La lettre juridique n°913 du 7 juillet 2022 : Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] Un nouveau modèle de cabinet d’avocat holistique : l'exemple belge - Questions à Margarita Hernandez-Dispaux, cofondatrice du cabinet d’avocat « Casa Legal »

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par Marie Le Guerroué et Joséphine Pasieczny

le 08 Juillet 2022

Quatre avocates belges Katia Melis, Noémie Segers, Clémentine Ebert et Margarita Hernandez-Dispaux ont co crée la première ASBL (association sans but lucratif) d’avocats en Belgique « Casa Legal ». Elles y ont développé une nouvelle manière d’exercer leur métier avec une approche multidisciplinaire en droits des étrangers, droit pénal, droit social et droit de la famille après plusieurs années de pratique.

 

Margarita Hernandez-Dispaux, l’une des cofondatrices du cabinet a accepté, pour Lexradio et Lexbase Avocats, de nous expliquer ce nouveau modèle de cabinet d’avocat novateur et inspirant.

 

Cette interview est également à retrouver en podcast sur Lexradio.


 

Coopcity©

Lexbase Avocats : Est-ce que vous pouvez, tout d’abord, nous présenter votre cabinet ? Et nous expliquer pourquoi il s’agit d’un cabinet novateur ? 

Casa Legal est une association d'avocat crée à l'initiative de quatre avocates co-fondatrices. Le cabinet un lieu multidisciplinaire. On y retrouve des avocats, mais aussi d'autres professions. Nous avons ainsi au sein de notre cabinet une assistante psychosociale et deux assistantes sociales détachées chez nous une matinée par semaine. Il s’agit d’un des aspects novateurs de notre cabinet car nous avons dans un même lieu une prise en charge holistique des clients.

La forme juridique du cabinet est aussi novatrice car il s’agit d’une ASBL, une forme juridique d’association sans but lucratif en Belgique. Ce choix de structure est doublement novateur car il est d’abord unique -il n’existe pas à notre connaissance d’autres ASBL d’avocats- mais aussi parce qu’il nous confère le statut de salarié alors que, en Belgique, les avocats ont classiquement le statut d'indépendant.

La dernière innovation du cabinet est sa gouvernance qui est collective. Nous avons été, à cet égard, formées à la gouvernance horizontale. D’autres cabinets fonctionnent aussi avec des outils de gouvernance collective, mais nous essayons de pousser ce concept le plus loin possible.

Lexbase Avocats. Pourquoi vous semblait-il nécessaire de décloisonner la profession ? 

Le décloisonnement était pour nous effectivement très important. Nous avons fait deux constats. D’abord, par rapport aux bénéficiaires. Nous nous sommes rendu compte que dans les matières que nous exerçons (droit des étrangers, droit familial, droit de la jeunesse, droit pénal côté victimes, et l’aide sociale) nous avions des personnes qui arrivaient chez nous avec une problématique juridique et déjà, souvent, en procédure judiciaire. Nous pouvions leur répondre sur nos compétences mais nous devions ensuite les renvoyer vers un autre avocat spécialisé, ces personnes avaient donc besoin de plusieurs avocats. Certaines matières nécessitaient aussi une prise en charge au niveau psychosocial importante qui interférait forcément avec le juridique ou le judiciaire. Dans ce cas, nous les renvoyions vers des services sociaux.

Dans tous ces cas, la personne devait se rendre dans ces services alors que cela n’est pas forcément facile pour elle. Il y avait donc ce besoin de créer un lieu où nous pouvions travailler avec d'autres professions autour des personnes qui venaient nous voir. C’était un premier décloisonnement nécessaire à opérer.

Au niveau du métier d’avocat, ensuite, ce décloisonnement permet de travailler en étroite collaboration avec d’autres professions et d’être chacun à sa place, dans ses compétences et de se consacrer à son expertise. Un avocat n’a pas les compétences d’un psy ou d’une assistante sociale et nous nous retrouvions à faire des choses dont nous n’avions pas les compétences outre le fait que cela n’était pas rémunéré par le système d’aide juridique, ni par les personnes car nous ne pouvions évidemment pas le leur facturer.

