La lettre juridique n°912 du 30 juin 2022 : Urbanisme

[Jurisprudence] Revirement de jurisprudence sur les modalités de calcul de la majorité requise pour la modification des documents du lotissement

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 1er juin 2022, n° 443808, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A61637YW

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N1986BZL

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par Guillaume Blanc, Avocat spécialiste en droit public, cabinet Fayol & Associés

le 29 Juin 2022

Mots clés : lotissement • règlement • double majorité • surface des lots • copropriété

En cas de modification des documents d'un lotissement composé de maisons individuelles, de copropriétés et de lots non affectés à l'habitation, le calcul de la majorité qualifiée des colotis comprend le décompte des avis de chaque propriétaire individuel et de chaque copropriété et celui des superficies de chaque lot destiné à la construction, qu'il soit, ou non, destiné à la construction d'habitations.


 

L’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9986LMS permet à la majorité des colotis de modifier les documents du lotissement, et notamment le règlement, le cahier des charges s’il a été approuvé et les clauses de nature réglementaire du lotissement du cahier des charges s’il n’a pas été approuvé.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY) (loi « ALUR ») a, par son article 159-II, modifié ce texte pour rendre plus facile, à un double niveau, la modification de ces documents du lotissement.

D’une part, une telle modification ne pouvait intervenir qu’à condition que soit réunie la majorité des deux tiers des propriétaires détenant ensemble les trois quarts au moins de la superficie d'un lotissement ou les trois quarts des propriétaires détenant les deux tiers de cette superficie.

Désormais, la règle de majorité requise est abaissée : il suffit de réunir la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.

D’autre part, le texte précise désormais expressément que cette modification peut concerner les clauses réglementaires des cahiers des charges non approuvés.

Cette double modification poursuit un but : encourager la densification des quartiers de lotissement en facilitant la subdivision des lots.

Reste à savoir comment calculer cette majorité, et c’est dans cette perspective que le Conseil d’État vient de rendre un arrêt qualifié de « petit rebondissement jurisprudentiel » par Mme Lucienne Erstein, Conseiller d’État honoraire [1].

Les faits illustrent un cas d’école.

Par un arrêté en date du 3 décembre 1958, le préfet de la Savoie a approuvé le cahier des charges du lotissement "La Frasse", situé dans la station de Méribel, sur le territoire de la commune des Allues.

Ce lotissement comprend 37 lots répartis comme suit :

  • 16 lots à usage de chalet individuel ;
  • un lot à usage d’entrepôt de stationnement couvert de gros véhicules ;
  • 19 lots à usage de garages ;
  • et un lot appartenant à la commune dont la destination n’est pas précisée.

Ces lots sont répartis entre 19 propriétaires, pour une superficie d’environ 17 500 m².

Un permis de construire un immeuble de logements collectifs (un chalet de 8 logements) a été délivré, à l’intérieur de ce lotissement, au profit d’une SARL le 22 janvier 2015, permis ensuite transféré à une SCCV.

Le bénéficiaire du permis de construire a sollicité du Maire des Allues la modification du cahier des charges approuvé du lotissement, afin de supprimer la limitation du nombre de logements par lots.

Considérant que la double majorité requise par l’article L. 442-10 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi « ALUR » du 24 mars 2014, était atteinte, le maire a, par arrêté du 15 décembre 2015, modifié l’article 1er dudit cahier des charges.

L’un des colotis, la SCI Le Flocon propriétaire de 7 lots, a saisi le tribunal administratif qui, par un jugement du 18 décembre 2018, a annulé cet arrêté municipal.

Les bénéficiaires du permis de construire ont relevé appel et, selon arrêt du 7 juillet 2020, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement, et rejeté la demande d’annulation de l’arrêté municipal [2].

La Cour a retenu que la modification avait obtenu l’accord de 12 propriétaires sur 19 (soit plus de la moitié des propriétaires), totalisant près de 12 000 m² de superficie (soit plus des deux tiers de la superficie du lotissement).

Sur pourvoi formé par la SCI Le Flocon, le Conseil d’État vient confirmer cet arrêt, par une solution classique sur le calcul du nombre des propriétaires, et innovante sur le calcul de la superficie du lotissement.

Le calcul de la règle de la majorité suppose de répondre à deux questions :

  • le nombre de colotis à prendre en considération pour le calcul du nombre de propriétaires, notamment lorsqu’un coloti est propriétaire de plusieurs lots ou lorsqu’un lot appartient à plusieurs personnes (indivision, copropriété, etc.) ;
  • et les lots à prendre en considération pour le calcul de la superficie, notamment lorsqu’il existe des lots avec des destinations différentes (habitations, garages, commerces, espaces inconstructibles, etc.).

