Lexbase Public n°297 du 18 juillet 2013 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] L'intervention balisée du juge administratif dans la gestion d'un service public

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 5 juillet 2013, n° 367760, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4611KIM)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 18 Juillet 2013

Dans un arrêt rendu le 5 juillet 2013, la Haute juridiction administrative a dit pour droit que, s'il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans la gestion d'un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. Elle a ajouté que les obligations du cocontractant doivent être appréciées en tenant compte, le cas échéant, de l'exercice par l'autorité administrative du pouvoir de modification unilatérale dont elle dispose en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs. I - A l'origine de l'affaire existait une demande d'un syndicat intercommunal de transports urbains tendant à ce qu'il soit enjoint à la société X, délégataire de service public, de prendre diverses mesures en vue de la réception et de la mise en service de rames de tramway venant se substituer au système de trolleybus initialement prévu pour la future deuxième ligne par la convention de délégation de service public. La société arguait du fait que les mesures sollicitées par le syndicat n'entraient pas dans le cadre des obligations mises à sa charge par le contrat de délégation de service public. Les juges du Palais-Royal n'ont pas partagé cette appréciation, estimant, au contraire, que les mesures que le juge du contrat peut ordonner au cocontractant de l'administration pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement ne sont pas seulement celles qui découlent des obligations prévues dans le contrat initialement signé par les parties mais également celles qui résultent de l'exercice, par l'administration, de son pouvoir de modification unilatérale du contrat. Dès lors, le juge a pu s'abstenir à bon droit de rechercher si les mesures sollicitées par le syndicat entraient dans le cadre des obligations définies par le contrat.

Dès le début du XXème siècle, le Conseil d'Etat, par l'arrêt "Compagnie nouvelle du gaz de Deville-les-Rouen" de 1902 (CE, S., 10 janvier 1902, n° 94624, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6862B7B), admettait un pouvoir de modification unilatérale du contrat au profit de l'administration, pouvoir ensuite consacré plus nettement par l'arrêt "Compagnie générale française des tramways" (CE, S., 11 mars 1910, n° 16178, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7823B7U). Le pouvoir de sanctionner les manquements du cocontractant à ses obligations contractuelles a été consacré par l'arrêt du Conseil d'Etat "Deplanque" de 1907 (CE, 31 mai 1907, n° 16324). Mais c'est en 1956 qu'il a été acté du fait que le juge administratif ne peut intervenir dans la gestion du service public en adressant, sous menace de sanctions pécuniaires, des injonctions aux cocontractants de l'administration lorsque celle-ci dispose des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du marché. Dans cette même décision, la Haute juridiction a précisé que le juge peut prononcer à l'encontre du cocontractant une condamnation sous astreinte à une obligation de faire en cas d'urgence, quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte qu'en vertu d'une décision juridictionnelle (CE, S., 13 juillet 1956, n° 37656, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9289B78) : "en cas d'urgence le juge des référés peut de même, sans faire préjudice au principal, ordonner sous astreinte audit co-contractant, dans le cadre des obligations prévues au contrat, toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public".

Depuis une jurisprudence traditionnelle de 1970 (CE 1° et 5° s-s-r., 21 juillet 1970, n° 80345, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4628B8W), le juge refuse d'être saisi pour faire condamner le cocontractant défaillant : "l'administration tenant des principes généraux applicables en matière de marchés de travaux publics le pouvoir, après mise en demeure, de procéder d'office aux opérations nécessaires pour assurer l'exécution du marché, c'est à bon droit que le juge des référés, qui est compétent pour ordonner toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public, s'est refusé à se substituer à elle et à user des pouvoirs qu'il tient de l'article 24 de la loi du 22 juillet 1889". Un tribunal administratif ne peut donc enjoindre à un entrepreneur défaillant d'exécuter le marché, dès lors que l'administration cocontractante tient des stipulations de ce contrat le pouvoir de le faire exécuter aux risques et périls de l'entrepreneur (CE 3° et 5° s-s-r., 31 janvier 1973, n° 82563, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1172B9B). De même, une ville disposant, à l'égard de l'entrepreneur, des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat et qui n'établit pas qu'elle fût dans l'impossibilité de les exercer utilement, n'était pas fondée à demander au tribunal administratif d'enjoindre à l'entrepreneur, sous menace de sanctions pécuniaires, d'exécuter, conformément aux ordres de service qui lui avaient été notifiés, des engagements qu'il avait souscrits (CE 2° et 6° s-s-r., 21 mai 1982, n° 20414, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9912AKC).