Lexbase Avocats. Est ce que vous pouvez nous donner des exemples de dossier ou de contentieux que vous traitez dans votre cabinet avec cette approche multidisciplinaire ? 

Nous avons démarré notre réflexion fin 2018, cela fait donc bientôt quatre ans que nous prenons en charge de nombreuses situations et que nous affinons au fil du temps les situations que nous pouvons prendre en charge. Nous avons, par exemple, beaucoup de femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales, des femmes qui sont en situation administrative compliquée donc qui n’ont pas de titre de séjour ou dont le séjour est en danger du fait de la situation qu'elle traverse. Il s’agit d’un public que nous avons de plus en plus et, pour lequel le modèle « Casa Legal » prend tout son sens.

Par exemple, ce matin j'étais au tribunal de la famille pour une dame qui est venue chez nous à la suite de graves violences de la part de son mari. Ils ont deux enfants mineurs. Cette dame s’est retrouvée hospitalisée à la suite des faits, le mari incarcéré et les filles mineures placées. Elle est donc arrivée avec une dimension où il faut de manière urgente :

- mettre un cadre au niveau familial et saisir d'urgence le tribunal de la famille,

- faire un suivi au pénal : une instruction a été ouverte et il faut donc accompagner la cliente aux auditions de police - avec le réseau que nous avons pu développer nous avons un contact privilégié avec une cellule spécialisée de la police dans les violences conjugales et intrafamiliales et nous pouvons accompagner la cliente à compléter sa plainte si elle avait déjà fait une plainte ou aller la déposer - ;

- il y a aussi un volet de droits des étrangers car la cliente à une situation administrative compliquée donc on doit contacter l'office des étrangers, faire un maintien de séjour éventuellement, voir ce qu’il est possible d'envisager si elle n’a pas de séjour ;

- il y a potentiellement aussi un volet de droits de la jeunesse puisqu’avec un père incarcéré et une mère hospitalisée, il faut prendre des mesures par rapport aux enfants.

Nous avons donc quatre matières de droit. On peut tout prendre en charge ici au sein de « Casa Legal » parce qu’il y a cette équipe d'avocats qui le permet. C'est rare de trouver un seul avocat qui fait toutes ces matières-là à la fois.

Nous avons, en plus de tout cela, un volet psychosocial énorme puisque la cliente se retrouve hospitalisée et doit avoir un logement d'urgence. Notre intervenante psychosociale peut le prendre en charge avec le réseau qu'elle a au niveau associatif. Tout cela m'aide moi, en tant qu'avocate, parce qu'au tribunal de la famille ce matin j'ai pu dire que la cliente était logée et qu’elle était en mesure d’accueillir ses enfants. Tout est interconnecté. Typiquement cela est vraiment une situation que « Casa Legal » prend en charge de manière incroyable !

En tant qu'avocat et, quand on a connu le métier d'avocat avant - nous avions toutes au moins 10 ans de barreaux derrière nous avant d’arriver chez Casa Legal -, on se rend compte que tout cela fait la différence. Nous n’avons plus du tout envie de retourner à un exercice classique de la profession. Je vois aujourd’hui ce que je peux apporter dans un dossier de manière concrète pour que celui-ci avance, c’est incroyable d’efficacité ! Dans le dossier de ce matin, « Casa Legal » a permis à cette femme d’être prise en charge de manière totale et de pouvoir le plus rapidement possible sortir de l'impasse ou en tous cas améliorer sa situation.

Lexbase Avocats. En réinventant l’accompagnement des clients, vous réinventez donc aussi votre métier. Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement ce que cela a changé dans votre quotidien d’avocate ?

