Lexbase Public n°290 du 30 mai 2013 : Européen

[Questions à...] La fonction législative européenne, synonyme de déficit démocratique ? - Questions à Didier Blanc, Maître de conférences en droit public, Université de Perpignan

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[Questions à...] La fonction législative européenne, synonyme de déficit démocratique ? - Questions à Didier Blanc, Maître de conférences en droit public, Université de Perpignan. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8222041-questions-a-la-fonction-legislative-europeenne-synonyme-de-deficit-democratique-questions-a-b-didier
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 30 Mai 2013

La dénonciation du déficit démocratique est un thème récurrent de la construction européenne. La faiblesse originelle des pouvoirs attribués au Parlement européen et la déperdition de ceux traditionnellement reconnus au Parlement français ont longtemps nourri le débat. En conséquence, chacun a élaboré des stratégies visant la reconnaissance de nouvelles prérogatives. Si le Parlement français a, de son côté, multiplié les instruments de contrôle pesant sur le Gouvernement, pour autant, en aucun cas son action ne peut prétendre rivaliser avec celle du Parlement européen. Sa sphère d'action est nationale, tandis que celle de son homologue est davantage pertinente en ayant pour cadre général l'Union européenne. Toutefois, le temps n'est plus à une opposition entre ces deux institutions ; chacun agit de manière complémentaire soit en participant directement à l'édiction des actes de l'Union européenne, soit en contrôlant celle-ci auprès de l'exécutif national. Pour faire le point sur cette problématique, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Didier Blanc, Maître de conférences en droit public, Université de Perpignan, responsable du Master 2 administration et droit de l'action publique, et auteur d'un ouvrage sur cette question (1). Lexbase : Pouvez-vous nous présenter les différentes procédures législatives de l'Union européenne ?

Didier Blanc : Le Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, consacre l'expression de procédure législative pour désigner les procédures décisionnelles au sein de l'Union européenne. Deux grandes catégories de procédures législatives se détachent : la procédure législative ordinaire, unique, et, par opposition, les procédures législatives spéciales, au nombre de deux.

La procédure législative ordinaire, comme son nom l'indique, est une procédure de droit commun, alliant la majorité qualifiée au sein du Conseil, représentant les Etats membres et la codécision, inaugurée par le Traité de Maastricht (signé le 7 février 1992) et achevée par le Traité d'Amsterdam (signé le 2 octobre 1997). Cette procédure, d'une présentation complexe, met sur un pied d'égalité le Conseil, qui se prononce à la majorité qualifiée, et le Parlement européen. La figure du législateur européen tient dans la réunion de ces deux institutions politiques, incarnant les deux autorités législatives de l'Union.

Les procédures législatives spéciales sont, à bien y regarder, plus spéciales que législatives, en ce sens que le rôle du Parlement européen est limité. La première, la procédure de consultation, confie le pouvoir de décision au Conseil qui doit, avant de se prononcer, recueillir l'avis du Parlement européen. La portée de cet avis est, comme il se doit, non contraignante, le Parlement européen étant enfermé dans un rôle purement consultatif tandis que le Conseil se prononce à l'unanimité. Si bien que cette procédure vaut en règle générale pour des matières jugées sensibles au regard de la souveraineté des Etats (citoyenneté, fiscalité, politique sociale...), tandis que le domaine de la procédure législative ordinaire intéresse assez largement le marché intérieur (harmonisation des législations, libres circulations, etc.).

La seconde est la procédure d'approbation, anciennement dénommée procédure d'avis conforme. Cette procédure peut être présentée comme conférant au Parlement européen un pouvoir de codécision "passive et négative" dans la mesure où il dispose en dernière analyse d'un droit de veto ; sans son approbation, le texte examiné ne sera pas adopté, mais il ne bénéficie en aucun cas d'un pouvoir d'amendement. Toutefois, ce pouvoir de rejet a progressivement permis au Parlement européen d'avoir une influence en amont sur le contenu même du texte. Cette procédure d'approbation porte sur des matières "quasi-constitutionnelles" comme les Traités d'adhésion, la défense des principes fondamentaux de l'Union, la détermination de la procédure électorale du Parlement européen, ou encore la révision simplifiée des Traités.

