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N2314B34
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Le 23 Mai 2025
Mots clés : collectivités • assurances • émeutes urbaines • catastrophes naturelles • dotation de solidarité
Devant la multiplication des phénomènes naturels (tempêtes, épisodes de sécheresse) et des violences urbaines, les assureurs, échaudés par l’ampleur des indemnisations à verser, ont de plus en plus tendance à refuser d’indemniser les petites et moyennes communes. Celles-ci, devant des franchises d’un montant effrayant, se retrouvent en difficulté, voire même dans l’impossibilité d’assurer certains bâtiments communaux, dès lors impossibles à rebâtir en cas de nouveaux sinistres. Pour tenter d’esquisser une amorce de solution, Lexbase a interrogé sur ce sujet Guillaume Gauch, avocat associé et Romain Millard, avocat, Selas Seban & Associés*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les difficultés concrètes rencontrées par les collectivités pour s'assurer ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Entre 2015 et 2023, la période avait été relativement favorable aux collectivités en matière d’assurance, avec peu de difficultés pour trouver des cocontractants et des dépenses d’assurance qui augmentaient globalement moins vite que l’inflation.
Au contraire, l’année 2023, marquée par la crise inflationniste, les émeutes urbaines de l’été et de nombreux sinistres environnementaux, a connu un brutal retournement de situation qui perdure depuis lors.
Ainsi, s’agissant des collectivités qui ont déjà un contrat d’assurance, nombre d’entre elles font état d’au moins un problème important d’exécution : dégradation de la relation avec l’assureur, refus d’indemnisation ou différends sur le montant de l’indemnité et, surtout, forte augmentation des franchises et/ou des primes imposée par l’assureur à l’occasion de la négociation d’un avenant. Ces problèmes d’exécution peuvent même aller jusqu’à la résiliation unilatérale du contrat par l’assureur, à laquelle les collectivités ne peuvent s’opposer et dont elles peuvent seulement retarder la prise d’effet pour un motif d’intérêt général durant le temps nécessaire à la passation d’un nouveau contrat, dans la limite de douze mois [1].
S’agissant des collectivités qui cherchent à s’assurer, elles sont de plus en plus nombreuses à être confrontées, lorsqu’elles lancent des appels d’offres, à l’absence de candidats ou à des offres présentant des conditions inacceptables.
Résultat : de nombreuses collectivités ont vu les conditions de leur couverture assurantielle se dégrader et quelques-unes – environ 1 500, selon l’Association des maires de France – se retrouvent sans couverture. Ce sont les communes qui sont affectées au premier chef par ces difficultés, ce qui s’explique par le fait qu’elles détiennent l’essentiel du patrimoine des collectivités et qu’elles supportent en conséquence la majorité des dépenses publiques locales d’assurance.
Lorsqu’elles ne trouvent aucune solution, les collectivités n’ont d’autre choix que de s’auto-assurer.
Certes, l’auto-assurance est, dans la plupart des cas, autorisée pour les collectivités, à la différence des personnes privées. Cependant, la loi impose la souscription d’une assurance responsabilité civile dans certains domaines (véhicules terrestres à moteur, centres de vacances, de loisirs et groupements de jeunesse, établissements recevant des enfants inadaptés ou handicapés, établissements chargés de la formation professionnelle alternée de mineurs, épreuves sportives sur la voie publique, remontées mécaniques) et la méconnaissance de ces obligations peut générer un risque pénal.
Les causes de ces difficultés assurantielles sont multiples : un manque de concurrence sur le marché de l’assurance des collectivités territoriales, des risques à assurer de plus en plus nombreux et coûteux (risques environnementaux, violences sociales, attaques cyber…), un manque de connaissance par les collectivités de leur propre exposition aux risques et, partant, des difficultés pour elles à définir leurs besoins.
Ces constats ont été dressés de manière concordante au cours de travaux menés, d’une part, par la commission des finances du Sénat [2] et, d’autre part, à la demande du Gouvernement [3], ainsi que par la Cour des comptes [4]. À cet égard, il en ressort un manque de données consolidées à l’échelle nationale sur les conditions d’assurances des collectivités.
