La lettre juridique n°935 du 16 février 2023 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Précisions sur les conditions de destruction en cours d’enquête d’un bien meuble saisi

Réf. : Cass. crim., 23 novembre 2022, n° 22-80.950, F-B N° Lexbase : A10668UZ

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N4034BZG

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par Matthieu Hy, Avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence

le 16 Février 2023

Mots-clés : destruction • bien meuble saisi • arme

À l’occasion de la contestation d’une décision de destruction d’un bien saisi, le fondement de la saisie ne peut être critiqué, cette question relevant du contentieux de la saisie. En outre, la chambre de l’instruction peut substituer ses propres motifs à ceux du procureur de la République et tout contrôle de proportionnalité est exclu.


 

Contexte : Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-80.813, F-D N° Lexbase : A915044N, n° 21-80.814, FS-B N° Lexbase : A5652444, n° 21-80.815, F-D N° Lexbase : A9138449, n° 21-80.816, F-D N° Lexbase : A921344Y, n° 21-80.817, F-D N° Lexbase : A913244Y, n° 21-80.818, F-D N° Lexbase : A916744B

Dans le cadre d’une enquête ouverte du chef de menace de mort, trois fusils détenus sans déclaration ont été saisis au domicile du suspect. Le procureur de la République en a ordonné la destruction. Cette décision a été notifiée oralement au mis en cause qui en a interjeté appel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel a confirmé la décision de destruction. L’appelant s’est pourvu en cassation. Il reprochait d’une part à la cour d’avoir refusé de prononcer la nullité de la saisie. Il lui faisait d’autre part grief d’avoir confirmé la décision de saisie malgré son caractère irrégulier qui interdisait qu’elle substitue ses motifs à ceux du procureur, en ne s’expliquant pas sur l’absence d’utilité des biens à la manifestation de la vérité et sur le caractère dangereux de ceux-ci, et en ne se prononçant pas au regard du principe de proportionnalité. La Cour de cassation n’a été sensible à aucun de ces arguments.

L’article 41-5, alinéa 4, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7279LZM, prévoit qu’au cours de l’enquête, « le procureur de la République peut ordonner la destruction de biens saisis » lorsque deux conditions sont remplies.

D’une part, la conservation du bien ne doit plus être nécessaire à la manifestation de la vérité. Reprenant une formule déjà employée par la Chambre criminelle dans des arrêts relatifs à l’article 99-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7286LZU, qui prévoit les conditions dans lesquelles le juge d’instruction peut ordonner la destruction de biens saisis [1], les juges du quai de l’Horloge rappellent que « la manifestation de la vérité ne se réduit pas à la seule caractérisation des infractions mais s’étend aux circonstances de leur commission susceptibles d’avoir une influence sur l’appréciation de la gravité des faits ». En l’espèce, la Haute juridiction estime pouvoir conclure à l’absence de nécessité du bien à la manifestation de la vérité dans la mesure où il n’est pas reproché au mis en cause d’en avoir fait usage et où les conditions de leur détention n’éclairent en rien la gravité des faits.

D’autre part, les biens dont la destruction est ordonnée doivent être soit des objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, soit des objets dont la détention est illicite. En l’espèce, la chambre de l’instruction, approuvée par la Chambre criminelle, a considéré que les armes appartenaient à la première catégorie. L’article L. 311-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L4391LIH procède en effet à un classement fondé sur la dangerosité des armes qui interdit leur acquisition ou leur détention, les soumet à autorisation ou à déclaration, ou permet leur acquisition et leur détention libres. Même si les armes concernées étaient uniquement soumises à déclaration, il n’en restait pas moins que le requérant ne remplissait pas les conditions. À cette disposition du Code de la sécurité intérieure, la Cour de cassation ajoute celle de l’article 132-75, alinéa 1er, du Code pénal N° Lexbase : L0429DZW qui dispose qu’« est une arme tout objet conçu pour tuer ou blesser ».

