Réf. : Cass. crim., 28 mai 2025, n° 24-83.556, F-B N° Lexbase : B6831ABM
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N2367B33
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par Axel Valard
Le 03 Juin 2025
C’est une décision qui était aussi attendue dans le Var qu’à Paris. La Cour de cassation a confirmé, mercredi 28 mai, la peine d’inéligibilité de cinq ans, prononcée en 2024 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à l’encontre d’Hubert Falco, l’ancien maire (LR) de Toulon. Ce qui l’empêche de pouvoir se présenter aux élections municipales de 2026 comme il le souhaitait.
Mais, dans le même arrêt, la Cour de cassation a annulé les seules dispositions de la cour d’appel ayant assorti cette peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français, saisie par l’ancien édile, a estimé que l’exécution provisoire aurait dû être mieux justifiée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, lorsqu’elle l’a prononcée. Autrement dit : pas question de revenir sur l’inéligibilité mais le sujet de son exécution provisoire, c’est-à-dire immédiate, demeure. De quoi redonner espoir à Marine Le Pen qui attend, elle, d’être jugée en appel dans l’affaire dite des assistants des eurodéputés du Rassemblement national et espère toujours pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de 2027.
Pour Falco, des frais de bouche et de pressing en question.
Pour Hubert Falco, il n’était pas question d’assistants au Parlement européen mais de frais de bouche et de pressing. L’ancien maire de Toulon a été condamné, en appel en 2024, à dix-huit mois de prison avec sursis, 30 000 euros d’amende et une peine complémentaire de cinq ans d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.
La justice a estimé qu’il avait bénéficié de frais de repas et de pressing payés par le Conseil départemental du Var alors qu’il ne le dirigeait plus. Un temps passé par le camp macroniste, cet ancien élu Les Républicains avait été immédiatement démis de ses mandats de maire de Toulon et de président de la métropole dans les jours qui avaient suivi le jugement rendu en première instance, en avril 2023.
« En résumé, nous avions raison mais il est trop tard pour revenir en arrière, a réagi Thierry Fradet, avocat d’Hubert Falco. Mon client a purgé pendant deux ans une peine d’inéligibilité prononcée avec exécution provisoire dans des conditions contraires à la Constitution. Mais nous sommes convaincus que les magistrats qui ont eu à se prononcer dans cette affaire l’ont fait en leur âme et conscience en fonction de ce qui leur était apparu juste. »
Mandat local ou national, même analyse ?
Au sujet de l’exécution provisoire, la Cour de cassation se place, ici, dans les pas du Conseil constitutionnel qui a rendu, en mars, une décision qui pourrait rebattre les cartes (Cons. const., décision n° 2025-1129 QPC, 28 mars 2025 N° Lexbase : A50490CY). Selon les Sages, il revient désormais au juge « d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que [l’exécution provisoire] est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Désormais validée par la Cour de cassation, cette analyse devrait inciter les magistrats à motiver encore plus précisément une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire à l’avenir.
Difficile de savoir si cela pourrait avoir un impact pour l’avenir de Marine Le Pen. Prise au pied de la lettre, la décision rendue ce mercredi pourrait lui donner de l’espoir. Sauf qu’elle concerne un élu local qui a été démis de son mandat. Et non pas une potentielle candidate au suffrage universel suprême, c’est-à-dire à un mandat national.
Pour le savoir véritablement, il ne reste plus qu’à patienter jusqu’au procès en appel. Et à découvrir l’analyse qu’en feront, alors, les magistrats. Après sa condamnation prononcée en première instance, Marine Le Pen avait dénoncé une décision historique, visant « à l’abattre » en vue de la présidentielle. La Cour d’appel de Paris a prévu d’examiner son affaire et de rendre sa décision « avant l’été 2026 ».
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Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 19 mai 2025, n° 489531, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : B0049AA3
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N2365B3Y
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par Marie Le Guerroué
Le 03 Juin 2025
Une irrecevabilité tirée du défaut de représentation par un avocat au Conseil d'État n'est pas régularisable après la clôture de l'instruction.