II - Récemment, le Conseil d'Etat avait adopté une position similaire à celle suivie dans l'arrêt rapporté en permettant l'intrusion du juge dans l'exécution du contrat, là aussi dans les cas où l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre du cocontractant auquel elle n'a confié la gestion d'un service public qu'en vertu d'une décision juridictionnelle (CE 3° et 8° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 243500, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2996AZY, CE 2° et 6° s-s-r., 9 décembre 1988, n° 92211, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7921AP3) : en se fondant sur le fait que le centre hospitalier était susceptible d'obtenir la restitution de ses archives en s'acquittant de la somme exigée par son cocontractant pour procéder à cette restitution et qu'il disposait ainsi de moyens contractuels lui permettant d'obtenir satisfaction pour estimer que les mesures sollicitées étaient dépourvues d'utilité, "alors, d'une part, que le centre hospitalier ne disposait d'aucun moyen de contrainte à l'égard de son cocontractant, et que, d'autre part, le litige financier entre les cocontractants n'était pas au nombre des éléments qu'il pouvait prendre en considération pour apprécier l'utilité de l'injonction demandée au regard des exigences de la continuité du service public, le juge des référés a commis une erreur de droit". La mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement doit, toutefois, se révéler utile, justifiée par l'urgence, ne faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurter à aucune contestation sérieuse (CE 2° et 7° s-s-r., 1er mars 2012, n° 354628, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8957ID4, pour l'intervention du juge administratif dans la gestion d'un marché).

L'administration ne peut donc pas demander au juge de prononcer des mesures qu'elle a le pouvoir de prendre de son propre chef (CE 1° et 6° s-s-r., 2 juillet 2007, n° 294393, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2882DXZ). La partie adverse se trouve, cependant, dans une situation souvent délicate car il a été jugé que, tenu de ne pas faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, le juge des référés de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU) ne peut pas ordonner la suspension de l'exécution du contrat sur la demande du co-contractant de l'administration (CE 2° et 7° s-s-r., 8 juillet 2009, n° 320143, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7154EIS). Lorsque le contrat ne correspond plus aux besoins du service public, l'administration peut aller jusqu'à en prononcer la résiliation unilatérale dans l'intérêt du service (voir une résiliation pour des motifs d'intérêt général, en matière audiovisuelle, CE, Ass., 2 février 1987, n° 81131, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3244APT). L'intérêt général peut tenir aux inconvénients de la mésentente entre deux cocontractants de l'administration (CE, 31 janvier 1968, n° 69783, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1138B9Z) ou entre les concessionnaires et les usagers (CE 2° et 6° s-s-r., 26 février 1975, n° 86185, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7714B89), ou à la modification du capital social de la société contractante (CE, 31 juillet 1996, n° 126594, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0116APY).

Pour apprécier si la mesure sollicitée par un requérant sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative présente un caractère d'urgence ou d'utilité, le juge des référés peut prendre en considération la continuité du service rendu aux usagers (lesquels ont droit au fonctionnement normal de celui-ci, CE 1° et 4° s-s-r., 27 janvier 1988, n° 64076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7538APU), alors même que le contrat par lequel l'exécution de ce service a été déléguée aurait cessé de produire ses effets (CE 3° et 8° s-s-r., 8 juillet 2002, n° 240015, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1612AZQ). De même, Il appartient au juge du contrat, saisi d'une demande tendant à ce qu'il prononce la déchéance d'un contrat de concession, de vérifier si les conditions posées par le contrat pour le prononcé de la déchéance du concessionnaire sont remplies (CE, 19 octobre 2001, n° 212677, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1875AXQ). Le juge devra enfin apprécier l'existence d'un préjudice ; ainsi, compte tenu du montant des déficits annuels d'exploitation, et en admettant même que ces équipements puissent être mis en service avant la date d'expiration de la convention initialement prévue, une société ne peut se prévaloir d'un manque à gagner qu'aurait entraîné la résiliation anticipée de ladite convention (CE 3° et 5° s-s-r., 18 novembre 1988, n° 61871, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7860APS).

La solution retenue paraît au final assez équilibrée car elle respecte à la fois la volonté des parties contractantes et la nécessaire exécution du contrat. Si le délégataire de service public peut s'estimer "floué" de par le fait qu'on lui impose une action non prévue lorsqu'il a à l'origine donné son consentement à la conclusion de l'accord, le juge administratif prend garde au fait que ce ne sera qu'"à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse", et non de manière autoritaire et infondée.

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