Lexbase : Comment compte y répondre l'État ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Le 25 avril 2025, l’État a signé avec France Assureurs (fédération française de l’assurance) et les associations d’élus locaux une charte d’engagement pour un plan national d’actions « PACT 25 » dont l’objectif est le suivant : « plus aucune collectivité territoriale en France ne doit se retrouver en situation involontaire de défaut d’assurance ».
Ce plan comprend une série d’engagements à la charge des différentes parties prenantes, certains étant précis et opérationnels, d’autres relevant davantage de déclarations d’intention.
Du côté du Gouvernement, trois mesures concrètes ont été annoncées pour les prochains mois.
La première mesure sera la mise à jour d’ici fin juin 2025 du guide pratique de passation des marchés publics d’assurances des collectivités locales, qui date de 2008. L’objectif sera d’aider les collectivités à identifier et exprimer leurs besoins en matière d’assurance et de développer une compréhension partagée avec les assureurs des possibilités offertes par le code de la commande publique, afin que les appels d’offres permettent à ces derniers de proposer aux collectivités les solutions les plus adaptées.
La deuxième mesure sera l’adoption d’un décret visant à plafonner le mécanisme de modulation à la hausse des franchises « catastrophe naturelle », en fonction du nombre de reconnaissances au cours des cinq dernières années pour les biens implantés dans des communes dotées de plan de prévention des risques naturels (PPRN).
La troisième mesure sera l’adoption d’un autre décret afin, d’une part, de corriger l’article D. 125-5-7 du Code des assurances N° Lexbase : L5150MGT de sorte que le montant de la franchise catastrophe naturelle ne soit plus obligatoirement aligné sur le montant de franchise le plus élevé figurant au contrat pour les mêmes biens et, d’autre part, que cette franchise soit plafonnée pour les petites communes et s’élève par défaut à une fraction du montant des dommages.
Néanmoins, le calendrier d’adoption de ces deux décrets n’a pas encore été précisé.
Lexbase : Ces réponses seront-elles suffisantes, notamment pour les collectivités qui se trouvent déjà sans solution ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Les mesures précitées ont davantage vocation à réduire les risques de futurs défauts de couverture assurantielle qu’à régler les situations existantes.
Pour venir en aide aux collectivités qui font d’ores et déjà face à une absence de solution ou, plus largement, à des difficultés assurantielles, le PACT 25 prévoit la création d’ici la fin du premier semestre 2025 d’une cellule d’accompagnement et d’orientation, dénommée « CollectivAssur », placée auprès du Médiateur de l’assurance et financée par France Assureurs.
Cette cellule aura pour mission de faire un diagnostic flash de la situation des collectivités qui la solliciteront, puis de les orienter soit vers un parcours « urgence » (conseils auprès d’un groupe d’intermédiaires ou, en cas de refus d’assurance sur une garantie obligatoire, saisine du bureau central de tarification), soit vers un parcours « sécurisation » (mise en relation avec les interlocuteurs nationaux ou locaux appropriés pour affiner le diagnostic (inventaire du patrimoine, cartographie des risques), élaborer des recommandations en matière de prévention et de protection).
Par ailleurs, CollectivAssur sera chargée d’identifier et d’animer un réseau de référents au niveau national et départemental, au moyen de webinaires et de rencontres avec les acteurs à l’échelle départementale (préfectures, associations locales d’élus, référents France Assureurs, antennes des agences…). Elle aura également une fonction d’observatoire, par la production d’un rapport annuel et une fonction d’alerte en cas de perturbations sur le marché assurantiel.
En parallèle, les assureurs se sont engagés, de leur côté, à « proposer des contrats d’assurance adaptés aux besoins des collectivités, dans le cadre du nouveau dialogue promu par le guide pratique » et à « faciliter la recherche de solutions pour les collectivités qui rencontrent des difficultés et à accentuer le dialogue avec les collectivités dans l’élaboration des contrats d’assurances ».
Enfin, il faut souligner qu’une partie de la solution dépendra aussi des collectivités elles-mêmes. En ce sens, elles se sont notamment engagées, par la voix de leurs associations représentatives, à inventorier de manière plus précise et régulière leur patrimoine, afin de faciliter le calibrage des contrats d’assurance pouvant leur être proposés, en mettant en œuvre des mesures de prévention des risques et en améliorant la formation des élus et des services sur le sujet.
Lexbase : À plus long terme, des ajustements normatifs et réglementaires seront-ils nécessaires ?
