La lettre juridique n°532 du 20 juin 2013 : Rémunération

[Jurisprudence] Précisions sur le principe d'égalité de rémunération et l'obligation d'adaptation des salariés à leur emploi

Réf. : Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3)

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N7566BTE

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 20 Juin 2013

Sans que l'on puisse lui reconnaître la qualité de décision importante, l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 5 juin 2013 présente, tout de même, l'intérêt d'apporter quelques précisions à deux régimes d'origine prétorienne que sont le principe "à travail égal, salaire égal" et l'obligation d'adaptation des salariés à l'évolution de leur poste de travail (I). S'agissant, d'abord, du principe d'égalité de rémunération, la Chambre sociale en précise l'objet en indiquant que l'appréciation du caractère de travail de valeur égale ne se fait pas seulement au regard des tâches, des fonctions ou des responsabilités assumées mais encore des sujétions différentes subies par les salariés (II). S'agissant de l'obligation d'adaptation ensuite, la Haute juridiction donne plein effet aux textes du Code du travail en matière de formation professionnelle et élargit le champ de l'obligation qui ne doit pas seulement permettre au salarié de demeurer adapté à l'évolution de son poste de travail mais, d'une manière plus générale, doit lui permettre de rester adapté à l'évolution des emplois de son secteur d'activité (III).
Le principe "à travail égal, salaire égal" n'est pas applicable à la majoration pour heures exceptionnellement travaillées la nuit qui compense une sujétion différente de celle subie par le salarié qui travaillait habituellement la nuit.

L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard, notamment, de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. L'absence de demande, par le salarié, de bénéficie d'un congé de formation ou de droits individuels à la formation n'est pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation d'adaptation.


Commentaire

I - L'affaire

Un salarié, licencié pour motif économique, conteste la validité de son licenciement et, à cette occasion, présente différentes demandes de rappel de salaire et d'indemnisation dont l'une en application du principe "à travail égal, salaire égal" et l'autre en raison de la violation par l'employeur de son obligation de formation.

S'agissant du principe d'égalité de rémunération, le salarié, qui travaillait régulièrement de nuit, soutenait qu'il avait perçu des majorations pour travail de nuit moindre que celles versées aux salariés qui effectuaient, occasionnellement, quelques heures de nuit. A ses yeux, une différence d'organisation du travail ne justifie par une telle différence de rémunération.

Ce raisonnement, qui n'avait pas séduit les juges du fond, n'est pas davantage accueilli par la Chambre sociale qui rejette le pourvoi formé sur ce moyen et juge que "la majoration [...] pour les heures exceptionnellement travaillées la nuit [...] compensait une sujétion différente de celle subie par le salarié, qui travaillait habituellement la nuit".

S'agissant de l'obligation de formation à la charge de l'employeur, les juges d'appel avaient, également, refusé de faire droit à la demande du salarié. Selon eux, le salarié était entré dans l'entreprise sans aucune compétence et avait été formé par l'employeur si bien qu'il pouvait prétendre aujourd'hui à un emploi similaire dans une autre entreprise. En outre, le poste du travail du salarié n'avait pas évolué depuis son embauche si bien qu'aucune adaptation spécifique n'était nécessaire. Enfin, le salarié n'avait déposé aucune demande de formation pendant la période d'emploi. Les juges en déduisaient que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de formation.

Le moyen contestant cette argumentation fait l'objet d'une cassation au visa de l'article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9649IE4). La Chambre sociale reprend presque mot pour mot la lettre des deux premiers alinéas du texte visé et rappelle donc que "l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations". Elle en déduit que l'argumentation fondée sur l'adaptation au poste de travail ou l'absence de demande de congés de formation était inopérante et que le salarié, pendant seize ans, n'avait bénéficié d'aucune formation du plan de formation qui lui aurait permis de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

II - La prise en compte des sujétions dans l'application du principe à travail égal, salaire égal

  • L'exigence d'un travail d'égale valeur

Depuis l'arrêt "Ponsolle" (1) et l'émergence du principe d'égalité de rémunération des salariés placés dans une situation identique, la Chambre sociale n'a eu cesse de préciser les conditions d'application du principe et les causes justifiant qu'un traitement différent soit réservé à certains salariés.

Une différence de traitement entre salariés d'une même entreprise ne constitue pas nécessairement une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" (2). Outre que des raisons objectives et vérifiables peuvent justifier l'écart de rémunération constaté (3), il faut avant tout que les situations dans lesquelles les salariés comparés sont placés soient identiques, qu'ils effectuent un même travail ou un travail de valeur égale (4).

Le principe ne s'applique qu'entre salariés d'une même entreprise ce qui exclut la comparaison dans des structures plus vastes telles que le groupe ou l'unité économique et sociale. Dans une même entreprise, ensuite, les juges procèdent à une comparaison des tâches, des fonctions et des responsabilités assumées par les salariés comparés.

