La lettre juridique n°532 du 20 juin 2013 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juin 2013

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

le 20 Juin 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts publiés au Bulletin rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 22 mai 2013, commenté par Emmanuelle La Corre-Broly, la Haute juridiction énonce que la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas, en cas d'échec, autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements de sorte que l'ouverture de la procédure de conciliation n'empêche pas le report de la date de cessation des paiements (Cass. com., 22 mai 2013, n° 12-18.509, F-P+B). Dans le second commentaire de cette chronique, le Professeur Le Corre revient sur un arrêt du 4 juin 2013 dans lequel la Cour retient le principe de l'absence de qualité à agir d'un commissaire à l'exécution du plan demandant la réparation d'un préjudice contractuel pour faute commise après le jugement d'ouverture de la procédure collective (Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-16.366, F-P+B).
  • Décision d'ouverture de la conciliation : absence d'autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements (Cass. com., 22 mai 2013, n° 12-18.509, F-P+B N° Lexbase : A9165KDS)

La procédure de conciliation, héritière du règlement amiable, a été mise en place par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT).

La conciliation est accessible aux débiteurs qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou simplement prévisible (C. com., art. L. 611-4 N° Lexbase : L8840INQ). En cas d'ouverture de cette procédure confidentielle, le président du tribunal nomme, pour une durée relativement brève (1), un conciliateur dont le rôle est de favoriser la conclusion d'un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers, destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise (C. com., art. L. 611-7 N° Lexbase : L3258ICN).

Le législateur, dans son souci d'offrir au chef d'entreprise la procédure qui lui semble la plus adaptée, rend accessible la procédure de conciliation non seulement au bénéfice d'entreprises qui ne sont pas en état de cessation des paiements mais également à celles qui seraient dans cet état dès lors qu'il n'est pas caractérisé depuis plus de 45 jours.

Dans l'hypothèse où le conciliateur ne parvient pas à obtenir un accord ou, dans l'hypothèse où le tribunal rejetterait l'homologation -qui peut facultativement être sollicitée- de l'accord, la conciliation prendra fin. Si le débiteur est en état de cessation de paiement et qu'une procédure collective est ouverte à la suite de l'échec de la procédure de conciliation, le tribunal pourra-t-il fixer une date de cessation des paiements antérieure à 45 jours avant l'ouverture de la procédure de conciliation ? Au contraire, puisque l'ouverture de la procédure de conciliation suppose que le débiteur ne se trouve pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours, la remontée de la date de cessation des paiements à une date antérieure est-elle inenvisageable ? Telle est la question sur laquelle s'est penchée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mai 2013, appelé à la publication au Bulletin.

En l'espèce, le 15 juillet 2009, une société avait fait l'objet d'une procédure de conciliation qui s'était soldée par un échec et l'ouverture subséquente d'une procédure de redressement convertie ensuite en liquidation judiciaire. Dans le cadre de cette procédure collective, la date de cessation des paiements avait été reportée au 1er janvier 2009. La société débitrice reprochait aux juges du fond d'avoir reporté la date de cessation des paiements à une date antérieure à la procédure de conciliation. Le pourvoi est cependant rejeté par les Hauts magistrats qui approuvent les juges du fond d'avoir considéré que "la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas, en cas d'échec, autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements" de sorte que "l'ouverture de la procédure de conciliation n'empêchait pas le report de la date de cessation des paiements".

Cette position prise par la Chambre commerciale n'étonnera guère. Elle se situe dans la droite ligne de la jurisprudence rendue sous l'empire du règlement amiable, ancêtre de la conciliation. La jurisprudence avait, en effet, admis la possibilité de remonter la date de cessation des paiements en amont de l'ouverture du règlement amiable, alors pourtant que le règlement amiable supposait l'absence de cessation des paiements (C. com., art. L. 611-3, anc. N° Lexbase : L3187ICZ). A priori, on aurait donc pu penser que la date de cessation des paiements ne pouvait pas être remontée antérieurement à l'ouverture du règlement amiable. Cependant, la jurisprudence (2) en a jugé autrement dans la mesure où l'ordonnance d'ouverture du règlement amiable a une nature gracieuse. En conséquence, elle n'est pas dotée de l'autorité de la chose jugée, notamment quant à la date de cessation des paiements. L'ordonnance d'ouverture du règlement amiable ne pouvait donc pas faire obstacle à une remontée, à une date antérieure à son intervention, de la date de cessation des paiements.