Guillaume Gauch et Romain Millard : Le PACT 25 prévoit quelques évolutions législatives, d’une ampleur assez limitée.
Tout d’abord, le Gouvernement s’est engagé à soutenir l’inscription dans la loi d’un délai de prévenance de six mois que devront respecter les assureurs avant de pouvoir résilier leur contrat avec une collectivité territoriale. Cette mesure est d’ores et déjà intégrée au projet de loi de simplification de la vie économique, adopté par le Sénat et en cours d’examen à l’Assemblée nationale.
Ensuite, les débats sur le projet de loi de finances pour 2026 devraient être l’occasion d’une réforme de la dotation de solidarité (DSEC) en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques. Les objectifs de cette réforme sont les suivants : assouplir et harmoniser la définition des biens non assurables, simplifier les modalités de calcul, raccourcir les délais d’indemnisation et réévaluer la notion de construction à l’identique, dans une optique d’adaptation au changement climatique.
Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé qu’il allait constituer auprès de lui un groupe de contact national permanent afin d’observer les tendances du marché assurantiel, suivre la mise en œuvre de ce PACT 25 et formuler régulièrement des recommandations, en particulier en matière de réassurance des risques sociaux exceptionnels. Ces recommandations pourraient ensuite donner lieu à des évolutions normatives supplémentaires.
Pour le reste, le PACT 25 ne prévoit pas de réformer le Code de la commande publique, privilégiant une action à droit constant. Le PACT 25 n’a pas non plus repris la proposition du « rapport Husson » de création d’un système d’indemnisation du risque d’émeute inspiré de celui qui existe pour les catastrophes naturelles, c’est-à-dire un système mutualisé faisant intervenir en dernier ressort la garantie de l’État. Il n’est pas non plus prévu de publication d’un cahier des clauses administratives générales (CCAG) et d’un cahier des clauses techniques générales (CCTG) spécifiques aux marchés d’assurance, bien que cela avait été proposé par le « rapport Chrétien-Dagès ».
Cela étant, des évolutions normatives pourraient venir directement de l’Union Européenne, à l’occasion de la révision des directives relatives à la commande publique datant de 2014, qui a été initiée par la Commission à la fin de l’année 2024 et qui devrait aboutir dans le courant de l’année 2026. En effet, des propositions ont été formulées afin d’assouplir les obligations pesant sur les acheteurs pour la souscription de leurs polices d’assurance, notamment par la Fédération des associations européennes de gestion des risques (FERMA) [5]. Reste à voir dans quelle mesure ces propositions seront reprises par le législateur européen, puis transposées en droit national.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
[1] CE, 12 juillet 2023, n° 469319 N° Lexbase : A78231AY.
[2] J.-F. Husson, Rapport d'information fait par la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, Sénat.
[3] A. Chrétien et J.-Y. Dagès, L’assurabilité des biens des collectivités locales et de leur groupement : état des lieux et perspectives, rapport, avril 2024.
[4] CRC Bourgogne-Franche-Comté audit flash .
[5] FERMA, Position sur la révision des directives européennes sur les marchés publics, 11 mars 2025.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Décret n° 2025-419 du 12 mai 2025 N° Lexbase : L6104M9X
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N2342B37
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par La rédaction
Le 28 Mai 2025
Publié au Journal officiel du 14 mai 2025, le décret n° 2025-419 du 12 mai 2025 porte mise en œuvre des procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique des immeubles indignes à titre irrémédiable et à titre remédiable prévues par les articles L. 511-1 et suivants du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
L'article 9 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement N° Lexbase : L6275MS9 prévoit la création d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique des immeubles indignes à titre remédiable.
Cette procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique à titre remédiable, prévue aux articles L. 512-1 et suivants du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique N° Lexbase : L1082MMZ, vise à permettre à l'autorité administrative de réaliser des travaux de rénovation de bâtiments en amont de leur dégradation définitive, afin d'éviter la démolition.
Le présent décret précise les modalités de mise en œuvre de cette procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique à titre remédiable.