Quelle que soit la catégorie de procédure législative mise en oeuvre, il appartient exclusivement à la Commission européenne de proposer un texte, de le soumettre au Conseil et au Parlement et de le modifier, le cas échéant, au cours de son examen par le Conseil et le Parlement européen en vue de faciliter son adoption. Ce monopole de l'initiative de la Commission, augmenté par le pouvoir de décision constant du Conseil et plus variable du Parlement européen, dessine la figure d'un triangle législatif.

A côté de ces procédures législatives, d'autres procédures décisionnelles -non définies comme législatives- existent, en particulier en matière de politique étrangère et de sécurité.

Lexbase : De quelle manière le Parlement européen concourt-il à la fonction législative européenne ?

Didier Blanc : Le Parlement européen voit sa participation à la fonction législative européenne varier en fonction de la procédure pertinente. Aussi son choix est capital, les diverses dispositions du Traité mentionnent la procédure législative qui doit être suivie, mais il arrive, parfois, que cette détermination ne soit guère aisée et nourrisse un contentieux important entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen : celui de la base juridique. Si l'avènement de la procédure législative ordinaire ne met pas fin à ces actions, leur nombre a considérablement diminué depuis le Traité de Nice (signé le 26 février 2001).

Depuis l'entrée en vigueur en décembre 2009 du Traité de Lisbonne, le Parlement européen concourt à la fonction législative de deux façons : d'une part, il la partage, d'autre part, il y participe. Au terme de la procédure législative ordinaire, le Parlement européen est dans une position de co-législateur avec le Conseil, tandis que la procédure spéciale d'approbation lui permet de s'opposer à tout texte qui lui est soumis. En dépit de cette position passive, il ne peut formellement modifier le texte, et négative, sa principale arme demeurant la perspective d'un rejet, le Parlement partage le pouvoir de décision avec le Conseil, bien qu'il ne soit pas l'auteur ou co-auteur du texte soumis à son approbation, à la différence de la procédure législative ordinaire.

Au terme de la procédure législative spéciale de consultation, la participation parlementaire est très faible, son analyse échappe au droit puisqu'il ne rend qu'un avis ne liant pas le Conseil. Sur un plan procédural et juridictionnel, lorsque le Parlement européen doit être consulté, un défaut d'avis est un motif d'annulation du texte adopté, dès lors que ce défaut ne lui est pas imputable, de même la Cour de justice de Luxembourg a posé le principe d'une nouvelle consultation lorsque le texte final adopté par le Conseil est substantiellement différent de celui sur lequel le Parlement européen s'est prononcé.

Lexbase : Comment le Parlement français est-il associé à cette fonction ?

Didier Blanc : Le Parlement français est, par définition, extérieur à la fonction législative européenne, il n'est pas une institution de l'Union. En revanche, comme parlement national, il assure le contrôle du Gouvernement. Son influence s'exerce par cette voie depuis la ratification du Traité de Maastricht en 1992, laquelle impliquait une révision de la Constitution. A sa faveur, le Sénat, avec l'Assemblée nationale, ont défendu l'insertion de l'article 88-4 de la Constitution (N° Lexbase : L0914AHC).

Son dispositif fait obligation au Gouvernement, dans un premier temps, de lui transmettre l'ensemble des projets de textes législatifs de l'Union, c'est-à-dire ceux relevant d'une des procédures législatives européennes. Dans un second temps, chaque assemblée est en mesure d'examiner ce texte ; cette mission est remplie par sa Commission chargée des affaires européennes, mentionnée dans la Constitution depuis 2008. A l'issue de cet examen, un projet de résolution pourra ensuite être soumis aux parlementaires et, dans un troisième et dernier temps, approuvé au bout d'un certain délai ou directement, mais très rarement, par l'ensemble des députés ou des sénateurs. Cette résolution n'a aucune portée contraignante, elle met seulement en avant les préoccupations des parlementaires s'agissant d'un texte qui sera examiné en particulier par le Conseil, au sein duquel le représentant de la France siège.

