La lettre juridique n°951 du 29 juin 2023 : Droit pénal de l'environnement

[Focus] L’argument écologiste dans le discours du législateur pénal

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par Jacques-Henri Robert, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

le 28 Juin 2023

Cet article est issu du dossier spécial de publication des actes du colloque « Écologisme et droit pénal » qui s’est tenu à Agen le jeudi 6 avril 2023 sous la direction scientifique de Julien Lagoutte. Le sommaire de ce dossier et les enregistrements audio du colloque sont à retrouver en intégralité sous ce lien : N° Lexbase : N5892BZA

Mots clés : Charte de l’environnement • Écocide • Urbanisme • Déchets • Installations classées

Le législateur contemporain assied l’autorité de son discours sur l’effroi qu’inspire le changement climatique, il est centré sur la protection de l’humanité. Il n’en a pas toujours été ainsi : en des temps où la consommation n’était pas aussi massive qu’aujourd’hui, le législateur s’appliquait à protéger la nature pour elle-même sans s’embarrasser de considérations sanitaires ou économiques.


 

Grâce à mon grand âge, j’ai vécu sous le régime socio-économique que décrit M. Carbou dans un article qui formera la base de nos échanges [1]. C’était dans un village de huit cent cinquante habitants et, puisqu’il est situé en Normandie, ses constructions sont faites de bois, de paille, de terre et de bouse de vache. J’allais chercher le lait à la ferme, dans un pot au lait en fer blanc, et il était tout chaud du pis de la vache. Il y avait trois bouchers qui abattaient les animaux à la sortie du village, un peu malproprement au milieu des mouches attirées par le sang, et ils se fournissaient dans les fermes proches. Le nombre des bistrots était considérable et ils assuraient des liens sociaux intenses. Bien que ma famille soit bourgeoise, nous n’avions pas l’eau courante dans toutes les pièces, ma mère rinçait son linge dans une mare, et le chauffage était assuré par des poêles à bois. Les automobiles étaient rares et constituaient un signe de grande richesse.

Si le législateur avait été inspiré, en ce temps-là, par un discours écologiste, il aurait conservé les choses en cet état, au moins en dehors de villes corruptrices. De bons auteurs le lui recommandaient, comme Baudelaire et Bernanos et aussi un écrivain de moins bonne réputation comme Édouard Drumont qui publia, en 1889, La fin d’un monde. Mais le législateur des Trente Glorieuses fut inspiré par tous les démons, capitalistes et communistes, que dénonce M. Carbou [2]. Grâce aux engrais, les herbages de ce pays de bocage aux terres pauvres ont été labourés, le remembrement a détruit les haies et concentré les exploitations agricoles qui sont passées de dix à cent cinquante hectares. Les lotissements ont augmenté la population de mon village jusqu’à mille habitants qui ont perdu, au profit des grandes surfaces, la plupart de leurs commerçants et aussi de leurs débits de boissons ; ils ont, en revanche acquis des automobiles, au moyen desquelles, chaque jour ouvrable, ils se rendent à la gare pour travailler à Caen ou à Paris.

Les nombreux chercheurs que cite M. Carbou [3] pleurent donc sur le lait répandu qu’on ne boira jamais plus.

Le sujet que M. Lagoutte me propose semble donc manquer d’objet : le législateur français contemporain paraît ne pas avoir de discours écologiste du tout et si on étend la curiosité au-delà de nos frontières, on ne trouve guère que le Costa Rica qui fasse bonne figure ; la Nouvelle-Zélande mérite un accessit malgré son attachement au capitalisme. Notre législateur a manqué l’occasion de créer un crime d’écocide qui n’est devenu qu’une pollution assortie de circonstances aggravantes, et jamais criminelle [4].

Faute de mieux, cette communication portera donc sur les discours par lequel le législateur français et européen tend ou a tendu vers l’écologisme au sens où l’entend M. Carbou [5], sans jamais l’atteindre.

Ce sera une sorte de taxinomie de ces discours à tendance plutôt qu’à objet, écologiste. Elle sera suivie d’une appréciation de leur autorité.

I. La taxinomie des discours du législateur

Le critère choisi pour mesurer l’écologisme des discours du législateur est l’absence d’égoïsme humain, la mise à l’écart de considérations sanitaires ou économiques, bref le reniement de l’anthropomorphique.

La présence la plus ancienne de ce signe, au moins à l’époque moderne, se trouve dans les lois protectrices des animaux. On ne se lasse pas de célébrer la loi Grammont du 2 juillet 1850 qui réprimait les mauvais traitements envers les animaux domestiques, mais à condition qu’ils soient exercés publiquement et abusivement, ce qui gâte un peu l’effet.