Cette solution est aujourd'hui reprise en matière de procédure de conciliation : dès lors que la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements, en cas d'ouverture subséquente d'une procédure collective, cette date pourra être remontée à une date antérieure à la conciliation.

La solution posée en cas d'échec de la conciliation serait la même en cas de simple constatation d'un accord de conciliation. L'occasion est ici donnée de rappeler l'intérêt que peut présenter, tant pour le débiteur que pour ses créanciers, l'homologation d'un accord de conciliation par rapport à la simple constatation de l'accord.

Depuis la loi du 26 juillet 2005, deux possibilités sont ouvertes lorsqu'un accord de conciliation est trouvé entre le débiteur et ses principaux créanciers : l'article L. 611-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3238ICW) offre un choix au débiteur entre la conciliation simplement constatée et celle homologuée.

En matière de conciliation constatée, l'article L. 611-8, I, précise que "le président du tribunal, sur la requête conjointe des parties [c'est-à-dire du débiteur et des créanciers parties à l'accord de conciliation], constate leur accord et donne à celui-ci force exécutoire". Le président du tribunal statue alors au vu d'une déclaration certifiée du débiteur attestant qu'il ne se trouve pas en état de cessation des paiements lors de la signature de l'accord ou que cette signature y met fin.

Cette attestation du débiteur ne présente aucun caractère judiciaire et ne liera que ce dernier (3). La simple constatation de l'accord de conciliation par le président du tribunal n'aura aucune incidence sur la faculté qu'aura le tribunal de remonter l'état de cessation des paiements, dans l'hypothèse de l'ouverture subséquente d'une procédure collective.

Le tribunal aura ainsi la possibilité de fixer la date de cessation des paiements antérieurement à la date de constat de l'accord de conciliation ou antérieurement à celle d'ouverture de la conciliation et même au-delà des 45 jours précédant celle-ci.

La conciliation simplement constatée n'est donc pas sécurisée. Cette insécurité est patente pour les créanciers en raison du risque couru sur le terrain des nullités de la période suspecte pour tous les actes accomplis antérieurement à la décision constatant la conciliation. Ainsi, par exemple, le banquier qui aurait, dans l'accord constaté, accepté d'octroyer des délais de paiement ou une remise partielle en contrepartie d'une sûreté conventionnelle risquerait de voir ces garanties annulées sur le fondement des nullités de la période suspecte. En effet, tombe sous le coup d'une nullité de droit la sûreté prise en période suspecte pour dette antérieurement contractée (cf. C. com., art. L. 632-1 N° Lexbase : L8851IN7) et tombe sous le coup d'une nullité facultative la sûreté prise en période suspecte en garantie de dette concomitamment contractée (cf. C. com., art. L. 632-2 N° Lexbase : L3422ICQ).

Le banquier serait alors récompensé de ses efforts par une nullité des actes !

L'homologation de l'accord de conciliation apporte une sécurité. Elle est régie par le II de l'article L. 611-8 qui énonce qu'"à la demande du débiteur, le tribunal homologue l'accord obtenu si les conditions suivantes sont réunies : Le débiteur n'est pas en cessation des paiements ou l'accord conclu y met fin [...]". A elle seule, cette disposition n'aurait pas été suffisante pour empêcher une remontée de date de cessation des paiements à une date antérieure. Rappelons en effet qu'il avait été jugé, sous l'empire de la précédente législation du règlement amiable, que l'homologation de l'accord de règlement amiable n'empêchait pas que puisse être remontée la date de cessation des paiements (4).

La sécurisation vient d'une autre précision contenue à l'article L. 631-8, alinéa 2 (N° Lexbase : L0991HZQ). Il résulte de cette disposition, applicable en liquidation par renvoi de texte, qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective, la date de cessation des paiements "peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement. Sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable".

Il sera donc impossible de créer une période suspecte pour une période antérieure à la décision définitive d'homologation, ce qui empêche ainsi l'annulation des actes accomplis antérieurement.