Les modalités de publication, d'affichage et de notification prévues pour cette nouvelle procédure sont harmonisées avec la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique à titre irrémédiable, prévue aux articles L. 511-1 et suivants du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique N° Lexbase : L1080MMX.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. chbre mixte, 12 mai 2025, n° 22-20.739, B+R N° Lexbase : A73480W3
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N2303B3P
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef
Le 28 Mai 2025
L'absence de garanties suffisantes d'indépendance du tiers acheteur à l'égard du requérant n'est pas de nature à entraîner la nullité du procès-verbal de constat d'un achat établi par un huissier de justice à la requête d'un particulier. Par ailleurs, lorsqu'il est allégué que le tiers acheteur ne présentait pas de garanties suffisantes d'indépendance à l'égard du requérant, il appartient au juge d'apprécier si, au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis, ce défaut d'indépendance affecte la valeur probante du constat.
Jusqu’alors, la Cour de cassation jugeait qu’un commissaire de justice devait être assisté d'une personne indépendante de la partie qui lui demandait d’établir le constat d’achat, sous peine de nullité du constat (Cass. civ. 1, 25-01-2017, n° 15-25.210, F-P+B N° Lexbase : A5484TAD). Or, les cabinets de l'avocat mettent fréquemment leurs propres stagiaires à la disposition du commissaire de justice pour qu’ils effectuent l’achat.
Cette jurisprudence a suscité des divergences d'application parmi les juges du fond et des critiques de la part de la doctrine et de praticiens, qui ont souligné sa rigueur excessive et le fait qu'elle postule un risque non justifié de manipulation des preuves à l'intérieur du magasin. L’arrêt rendu en Chambre mixte opère donc un revirement de jurisprudence.
Dans cette affaire, la société Rimowa a constaté qu’une société offrait à la vente une valise reproduisant les caractéristiques originales de l’une de ces célèbres valises. Elle a donc fait constater ces agissements par un huissier de justice, puis a fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation juge ainsi désormais, d’une part, que l’absence de garantie d’indépendance du tiers acheteur n’entraîne pas nécessairement la nullité du constat d’achat et, d’autre part, que c’est au juge d’apprécier, au cas par cas, si le défaut d’indépendance du tiers affecte la valeur probante du constat d’achat. Elle approuve alors l’arrêt d’appel (CA Paris, 5-1, 6 avril 2022, n° 20/17307 N° Lexbase : A02247TH) qui a retenu que compte tenu du rôle limité du tiers acheteur et du fait qu'il ait agi en permanence sous le contrôle de l'huissier de justice, le défaut d'indépendance de ce tiers n'affecte pas le caractère objectif des constatations mentionnées au procès-verbal.
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N2329B3N
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par César Solis, avocat en droit social, Steering Legal
Le 26 Mai 2025
►Dans ce LexFlash, César Solis, avocat en droit social chez Steering Legal, revient sur les enjeux de l’enquête interne : quand l’initier ? comment la conduire dans le respect des droits des salariés ? quels risques en cas d’irrégularités ?
► Retouvez cette épisode sur Youtube, Deezer, Apple et Spotify.
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Réf. : CE Sect., 11 avril 2025, n° 498803, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A48850IR
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par Léa Couturier, Avocate au barreau de Paris, Gide Loyrette Nouel
Le 27 Mai 2025
Mots clés : contentieux de l’urbanisme • autorisation d’urbanisme • refus de permis de construire • prescriptions spéciales • avis contentieux
Dans un avis contentieux très attendu du 11 avril 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les moyens d’assurer la conformité d’un projet aux règles d’urbanisme. Si le pétitionnaire a la possibilité de modifier son projet pendant l’instruction de la demande, l’autorité compétente n’a pas l’obligation de rechercher s’il est possible d’autoriser le projet en l’assortissant de prescriptions spéciales.
Par un arrêté en date du 20 septembre 2023, le maire de la commune de Saint-Raphaël (Var) a refusé de délivrer à la société AEI Promotion un permis de construire (PC) pour la réalisation d’un bâtiment à usage mixte de commerces en rez-de-chaussée, de bureaux de logements en étages. En outre, par une décision du 3 janvier 2024, le maire a rejeté le recours gracieux du pétitionnaire dirigé contre cet arrêté.
La société AEI Promotion a alors introduit un recours contentieux contre l’arrêté de refus de PC et la décision de rejet du recours gracieux devant le tribunal administratif (TA) de Toulon, en soutenant que le refus qui lui a été opposé est illégal, dès lors que l’autorité compétente aurait pu facilement remédier à la non-conformité du projet par l’édiction de prescriptions.