Dans cette affaire, des requérants demandaient à la Haute juridiction administrative de condamner l'État à leur verser une somme en réparation du préjudice que leur ont causé, selon eux, les décisions de l'État de se porter acquéreur de l'ensemble des actions de la société EDF détenues par des actionnaires minoritaires et de formuler à cet effet une offre publique d'achat, ainsi que la demande de l'État, soumise à l'Autorité des marchés financiers, de procéder au retrait obligatoire des titres n'ayant pas été présentés à l'offre publique.
Les juges rappellent toutefois qu’aux termes du premier alinéa de l'article R. 432-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3038AL4 : « La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d'État ». Or, ils constatent que les conclusions des deux requêtes ne sont pas au nombre de celles que l'article R. 432-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4167LUU dispense du ministère d'un avocat au Conseil d'État. Cette cause d'irrecevabilité, expressément invoquée en défense par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n'ayant pas été régularisée avant la clôture de l'instruction les requêtes sont déclarées par le Conseil d’État irrecevables et sont rejetées.
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Réf. : Décret n° 2025-338 du 14 avril 2025, relatif au dispositif d'activité partielle de longue durée rebond N° Lexbase : L2794M9D
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N2362B3U
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par Audrey Nigon, Avocate associée et Aurélie Bouchet, Alternante juriste, cabinet Aguera Avocats
Le 03 Juin 2025
Mots-clés : emploi • négociation collective • aide aux entreprises • baisse durable de l’activité • activité partielle longue durée • APLD Rebond
Instauré par la loi de finances pour 2025 du 14 février 2025 [1], le mécanisme de l’APLD Rebond (APLD-R) s’inspire du dispositif d’APLD mis en place pendant la crise sanitaire en 2020.
Cofinancé par l’État et l’Unedic, il est destiné à favoriser le maintien dans l’emploi des salariés des entreprises subissant une baisse durable de leur activité ne compromettant pas leur pérennité.
Dans un contexte de dégradation de la conjoncture économique et d’un volume important de restructurations d’entreprises, le décret d’application n° 2025-338 du 14 avril dernier était très attendu. Le ministère du Travail a également apporté des précisions intéressantes sur ce nouveau dispositif dans un questions-réponses [2].
1. Présentation du dispositif
Le mécanisme de l’APLD Rebond s’adresse à toutes les entreprises confrontées à une baisse durable de leur activité sans que leur pérennité ne soit pour autant menacée.
Il permet aux entreprises de réduire la durée du travail de leurs salariés et de bénéficier, pour les heures non travaillées, d’une allocation, en contrepartie d’engagements concrets en matière de maintien dans l’emploi et de formation professionnelle.
Il n’est pas possible de recourir concomitamment au dispositif d’APLD Rebond et à l’activité partielle de droit commun pour un motif de conjoncture économique.
a. La réduction de la durée de travail
La réduction de la durée de travail ne peut pas être inférieure à 40 % de la durée légale, conventionnelle ou contractuelle [3]. Cette réduction s’apprécie par salarié concerné sur toute la durée d’application du dispositif, ce qui permet à l’employeur d’alterner des périodes de faible réduction de l’activité avec des périodes de forte réduction de l’activité.
Par ailleurs, les accords peuvent autoriser une réduction allant jusqu’à 50 % de la durée de travail si une situation particulière le justifie et après autorisation de l’autorité administrative.
b. Les modalités d’indemnisation
L’employeur doit verser aux salariés une indemnité en lieu et place du salaire pour les heures non travaillées au moins égale à 70 % de la rémunération brute antérieure dans la limite de 4,5 fois le taux horaire Smic. Le montant de cette indemnité est porté à 100 % de la rémunération nette antérieure pour les heures non travaillées passées en formation [4].