Le Code du travail offre, à l'article L. 3221-4 (N° Lexbase : L0803H9M) consacré à l'égalité de rémunération entre femmes et hommes, une définition du travail de valeur égale : "sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse". En définitive, c'est donc la prestation de travail dans son ensemble qui doit être comparée.

  • La prise en compte des sujétions subies par le salarié

Sans que cela ne soit très surprenant, la Chambre sociale ajoute à ces indices relatifs aux tâches, fonctions et responsabilité un nouvel élément puisque le juge peut comparer les "sujétions" auxquelles les salariés sont contraints.

Ainsi, dans cette affaire, les salariés travaillant de nuit en permanence percevaient une majoration de 25 % de leurs heures de nuit alors que les salariés qui n'étaient que ponctuellement appelés à travailler de nuit voyaient ces heures majorées de 40 %. Le "travail" fourni pendant ces heures de nuit était différent en raison de la sujétion différente si bien que le principe ne pouvait pas s'appliquer.

A première vue, l'argumentation peut sembler curieuse : les contraintes du travail de nuit paraissent les mêmes qu'elles soient subies occasionnellement ou en permanence. On pourrait même, à revers, soutenir qu'il est plus contraignant de travailler perpétuellement de nuit plutôt qu'une nuit de temps à autres.

La solution nous semble pourtant devoir être soutenue sur le fondement, précisément, de l'article L. 3221-4 du Code du travail qui prévoit, in fine, que le travail de valeur égale peut s'apprécier en fonction de la "charge physique ou nerveuse" subie par le salarié. Le travail de nuit implique une pénibilité particulière liée à la perturbation des rythmes physiologiques, mais cette perturbation est davantage marquée lorsque le salarié doit alterner, parfois travailler de jour, parfois travailler de nuit. Au contraire, le salarié qui travaille habituellement de nuit s'adapte à ce rythme au point que la sujétion ne perturbe, après un certain temps d'adaptation, quasiment plus ses rythmes de sommeil ou d'alimentation. Cela est d'autant plus vrai que nombre de salariés travaillant habituellement de nuit ne souhaitent pas revenir à un horaire de jour et est matérialisé, sur le plan juridique, par l'interdiction faite à l'employeur de modifier unilatéralement les horaires d'un salarié de nuit pour que celui-ci travaille la journée (5).

Il pourrait, certes, être rétorqué que le texte invoqué ne vise que l'égalité de rémunération entre hommes et femmes. L'argument n'a, cependant, qu'un poids très relatif puisque l'on se souviendra que c'est à partir de ce principe d'égalité légal que le principe d'égalité prétorien a été dégagé dans l'arrêt "Ponsolle".

III - Obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de l'emploi

  • Obligation d'adaptation : généralités

L'obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi est, elle aussi, née d'une célèbre décision de la Chambre sociale dite arrêt "Expovit" (6) avant d'être reprise par le législateur et d'être introduite aux actuels articles L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3) et L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9649IE4).

Ce dernier texte donne la mesure de l'obligation d'adaptation : l'employeur doit veiller à l'adaptation du salarié à son poste de travail, à sa capacité d'occuper un emploi au regard des évolutions de cet emploi, des techniques ou des organisations employées. Concrètement, cette adaptation passe par la formation professionnelle : l'employeur doit proposer au salarié des formations destinées à le maintenir au niveau de l'évolution de son emploi. Cette obligation a tout de même des limites puisque l'employeur n'a pas la charge de pallier les carences de formation initiale du salarié (7) ni de lui prodiguer une formation d'une durée ou d'une importance trop grande (8).

Les conséquences du manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation sont de deux ordres. Elles peuvent, d'abord, remettre en cause la validité d'un licenciement pour motif économique subi par le salarié au même titre que le manquement à l'obligation de reclassement (9). Elles peuvent, ensuite, se matérialiser par une action en responsabilité contractuelle, le salarié pouvant obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation à l'évolution de son emploi qui constitue, pour la Chambre sociale, "un préjudice distinct de celui découlant" de la rupture du contrat de travail (10).

  • Obligation d'adaptation : précision sur l'objet de l'obligation

C'est, précisément, cette dernière conséquence que poursuivait le salarié dans cette affaire qui souhaitait obtenir une indemnisation pour manquement à l'obligation d'adaptation.

L'argumentation de la cour d'appel et celle de la Chambre sociale de la Cour de cassation doivent être comparées. La première refusait cette indemnisation en soutenant que le salarié n'avait aucune compétence à son entrée dans l'emploi, qu'il avait été formé par l'entreprise à cet emploi, que son poste de travail n'avait pas subi d'évolutions particulières et, enfin, que le salarié n'avait jamais demandé à bénéficier de congés ou de droits à formation. La Chambre sociale prononce la cassation en jugeant que ces motifs étaient inopérants et que le salarié, durant seize années, n'avait bénéficié "d'aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations".