Par un jugement n° 2400101 du 8 novembre 2024, le TA a décidé de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’État, en application de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2626ALT [1].
La question soumise à son examen était la suivante :
« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ? ».
La section du contentieux du Conseil d’État répond à cette question en trois temps.
I. Les responsabilités respectives du pétitionnaire et de l’administration
Le Conseil d’État rappelle tout d’abord, de manière didactique :
Le Conseil d’État considère qu’il résulte de ces dispositions « qu’il revient à l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme de s’assurer de la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 et de n’autoriser, sous le contrôle du juge, que des projets conformes à ces dispositions ».
Ainsi, la responsabilité de présenter un projet conforme aux règles d’urbanisme incombe au pétitionnaire.
Quant à l’autorité compétente, elle doit s’assurer de cette conformité avant de délivrer un permis, ou de ne pas s’opposer à une DP.
À cet égard, et comme le relève la rapporteure publique Maïlys Lange dans ses conclusions, il se déduit de cette première étape du raisonnement une simple possibilité laissée à l’administration d’édicter des prescriptions spéciales, plutôt que d’opposer un refus à une demande d’autorisation d’urbanisme.
En effet, il ne découle d’aucune des dispositions susvisées que l’autorité compétente soit tenue d’une obligation de « régularisation précontentieuse » d’un projet par l’effet de prescriptions (cette notion étant, d’ailleurs, uniquement citée, mais non définie, par les textes).
En toute hypothèse, en l’espèce, les dispositions du PLU de la commune de Saint-Raphaël dont il était question, relatives à la hauteur des bâtiments, aux places de stationnement et au local des ordures ménagères, ne prévoyaient même pas expressément la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation de prescriptions.
II. La faculté du pétitionnaire de faire évoluer son projet en cours d’instruction
Pour mémoire, il a été reconnu, dans une décision « Commune de Gorbio » du 1er décembre 2023 consacrant la pratique, qu’en l’absence de dispositions expresses du Code de l’urbanisme y faisant obstacle, l’auteur d’une demande de PC peut apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision, des modifications qui n’en changent pas la nature. Celui-ci peut alors adresser une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier, afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié [2].
Le Conseil d’État rappelle ce principe dans son avis, en ajoutant que le pétitionnaire peut modifier son projet, « le cas échéant après que l’autorité administrative compétente lui a fait part des absences de conformité de son projet ».
La rapporteure publique Maïlys Lange précise, dans ses conclusions, que cette invitation à adapter le projet pour en assurer la conformité présente trois avantages par rapport à l’émission de prescriptions :
III. La faculté de l’administration d’assortir son autorisation de prescriptions
Pour rappel, c’est à l’occasion de la jurisprudence « Ciaudo » du 13 mars 2015 que les conditions dans lesquelles l’administration peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions avaient été précisées : « l’administration ne peut assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à la condition que celles-ci, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, aient pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect » [4].
Plus précisément, le Conseil d’État avait été amené, dans cette décision, à se prononcer sur la question de la recevabilité d’une demande d’annulation, par le titulaire d’une autorisation d’urbanisme, d’une ou plusieurs prescriptions dont celle-ci est assortie (au motif, notamment, de leur caractère excessif).
Par la suite, il a complété son édifice jurisprudentiel par une décision « Deville » du 26 juin 2019 [5], en imposant à l’autorité compétente, en matière de salubrité et de sécurité publique (sur le fondement des dispositions dites « permissives » du règlement national d’urbanisme (RNU) fixées à l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0569KWY), de rechercher si le projet peut être autorisé en l'assortissant de prescriptions spéciales, plutôt que d'opposer un refus de PC [6].
Dans l’avis commenté, le Conseil d’État fait le choix de ne pas généraliser la jurisprudence « Deville » –circonscrite aux atteintes à la salubrité ou la sécurité publique – à toutes les règles d’urbanisme (i.e. en dehors même des règles rédigées de manière similaire à l’article R. 111-2 précité). Plus encore, la Haute-Juridiction opère un revirement, en abandonnant cette jurisprudence (v. le fichage de l’avis « Ab. jur. » dans la rubrique « Analyse » [7]).