En contrepartie de l’indemnité versée aux salariés, l’employeur perçoit une allocation accordée par l’Agence de services et de paiement (ASP) égale à 60 % de la rémunération brute antérieure et limitée à 60% de 4,5 fois le taux horaire Smic [5].
Tableau de synthèse des taux APLD-R - avril 2025 [6] :
Indemnité (salarié) | Allocation (employeur) | ||||
Taux | Plancher | Plafond | Taux | Plancher | Plafond |
70 % de la rémunération antérieure brute 100 % de la rémunération antérieure nette en cas de formation | 9.40 euros 8.10 pour Mayotte | 70 % de 4.5 SMIC soit 37.42 euros par heure non travaillée Mayotte : 28.29 euros | 60 % de la rémunération antérieure brute | 9.40 euros Mayotte : 8.10 euros | 60 % de 4.5 SMIC soit 32.08 euros par heure non travaillée Mayotte : 24.25 euros |
c. La durée d’application du dispositif
L’entreprise peut recourir au dispositif pendant une période de 24 mois maximum.
Le point de départ de l’APLD Rebond est fixé à une date comprise entre le premier jour du mois civil au cours duquel la demande de validation ou d’homologation a été transmise à l’autorité administrative et le premier jour du troisième mois civil suivant cette transmission [7].
2. Modalités de mise en place du dispositif
La mise en place de l’APLD Rebond requiert :
Le décret d’application du 14 avril 2025 précise les mentions légales obligatoires de ces actes.
Le préambule de l’accord doit notamment comporter un diagnostic sur la situation économique justifiant une baisse durable d’activité, les perspectives d’activité ainsi que les besoins en développement des compétences [8].
Ce diagnostic individualisé a pour objet de caractériser la baisse d’activité durable affectant l’entreprise et d’identifier les conditions nécessaires au rétablissement d’un niveau pérenne d’activité. L’entreprise doit être en capacité de garantir que la pérennité de son activité n’est pas compromise en identifiant les actions à engager pour rétablir l’activité.
L’accord doit préciser :
La décision unilatérale doit contenir ces mêmes mentions qui doivent être conformes aux dispositions de l’accord de branche étendu.
3. Le rôle de l’autorité administrative
Les documents mettant en place l’APLD Rebond doivent ensuite être transmis au préfet du département où est implantée l’entreprise éventuellement accompagnés de l’avis rendu par le CSE [9], via le portail activitepartielle.emploi.gouv.fr.
Si plusieurs établissements concernés par le dispositif sont implantés dans des départements différents, c’est à l’employeur de choisir la DDETS compétente [10].
La DDETS dispose ensuite de 15 jours pour valider l’accord collectif et de 21 jours pour homologuer la décision unilatérale. Le silence gardé dans ces délais vaut décision de validation ou d’homologation [11].
a. La validation d’un accord ou l’homologation d’un document unilatéral
La DDETS vérifie la régularité des procédures de négociation ainsi que la conformité de l’accord aux dispositions légales ou réglementaires.
Pour les décisions unilatérales de l’employeur, elle se penche sur la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE ainsi que la conformité du document aux stipulations de l’accord de branche et aux dispositions légales et réglementaires [12].
La DDETS contrôle la réalité de la baisse d’activité durable de l’entreprise qui n’est pas de nature à compromettre sa pérennité au regard du diagnostic et la qualité des engagements pris par l’employeur en matière de maintien de l’emploi et de formation professionnelle.
Les entreprises ont jusqu’au 28 février 2026 pour transmettre leur accord ou document unilatéral à l’autorité administrative. Après cette date, aucune entrée nouvelle dans le dispositif ne sera possible [13].
b. L’autorisation de placement en activité partielle et son renouvellement
La décision d’autorisation ou d’homologation par l’autorité administrative vaut placement en APLD Rebond pour une durée de 6 mois et pour un effectif donné de salariés.