Il est permis de s’interroger sur ce qui a conduit les juges à ne pas préférer considérer qu’ils avaient affaire à un objet dont la détention était illicite faute pour son propriétaire d’avoir procédé à la déclaration imposée par la loi. En effet, en qualifiant les fusils de dangereux au seul motif qu’ils relèvent du classement de l’article L. 311-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L4391LIH et de la définition de l’article 132-75, alinéa 1er, du Code pénal N° Lexbase : L0429DZW, la conséquence est que toutes les armes saisies sont susceptibles de voir leur destruction ordonnée, y compris lorsque leur acquisition ou leur détention se révèle licite. Toutefois, la solution de l’arrêt commenté semble cohérente au regard de la jurisprudence antérieure qui qualifie de dangereux des stupéfiants [2], dont la détention peut dans certaines circonstances être licite, tandis qu’elle qualifie d’illicite la détention de vêtements contrefaits [3] ou de spécimens d’animaux protégés [4].

Une fois ces conditions réunies, la destruction peut être ordonnée et la Chambre criminelle de la Cour de cassation demeure indifférente à tout autre argument.


En premier lieu, la Haute juridiction expose que la question du fondement de la saisie relève du seul contentieux de la saisie proprement dite en réponse au requérant qui reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir refusé de prononcer la nullité de la saisie.

Il sera donc loisible au requérant de contester la validité de la saisie dans le cadre soit d’une requête en annulation de pièces s’il est mis en examen [5], soit de conclusions de nullité devant la juridiction répressive [6].

Ainsi, au moment de décider de la destruction, par définition irréversible, du bien placé saisi, l’irrégularité de la saisie serait indifférente, alors même que la Cour de cassation a jugé récemment que l’annulation de la saisie conduisait au constat de l’inexistence de tout titre permettant de conserver le bien sous main de justice et emportait restitution, y compris avant une nouvelle saisie [7].

En deuxième lieu, la Chambre criminelle rappelle que la chambre de l’instruction de la Cour d’appel pouvait substituer ses motifs à ceux du procureur de la République, puisqu’elle indique que « la contestation prévue au quatrième alinéa de l’article 41-5 du Code de procédure pénale a la nature et les effets de l’appel ». Cette disposition prévoit que les personnes à qui les décisions de destruction sont notifiées « peuvent contester devant la chambre de l’instruction afin de demander, le cas échéant, la restitution du bien saisi » et que « cette contestation doit intervenir dans les cinq jours qui suivent la notification de la décision, par déclaration au greffe du tribunal ou à l’autorité qui a procédé à cette notification ». En l’espèce, le requérant contestait l’absence de motivation de la décision du procureur de la République qui avait fait l’objet d’une notification purement orale.

En troisième lieu, la Haute juridiction qualifie d’inopérant le grief « qui invoque une atteinte disproportionnée au droit de propriété ».

Bien que le mécanisme en jeu concerne des objets dangereux ou nuisibles ou dont la détention est illicite, il semble critiquable d’exclure radicalement toute invocation du principe de proportionnalité. En effet, en l’espèce, le requérant soulignait la valeur sentimentale des fusils qu’il disait avoir hérités de son père. Par ailleurs, l’infirmation aurait pu conduire à maintenir la saisie dans l’attente de la déclaration requise et d’une éventuelle restitution. Enfin, la valeur vénale de certains biens pourrait conduire les juridictions à substituer une remise pour aliénation à la décision de destruction. Ainsi, le caractère disproportionné d’une décision de destruction est tout à fait envisageable.

 

[1] Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-80.813, F-D N° Lexbase : A915044N, n° 21-80.814, FS-B N° Lexbase : A5652444, n° 21-80.815, F-D N° Lexbase : A9138449, n° 21-80.816, F-D N° Lexbase : A921344Y, n° 21-80.817, F-D N° Lexbase : A913244Y, n° 21-80.818, F-D N° Lexbase : A916744B ; M. Hy, Rappel des conditions de destruction pendant l’information judiciaire d’un bien placé sous main de justice, Lexbase Pénal, novembre 2021 N° Lexbase : N9393BYK.

[2] Cass. crim., 22 mai 1997, n° 96-83.014 N° Lexbase : A5659CIG.

[3] Cass. crim., 11 février 2009, n° 08-83.516, F-P+F N° Lexbase : A6447ED7.

[4] Cass. crim., 11 septembre 2018, n° 17-84.545, F-D N° Lexbase : A7856X4Q.

[5] C. proc. pén., art. 170 N° Lexbase : L0918DYN.

[6] C. proc. pén., art. 385, al. 1er N° Lexbase : L3791AZG.

[7] Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-82.588, F-B N° Lexbase : A75097NG.

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