DQ ; CE, 4 juin 2014, n° 365364 N° Lexbase : A3058MQC.
[19] CE, 31 octobre 2024, n° 487995 N° Lexbase : A32506DQ.
[20] CE, 31 octobre 2024, n° 487995, § 3, préc.
[21] CE 14 avril 2023, n° 462797 N° Lexbase : A18649Q4.
[22] C. transports, art. R. 5321-1 N° Lexbase : L8705L7K.
[23] C. transports, art. R. 5321-7 N° Lexbase : L3534I7Z.
[24] C. transports, art. R. 5321-3 N° Lexbase : L8286MK4.
[25] C. transports, art. R. 5312-24 N° Lexbase : L5640L4N.
[26] C. transports, art. R. 5312-39 N° Lexbase : L5643L4R.
[27] C. transports, art. R. 5321-11 N° Lexbase : L8287MK7.
[28] Pour les ports de plaisance, la fixation des taux des redevances d'équipement applicables dans chaque port, la consultation prévue à l'article R. 5321-8 N° Lexbase : L3535I73 est étendue au ministre chargé de la Jeunesse et des Sports et au ministre chargé du tourisme (C. transports, art. R. 5321-47 N° Lexbase : L3574I7I).
[29] C. transports, art. R. 5321-50-1 N° Lexbase : L8712L7S.
[30] C. transports, art. L. 5114-8-2° N° Lexbase : L4146IXT ; Cass. com. 22 janvier 2002, n° 99-12652 N° Lexbase : A8255AXZ, Bull. civ IV, n° 17, p. 17.
[31] CE 2 février 1996, n° 149427 N° Lexbase : A7696AND, LPA, 19 juin 1996, n° 74, p. 14, concl. M J. Arrighi de Casanova.
[32] C. douanes, art. 321 N° Lexbase : L5846MAR et suiv.
[33] C. douanes, art. 345 N° Lexbase : L3309LCK, 347 N° Lexbase : L7432LW8, 349 N° Lexbase : L7582LWQ, 358 N° Lexbase : L5704LZB.
[34] T. confl., 6 juillet 2015, n° 4012 N° Lexbase : A0723NN4. Si malgré la compétence qu'elle détient, la juridiction judiciaire pose une question préjudicielle au juge administratif, celui-ci est tenu d'y répondre. Sur l'appréciation de l'exception d'illégalité du tarifs des droits de port (T. confl., 12 novembre 1984, n° 2359 N° Lexbase : A8243BDN).
[35] Cass. com., 17 mars 2009, n° 06-10.423 N° Lexbase : A0758EES, Bull. Civ. IV, n° 42. Le Tribunal des conflits a considéré que les sommes perçues par l'autorité portuaire pour les opérations d'embarquement, de débarquement et de transit des passagers devaient qualifiées de droits de port, et que leur recouvrement relevait des juridictions judiciaires (T. confl., 27 novembre 2008, n° 08-03.687 N° Lexbase : A09023Y3).
[36] CE, 4 décembre 1985, n° 50538 N° Lexbase : A3072AMQ, D. 1986, J, p. 221 note R. Rézenthel et F. Pitron.
[37] Un poste d'accostage (Cass. com., 6 février 1990, n° 88-12315 N° Lexbase : A3564CNC) ; un port de plaisance (CE, 25 novembre 1988, n° 89106 N° Lexbase : A0331AQC) ; une fosse d'élévateur à bateau dans un port de plaisance (CE, 20 décembre 2000, n° 217639 N° Lexbase : A1994AIP).
[38] T. confl., 11 décembre 2017, n° 4101 N° Lexbase : A7120W7T (à propos d'un pipeline desservant une usine à partir du quai d'un port).
[39] C. transports, art. L. 5312-15 N° Lexbase : L7039INZ.
[40] C. transports, art. R. 5312-94 N° Lexbase : L5655L49, lu en liaison avec l'article L. 5312-15 N° Lexbase : L7039INZ du Code des transports.