L’activité réglementaire du XIXe siècle offre des exemples beaucoup plus convaincants d’une tendance non anthropomorphique par l’encouragement des activités associatives désintéressées et l’adoption concrète de leurs propositions. La routine a fait oublier le sens de la dénomination du Jardin d’acclimatation de Paris : or, elle exprime officiellement le désir de rendre le moins désagréable possible l’exil des animaux exotiques élevés dans des zoos. C’est l’œuvre d’une société savante qui s’appelait Société zoologique d’acclimatation, fondée en 1854 par Geoffroy Saint-Hilaire, reconnue d’utilité publique en 1857, sous Napoléon III et devenue, en 1960, la Société de protection de la nature et d'acclimatation de France ; on lui doit la création, en 1912, de la Ligue pour la protection des oiseaux, l’installation, à partir de 1927, de plusieurs réserves naturelles et elle est cofondatrice de France Nature Environnement.  

Ce sont ces initiatives mêmes qui furent consacrées par la loi n° 76-629, du 10 juillet 1976, sobrement dénommée relative à la protection de la nature N° Lexbase : L4214HKB. Elle comprend trois chapitres intitulés « Faune et flore », « Animal » « Réserves naturelles » et « Espaces boisés ». C’est dans son article 9 qu’on trouve la célèbre formule : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », qui est répétée à l’article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3263IK3 et évoquée dans l’article 515-14 du Code civil N° Lexbase : L9450I77. Et l’article 1er de la même loi, toujours en vigueur, affirme avec générosité : « La protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales, le maintien des équilibres biologiques auxquels ils participent et la protection des ressources naturelles contre toutes les causes de dégradation qui les menacent sont d'intérêt général ».

« Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit. Les activités publiques ou privées d'aménagement, d'équipement et de production doivent se conformer aux mêmes exigences ». Une remarque clôt tout de même cet article : « La réalisation de ces objectifs doit également assurer l'équilibre harmonieux de la population résidant dans les milieux urbains et ruraux ».

Tel est le monument le plus proche de l’écologisme dans le droit contemporain. Il ne doit pas jeter dans l’ombre d’autres instruments issus de la même pensée et qui sont désintéressés, et même coûteux pour l’économie : la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques N° Lexbase : L4485A8M (codifiée dans le Code du patrimoine), la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque [6], et celle du 22 juillet 1960 sur les parcs nationaux [7] (codifiées dans le Code de l’environnement).

Il ne faut donc pas désespérer. Le législateur s’est affranchi de discours qu’on trouverait aujourd’hui navrants, comme l’intitulé du décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode [8], ou celui de la loi du 19 décembre 1917 qui lui succéda et portait réglementation des établissements dangereux, insalubres ou incommodes [9].

Mais ses discours postérieurs aux années 1970 n’ont plus la même pureté écologiste au sens où nous l’entendons dans cette enceinte. Au lieu d’appeler au respect de la nature pour elle-même, ils se fondent sur la terreur qu’inspire aux citoyens le changement climatique ; cet effroi est un moyen plus efficace de leur faire accepter des contraintes écologiques que ne le seraient des arguments purement écologistes et qui sont aujourd’hui plus douloureuses qu’elles ne l’auraient été dans une société moins consumériste que la nôtre. Proscrire les emballages en plastique n’aurait eu aucune conséquence dans mon village d’autrefois dont les commerçants utilisaient du papier journal, et l’augmentation du prix de l’essence aurait réjoui les jaloux privés d’automobile, plus nombreux que ceux qui en possédaient une.

Revenant aux discours contemporains, lisons les considérants du texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes, ceux de la Charte de l’environnement qui ont vivement déçu M. Prieur : « Considérant, - Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ; - Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ; - Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ».

La loi n° 2021-1104, du 22 août 2021 N° Lexbase : L6065L7R en est la conséquence qui révèle les mobiles du législateur dans son titre : « Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Et l’exposé des motifs qui en a présenté le projet contient cette affirmation : « Alors que la planète est déjà confrontée aux impacts du dérèglement climatique, et ainsi que les États s’y sont engagés lors de l’accord de Paris, il est de notre responsabilité morale, politique, humaine et historique d’agir pour transformer en profondeur notre modèle économique et préparer la France au monde de demain ».

Même dans des textes qui ne sont pas faits pour effrayer les populations et qui ont pour objet des éléments autres que la survie des humains, on trouve encore des motifs égoïstes.