Ce faisant, la Chambre sociale semble en réalité distinguer deux objets dans l'obligation d'adaptation. Comme le prévoit le Code du travail, l'employeur doit d'abord assurer l'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail. Si le poste de travail évolue, le salarié doit être formé en conséquence.

Il existe, cependant, une autre dimension, plus vaste, de l'obligation d'adaptation : l'employeur doit maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il ne s'agit plus ici d'assurer une adéquation entre les compétences du salarié et son poste de travail mais, plus largement, d'assurer une évolution des compétences du salarié au regard du marché de l'emploi et des techniques utilisées dans la branche d'activité du salarié.

Cet objet élargi de l'obligation d'adaptation peut paraître trop vaste, comme en témoigne l'usage du pluriel dans la décision : comment l'employeur peut-il s'assurer que le salarié reste adapté à l'évolution "des emplois" ? Cette sévérité à l'égard de l'employeur n'est pourtant qu'apparente. Il nous semble que la Chambre sociale n'exige pas, par cette décision, que les employeurs forment leurs salariés à toutes les évolutions de l'emploi et du marché du travail mais, seulement, qu'ils offrent dans le cadre de la formation professionnelle au salarié d'améliorer tel ou tel compétence. Dit autrement, la Chambre sociale semble sanctionner l'absence totale de formation du salarié pendant seize ans. Elle aurait, probablement, adopté une solution différente si le salarié avait bénéficié de quelques formations même si celles-ci n'auraient pas permis au salarié de devenir omniscient et d'être adapté à tous les emplois du secteur.

On retiendra, enfin, que la Chambre sociale écarte, à juste titre, l'argument tenant à considérer que le salarié n'avait jamais été demandeur de formation, n'avait jamais souhaité bénéficier d'un congé ou de droits individuels à la formation. En effet, ces mécanismes de formation professionnelle sont en partie indépendants de l'obligation de formation à la charge de l'employeur. L'employeur doit former le salarié à l'évolution de son poste de travail et des emplois de manière plus générale, ce qui n'empêche pas le salarié de demander, en sus, à bénéficier d'autres formations qui peuvent répondre à d'autres exigences que celles de son poste de travail. Le devoir de l'employeur comporte, d'ailleurs, un revers puisque le refus du salarié de se soumettre à une formation imposée par l'employeur peut caractériser une insubordination et, à ce titre, être sanctionné (11). Introduire l'absence de demande de bénéfice de ces droits dans l'appréciation du respect ou de la violation de l'obligation d'adaptation aurait insidieusement eu pour effet de faire en tout ou partie peser sur le salarié le respect par l'employeur de son obligation.


(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, publié (N° Lexbase : A9564AAH) ; D., 1998, somm., p. 259, note M. Th. Lanquetin ; Dr. soc., 1996, p. 1013, note A. Lyon-Caen ; RJS, 1996, n° 1272 ; LPA, 22 novembre 1996, note G. Picca.
(2) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-42.116, F-D (N° Lexbase : A7244EBW).
(3) Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, publié (N° Lexbase : A7983DII). Pour un tour d'horizon des justifications objectives de nature personnelle, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E5502EX3) et (N° Lexbase : E5503EX4) ; des justifications objectives de nature juridique, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E0721ETU).
(4) Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 01-40.618, inédit (N° Lexbase : A5981A4B) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La justification des discriminations salariales, Lexbase Hebdo n° 55 du 23 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5586AA7).
(5) Cass. soc., 7 décembre 2010, n° 09-67.652, FS-D (N° Lexbase : A9128GMZ).
(6) Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, publié (N° Lexbase : A9415AAX) ; D., 1992, somm., 294, note A. Lyon-Caen ; D., 1992. 390, note M. Defossez ; JCP éd. E, 1992, I, 162, note D. Gatumel.
(7) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-42.188, publié (N° Lexbase : A9714ATX).
(8) Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-41.255, inédit (N° Lexbase : A0337AUZ).
(9) Ce qui était le cas dans l'arrêt "Expovit" et qui est traduit par la mention de cette obligation à l'article L. 1233-4 du Code du travail.
(10) Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP) et nos obs., Les préjudices découlant d'un manquement à l'obligation d'adaptation des salariés à leur poste de travail, Lexbase Hebdo n° 280 du 8 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9845BCM).
(11) Cass. soc., 7 avril 2004, n° 02-40.493, inédit (N° Lexbase : A8410DB4).

Décision

Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3)

Cassation partielle, CA Poitiers, 17 mai 2011, n° 09/00563 (N° Lexbase : A3733HRP)

Textes visés : C. trav., art. L. 6321-1 (N° Lexbase : L9649IE4)

Mots-clés : principe à travail égal, salaire égal, travail de nuit, sujétions, obligation d'adaptation, formation professionnelle

Liens base : (N° Lexbase : E0706ETC) ; (N° Lexbase : E9298ES8).

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