[41] C. transports, art. R. 5314-10 N° Lexbase : L3504I7W.
[42] C. transports, art. R. 5314-11 N° Lexbase : L5733LPZ.
[43] CGPPP, art. L. 2111-6-2° N° Lexbase : L2750IN8.
[44] C. transports, art. L. 5312-14-1 N° Lexbase : L5614L4P.
[45] C. transports, art. R. 5313-93 N° Lexbase : L3484I78.
[46] CE, 29 novembre 2002, n° 219244 N° Lexbase : A4733A43, DMF, 2003, p. 617, note R. Rézenthel et A. Lemonnier de Gouville.
[47] CGPPP, art. L. 2122-1-1, al. 1 N° Lexbase : L9569LDR. Des exceptions à la procédure de mise en concurrence sont toutefois prévues aux articles L. 2122-1-2 N° Lexbase : L9570LDS à L 2122-1-4 dudit code.
[48] CGPPP, art. L. 2125-3 N° Lexbase : L4561IQY.
[49] CE Ass., 16 juilet 2007, n° 293229 N° Lexbase : A4716DXX.
[50] CE, 14 avril 2023, n° 462797, N° Lexbase : A18649Q4.
[51] CE, 21 octobre 1988, n° 72862, 72863 et 73062 N° Lexbase : A6618APS.
[52] CE, 3 août 2011, n° 337740 N° Lexbase : A9294HW7.
[53] CE, 21 mars 2003, n° 189191 N° Lexbase : A7834C8N.
[54] CE, 8 juillet 1996, n° 121520 N° Lexbase : A0093AP7.
[55] CE, 14 avril 2023, n° 462797 N° Lexbase : A18649Q4.
[56] CE, 14 avril 2023, n° 462797, préc.
[57] CE, Ass, 16 juilet 2007, n° 293229 N° Lexbase : A4716DXX.
[58] Cass. com., 26 juin 2024, n° 22-17647 et 22-21497 N° Lexbase : A12435LM.
[59] CE, 7 octobre 2009, n° 309499 N° Lexbase : A8618ELR.
[60] CJCE, 14 novembre 2002, aff. C-435/00 N° Lexbase : A7421A3A.
[61] CE, 29 décembre 2014, n° 368773 N° Lexbase : A8318M8L.
[62] CE, 19 mars 2010, n° 305047 N° Lexbase : A7926ETQ.
[63] CE, 29 novembre 2002, n° 219244 N° Lexbase : A4733A43, DMF, 2003, p. 617, note R. Rézenthel et A. Lemonnier de Gouville.
[64] CE, 10 juillet 2025, n° 494869 N° Lexbase : B7851ASL ; CE, 8 décembre 2022, n° 462429 N° Lexbase : A03078YZ ; CE, 1er février 2012, n° 338665 N° Lexbase : A6848IBA.
[65] C. transports, art. L. 5341-2 2° N° Lexbase : L6942ING.
[66] CE, 13 juin 2024, n° 470886 N° Lexbase : A94065HT.
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Le 06 Octobre 2025
Mots clés : élus • patrimoine • éthique • déontologie • transparence
Le 16 septembre 2025, le parquet de Paris a ouvert une enquête après des signalements concernant des bijoux que la ministre démissionnaire à la Culture aurait omis de déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), institution indépendante, chargée notamment de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics et de contrôler la déontologie de certains responsables et agents publics. Lexbase a interrogé sur ce sujet Doria Paepe, Avocate, Fleurus Avocats*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le rôle et les pouvoirs de la HATVP ?
Doria Paepe : La création de la HATVP s’inscrit directement dans le contexte de l’affaire Cahuzac, révélée en 2013. La découverte de comptes bancaires dissimulés à l’étranger par le ministre délégué au Budget de l’époque a profondément ébranlé la confiance des citoyens dans leurs représentants et mis en lumière les défaillances des mécanismes existants de contrôle de la probité publique.
