Réf. : CJUE, 16 mars 2023, aff. C-449/21 N° Lexbase : A82509HZ
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par Vincent Téchené
le 22 Mars 2023
► Une opération de concentration d’entreprises, dépourvue de dimension communautaire, située en dessous des seuils de contrôle ex ante obligatoire prévus par le droit national et n’ayant pas donné lieu à un renvoi à la Commission européenne, peut être analysée par une autorité de concurrence d’un État membre comme étant constitutive d’un abus de position dominante prohibé à l’article 102 TFUE au regard de la structure de la concurrence sur un marché de dimension nationale.
Faits et procédure. La libéralisation de l’espace audiovisuel français en 2005 a notamment permis à Towercast et Itas, opérateurs concurrents de TDF qui détenait alors un monopole, d’entrer sur le marché de la diffusion. En 2016, TDF a pris le contrôle exclusif d’Itas grâce à une opération d’acquisition située en dessous des seuils prévus par le Règlement sur le contrôle des concentrations (Règlement n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises N° Lexbase : L6036DNU) et par le Code de commerce français (C. com., art. L. 430-2 N° Lexbase : L2044KGS) : elle n’a donc pas fait l’objet d’une notification ni d’un examen au titre du contrôle préalable des concentrations. Cette opération n’a pas davantage donné lieu à une procédure de renvoi à la Commission en application de l’article 22 du Règlement sur le contrôle des concentrations.
Towercast estime que la prise de contrôle d’Itas par TDF constitue une infraction à l’interdiction de l’abus de position dominante prévue par le droit primaire de l’Union (TFUE, art 102 N° Lexbase : L2399IPK). Selon Towercast, TDF entrave la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion des services de TNT, en renforçant significativement sa position dominante sur ces marchés.
L’Autorité française de la concurrence ayant rejeté la plainte de Towercast, cette dernière a interjeté appel devant la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-7, 1er juillet 2021, n° 20/04300 N° Lexbase : A21829IN).
Question préjudicielle. Cette juridiction demande à la CJUE s’il est possible pour une autorité nationale de concurrence de contrôler a posteriori, compte tenu de l’interdiction de l’abus de position dominante prévue par le droit de l’Union, une opération de concentration réalisée par une entreprise en position dominante, lorsque cette concentration reste en deçà des seuils de chiffres d’affaires pertinents prévus par le Règlement sur le contrôle des concentrations et par le droit national des concentrations et qu’elle n’a donc pas fait l’objet d’un contrôle ex ante en ce sens.
Décision. La CJUE juge qu’une opération de concentration de dimension non communautaire peut faire l’objet d’un contrôle par les autorités nationales de concurrence et par les juridictions nationales au titre de l’effet direct de l’interdiction de l’abus de position dominante prévue par le droit de l’Union, recourant pour cela à leurs propres règles procédurales. La Cour souligne en effet que, nonobstant le principe d’application exclusive du Règlement précité aux opérations de concentration, c’est bien le droit procédural des États membres qui trouve à s’appliquer aux concentrations de dimension non communautaire.
Elle précise que le système du guichet unique instauré par le Règlement sur le contrôle des concentrations constitue un instrument procédural spécifique. Il est exclusivement applicable aux concentrations d’entreprises impliquant des modifications structurelles importantes dont l’effet sur le marché s’étend au-delà des frontières d’un État membre. Il n’y a pas lieu, selon la Cour, d’en déduire que le législateur de l’Union a entendu rendre sans objet le contrôle opéré au niveau national d’une opération de concentration au regard de l’interdiction des abus de position dominante prévue par le droit primaire.
Par conséquent, elle considère que le contrôle préalable des opérations de dimension communautaire mis en place par le Règlement sur le contrôle des concentrations n’exclut pas un contrôle ultérieur des opérations de concentration n’atteignant pas ce seuil : certaines concentrations peuvent, tout à la fois, échapper à un contrôle préalable et faire l’objet d’un contrôle ultérieur.
Lors d’un tel contrôle ultérieur au regard de l’interdiction d’abus de position dominante, l’autorité saisie doit vérifier si l’acquéreur qui est en position dominante sur un marché donné et qui a pris le contrôle d’une autre entreprise sur ce marché a, par ce comportement, entravé substantiellement la concurrence sur le même marché.
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