Oui, d’abord, le travail en équipe est ultra bénéfique. Il y a des cabinets où il est évidemment possible de frapper à la porte de son collègue pour discuter mais ici cela n’est pas la même dynamique. Nous sommes vraiment plusieurs avocats avec potentiellement un intervenant psychosocial et nous faisons des réunions d'équipe sur les situations avec tous les intervenants dans les dossiers. Nous répartissons le travail et, de ce fait, il est beaucoup plus efficace. Nous travaillions mieux et les compétences sont mieux réparties. Nous faisons ainsi avancer les choses très vites.

Dans le dossier que j’évoquais précédemment si j’avais été seule - je pratique le droit de la famille et de la jeunesse - j’aurais dû décrocher mon téléphone pour appeler celle qui fait du droit des étrangers, celui qui fait du droit pénal et puis contacter l'assistante sociale. Ici nous agissons extrêmement rapidement, dans la cohérence et dans l'efficience du travail. Le modèle fait vraiment que nous travaillons mieux. 

Nous avons pu également identifier, par le biais de la gouvernance collective, à quel moment de la semaine et quelle réunion nous avions besoin de fixer. Nous avons ainsi programmé les réunions « en grande équipe » le jeudi en fin de matinée. On y a recours quand la « petite équipe » qui est autour de la personne a besoin de soumettre des questions qui nécessitent une intelligence collective. Par exemple, dans un dossier, ma collègue en droit des étrangers pourra me demander d’attendre pour demander le divorce afin de respecter un délai qui est important pour elle etc.. Il y a toute une cohérence d'action qui donne une plus-value énorme au travail qu'on fait.

Lexbase Avocats. Est ce que votre modèle suppose également une approche économique différente afin d’en assurer la viabilité financière ? 

Oui, tout à fait, en tous les cas pour nos matières et notre public. Car, outre notre modèle particulier, et il y aussi les matières pratiquées avec ce modèle. Nous faisons chez « Casa Legal » du droit des étrangers, du droit familial, du droit de la jeunesse, du droit pénal pour les victimes. Ces matières impliquent un public souvent très précarisé au niveau économique, au niveau social et, parfois, même d’un point de vue psychologique. Ce public très spécifique dépend pour la majorité de l’aide juridique ici en Belgique. On est donc rémunéré pour ces personnes par un système de points par l’État suivant une nomenclature bien précise qui est faite en fonction du contentieux. Par exemple, l’introduction d’une demande de divorce vaut X euros. Il n’y a pas du tout de place pour tout le travail que nous faisons et pour la manière dont nous travaillons chez « Casa Legal ».

Pour mon exemple précédant, j’aurais eu 3 points pour la requête en divorce sur la base de la nomenclature ce qui globalement vaut 80 euros alors qu’autour de cette requête j’ai rencontré 3 à 4 fois la cliente, nous lui avons téléphoné, nous étions en contact avec les assistantes sociales de l'hôpital quand elle était hospitalisée etc.. Tout cela est du temps qui n’est pas rémunéré avec le système de l'aide juridique et encore moins le travail en équipe qu'on fait autour du dossier. Si nous devions être rémunéré que par l’aide juridique en l’état actuel le système ne serait pas rentable.

Nous avons des clients qui peuvent payer des honoraires en fonction d’une grille. Ce point est également novateur car nous avons établi un système de forfait en fonction de la situation financière des personnes et de l'intervention que nous allions faire. Nous adaptons vraiment nos honoraires aux bénéficiaires. Toutefois, comme je vous le disais la majorité de nos bénéficiaires dépendent de l'aide juridique donc ces honoraires ne permettent pas non plus de subvenir à nos besoins financiers chez « Casa Legal ».

Nous avons donc développé tout une recherche de fonds publics qui vont permettre de le financer.. Les fonds publics ne vont pas rémunérer le travail d'avocat mais celui des assistantes sociales, l'intervenant psychosociale et tout ce qui concerne la gestion et la coordination de l’ASBL.

Nous avons donc un système hybride de financement, d’aide juridique, de bénéficiaires qui peuvent payer des honoraires, des fonds publics mais aussi des fonds privés.