Ainsi, même si certains actes effectués dans le cadre de l'accord de conciliation auraient pu être paraître suspects (par exemple, l'obtention d'une sûreté pour dette antérieurement contractée), ils sont définitivement à l'abri des nullités de la période suspecte puisque la date de cessation des paiements ne pourra pas être remontée à une date antérieure à la décision d'homologation de l'accord amiable. Remarquons que cette homologation présente un deuxième avantage substantiel pour les créanciers apporteurs d'argent frais dans l'hypothèse d'une ouverture subséquente d'une procédure collective : le bénéfice du privilège de la conciliation (C. com., art. L. 611-11 N° Lexbase : L3235ICS).

Ainsi, débiteurs et créanciers devront parfaitement avoir à l'esprit l'incidence de la procédure de conciliation sur les possibilités de remontée de la date de cessation des paiements : la décision d'ouverture de la procédure ainsi que la constatation d'un accord de conciliation, à défaut d'autorité de chose jugée sur la date de cessation des paiements, n'auront aucun impact sur la faculté qu'aura le tribunal de remonter la date de cessation des paiements lors de l'ouverture subséquente d'une procédure collective. En revanche, du fait d'une disposition spéciale de l'article L. 631-8, alinéa 2, la date de cessation de paiement ne pourra pas être remontée à une date antérieure à la décision définitive d'homologation de l'accord de conciliation.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

  • L'absence de qualité à agir d'un commissaire à l'exécution du plan demandant la réparation d'un préjudice contractuel pour faute commise après le jugement d'ouverture de la procédure collective (Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-16.366, F-P+B N° Lexbase : A3314KGT)

Définir le contenu de la mission du commissaire à l'exécution d'un plan de sauvegarde ou de redressement n'est pas chose facile. De façon générale, il est chargé de veiller à la bonne exécution du plan. Au-delà de cette mission générale, le législateur précise certains points, en confiant, de manière expresse, quelques missions ponctuelles au commissaire à l'exécution. C'est ainsi, par exemple, qu'il peut former appel de la décision statuant sur la modification du plan (C. com., art. L. 661-1, 3°, N° Lexbase : L4167HBX, réd. L. 26 juillet 2005, devenu C. com., art. L. 661-1, I, 7° N° Lexbase : L8963INB, réd. ord. 18 décembre 2008). Il a qualité pour demander la résolution du plan (C. com., art. L. 626-27,II N° Lexbase : L3309ICK). Il peut également agir en nullité de la période suspecte (C. com., art. L. 632-4 N° Lexbase : L3395ICQ). Le commissaire à l'exécution du plan peut encore se constituer partie civile dans le cadre d'instances pénales pour banqueroute (C. com., art. L. 654-17 N° Lexbase : L4163HBS).

Confirmant la solution toute prétorienne posée sou l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT ; C. com., art. L. 626-25 N° Lexbase : L3349ICZ) reconnaît aussi au commissaire à l'exécution la possibilité d'introduire ou de poursuivre des actions tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Une fois le plan de sauvegarde ou de redressement adopté, le commissaire à l'exécution du plan supplante le mandataire judiciaire pour assurer la défense de l'intérêt collectif des créanciers. C'est cette dernière mission qui faisait difficulté dans le présent arrêt.

Une société faisait commerce de la distribution de bateaux sur la Côte d'Azur. Elle avait été placée en sauvegarde et avait obtenu un plan de sauvegarde. Pendant l'exécution de son plan, le fabricant de bateaux avait rompu le contrat de distribution. La société s'en était émue et avait assigné le fabricant pour obtenir l'indemnisation de la rupture prétendument fautive du contrat. Son commissaire à l'exécution était ensuite intervenu à l'instance et avait formé une demande incidente pour obtenir le paiement des mêmes sommes.

Devant les premiers juges, le fabricant de bateau avait soulevé une exception d'incompétence dans la mesure où il entendait faire jouer une clause attributive de compétence au profit d'un tribunal arbitral. L'applicabilité de cette clause compromissoire dépendait en réalité du point de savoir si la question appartenait ou non à la compétence du tribunal de la faillite. Cela revenait à se poser la question suivante : la prorogation de compétence au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective, posée par l'article R. 662-3 (N° Lexbase : L9419ICT) et R. 626-23 (N° Lexbase : L0946HZ3) du Code de commerce, a-t-elle vocation à jouer pour un litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde ?