En réponse à ce scandale d’ampleur nationale, le législateur a adopté les lois n° 2013-906 N° Lexbase : L3621IYR et n° 2013-907 N° Lexbase : L6550MSE du 11 octobre 2013, relatives à la transparence de la vie publique, qui créent la HATVP. Elle répondait ainsi à la nécessité de renforcer les mécanismes de contrôle et de restaurer la confiance démocratique.
Autorité administrative indépendante, la HATVP constitue l’un des piliers du dispositif français de prévention de la corruption et des conflits d’intérêts. Elle est compétente à l’égard d’un large cercle de responsables publics : membres du gouvernement, parlementaires, maires de communes de plus de 20 000 habitants, présidents de conseils régionaux et départementaux, dirigeants d’autorités administratives indépendantes, cadres dirigeants d’entreprises publiques, etc.
Son rôle est double. D’une part, elle veille à la sincérité des déclarations de patrimoine et d’intérêts transmises par les responsables publics. Ce contrôle lui permet de détecter d’éventuelles évolutions anormales ou incohérentes susceptibles de révéler un enrichissement illicite ou un conflit d’intérêts. D’autre part, elle exerce une mission de conseil déontologique. En effet, elle peut être saisie par des responsables avant leur nomination, ou au moment de leur départ vers le secteur privé, afin de prévenir des situations de « pantouflage » ou d’ingérence.
Au-delà de cette mission de transparence proactive, la HATVP exerce également une fonction centrale de contrôle des obligations déclaratives. L’article 4 de la loi de 2013 l’autorise à mettre en demeure les responsables publics de régulariser une déclaration incomplète ou insuffisante. En cas de manquement grave ou de déclaration frauduleuse, elle peut saisir le procureur de la République. La HATVP ne dispose donc pas de pouvoirs de sanction autonomes : seules les juridictions pénales peuvent prononcer des peines. Toutefois, l’Autorité peut rendre publics ses avis et ses signalements, ce qui entraîne des conséquences politiques et réputationnelles immédiates.
Depuis l’adoption de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique N° Lexbase : L6340MSM (dite loi « Sapin II »), les compétences de la HATVP ont été significativement élargies. En vertu de l’article 18 de cette loi, elle a été chargée de mettre en place et de gérer un registre numérique des représentants d’intérêts, communément appelés « lobbyistes ». Ce registre, consultable en ligne, impose aux représentants d’intérêts de déclarer leurs activités de communication auprès des responsables publics visant à influencer le processus décisionnel, qu’il s’agisse de l’élaboration de lois, de règlements ou de décisions individuelles d’importance.
Lexbase : Que doivent contenir exactement les déclarations de patrimoine lui étant adressées ?
Doria Paepe : Le contenu des déclarations est fixé par la loi du 11 octobre 2013 et ses décrets d’application. Les articles 4 et suivants de la loi imposent aux responsables publics de fournir une déclaration sincère, exhaustive et exacte de leur patrimoine.
La déclaration de situation patrimoniale doit couvrir l’ensemble des éléments constitutifs du patrimoine de la personne soumise à cette obligation. Elle comprend, d’une part, les biens immobiliers, qu’il s’agisse de terrains, maisons, appartements ou droits réels immobiliers, et, d’autre part, les biens mobiliers, tels que les comptes bancaires (courants ou d’épargne), livrets, produits financiers, valeurs mobilières, assurances-vie, véhicules de valeur, bateaux, avions ou encore objets d’art notables. Elle inclut également les participations financières, ainsi que les biens ou comptes détenus à l’étranger. Enfin, la déclaration doit retracer les revenus perçus au cours des cinq dernières années et mentionner les dettes ou charges financières pesant sur le déclarant. Cette exigence vise à garantir une transparence complète du patrimoine, afin de prévenir toute dissimulation ou omission susceptible de porter atteinte à la probité de la vie publique. Toutefois, le décret n° 2013-1212 du 23 décembre 2013, relatif aux déclarations de situation patrimoniale et déclarations d'intérêts adressées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique N° Lexbase : L8925MXT, a introduit un seuil de 10 000 euros en deçà duquel les biens mobiliers n’ont pas à être déclarés individuellement, de manière à assurer un équilibre entre l’exigence de transparence et la proportionnalité de l’obligation.