Ce fonds privé « Les amis de Casa Legal » est géré par « La fondation Roi Baudouin », une fondation belge très importante qui nous accompagne dans nos recherches de fonds. C'est clair que l'enjeu financier et l'enjeu de la pérennisation financières de l’ASBL est au cœur, depuis le début des réflexions, et d'autant plus maintenant.

Il faut également savoir que, pour obtenir des fonds publics, il faut répondre à des appels à projets et donc nous passons aussi énormément de temps là-dessus. Il ne s’agit pas de chose que les avocats font normalement. Une partie immense de notre travail n'est pas du pur fonds. Nous développons ainsi des compétences entrepreneuriales, ce qui est assez passionnant mais c’est aussi très mobilisant et tout à fait nouveau donc cela prend du temps !

Nous développons aussi des liens avec le politique parce que, s’agissant des fonds publics -et là c'est une grosse partie aussi de notre travail- on est dans un lobby politique de plus en plus intense. En Belgique, il y a un accord de Gouvernement qui a été pris en 2020 et qui suggère qu’il y ait des projets pilotes de cabinets multidisciplinaires qui se développent en Belgique.

Nous prenons cette ligne de l'accord au mot pour aller frapper à la porte des politiques, pour les convaincre qu’il faut ajouter ce complément d'offres car il s’agit là d'accès à la justice finalement. Il faut donc convaincre le politique de développer cette nouvelle offre car même s’il y a un système d'accès à la justice actuellement en Belgique, nous proposons un complément qui n’existe pas et qui est efficace.

Lexbase Avocats : Est-ce que ce modèle a été compliqué à mettre en place d’un point de vue administratif ? 

Oui, cela a été très compliqué parce que le modèle est totalement novateur dans la profession. Nous avons toujours eu un dialogue avec notre Ordre et les Bâtonniers successifs pour pouvoir faire les choses convenablement et en accord avec nos règles.

Très vite on se rend compte que ce que nous proposons répond à un besoin que tout le monde constate et donc nos interlocuteurs sont très vite convaincus mais ensuite il faut passer le cap du financement…

Comme toute entreprise cela a été compliqué et c’est compliqué. Cela représente beaucoup d'investissements en temps et financiers au départ.

Lexbase Avocats. Votre modèle pourrait-il faire des émules ? Y compris en France avec une législation adaptée ?  

D'après ce que nous savons, il n'y a pas de projet comme le nôtre ayant vu le jour encore en Europe. Nous savons qu’il existe d’autres modèles outre Atlantique, par exemple au Canada et à New York où il existe un cabinet qui s’appelle « The Bronx Defenders » qui fonctionnent aussi de manière multidisciplinaire. C’est, a priori, quelque chose de tout nouveau et qui, sauf erreur, n'existe pas encore en France.

Nous imaginons évidemment depuis le début que « Casa Legal » fasse des émules. Nous avons en Belgique le modèle des maisons médicales. Il s’agit d’un modèle qui a vu le jour dans les années 70 où les médecins avec d’autres professions prennent en charge les patients de manière plus globale. Nous prenons ce modèle comme image avec la différence que nous le faisons démarrer avec des avocats. Nous sommes convaincues qu'il pourrait y avoir des « Casa Legal » un peu partout en Belgique et pourquoi pas à l'international !

En Belgique, nous avons beaucoup de demandes d'avocats qui nous contactent pour savoir comment nous avons fait. Nous en sommes à un point où nous organisons des « lunch » de rencontres avec d’autres avocats qui viennent d’autres barreaux. Ils sont aussi intéressés par le modèle multidisciplinaire pour l’adapter à d’autres matières du droit.

Cela intéresse les confrères et consœurs notamment, je pense, parce que ce modèle fait sens et particulièrement pour les jeunes générations. Nous avons de nombreuses demandes de stage. Il y a vraiment un intérêt pour cette nouvelle manière de fonctionner.

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