La cour d'appel ne l'a pas estimée. Le commissaire à l'exécution du plan, mais non la société en cours d'exécution du plan, a alors formé contredit. La question qui se posait à la Cour de cassation était de savoir s'il avait qualité pour former ce contredit.

La question cachait en réalité une autre question, à laquelle il fallait d'abord répondre pour pouvoir statuer sur la recevabilité du contredit : celle de savoir si le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde a qualité à agir pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan.

Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation va approuver la cour d'appel d'avoir estimé que "le commissaire à l'exécution du plan, qui a qualité pour intenter des actions en responsabilité délictuelle afin d'obtenir le paiement de sommes réparant le préjudice collectif des créanciers résultant d'une diminution [un mot a ici été oublié par la cour d'appel ; il faut lire diminution de l'actif ] ou une aggravation du passif, ne peut agir contre un cocontractant du débiteur qu'il ne représente pas". La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, en tire la conséquence que "le commissaire à l'exécution du plan n'avait ni intérêt ni qualité pour former contredit".

Pour apprécier la solution posée par la Cour de cassation, il nous faut examiner les deux questions dans l'ordre :

- la prorogation de compétence au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective, posée par l'article R. 662-3 et R. 626-23 du Code de commerce, a-t-elle vocation à jouer pour un litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde (I) ?

- le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde a-t-il qualité à agir pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan (II) ?

I - La prorogation de compétence et le litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde

Reprenant une solution classique du droit des procédures collectives de paiement, l'article R. 662-3 du Code de commerce pose une prorogation de compétence, au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective en ces termes : "Sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8 (N° Lexbase : L2343HWP), à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal de grande instance".

Comme le relève justement un auteur, "si la règle est générale, elle n'est cependant pas absolue. Il n'est pas donné compétence au tribunal de la procédure collective pour connaître de tous les litiges mettant en cause le débiteur" (5).

Que faut-il entendre par "tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires" ? L'attraction de compétence existe dans la législation depuis 1838. L'article 112 du décret du 22 décembre 1967, d'application de la loi du 13 juillet 1967, contenait une disposition analogue qui conduisait à reconnaître compétence au tribunal dès lors que l'action était née de la procédure collective ou que les règles de la procédure collective exerçaient une influence sur la solution du litige. Cette solution est posée en jurisprudence depuis 1888 (6) : le tribunal de la faillite est compétent à l'effet de connaître des contestations nées de la faillite ou sur lesquelles la faillite exerce une influence juridique. Elle est, depuis lors, constamment réaffirmée (7).

A - Les actions sur lesquelles les règles de la faillite exercent une incidence

Sont d'abord de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure collective, les actions dont la solution dépend des règles de la procédure collective. Il en est ainsi de toutes les actions gouvernées par les principes du droit de la faillite. On citera pour illustration la détermination du domaine d'une action interdite, arrêtée ou suspendue pour raison liée au jugement d'ouverture.

La question est donc ici relativement simple : oui ou non les règles qui gouvernent les procédures collectives conduisent-elles à rendre une solution différente de celle qui aurait dû être appliquée au litige, si ce dernier ne s'inscrivait pas dans une procédure collective ? Si l'on répond oui à la question, la prorogation de compétence au profit du tribunal de la faillite s'impose. Si l'on répond non, elle ne joue plus.

En l'espèce, la question de la résiliation fautive du contrat, qui se pose après l'adoption du plan, ne correspond pas à une action sur laquelle les règles de la faillite exercent leur incidence, pour la raison d'évidence que le livre VI du Code de commerce ne contient aucune règle spécifique régissant la continuation ou la résiliation des contrats après l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement.

B - Les actions nées de la faillite

Sont également de la compétence du tribunal, qui a ouvert la procédure collective, les actions nées de la faillite. Il s'agit là des actions qui n'auraient pu naître sans un jugement d'ouverture de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Il en est ainsi de toutes les actions spécifiques aux procédures collectives, telles les actions en nullité de la période suspecte ou les demandes de report de date de cessation des paiements, les actions en responsabilité pour insuffisance d'actif.