En cas de persistance de la baisse durable d’activité, l’employeur peut solliciter une nouvelle demande d’autorisation de placement en APLD Rebond par période de 6 mois et dans la limite de 18 mois, consécutifs ou non (et ce au cours de la durée d’application du dispositif elle-même limitée à 24 mois).
À cette occasion, la DDETS vérifie notamment que l’entreprise est toujours confrontée à une baisse d’activité durable et que l’employeur a pris des actions pour rétablir son activité.
c. La vérification avant échéance du dispositif
Avant l’échéance de la durée d’application du dispositif, l’employeur doit transmettre à l’autorité administrative un bilan final relatif à la réduction de l’horaire de travail, des actions de formation et une présentation des perspectives d’activité de l’établissement, de l’entreprise ou du groupe ainsi que le dernier procès-verbal du CSE évoquant le recours à ce dispositif [14].
L’autorité administrative peut alors demander le remboursement de la totalité ou d’une partie seulement de l’allocation versée, dans un délai ne pouvant toutefois être inférieur à 30 jours, en cas de trop perçu, de licenciement économique ou de dépassement de la réduction maximale de la durée du travail autorisée [15].
4. La particularité des engagements pris par l’employeur
La mise en place de l’APLD Rebond est subordonnée à des engagements pris par l’employeur qui doivent concerner tous les salariés visés par le dispositif [16].
L’employeur doit notamment s’engager en matière de maintien dans l’emploi et, à ce titre, il lui est interdit de procéder à des licenciements économiques pendant la durée d’application du dispositif.
L’employeur doit également prendre des mesures en matière de formation, notamment des actions de développement des compétences des salariés qui doivent favoriser leur mobilité professionnelle et répondre aux besoins de développement des compétences identifiés dans le diagnostic.
L’employeur est par ailleurs soumis à une double obligation d’information [17] :
L’autorité administrative exerce un contrôle sur la qualité et la cohérence des actions de formation proposées au moment de valider ou d’homologuer l’accord, mais également sur le respect des engagements pris à l’issue du placement en APLD Rebond (possibilité de refuser un renouvellement de placement en APLD Rebond, de refuser le versement de l’allocation ou d’en demander le remboursement).
En définitive, ce dispositif permettra très certainement d’accompagner et de soutenir les entreprises confrontées à une réduction d’activité durable n’étant pas de nature à compromettre leur pérennité.
La branche de la métallurgie s’est d’ailleurs déjà dotée d’un accord de branche mettant en place l’APLD Rebond.
Les entreprises de ce secteur seront donc dispensées de conclure un accord et pourront ainsi utiliser l’APLD Rebond par décision unilatérale de l’employeur (après information et consultation du CSE et homologation par l’autorité administrative).
L’arrêté d’extension est ainsi très attendu par les entreprises de ce secteur, touchées par une baisse de leur activité.
[1] Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025 N° Lexbase : L6315MSP, art. 193.
[3] Décret n° 2025-338 du 14 avril 2025, relatif au dispositif d'activité partielle de longue durée rebond N° Lexbase : L2794M9D, art. 4.
[4] Décret n° 2025-338, art. 17.
[5] Décret n° 2025-338, art. 18
[6] Min. Trav., Questions - Réponses, APLD Rebond, avril 2025, préc..
[7] Décret n° 2025-338, art. 10.
[8] Décret n° 2023-338, art. 1.
[9] Décret n° 2025-338, art. 8.
[10] Décret n° 2025-338, art. 23.
[11] Loi n° 2025-127 du 14 février 2025, de finances pour 2025, art. 193.
[12] Décret n° 2025-338, art. 9.
[13] Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, art.193 ; Min. Trav. Questions - Réponses, APLD Rebond, avril 2025, préc..
[14] Décret n° 2025-338, art. 19.
[15] Décret n° 2025-338, art. 20.
[16] Décret n° 2025-338, art. 5.
[17] Décret n° 2025-338, art. 7.
