Réf. : CJUE, 12 mai 2022, aff. C-377/20 N° Lexbase : A16587XP
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N1563BZW
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par Vincent Téchené
le 25 Mai 2022
► Dans un arrêt du 12 mai 2022, la CJUE apporte des précisions sur les conditions dans lesquelles le comportement d’une entreprise peut être considéré, sur le fondement de ses effets anticoncurrentiels, comme constitutif d’un abus de position dominante, lorsqu’un tel comportement repose sur l’exploitation de ressources ou de moyens propres à la détention d’une telle position dans le contexte de la libéralisation d’un marché. À cette occasion, la Cour délimite les critères d’appréciation pertinents ainsi que la portée de la charge de la preuve incombant à l’autorité nationale de concurrence concernée ayant adopté une décision sur le fondement de l’article 102 TFUE.
Cette affaire s’inscrit dans le contexte de la libéralisation progressive du marché de la vente d’énergie électrique en Italie.
Répondant aux questions ayant trait à l’intérêt protégé par l’article 102 TFUE N° Lexbase : L2399IPK, la Cour précise, en premier lieu, les éléments propres à caractériser l’exploitation abusive d’une position dominante. À cet effet, elle observe, d’une part, que le bien-être des consommateurs, tant intermédiaires que finals, doit être regardé comme constituant l’objectif ultime justifiant l’intervention du droit de la concurrence pour réprimer l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Pour autant, une autorité de concurrence satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle si elle démontre qu’une pratique d’une entreprise en position dominante est susceptible de porter atteinte, en ayant recours à des ressources ou à des moyens autres que ceux qui gouvernent une compétition normale, à une structure de concurrence effective sans qu’il soit nécessaire pour celle-ci de démontrer que ladite pratique a, en outre, la capacité de causer un préjudice direct aux consommateurs. L’entreprise dominante concernée peut néanmoins échapper à l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE en démontrant que l’effet d’éviction pouvant résulter de la pratique en cause est contrebalancé, voire surpassé, par des effets positifs pour les consommateurs.
D’autre part, la Cour rappelle que le caractère abusif d’un comportement d’une entreprise en position dominante ne peut être retenu qu’à condition d’avoir démontré sa capacité de restreindre la concurrence, en l’occurrence, de produire les effets d’éviction reprochés. En revanche, cette qualification ne requiert pas de démontrer que le résultat escompté d’un tel comportement visant à évincer ses concurrents du marché concerné a été atteint.
Dans ces conditions, la preuve produite par une entreprise en position dominante de l’absence d’effets d’éviction concrets ne saurait être considérée comme étant suffisante, à elle seule, pour écarter l’application de l’article 102 TFUE. En revanche, cet élément peut constituer un indice de l’incapacité du comportement en cause à produire les effets d’éviction allégués, pourvu qu’il soit corroboré par d’autres éléments de preuve visant à établir cette incapacité.
En deuxième lieu, la Cour rappelle que l’existence d’une pratique d’éviction abusive par une entreprise en position dominante doit être appréciée sur le fondement de la capacité de cette pratique à produire des effets anticoncurrentiels. Il s’ensuit qu’une autorité de concurrence n’est pas tenue d’établir l’intention de l’entreprise en cause d’évincer ses concurrents par des moyens ou en recourant à des ressources autres que ceux gouvernant une concurrence par les mérites. La Cour précise toutefois que la preuve d’une telle intention constitue néanmoins une circonstance factuelle susceptible d’être prise en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante.
En troisième lieu, la Cour estime que lorsqu’une entreprise perd le monopole légal qu’elle détenait auparavant sur un marché, celle-ci doit s’abstenir, pendant toute la phase de libéralisation de ce marché, de recourir à des moyens dont elle disposait au titre de son ancien monopole et qui, à ce titre, ne sont pas disponibles pour ses concurrents, aux fins de conserver, autrement que par ses propres mérites, une position dominante sur le marché en cause nouvellement libéralisé. Cela étant, une telle pratique peut néanmoins échapper à l’interdiction énoncée à l’article 102 TFUE si l’entreprise en position dominante concernée établit qu’elle était soit objectivement justifiée par des circonstances extérieures à l’entreprise et proportionnée à cette justification, soit contrebalancée, voire surpassée, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également aux consommateurs.
En quatrième lieu, la Cour juge que, lorsqu’une position dominante est exploitée de façon abusive par une ou plusieurs filiales appartenant à une unité économique, l’existence de cette unité est suffisante pour considérer que la société mère est elle aussi responsable de cet abus. L’existence d’une telle unité doit être présumée si, au moment des faits, au moins la quasi-totalité du capital de ces filiales était détenue, directement ou indirectement, par la société mère. Dans de telles circonstances, l’autorité de concurrence n’est pas tenue de rapporter une quelconque preuve supplémentaire, à moins que la société mère n’établisse que, malgré la détention d’un tel pourcentage du capital social, elle n’avait pas le pouvoir de définir les comportements de ses filiales, celles-ci agissant de manière autonome.
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