Ainsi que nous l'avons résumé (8), "la dérogation aux règles de compétence dure pendant toute la procédure, mais ne concerne pas les actions engagées avant la procédure. Elles sont poursuivies devant la juridiction initialement saisie. Elle ne concerne pas davantage les actions engagées après clôture de la procédure" (9). En présence d'un plan de sauvegarde, la procédure collective doit être considérée comme terminée dès l'adoption du plan, le débiteur étant rétabli dans ses droits. Il redevient in bonis. Il faut donc considérer que l'attraction de compétence au profit du tribunal de la faillite ne dépasse pas l'adoption du plan.

C'est d'ailleurs pourquoi le législateur a prévu, à l'article R. 626-23 du Code de commerce, que "le tribunal qui a arrêté le plan demeure compétent pour connaître des conditions de son exécution".

Il importe d'observer que l'article R. 626-23 du Code de commerce ne s'exprime pas en termes généraux. Il n'énonce pas, par exemple, que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de tout ce qui concerne son exécution. Il n'indique pas davantage que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de toutes les difficultés de son exécution. Beaucoup plus sobrement, le texte vise les "conditions de son exécution".

Il faut donc comprendre que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de l'interprétation de son jugement ; il connaît de la modification du plan et de sa résolution. Il connaît encore de la surveillance de l'exécution des obligations du débiteur et des personnes tenues d'exécuter le plan, c'est-à-dire toutes les personnes ayant, au cours de son élaboration -en période d'observation- souscrits des engagements au titre de son exécution.

En résumé, après adoption du plan de sauvegarde, seules les actions inhérentes à son exécution, c'est-à-dire des actions qui n'auraient pas pu naître sans l'adoption du plan, sont de la compétence du tribunal de la faillite.

Il est donc hors de propos pour le tribunal, qui a arrêté le plan, de surveiller la bonne exécution d'un contrat conclu avant l'ouverture de la procédure et continué dans les conditions de l'article L. 622-13 (N° Lexbase : L3352IC7), de savoir si ce contrat est résilié ou encore de savoir s'il est régulièrement résilié. Pour que la surveillance du tribunal pût porter sur l'exécution d'un contrat, il eut fallu que le cocontractant du débiteur ait pris un engagement dans le cadre de l'exécution du plan, par exemple l'engagement de maintenir ses relations contractuelles pendant toute la durée du plan, comme cela est parfois le cas pour un banquier qui s'engage à maintenir ses concours pendant la durée du plan.

La règle de l'article R. 626-23 du Code de commerce, qui prolonge la prorogation de compétence de l'article R. 662-3 du même code, afin de permettre de concentrer sur le tribunal qui a arrêté le plan la connaissance des "conditions de l'exécution du plan" ne saurait permettre une dérogation de compétence que ne renfermerait pas l'article R. 662-3 du code, s'agissant de difficultés d'exécution d'un contrat conclu avant l'adoption du plan.

La discussion sur l'exécution fautive d'un contrat, et celle sur sa résiliation abusive, ne sont pas de la compétence du tribunal de la faillite. Et la solution se comprend aisément : dès lors que la résiliation aurait pu intervenir sans la faillite, l'action n'est pas née de la faillite. Dès lors que les règles applicables à la résolution du litige n'auraient pas été différentes, qu'il y ait ou non ouverture d'une procédure collective, les règles de la faillite n'exercent pas d'incidence sur l'action. Les conditions du jeu de l'article R. 662-3 ne sont pas réunies.

II - Le défaut de qualité du commissaire à l'exécution du plan pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan

L'article L. 626-25, alinéa 1er, du Code de commerce, dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, prévoit que le commissaire à l'exécution du plan est un organe "chargé de veiller à l'exécution du plan". Sa surveillance porte sur le respect de l'ensemble des obligations du débiteur (10).

Le commissaire à l'exécution du plan n'a pas pour mission d'administrer l'entreprise à la place du débiteur (11). Sa mission, relève t-on, "lui interdit de s'immiscer dans la gestion. Elle se limite à une obligation de surveillance et à faire rapport" (12). Il n'a pas pour fonction de défendre le débiteur.

C'est ainsi qu'a été déclarée irrecevable l'action du commissaire à l'exécution du plan, en indemnisation du préjudice résultant pour le débiteur d'un abus dans la fixation du prix d'un contrat d'approvisionnement exclusif (13).