Sur ces deux points, par l’arrêt n° 443808 du 1er juin 2022, le Conseil d’État vient fixer le cadre juridique.

Sur le nombre de propriétaires, l’arrêt est confirmatif d’une solution antérieurement dégagée par le Conseil d’État : dans le cas où le lotissement se compose à la fois de maisons individuelles et de constructions détenues en copropriété, il y a lieu de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et pour une unité également l’avis exprimé par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire.

Cette solution est désormais constante depuis un arrêt du 13 juin 1975 [3] même si la Cour de Cassation a pu retenir, dans un ancien arrêt du 17 juillet 1973, que le décompte du nombre des propriétaires, personnes morales ou physiques, ne peut s'effectuer que par lot constitué [4].

En revanche, sur le calcul de la superficie, l’arrêt est un revirement de jurisprudence : dans le cas où le lotissement comporte des lots affectés à d'autres usages que l'habitation, il y a lieu de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.

La partie en souligné correspond au revirement de jurisprudence.

En effet, une solution différente avait été retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 28 février 1996 [5].

Dans ce précédent arrêt, le Conseil d’État avait déjà retenu qu’il y a lieu, d'une part, de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, d'autre part.

En revanche, il avait estimé qu’il n’y avait lieu de retenir, pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion, par conséquent, des surfaces des lots affectés à d'autres usages.

La nouveauté réside donc dans le fait qu’il faut prendre en compte tous les lots destinés à la construction, qu’il s’agisse ou pas de constructions à usage d’habitations.

Ce faisant, le Conseil d’État revient à une solution plus ancienne, dégagée dans un arrêt de Section du 17 octobre 1980 [6].

Cet arrêt avait retenu que les propriétaires sont exclusivement ceux qui ont gardé ou acquis la propriété de lots destinés à la construction, sans distinguer s’il s’agissait de lots destinés à l’habitation ou à un autre usage.

Dans cette affaire, le lotisseur avait vendu tous les lots destinés à la construction, et n’avait conservé que la voirie du lotissement et les terrains situés entre les constructions et servant à la circulation des piétons.

Ces lots, non destinés à la construction, n’ont pas à être pris en compte dans le calcul du nombre de propriétaires, ni dans la superficie du lotissement, pour l’appréciation de la majorité qualifiée requise par l’article L. 442-10 précité.

En conclusion de l’affaire portée à la connaissance de la Haute juridiction, il a été jugé que chaque coloti compte seulement pour un, quel que soit le nombre de lots qu’il détient : ainsi, la SCI Le Flocon, comptant 7 lots, comptait pour un seul vote contre, de même que l’accord de la commune, propriétaire également de plusieurs lots, a compté pour un seul vote pour.

De même, le Conseil d’État a approuvé la Cour d’avoir retenu que, pour les lots appartenant à plusieurs personnes (ici, une indivision – assimilée pour les besoins du texte à une copropriété – était propriétaire de plusieurs lots), l’accord comptait seulement pour un.

Enfin, la Haute juridiction a jugé que tous les lots destinés à la construction, qu'il s'agisse de construction d'habitations ou d'autres constructions (et en l’espèce à l’usage de garages, d’entrepôt de stationnement couvert pour gros véhicules et de bâtiments publics), doivent être pris en compte pour le calcul de la superficie du lotissement.

Reste à savoir ce que peut recouvrir un lot non destiné à la construction.

Cela vise d’abord les lots à usage de voirie, les lots à usage d’espace commun inconstructible, mais cette liste n’est pas limitative.

À titre d’exemple, la cour administrative d’appel de Marseille a récemment considéré qu’un lot, appartenant à Enedis, n'est pas destiné à la construction dans la mesure où un transformateur électrique y est implanté [7].


[1] L. Erstein, Quelle majorité pour modifier les documents du lotissement ?, JCP éd. A, 13 Juin 2022, n° 23, p. 405.

[2] CAA Lyon, 7 juillet 2020, n° 19LY00589 N° Lexbase : A69813SD.

[3] CE, 13 juin 1975, n° 92275 N° Lexbase : A9265B7B, Lebon 358, JCP 1976, II. 18257, note Bouyssou.

[4] Cass. civ. 3, 17 juillet 1973, n° 72-11.842, D. 1973. 758, note Franck.

[5] CE, 28 février 1996, n° 105846 N° Lexbase : A7466ANT, Lebon, p. 53.

[6] CE, Sect., 17 octobre 1980, n° 05398 N° Lexbase : A1902B8X, Lebon, p. 379.

[7] CAA Marseille, 17 décembre 2021, n° 20MA00126 N° Lexbase : A22387HD.

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