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Réf. : Règlement (UE) n° 2023/2675 du 22 novembre 2023, relatif à la protection de l’Union et de ses États membres contre la coercition économique exercée par des pays tiers N° Lexbase : L5852MKX
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Le 28 Mai 2025
Mots clés : guerre commerciale • tarifs douaniers • protectionnisme • coercition • Union européenne
Le Règlement (UE) n° 2023/2675 du 22 novembre 2023, relatif à la protection de l’Union et de ses États membres contre la coercition économique exercée par des pays tiers, pourrait faire l’objet d’une première utilisation par l’Union européenne dans le cadre du conflit commercial décidé par Donald Trump et mené à travers la hausse des tarifs douaniers applicables aux marchandises importées sur le sol américain. Un pilotage fin de cet outil devra être cependant opéré pour ne pas mener à une escalade contre-productive pour les entreprises européennes et les consommateurs ni affaiblir davantage le droit du commerce international. Pour faire le point sur une éventuelle activation de ce mécanisme inédit, Lexbase a interrogé Marc Mossé, Senior counsel, August Debouzy*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs du Règlement anti-coercition du 22 novembre 2023 ?
Marc Mossé : Le Règlement anti-coercition du 22 novembre 2023 s’inscrit dans la volonté de l’Union européenne de s’affirmer comme une puissance commerciale souveraine et autonome. Ce texte lui permet d’adopter, en réaction à des mesures économiques hostiles voire agressives de la part d’un État tiers, des mesures de ripostes crédibles et graduées tout en conservant une approche la plus convergente possible de l’ensemble des États membres. Ce nouvel instrument a été pensé dans le cadre d’une montée des tensions du commerce international alors que le multilatéralisme est en crise. Il s’agissait de doter l’Union européenne et ses États membres d’un instrument original adapté aux nouvelles complexités d’un monde en tension, et cela avant même l’élection du Président D. Trump aux États-Unis. Adopté en écho, notamment, des menaces de représailles de la Chine vis-à-vis de la Lituanie alors que cet État membre de l’Union développait ses relations avec Taiwan, ce Règlement a vocation à s’appliquer dans toute situation qui peut être qualifiée de coercition économique. Comblant un certain vide dans l’arsenal de la politique commerciale commune de l’Union, il permet à celle-ci et à ses États membres de riposter tout en respectant ses obligations issues du droit international.
Si ce texte est parfois présenté comme défensif, son objectif premier reste d’abord dissuasif, comme l’a rappelé M. Valdis Dombrovskis, commissaire européen au Commerce, lors des échanges interinstitutionnels. Il s’agit d’un « instrument de dissuasion qui par sa seule existence, doit inciter les pays tiers tentés d’exercer des pressions sur l’Union ou l’un de ses États membres à y renoncer » [1].
En effet, le Règlement privilégie dans un premier temps la négociation entre l’Union, via la Commission investie d’un mandat ad hoc, et le pays tiers coercitif pour régler le différend à l’amiable et ainsi faire cesser la coercition. Le processus mis en place par le Règlement doit permettre de désamorcer les crises. Ce n’est qu’en dernier ressort, et donc après échec de ces possibles négociations, que l’Union adopterait des mesures de riposte contre ce pays tiers.
Lexbase : Quels éléments pourraient pousser l'UE à en faire application ?
Marc Mossé : L’Union pourrait faire application de ce Règlement en cas de pression commerciale exercée par un État tiers et qui serait considérée comme illégitime et grave.
L’élément déclencheur de ce nouvel instrument commercial est l’existence avérée d’une coercition économique. Celle-ci est définie par l’article 2 du Règlement comme une « situation dans laquelle un pays tiers applique ou menace d’appliquer une mesure affectant le commerce ou les investissements dans le but d’empêcher ou d’obtenir la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier par l’Union ou un État membre, et interfère dans les choix souverains de l’Union ou d’un État membre ». Cette définition semble englober à la fois des actes licites et illicites au regard du droit international.