Pour examiner plus attentivement la qualité à agir du commissaire à l'exécution du plan, il faut bien poser deux principes : le commissaire à l'exécution devient, après l'adoption du plan, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers, cette mission le fondant à agir en responsabilité délictuelle (A). En revanche, le commissaire à l'exécution du plan ne représente pas le débiteur, ce qui lui interdit d'agir en responsabilité contractuelle (B).

A - La mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers, fondement de sa qualité à agir en responsabilité délictuelle

Après l'adoption du plan, le mandataire judiciaire ne demeure en fonction que pour terminer les opérations de vérification du passif. Il cesse sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers. Au contraire, le commissaire à l'exécution devient, après l'adoption du plan, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. L'action du commissaire à l'exécution du plan, qui se place sur un terrain indemnitaire, doit tendre à assurer la défense de l'intérêt collectif des créanciers.

Or il importe de relever que la résiliation du contrat, sur laquelle repose en l'espèce la demande du commissaire à l'exécution du plan, est postérieure à l'adoption du plan. Il ne s'agit donc pas d'une faute commise avant l'ouverture de la procédure collective et mettant, en conséquence, en jeu l'intérêt collectif des créanciers, au sens où l'entend le droit des entreprises en difficulté.

Seule une faute commise avant l'ouverture de la procédure collective et faisant apparaître un préjudice avant l'ouverture de la procédure collective peut fonder un préjudice réparable sous l'angle de la défense de l'intérêt collectif des créanciers.

La Cour de cassation n'a jamais admis qu'une action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers soit fondée sur une faute commise après l'adoption d'un plan, alors qu'à cette date, et par hypothèse, la procédure collective a pris fin. Il est essentiel de souligner que le commissaire à l'exécution du plan n'a qualité à agir dans l'intérêt collectif des créanciers que si la faute a été commise avant l'ouverture de la procédure collective. Le commissaire à l'exécution du plan n'a qualité à agir que pour des actes fondés sur des faits antérieurs, qui seraient à l'origine du passif, mais en aucun cas pour des faits qui seraient postérieurs à la procédure collective et a fortiori postérieurs à l'adoption du plan d'apurement.

B - L'absence de qualité de représentant du débiteur du commissaire à l'exécution du plan, fondement de son absence de qualité à agir en responsabilité contractuelle

Selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, le commissaire à l'exécution du plan n'a pas qualité pour représenter le débiteur (14). C'est pourquoi une action en paiement ne peut être dirigée contre lui (15).

Parce que le commissaire à l'exécution du plan ne représente pas le débiteur, la jurisprudence lui dénie qualité à agir sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Il ne peut donc demander la condamnation, sur un fondement contractuel, du partenaire du débiteur (16).

En l'espèce, si le commissaire à l'exécution du plan avait recherché la responsabilité contractuelle du cocontractant du débiteur, il aurait nécessairement été déclaré irrecevable.

Habilement, il avait donc présenté sa demande indemnitaire comme reposant sur un fondement délictuel. Mais encore fallait-il que l'apparence correspondît à la réalité. Il prétendait agir aux fins de protéger le gage des créanciers. En réalité, au fond des choses, il tentait d'obtenir de l'argent qui aurait permis au débiteur de payer les dividendes de son plan. Cela transparaissait d'ailleurs clairement dans son attitude : il agissait contre le partenaire contractuel du débiteur parce que l'attitude de ce dernier compromettait la bonne exécution du plan. Il s'agissait donc, en réalité, de permettre au débiteur de respecter son plan et de lui assurer, en conséquence, la trésorerie nécessaire pour ce faire.

Aussi, bien qu'il se plaçât officiellement sur le terrain de la protection des créanciers, sur le terrain de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, l'action du commissaire à l'exécution du plan a d'abord et avant tout pour objet de permettre la bonne exécution du plan. Envisagée sous cet angle, elle ne participe donc pas tant de la défense de l'intérêt collectif des créanciers que de la défense du débiteur, auquel il essaie de donner les moyens de la bonne exécution de son plan.