À cela s’ajoute la déclaration d’intérêts, prévue à l’article 4 de la loi de 2013, qui recense toutes les activités professionnelles, bénévoles, électives ou associatives susceptibles de générer un conflit d’intérêts avec la responsabilité publique exercée. L’ensemble est contrôlé par la HATVP, qui peut comparer les déclarations de début et de fin de mandat pour identifier toute variation patrimoniale inexpliquée.
Outre le contrôle de la Haute Autorité, la publication de ces déclarations permet aux citoyens et associations se proposant, par leurs statuts, de lutter contre la corruption, à l’instar d’Anticor, d’exercer une vigilance, contribuant ainsi à renforcer la transparence de la vie publique.
Lexbase : Comment faire le distinguo avec ce qui pourrait relever strictement de la vie privée ?
Doria Paepe : La question de la frontière entre transparence et vie privée a été posée dès l’adoption de la loi. Dans sa décision n° 2013-676 DC du 9 octobre 2013 N° Lexbase : A4216KM4, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif instituant l’obligation, pour certains titulaires de fonctions ou d’emplois publics, de déposer auprès d’une autorité administrative indépendante des déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale, satisfaisait au principe de proportionnalité. En effet, cette exigence, fondée sur l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1366A9H ainsi que sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4798AQR, poursuit un objectif d’intérêt général consistant à garantir la probité et l’intégrité des responsables publics, à prévenir les conflits d’intérêts et à en assurer la répression. Toutefois, le Conseil a censuré les dispositions imposant la déclaration des activités professionnelles des enfants et parents des intéressés, estimant qu’une telle obligation portait au droit au respect de la vie privée une atteinte excessive et disproportionnée au regard du but poursuivi.
C’est pourquoi, entrent dans le champ de l’obligation déclarative les éléments patrimoniaux et financiers présentant un caractère objectif, quantifiable et vérifiable, dès lors qu’ils sont susceptibles d’influer sur l’impartialité, l’indépendance ou la probité du responsable public, ou de révéler l’existence d’un conflit d’intérêts potentiel au sens de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. En sont, en revanche, exclus, au titre du droit au respect de la vie privée les informations dépourvues de pertinence quant à l’exercice de fonctions publiques, notamment celles tenant à l’intimité de la vie personnelle et familiale, telles que la composition du ménage, les liens affectifs, les pratiques de consommation ou les correspondances privées. La loi a d’ailleurs prévu une distinction entre la partie publique des déclarations (accessible aux citoyens, notamment pour les parlementaires) et la partie non publique, accessible seulement à l’Autorité et au parquet, afin de concilier transparence et protection de la vie privée.
Lexbase : En l'espèce, que risque exactement Rachida Dati si des irrégularités sont prouvées ?
Doria Paepe : Sur le plan pénal, si des irrégularités sont établies dans les déclarations de Mme Rachida Dati, l’article 26 de la loi du 11 octobre 2013 dispose que : « Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 4 [en l’espèce un membre du gouvernement conformément à l’article 4] ou 11 de la présente loi, de ne pas déposer l'une des déclarations prévues à ces mêmes articles, d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ».
Dans sa décision n° 2017-639 QPC du 23 juin 2017 N° Lexbase : A7200WII, le Conseil constitutionnel a jugé que la référence à une « part substantielle » du patrimoine vise uniquement les omissions significatives, appréciées soit en fonction du montant dissimulé, soit de son importance par rapport à l’ensemble du patrimoine déclaré. Il appartient ainsi aux juridictions compétentes d’évaluer concrètement si une omission atteint ce seuil. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette notion, dépourvue d’ambiguïté, présente un degré de précision suffisant pour écarter tout risque d’arbitraire.