La Commission doit examiner, de sa propre initiative ou sur saisine dûment justifiée, par un État membre, une entreprise ou pourquoi pas une association professionnelle, si la mesure adoptée par le pays tiers constitue un cas de coercition économique, en fonction de son intensité, de sa durée, sa fréquence mais également de son ampleur. Cela suppose que la personne qualifie la situation et indique, par exemple, si la mesure du pays tiers est en vigueur, en application ou pas encore et, si adoptée, comment ladite mesure du pays tiers affecte le commerce ou les investissements internationaux et comment l’Union ou l’un de ses États membres est affecté ? Autre point important, il faut démontrer comment le pays tiers compte, par sa mesure, empêcher ou obtenir la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier par l’Union ou un État membre.
Les tarifs douaniers imposés par l’administration Trump les 12 mars et 2 avril derniers ont soulevé la question de l’utilisation, pour la première fois, de ce Règlement. Il en va de même avec les nouvelles déclarations du Président des États-Unis ce vendredi 23 mai, établissant un lien entre la menace d’augmentation des droits de douane visant spécifiquement l’UE au motif, notamment, de sa politique dénoncée comme visant prétendument les entreprises états-uniennes via, entre autres politiques, les différentes législations (DMA, DSA,…) adoptées ces dernières années. De telles déclarations ajoutées à d’autres, mais pour l’instant sans mise en œuvre formelle, pourraient, en première analyse succincte, entrer dans les prévisions de l’article 2 précité.
À ce jour, la mise en œuvre du Règlement n’est pas activée mais est certainement une option à envisager; L’Union privilégie la négociation dans un premier temps pour éviter une escalade préjudiciable mais, ne peut décemment pas écarter la possibilité d’utiliser cet outil ; sauf à affaiblir sa position. Comme déjà dit, c’est un moyen de dissuasion dont la force réside aussi dans la menace raisonnable de son utilisation. À ce stade, un échec des négociations engagées avec l’administration Trump à la suite de la suspension des tarifs douaniers pour 90 jours, pourrait donc éventuellement conduire l’Union à appliquer le Règlement.
Il faut toutefois noter que l’utilisation du Règlement nécessite une majorité qualifiée au Conseil, ce qui suppose une appréciation politique préalable de la solidité de l’unité des États membres.
Lexbase : Quelle procédure de mise en œuvre et quelles mesures précises peuvent être adoptées ?
Marc Mossé : La Commission doit, en principe, statuer dans un délai de 4 mois une fois saisie.
Si le caractère coercitif de la mesure est confirmé, la Commission présente au Conseil une proposition d’acte d’exécution. Le Conseil se prononce, dans les 8 semaines, à la majorité qualifiée sur la proposition de la Commission. L’acte d’exécution comprend notamment un délai indicatif permettant à la Commission d’apprécier si les conditions d’adoption d’une mesure de riposte sont remplies. L’acte d’exécution comprend, le cas échéant, sur proposition de la Commission la demande de réparation du préjudice causé par l’État tiers à l’Union.
Un dialogue avec l’État tiers doit être engagé. La Commission conduit cet échange afin de faire cesser la coercition reprochée. Il peut s’agir d’une négociation directe, de la soumission à un arbitrage international, d’une médiation par un tiers à l’Union et à l’État concerné. La Commission peut saisir toute instance internationale compétente pour obtenir la cessation de la coercition économique.
En cas d’échec de la négociation, l’adoption des mesures de riposte se fait sous trois conditions cumulatives. D’abord, la négociation avec l’État tiers a échoué dans un délai raisonnable. Ensuite, la mesure est nécessaire à la protection des intérêts et droits de l’Union et des États membres. Enfin, la mesure a un impact positif pour l’intérêt de l’Union.