Ce faisant, le commissaire à l'exécution du plan est en réalité intervenu strictement sur le terrain contractuel, car il agit aux fins de défendre le débiteur, contre les agissements qu'il reproche au cocontractant de ce débiteur.

Le commissaire à l'exécution ne fait, au fond des choses, rien d'autre que défendre le débiteur, en essayant de faire en sorte qu'il puisse correctement exécuter son plan, ce qu'il ne peut faire, car telle n'est pas sa mission.

Le débiteur étant redevenu in bonis, par l'effet de l'adoption de son plan de sauvegarde, il doit seul assurer sa défense.

On le voit, la solution de la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, est parfaitement justifiée : parce que l'action du commissaire à l'exécution du plan ne participe pas de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, elle est irrecevable. Dès lors, le commissaire à l'exécution ne peut seul former un contredit contre une décision qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée pour connaître de l'action indemnitaire contre l'ancien partenaire contractuel du débiteur.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Pour une durée de quatre mois maximum, qui peut être, sur la demande du conciliateur, prorogée d'un mois par décision motivée (C. com., art. L. 611-6, al. 2 N° Lexbase : L3178ICP).
(2) Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-22.446, publié (N° Lexbase : A6696AYN), Bull. civ. IV, n° 87 ; D., 2002, AJ 1837, obs. A. Lienhard ; D., 2003. 615, note V. Martineau-Bourgninaud ; JCP éd. E, 2002, chron. 1380, p. 1520, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2002/12, n° 149, obs. C. Régnaut-Moutier ; RTDCom., 2002. 533, n° 1, obs. F. Macorig-Venier, RJDA, 2002/10, n° 1046 ; RD banc. et bourse, 2002/5, p. 261, n° 186, obs. A. Lucas ; JCP éd. E, 2003, jur. 108, p. 131, note F. Vinckel ; RJ com., 2002, n° 1606, p. 412, note M. Armand-Prevost.
(3) Intervention de D. Perben, JOAN CR, 1ère séance du 3 mars 2005, p. 1610.
(4) Cf. Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-22.446, préc..
(5) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2012, n° 2525.
(6) Cass. req., 29 octobre 1888, DP 1889, I, p. 13.
(7) Ainsi, Cass. com., 8 juin 1993, n° 90-13.821, publié (N° Lexbase : A5421ABE), Bull. civ. IV, n° 233 ; Rev. huissiers, 1994, 72, note D. Vidal.
(8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 7ème éd., 2013/2014, n° 312.11 (ouvrage paru le 19 juin 2013).
(9) Cass. req., 21 mai 1906, S. 1906, I, 433, note Lyon-Caen.
(10) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), préc., n° 4066.
(11) C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 7ème éd., "Domat", Montchrestien, 2011, n° 871.
(12) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), préc., n° 4066.
(13) Cass. com., 18 janvier 2000, n° 97-16.224, publié (N° Lexbase : A8150AGX), Bull. civ. IV, n° 16 ; JCP éd. E, 2000, chron. 701, n° 2-b-6, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2000/3, n° 32.
(14) Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-40.771, FS-P (N° Lexbase : A2703AXE), Bull. civ. IV, n° 366, RTDCom., 2002, 154, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-10.724, F-D (N° Lexbase : A1230DAS) ; Cass. com., 12 octobre 2004, n° 02-16.762, publié (N° Lexbase : A6002DDN), Bull. civ. IV, n° 184, D., 2004, AJ 2790, D., 2005, pan. 295, nos obs., JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 27, n° 4, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, Bull. Joly Sociétés, 2005/1, § 2, p. 27, note A. Cérati-Gauthier.
(15) Cass. com., 12 juillet 2004, n° 01-16.034, P+B+I (N° Lexbase : A0985DDT), Bull. civ. IV, n° 158 ; RD banc. et fin., 2004/6, p. 415, n° 255, obs. F.-X. Lucas.
(16) Cass. com., 10 mars 2009, n° 07-21.410, F-D (N° Lexbase : A7060EDT), Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 24, note I. Rohart-Messager, Act. proc. coll., 2009/7, n° 111, note C. Régnaut-Moutier, RTDCom., 2010, p. 190, n° 7, obs. C. Saint-Alary Houin ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 9 novembre 2007, n° 2004/18057 (N° Lexbase : A8273DZG).

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