À ces peines principales peuvent s’ajouter des sanctions complémentaires prévues par les articles 131-26 N° Lexbase : L2174AMH et suivants du Code pénal, notamment l’inéligibilité pour une durée pouvant aller jusqu’à dix ans et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Ces peines complémentaires peuvent être assorties de mesures d’exécution provisoire, préjudiciables pour des élus candidats, comme Mme Dati aux prochaines élections municipales.
Lexbase : Pensez-vous que ce système est perfectible ? Si oui, quelles pourraient être les pistes d'amélioration ?
Doria Paepe : Le système mis en place en 2013 représente indéniablement une avancée majeure en matière de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêts, mais demeure perfectible. Sa principale faiblesse réside dans la dépendance à la sincérité des déclarants. Le dispositif, en dépit de ses garanties, ne constitue pas une protection absolue contre la dissimulation frauduleuse. Ainsi, l’affaire Cahuzac en fournit une illustration emblématique : ayant publiquement menti devant l’Assemblée nationale, il aurait très probablement pu recourir à la même stratégie déclarative devant la HATVP.
Contrairement à un juge d’instruction ou aux procureurs du Parquet national financier, elle ne dispose pas de pouvoirs d’investigation étendus. Elle n’a pas accès de manière autonome aux fichiers fiscaux, bancaires ou notariaux, ce qui limite sa capacité de vérification.
Une première piste d’amélioration consisterait à renforcer les pouvoirs de contrôle de la HATVP, en lui ouvrant un accès encadré aux bases de données fiscales et financières. Cet accès pourrait être prévu par la loi, sous réserve de garanties procédurales strictes, notamment le contrôle d’un magistrat, afin de concilier efficacité du contrôle et respect du secret fiscal protégé par l’article L. 103 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L7255MKW. Une telle évolution permettrait à la HATVP de vérifier plus rapidement la sincérité et l’exhaustivité des déclarations, sans dépendre exclusivement des transmissions de l’administration fiscale.
Une deuxième piste d’amélioration consisterait en une harmonisation européenne des obligations déclaratives. En l’état, les règles relatives à la déclaration de patrimoine et d’intérêts varient considérablement d’un État membre à l’autre, qu’il s’agisse des catégories de biens à déclarer, des seuils de valorisation retenus ou encore des mécanismes de contrôle mis en œuvre. Cette hétérogénéité crée un risque majeur : certains responsables publics peuvent être tentés de transférer des actifs vers des juridictions plus permissives, ce qui permettrait de les soustraire à toute détection par la HATVP, dont la compétence s’arrête aux frontières nationales. L’adoption de standards communs et d’une coopération systématique au niveau de l’Union européenne permettrait de combler ces failles et de garantir une transparence homogène pour l’ensemble des responsables publics.
Enfin, un effort accru de formation et de sensibilisation à destination des élus et responsables publics apparaît indispensable. L’obligation de déclaration, si elle vise à assurer la probité, demeure parfois perçue comme un exercice purement formel. Des actions pédagogiques permettraient de prévenir les erreurs involontaires et de clarifier les attentes juridiques. Ce volet préventif viendrait compléter utilement l’approche répressive, en favorisant une culture de la transparence intériorisée et non seulement subie.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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Réf. : Cass. civ. 3, 11 septembre 2025, n° 23-22.930, F-D N° Lexbase : B2034BTI
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J AVOCATS, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 06 Octobre 2025
La garantie décennale reste attachée à la chose, elle est donc transmissible avec elle.
Le concours d’action n’est donc pas possible, sauf à démontrer un préjudice personnel ;
et se réserver le droit d’agir lors de la vente.