Ainsi, qui s’attendrait à des sentiments plus purs dans les motifs de la loi n° 2016-1087, du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages N° Lexbase : L8435K9B, serait déçu en lisant ceci dans l’exposé des motifs : « La biodiversité est aussi une force économique pour la France. D’une part, elle assure des services qui contribuent aux activités humaines, dit services écosystémiques. Si l’évaluation complète des services rendus et donc le coût de leur disparition ne sont pas encore connus, plusieurs études ont montré l’importance de la biodiversité en tant que capital économique extrêmement important. D’autre part, la biodiversité est une source d’innovation (biomimétisme, substances actives, etc.) et représente dès une lors une valeur potentielle importante [10] ». 

On aurait pu croire que le législateur européen, à l’abri des électeurs, serait plus hypocrite. Mais non. La Directive (UE) n° 2009/147 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages N° Lexbase : L4317IGY est précédée de ces considérants :

« (4) Les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres sont en grande partie des espèces migratrices. De telles espèces constituent un patrimoine commun et la protection efficace des oiseaux est un problème d’environnement typiquement transfrontalier qui implique des responsabilités communes.

(5) La conservation des espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres est nécessaire à la réalisation des objectifs de la Communauté dans les domaines de l’amélioration des conditions de vie et du développement durable ».

On doit craindre que ce mélange de sentiments et la variété des discours différents tenus à l’occasion de chaque loi, Directive ou Règlement ne nuisent à leur autorité

II. L’autorité des discours écologistes du législateur

Il y a deux occasions de mesurer l’autorité des discours plus ou moins écologistes du législateur : tantôt il faut apprécier leurs effets sur le domaine qu’ils sont supposés régir (effectivité interne), tantôt leur application les met en concurrence avec d’autres principes supérieurs, notamment ceux qui protègent les droits de l’homme (effectivité externe).

A. L’effectivité interne

La plupart des lois environnementales sont des lois de police qui définissent le domaine dans lequel agit l’autorité administrative compétente (installations classées, eau, déchets etc.) ; d’avance, elles prévoient une sanction contre les manquements aux règlements, nationaux ou européens, qui seront, à l’avenir, publiés pour leur exécution. Or, ce système engendre un grand danger de stérilité du discours. Le péril prend deux formes opposées : soit la sécheresse, soit l’inondation.

L’application de la loi relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux, offre l’exemple de ces deux événements successifs. Elle fut promulguée le 15 juillet 1975 sous le numéro 75-633 N° Lexbase : L6874AGP, le même jour que la Directive n° 75/442 du Conseil N° Lexbase : L9219AUY qui employait des termes voisins, mais l’administration chargée de son application négligea longtemps de préparer les décrets nécessaires. Il y avait à cela un motif politique, le soupçon selon lequel les lois écologiques des années 1975 et 1976, celle précitée sur la nature et l’autre sur les installations classées [11], étaient insincères. L’écologie n’était alors qu’une mode d’intellectuels, inspirée par la candidature de René Dumont à la présidence de la République, et les politicologues soutenaient que ces lois étaient destinées à amuser le Parlement en détournant son attention de questions économiques et sociales jugées plus sérieuses après le premier choc pétrolier de 1973. Les ingénieurs des ministères, chargés de préparer les décrets et arrêtés pour l’application de la loi de 1975, nourrissaient ce soupçon d’insincérité car ils pensaient que la réglementation des installations classées offrait un support suffisant pour encadrer l’élimination des déchets. Il fallut attendre 1979 pour qu’un premier décret ayant cet objet [12] soit publié sur un objet très particulier, l’élimination des huiles usagées.

Mais ultérieurement, l’activité administrative française fut intense, et l’inondation survint avec l’absorption, par les articles L. 541-40 à L. 541-42 du Code de l’environnement N° Lexbase : L3190KGA, du Règlement de la Communauté européenne n° 1013/2006, du 14 juin 2006, relatif aux transferts internationaux de déchets N° Lexbase : L3231HKU : il contient quarante-deux considérants, soixante-quatre articles et treize longues annexes très techniques et des renvois à la convention de Bâle, du 22 mars 1989, sur le contrôle des déchets dangereux et leur élimination N° Lexbase : L4341ITX, et à la Directive n° 91/689, du 12 décembre 1991, relative aux déchets dangereux N° Lexbase : L7572AUY. Les conseillers de la cour d’appel de Poitiers avaient jugé que puisqu’eux-mêmes, quoique juristes, ne savaient pas sur quelle base condamner un prévenu, c’est que la norme répressive manquait de la clarté et de la précision qui conviennent à des lois pénales. Le règlement détruit la loi. L’arrêt anarchiste fut cassé [13].