Le Règlement offre un large panel de mesures à la Commission, chargée de choisir la riposte la plus appropriée après un dialogue avec les États et entreprises concernées. L’Annexe I du Règlement prévoit la liste de mesures unilatérales envisageables : l’institution de droits de douane nouveaux ou accrus, l’introduction ou l’augmentation de restrictions à l’importation ou à l’exportation, la restriction de l’accès aux marchés publics européens, la restriction du commerce des services, la restriction des investissements dans l’Union pour les activités bancaires et d’assurance, la restriction de l’accès aux marchés de capitaux, la restriction de la protection des droits de propriété intellectuelle, ou encore l’institution de nouvelles normes sanitaires ou environnementales.
Lexbase : Quelles pourraient être leurs effets ?
Marc Mossé : Les mesures de riposte étant adoptées en dernier ressort, après échec de la négociation, leurs effets peuvent être conséquents. Le choix de l’intensité revient à la Commission. Le Règlement prévoit qu’elle peut décider d’adopter une mesure de portée générale ou au contraire spécifique à certains acteurs « associés ou liés aux pouvoirs publics du pays tiers » (article 10 § 1 du Règlement). Cette intensité modulable a conduit certains à décrire le Règlement anti-coercition comme un « bazooka commercial », si utilisé à son plein potentiel. Toutefois, et conformément au droit international public, il importe que la Commission veille à la proportionnalité des mesures adoptées.
En outre, les mesures de riposte sont susceptibles de produire des effets à la fois sur le pays tiers coercitif et ses entreprises, mais également sur les opérateurs économiques européens. Il est essentiel d’anticiper les potentiels effets dommageables pour les entreprises européennes. À cet égard, il faut souligner que le Règlement anti-coercition prend en compte cet aspect, puisqu’il prévoit que la Commission s’attache aux conséquences dommageables lors du choix des mesures de riposte. Ainsi, le Règlement rend possible dans le cadre de son activation, les échanges préalables entre la Commission, les États membres et les entreprises concernées pour choisir la mesure la plus appropriée au regard de ses impacts positifs et négatifs. On ne saurait trop encourager un tel dialogue entre les parties prenantes si le Règlement devait être mis en œuvre.
Lexbase : Des mesures de rétorsion sont-elles à craindre de la part des Etats-Unis si le Règlement était mis en œuvre ?
Marc Mossé : Le juriste n’étant pas une pythonisse, il lui est difficile de prévoir ce que serait la prochaine réaction ou déclaration de l’administration nord-américaine dans un tel scénario. Cependant, sans faire de pari hasardeux, on doit insister sur la nécessité d’une négociation que le Règlement prévoit. L’adoption de mesures de riposte ne se fait qu’ultima ratio et sonnerait comme le constat d’un échec. Les derniers mois ont montré que le pire n’était pas toujours sûr. Alors que se diffuse une petite musique pénible de la fin du droit international, celui-ci reste toutefois un vecteur important de la rationalisation des rapports de force. Ce Règlement pourrait être une face positive du lawfare à l’Européenne. C’est sans doute l’originalité d’un Règlement qui, d’une certaine façon, laisse la place à une gestion diplomatique des tensions et aussi, à la création d’une dynamique multiparties prenantes où les entreprises, européennes comme américaines, peuvent contribuer à ce que les pouvoirs publics explorent des pistes de sortie de la crise par le haut.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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Réf. : CAA Nancy, 22 mai 2025, n° 22NC02259 N° Lexbase : B4727AAC
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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes
Le 03 Juin 2025
La nomenclature des destinations a été refondue à partir de la loi « ALUR », de 2014 à 2016. Il était admis, sous l’empire des anciens textes, que de nouvelles destinations ne pouvaient être créées par les PLU, cette liste étant limitative. Ce principe doit être transposé aux nouveaux textes, et la jurisprudence montre qu’une règle dérogatoire peut être annulée dès qu’elle est susceptible d’être assimilée à la création d’une destination nouvelle. C’est ce qu’illustre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy, concernant un PLU qui entendait distinguer petits et grands commerces pour édicter des obligations différentes en matière de stationnement.