L’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ est clair : l’action en responsabilité civile décennale des constructeurs appartient au maître d’ouvrage OU à l’acquéreur de l’ouvrage. Autrement dit, elle se transmet avec la chose. Il existe une exception à ce principe lorsque le maître d’ouvrage peut justifier d’un préjudice distinct, direct et personnel de celui subi par l’acquéreur. La présente décision en est une illustration.
En l’espèce, un maître d’ouvrage fait construire un immeuble collectif d’habitation aux fins de vente en l’état futur d’achèvement. L’ouvrage est réceptionné le 8 décembre 2016. Un an plus tard, tous les lots sont vendus, sauf deux. Les acquéreurs forment un recours contre le promoteur maître d’ouvrage, lequel assigne les locateurs d’ouvrage et leur assureur de responsabilité civile décennale.
La Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt rendu le 28 septembre 2023 (CA Montpellier, 28 septembre 2023, n° 19/02114 N° Lexbase : A98421ID), le déclare irrecevable en ses demandes. Il forme un pourvoi en cassation dans lequel il articule, notamment, que si l’action en garantie décennale se transmet en principe aux acquéreurs avec la propriété de l’immeuble, le maître d’ouvrage ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt direct et certain.
Le pourvoi est rejeté. La Haute juridiction procède à un contrôle de motivation. Après avoir constaté que les actions engagées par le maître d’ouvrage étaient attachées à la propriété des lots vendus et qu’il ne s’était pas réservé le droit d’agir lors de la vente, les conseillers ont pu justement déduire que, faute de préjudice personnel, les demandes étaient irrecevables.
La solution est classique (pour exemple, Cass. civ. 3, 31 janvier 2007, n° 05-15.790 N° Lexbase : A7805DTA). Pour les dommages qui se révèlent postérieurement à la vente, les actions en responsabilité contractuelle permettent aux propriétaires successifs d’obtenir réparation de leurs préjudices. En général, c’est l’acquéreur qui a intérêt à agir : ayant découvert le dommage, il en subit les conséquences dommageables. Cependant, s’il décide d’agir en garantie contre le cédant et obtient sa condamnation, ce dernier peut se prévaloir de ce « préjudice personnel » contre les constructeurs.
Encore faut-il qu’une clause expresse le prévoie. Plusieurs arrêts l’ont nettement affirmé et la présente décision est à cet égard confirmative. En l’absence de clause expresse, la vente d’un immeuble n’emporte pas, de plein droit, cession au profit de l’acheteur des droits et actions à fin de dommages-intérêts qui ont pu naître au profit du vendeur en raison des dommages affectant l’immeuble antérieurement à la vente (pour exemple Cass. civ. 3, 17 novembre 2004, Bull. civ. III, n°207).
La qualité à agir du vendeur et/ou du maître d’ouvrage peut donc persister après la vente.
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Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2025, n° 22-20.155, F-B N° Lexbase : B8444BUB
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par Charlotte Moronval, Rédactrice en chef
Le 06 Octobre 2025
Les règles protectrices édictées par l'article L. 1226-9 du Code du travail s'appliquent dès lors que la suspension du contrat de travail a pour origine, au moins partiellement, un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
C’est au juge prud’homal qu’il appartient de procéder à cette vérification.
En l’espèce, un salarié est licencié pour désorganisation de l'entreprise du fait de son absence ayant nécessité son remplacement définitif, alors qu’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle est en cours.
La cour d'appel (CA Versailles, 21 avril 2022, n° 19/03611 N° Lexbase : A20397U3) annule le licenciement, dès lors que l'employeur avait connaissance de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle et qu’il contestait l'origine professionnelle de cette maladie.
La Cour de cassation casse cette décision. La cour d’appel aurait dû rechercher si l’arrêt de travail avait effectivement, même partiellement, une origine professionnelle et non se limiter à la seule existence d’une contestation ou d’une demande en cours.
| Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les effets de l'accident du travail et de la maladie professionnelle sur le contrat de travail, La nullité du licenciement notifié pendant la période de suspension du contrat de travail, in Droit du travail N° Lexbase : E3105ET8. | 
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