Un autre exemple de stérilisation par inondation est fourni par la réglementation des produits chimiques : les articles L. 521-1 à L. 521-24 du Code de l’environnement N° Lexbase : L5048L8H intègrent au droit interne français le Règlement n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation  des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, dit « REACH » N° Lexbase : L0078HUG, qui comprend cent quarante et un articles, dix-sept annexes et dix appendices, tous fréquemment modifiés. Il n’a donné lieu à aucune décision judiciaire française et le contentieux de son application est confiné au prétoire de la Cour de justice de l’Union européenne, dont les arrêts inspirent de très subtils commentaires aux spécialistes sans aucun impact sur le droit national.

Beaucoup plus intéressante est la rencontre entre les discours écologistes et la protection des droits de l’homme.

B. L’effectivité externe

Des militants ont soutenu qu’il fallait placer la protection de l’environnement au-dessus des droits de l’Homme, puisque ceux-ci seront inutiles quand l’espèce humaine sera éteinte par l’effet de son propre mépris de la nature. C’est un des arguments de la deep ecology qui n’a pas encore prospéré dans le droit positif.

Des rencontres entre les normes écologiques et les droits de l’Homme ont néanmoins été observées, avec tantôt des défaites et tantôt des victoires du discours écologique.

La situation est confuse et les décisions nombreuses lorsque sont aux prises d’une part le droit à l’inviolabilité du domicile et à une vie de famille [14], et d’autre part les objectifs écologiques énoncés par le Code de l’urbanisme, et en particulier celui du 6° de son article L. 101-2 N° Lexbase : L7076L79 (qui est un bric-à-brac) : « La protection des milieux naturels et des paysages, la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des ressources naturelles, de la biodiversité, des écosystèmes, des espaces verts ainsi que la création, la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques ». La règle est qu’est disproportionnée la condamnation à la démolition si elle sanctionne la seule inobservation d’un permis de construire ou d’un règlement local d’urbanisme [15], mais qu’elle est permise quand  le bâtisseur élit domicile en zone inondable, non constructible ou autour d’un monument classé [16] ; et un peu de souplesse est accordée aux gens du voyage qui ont le droit, fondé sur l’article L. 151-13, 2°, du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9977LMH et que n’ont pas les autres citoyens, de s’installer, moyennant autorisation, dans des « zones naturelles, agricoles ou forestières ». Le très complexe article L. 480-13 du même code N° Lexbase : L5016LUC fait la même distinction à propos d’une situation rare : celle de l’annulation, par la juridiction administrative, d’un permis de construire contraire aux règles de l’urbanisme : malgré cette irrégularité, le juge judiciaire est privé du droit de prononcer la démolition, sauf si la zone affectée est protégée comme figurant dans l’une des quatorze entrées du 1° de cet article.

La protection de l’environnement, en revanche, triomphe facilement de droits de l’homme qui supportent de nombreuses atteintes, c’est-à-dire le droit de propriété et la liberté du commerce : depuis longtemps, ils cèdent devant les règlements de police donc a fortiori devant la protection de l’environnement. On a beaucoup célébré la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a refusé de censurer l’interdiction de l’exportation de produits phytopharmaceutiques vers des pays non européens qui n’en interdiraient pas l’emploi [17] : mais l’émerveillement tient surtout au fait que le Conseil s’est fondé sur les considérants de la Charte de l’environnement [18] pour décider que la protection de l’environnement des pays étrangers était un objectif de valeur constitutionnelle, alors qu’il avait à sa disposition des moyens plus simples et plus évidents, comme le droit à la santé. Le même Conseil a, peu de temps après, tempéré son ardeur lorsqu’il n’a pas cru que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé protégé par l'article 1er de la Charte de l'environnement [19] obligeait le législateur à ne jamais alléger les règles protectrices de l’environnement, bien que ce principe de non-régression, inscrit dans l’article L. 110-1, II, 9°, du Code de l’environnement N° Lexbase : L6857L74, s’impose au pouvoir réglementaire [20].

Loin de contrarier la protection de l’environnement, les droits de l’Homme peuvent aussi lui fournir un point d’appui. C’est le cas du droit à réparation des dommages causés par une faute délictuelle [21], du droit au juge, qui est octroyé aussi avec générosité aux associations, sauf quelques fléchissements [22].