Les conclusions de la rapporteure publique Maïlys Lange permettent d’en comprendre les raisons :
« ces conditions [posées par la décision « Deville »] ne sont pas d’un maniement aisé, et nous craignons qu’elles ne permettent en réalité ni à l’administration de déterminer avec certitude les contours de son obligation, ni aux pétitionnaires de comprendre l’étroitesse de la fenêtre contentieuse qu’elle leur ouvre, ni au juge, qui risque dès lors d’être sollicité à l’excès, d’exercer son contrôle sans courir le risque que ne se poursuive, devant lui, l’instruction de la demande (…) Le jeu n’en vaut pas la chandelle (…) ». À noter que, selon elle, il est permis de penser que « si ‘Gorbio’ avait précédé ‘Deville’, ‘Deville’ n’aurait pas existé ».
Partant, le Conseil d’État considère que l'autorité compétente dispose, sans jamais y être tenue, de la faculté d'accorder le PC ou de ne pas s'opposer à la DP en assortissant sa décision de prescriptions spéciales destinées à rendre le projet conforme aux règles d’urbanisme.
La Haute juridiction estime ainsi que le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de PC ou d'opposition à DP ne peut exiger que l'autorité compétente lui délivre l'autorisation sollicitée en l'assortissant de prescriptions spéciales, et ne peut utilement se prévaloir d’un tel moyen devant le juge de l’excès de pouvoir.
En conclusion, cet avis contentieux confirme que toute non-conformité, même mineure, peut in fine entraîner le refus de l’autorisation d’urbanisme sollicitée. S’il clarifie les rôles respectifs du pétitionnaire et de l’administration, il écarte, à la déception des porteurs de projet, la reconnaissance d’une obligation à la charge de l’autorité compétente de régulariser la demande lorsque c’est possible, sans dénaturer le projet concerné. Une telle avancée aurait permis de sécuriser les autorisations d’urbanisme, en anticipant sur le pouvoir de régularisation du juge en cas de litige.
En réalité, le Conseil d’État mise principalement (et peut-être naïvement ?) sur le dialogue entre le pétitionnaire et l’administration – s’inspirant du concept contesté de « l’urbanisme négocié » [8] – en amont et durant l’instruction, de sorte à éviter que celle-ci se prolonge devant les tribunaux. Toutefois, l’absence de textes est de nature à nuire à l’efficacité d’une telle solution (qui n’a rien d’obligatoire et est, au demeurant, largement dépendante du degré d’implication des acteurs concernés). Une évolution du Code de l’urbanisme serait, sur ce point, bienvenue [9].
Mais, au-delà, il est souhaitable que le législateur puisse, à présent, définir le cadre juridique de la « régularisation précontentieuse » des projets et la fonction régulatrice du juge, afin de sécuriser les droits à construire et encourager les projets de construction, dans un contexte encore prégnant de crise du logement.
À retenir :
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[1] « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'État ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ».
[2] CE 1er décembre 2023, n° 448905 N° Lexbase : A182017K.
[3] CE, 26 juillet 2022, n° 437765 N° Lexbase : A10348DN.
[4] CE 13 mars 2015, n° 358677 N° Lexbase : A6895NDQ.
[5] CE 26 juin 2019, n° 412429 N° Lexbase : A7035ZGN. V. également, CE 22 juillet 2020, no 426139 N° Lexbase : A61983RY.
[6] « En vertu de ces dispositions [R. 111-2 du Code de l’urbanisme], lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales ».
[7] « (3) Ab. jur., faisant obligation à l'administration de rechercher s'il est possible d'autoriser, en l'assortissant de prescriptions complémentaires, un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, CE, 26 juin 2019, n° 412429, p. 245 ».
[8] Rapport de la Cour des comptes sur la délivrance des permis de construire en date du 26 septembre 2024.
[9] Une proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme a été déposée le 1er avril 2025 à l’Assemblée nationale. D’après le texte voté en première lecture le 15 mai 2025, un nouvel article L. 424-3-1 du Code de l’urbanisme permettrait au pétitionnaire s’étant vu opposer un refus, d’adapter son projet dans un délai d’un mois pour répondre aux motifs mentionnés dans l’arrêté. À suivre donc.
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