Le Quotidien du 21 mars 2023 : Procédure prud'homale

[Brèves] Badge : la production en justice d’une preuve illicite est-elle possible ?

Réf. : Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-20.798, FS-D N° Lexbase : A08949HL

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N4659BZL

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par Lisa Poinsot

le 20 Mars 2023

Si les données démontrant la faute du salarié ont été collectées par un dispositif de badgeage illicite, mais que leur production en justice présente un caractère indispensable, alors la preuve est recevable.

Faits et procédure. Contestant son licenciement pour faute grave, un salarié saisit la juridiction prud’homale.

La cour d’appel (CA Paris, 16 juin 2021, n° 19/03043 N° Lexbase : A21424WA) relève que, situé à l’entrée des bâtiments de l’entreprise, le système de badgeage a pour seule finalité déclarée le contrôle des accès aux locaux et aux parkings. Aucune autre finalité de contrôle individuel de l'activité des salariés n'avait été déclarée concernant ce dispositif de collecte de données personnelles.

En outre, elle relève que l’employeur a utilisé ce système de badgeage afin de recueillir des informations personnelles concernant les salariés. Il a par la suite rapproché ces données à celles issues du logiciel de contrôle du temps de travail afin de contrôler l’activité et les horaires de travail de ces salariés. Or, il a effectué ce contrôle sans avoir procédé à une déclaration auprès du correspondant informatique et liberté au sein de l’entreprise et sans avoir informé au préalable les salariés et les IRP.

Ainsi, le résultat de ce rapprochement constitue un moyen de preuve illicite.

Les juges du fond retiennent par ailleurs que l’employeur invoque vainement une atteinte à son droit à la preuve. Or, il lui aurait suffi de déclarer de manière simplifiée au correspondant CNIL la finalité de contrôle du temps de travail du système de badgeage lors de l'accès aux locaux et d'en informer les salariés ainsi que les IRP habilitées pour préserver son droit à la preuve.

Rappel. La mise en place d’un système de badgeage doit être au préalable communiquée à la CNIL en cas de recueil de données nominatives. Si un correspondant informatique et libertés est mis en place dans l’entreprise, aucune démarche auprès de la CNIL n’est réalisée.

Par ailleurs, les badgeuses à reconnaissance biométrique sont interdites pour le contrôle des horaires et sont seulement autorisées pour le contrôle des accès aux zones restreintes.

Enfin, les données sont collectées pour un but bien déterminé et légitime et ne sont pas traitées ultérieurement de façon incompatible avec cet objectif initial. Ce principe de finalité limite la manière dont le responsable de traitement peut utiliser ou réutiliser ces données dans le futur.

En conséquence, selon la cour d’appel, en l’absence d’autres preuves établissant la fraude reprochée, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle condamne alors l’employeur à payer au salarié des sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.  

Rappel. L'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail à condition de ne pas le faire de manière dissimulée et de respecter leur vie privée. Il est alors tenu lors de l'introduction de nouvelles technologies dans l'entreprise et par conséquent lors de la mise en place dans l'entreprise de traitement de données à caractère personnel, d'en informer préalablement les salariés, mais aussi le CSE.

L’employeur forme dès lors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel en application des articles 6 et 22 de la loi n° 78-17, du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2018-1125, du 12 décembre 2018 N° Lexbase : L3271LNH et le second dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-493, du 20 juin 2018, relative à la protection des données personnelles, applicables au litige N° Lexbase : L7645LKD, de l'article L. 1222-4 du Code du travail N° Lexbase : L0814H9Z et des articles 6 N° Lexbase : L7558AIR et 8 N° Lexbase : L4798AQR de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,

La Haute juridiction affirme qu’il appartenait aux juges du fond de vérifier :

  • si la preuve litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit de la preuve de l’employeur et ;
  • si l’atteinte au respect de la vie personnelle du salarié n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi.

La preuve illicite peut être recevable à condition que :

  • l’atteinte à la vie personnelle du salarié (liberté fondamentale) soit proportionnée au but poursuivi (la preuve de la faute commise par le salarié) ;
  • ce but soit légitime ;
  • la preuve illicite soit le seul moyen d’apporter la preuve de la faute du salarié.

Pour aller plus loin :

  • v. déjà : Cass. soc., 8 mars 2023, n° 21-17.802, FS-B N° Lexbase : A92179GH : si les enregistrements démontrant la faute du salarié ont été collectés par un dispositif de vidéosurveillance illicite, mais que leur production en justice n’a pas un caractère indispensable, alors ces éléments de preuve doivent être déclarés irrecevables ;
  • v. ÉTUDES : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Les modes de preuves de la cause réelle et sérieuse N° Lexbase : E0803ZN3 et L’instance prud’homale, L’administration de la preuve lors d’un procès prud’homal N° Lexbase : E6441ZKR, in Droit du travail, Lexbase ;
  • v. aussi : ÉTUDE : Droit du travail et nouvelles technologies de l’information et de la communication, L’utilisation abusive des NTIC par le salarié, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E1370Y9M ;
  • v. É. Vergès, ÉTUDE : La preuve civile, Les deux volets du droit à la preuve : droit de produire et droit d’obtenir une preuve, in Procédure civile, (dir. É. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E9359B4E.

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