Le droit à l’information et à l’expression est consacré par l’article 7 de la Charte de l’environnement [23] qui impose une information du public préalablement à une « décision ayant une incidence sur l’environnement » ; mais il est aussi à l’origine d’un accident juridique que l’on a qualifié de « côté obscur de la Charte de l’environnement [24] » : en effet, le défaut d’information du public concernant la loi environnementale est invoqué à leur profit par les industriels qui contestent l’excès des obligations qu’une loi leur impose [25]. En pratique, c’est eux qui ont intérêt à agir quand ils sont poursuivis devant les juridictions pénales et, en revanche, les défenseurs de l’environnement se heurtent à une interprétation très restrictive ce de qu’est « une incidence sur l’environnement [26] ».

On frémit à la pensée d’un autre conflit qui s’élèverait entre la liberté d’expression et la protection de l’environnement : aujourd’hui, l’apologie des actes attentatoires à l’environnement n’est pas punissable comme l’est celle des crimes et délits contre la vie et l’intégrité des personnes et contre l’humanité [27] et celle des infractions de terrorisme [28]. Faudrait-il l’incriminer et punir les climatosceptiques ? Voilà un beau ring pour un catch juridique.

 

[1] G. Carbou, L’écologie politique, repères pour une cartographie, Alternatives économiques, 2021-2, p. 36.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] J. Lagoutte et J.H. Robert, Le principal et l’accessoire des dispositions pénales de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique, Droit pénal, 2021, Étude 20.

[5] G. Carbou, op. cit.

[6] Loi du 2 mai 1930, ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque [en ligne].

[7] Loi n° 60-708, du 22 juillet 1960, relative à la création de parcs nationaux [en ligne].

[8] Décret impérial du 15 octobre 1810, relatif aux Manufactures et Ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode [en ligne].

[9] Loi du 19 décembre 1917, modifiée relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes [en ligne].

[10] Loi n° 2016-1087, du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, exposé des motifs [en ligne].

[11] Loi n° 76-663, du 19 juillet 1976, relative aux installations classées pour la protection de l'environnement N° Lexbase : L6346AG7.

[12] Décret n° 79-981, du 21 novembre 1979 du 21 novembre 1979, portant réglementation de la récupération des huiles usagées [en ligne].

[13] Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-80.944, F-P+B N° Lexbase : A3693RAZ.

[15] Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 16-82.945, FS-P+B N° Lexbase : A4124TBD : Dr. pén., 2017, comm. 59.

[16] Cass. crim., 19 mars 2019, n° 18-80.613, F-D N° Lexbase : A8846Y4E : Dr. pén., 2019, comm. 92 ; Cass. crim., 21 juin 2022, n° 21-81.392, F-D N° Lexbase : A285578A : Dr. pén., 2022, comm. 168.

[17] Cons. const., décision n° 2019-823 QPC, du 31 janvier 2020 N° Lexbase : A85123CA : L. Fonbaustier, note, Dr. adm., 2020, comm. 17 ; Ph. Billet, JCP A, 2020, 2156.

[18] Charte de l’environnement [en ligne].

[19] Ibid, art. 1er [en ligne].

[20] Cons. const., décision n° 2020-809 DC, du 10 décembre 2020 N° Lexbase : A385439M. C’était à propos de la question sensible des néonicotinoïdes ; CE, 2e-7e ch. réunies, 9 juillet 2020, n° 439195 N° Lexbase : A63964YK : J.-S. Boda, note, JCP A, 2020, 2387, depuis lors réglée par la CJUE le 19 janvier 2023, qui a condamné le laxisme français (CJUE, 19 janvier 2023, aff. C-162/21 N° Lexbase : A930288Z).

[21] Charte de l’environnement, art. 4 [en ligne].

[22] Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3030ITE : exclusion de Robin des Bois dans l’affaire Erika ; Cons. const., décision n° 2022-986 QPC, du 1er avril 2022 N° Lexbase : A77857RR : A. Meynaud-Zeroual, note, Dr. adm., 2022, comm. 39 : exclusion des associations trop jeunes.

[23] Charte de l’environnement, art. 7 [en ligne].

[24] L. Fonbaustier, Env. et développement durable, 2012, Étude 3.

[25] Cons. const., décision n° 2011-183/184 QPC, du 14 octobre 2011 N° Lexbase : A7387HYA : Dr. pén., 2011, comm. 155 ; Cons. const., décision n° 2016-595 QPC, du 18 novembre 2016 N° Lexbase : A3267SHH : Dr. pén., 2017, comm. 10.

[26] A. Farinetti, Env. et développement durable, 2014, Étude 17.

[27] Loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse N° Lexbase : L7589AIW, art. 24, al. 4.

[28] C. pén., art. 421-2-5 N° Lexbase : L8378I43.

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