La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L6496MSE (dite loi « ALUR »), et son décret d’application (décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 N° Lexbase : L5264MYM) a modifié la nomenclature des destinations des constructions figurant dans le Code de l’urbanisme (C. urb., art. R. 151-27 N° Lexbase : L2693MH9 et R. 151-28 N° Lexbase : L2694MHA).
En application de ces dispositions, les PLU peuvent prévoir des régimes différents en fonction de la destination des constructions sous-destinations des constructions (C. urb., art. L. 151-9 N° Lexbase : L2566KIU), étant précisé que le contenu et la définition des destinations et sous-destinations ont été précisés par arrêté (C. urb., art. R. 151-29 N° Lexbase : L0313KWI ; arrêté du 10 novembre 2016, définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu N° Lexbase : L1433M8L), textes entrés en vigueur le 1er janvier 2016 (CE, 23 mars 2023, n° 468360 N° Lexbase : A50149KW).
Sous l’empire de l’ancienne version des textes (C. urb., art. R. 123-9), le Conseil d’État avait jugé que « les plans locaux d'urbanisme peuvent définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées » mais que « s'il est loisible aux auteurs des plans locaux d'urbanisme de préciser, pour des motifs d'urbanisme et sous le contrôle du juge, le contenu des catégories énumérées à l'article R. 123-9, les dispositions de cet article ne leur permettent, toutefois, ni de créer de nouvelles catégories de destination pour lesquelles seraient prévues des règles spécifiques, ni de soumettre certains des locaux relevant de l'une des catégories qu'il énumère aux règles applicables à une autre catégorie » (CE, 30 décembre 2014, n° 360850 N° Lexbase : A4669M9S).
Si la précision était d’importance à l’époque, c’est que les textes étaient moins précis et détaillés dans la définition du contenu des destinations et sous-destinations, si bien qu’il convenait de se référer aux lexiques et définitions figurant dans les PLU pour déterminer à quelle destination appartenait une construction et partant les règles du PLU qui lui étaient applicables, alors que désormais les nouveaux textes doivent conduire à une lecture unifiée sur le territoire national, en tout cas concernant les règles de procédure et pour les PLU élaborés sous l’empire des nouveaux textes (CE, 7 juillet 2022, n° 454789 N° Lexbase : A29028AQ ; CE, 23 mars 2023, n° 468360 N° Lexbase : A50149KW).
Toujours sous l’empire des anciens textes, il avait été jugé par la cour administrative d’appel de Nantes que les rédacteurs du PLU ne pouvaient prévoir « une réglementation spécifique applicable aux seuls bâtiments d'hébergement hôtelier existants dans les zones urbaines du territoire communal à la date de l'adoption de ce plan, à laquelle ne sont pas soumis les autres bâtiments d'hébergement hôtelier susceptibles d'être créés au sein des mêmes zones urbaines », étant précisé que cette solution s’appuyait également sur le principe d’égalité (CAA Nantes, 6 octobre 2020, n° 19NT03666 N° Lexbase : A95313WW).
Appliquant les nouveaux textes, la Cour administrative d’appel de Nancy a dans le même sens jugé illégal un PLU créant une nouvelle catégorie nouvelle catégorie de destination d’immeubles intitulée « artisanat, commerce de détail, commerce de gros » et une catégorie « commerce supérieur à 100 mètres carrés de surface de vente » pour lesquelles il pose des règles différentes en matière de stationnement, puisque cette différence de traitement méconnaît l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme (CAA Nancy, 22 mai 2025, n° 22NC02259).
Les auteurs de PLU doivent manier la création de catégories avec la plus grande précaution, puisqu’ils sont susceptibles d’être analysés par le juge comme des destinations créées en violation de la nomenclature. L’identification d’un fondement juridique adapté à chaque différence de traitement est essentielle. Les pétitionnaires peuvent également se saisir de ce courant jurisprudentiel pour contester des règles dérogatoires défavorables qui leur seraient appliquées.
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