Si bien que l'association du Parlement français à la fonction législative européenne est nécessairement indirecte, passant par les pressions qu'il peut exercer sur le Gouvernement dont l'un des membres participera à la réunion du Conseil, et limitée, puisqu'à supposer l'identité de position entre le Parlement français et le Gouvernement, celle-ci ne sera qu'une parmi les vingt-six autres exposées au sein du Conseil. Il reste que la portée de l'expression des assemblées pourrait être renforcée à l'imitation des modèles danois ou britannique, et valoir mandat impératif pour les autorités gouvernementales.

Enfin et surtout, au plan interne, le Parlement français ou sa composante ayant le plus de pouvoir, l'Assemblée nationale, soutient la politique du Gouvernement, y compris au plan européen. Il n'existe pas de raisons objectives fondant un contrôle de l'action législative du Gouvernement français plus étroit et plus poussé au niveau européen par les assemblées quand l'action législative de ce même Gouvernement est le plus souvent soutenue par les parlementaires français lorsqu'elle se déploie dans le cadre constitutionnel national.

Lexbase : L'action conjuguée de ces deux assemblées a-t-elle réussi à résorber le déficit démocratique originel de la construction communautaire ou cet objectif doit-il prendre dorénavant d'autres voies ?

Didier Blanc : D'un point de vue juridique, la législation de l'Union européenne ne souffre pas d'un "déficit démocratique". L'expression apparaît au milieu des années 1970, à une époque où le Parlement européen n'est pas encore élu au suffrage universel direct et où sa participation à la fabrique du droit communautaire se fait exclusivement sur le mode de la consultation. Au terme d'une évolution engagée depuis l'Acte unique européen signé les 17 et 28 février 1986, le Parlement européen est devenu le colégislateur de l'Union. Cette position institutionnelle est d'autant plus forte qu'en droit, il ne peut faire l'objet d'une dissolution et que, politiquement, il n'est pas soumis à la domination d'un exécutif (Conseil européen ou Commission) et pas davantage tenu d'apporter un soutien sans faille à ce dernier, à la différence de l'ensemble des parlements nationaux. De plus, en amont de cette production législative, les divers Traités européens la fondant ont été ratifiés par les représentants des peuples des Etats membres (parlements nationaux) ou directement pas les représentés (référendum). Il arrive fréquemment que le domaine de l'Union économique et monétaire serve d'illustration au prétendu déficit démocratique, mais à la vérité on se doit de dire, par exemple, que le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance signé le 2 mars 2012 a été négocié et signé par des autorités nationales responsables devant leur parlement national et ratifié par ces mêmes assemblées, quand, parallèlement, la législation européenne adoptée à la suite de la crise économique et financière est très largement le fruit de la procédure législative ordinaire (Six pack et Two pack).

Au-delà des ces observations techniques, la démocratisation de l'Union se heurte à deux difficultés incontournables : la différence d'échelle et la différence d'intérêt. La démocratie, entendue schématiquement ici comme tributaire du rôle des parlements, se heurte à une différence d'échelle selon que l'on se situe au niveau européen ou national. Dans le premier cas, elle s'incarne dans la procédure législative ordinaire prévoyant que le Conseil décide à la majorité qualifiée, mode de votation de nature à renforcer la place du Parlement européen en ouvrant la voie à la négociation. Dans le second cas, elle va, au contraire, être plus forte dans une procédure prévoyant l'unanimité au sein du Conseil, pour permettre, le cas échéant, à chaque Gouvernement de mettre en oeuvre son droit de veto en vue de se conformer avec les exigences de son parlement, tandis que le Parlement européen est réduit à l'émission d'un avis. En d'autres termes, l'appréciation de la substance démocratique de l'Union dépend non seulement du lieu d'observation, mais les modalités mises en oeuvre peuvent aussi entrer en contradictions selon le niveau d'analyse, national ou européen. Il en va de même s'agissant de la représentation des intérêts. Si le Parlement européen exprime et représente l'intérêt des peuples des Etats membres, cet intérêt est, par nature, différent de celui exprimé par un seul parlement national. Et, à supposer une action concertée et collective de l'ensemble des parlements nationaux des Etats membres, l'addition des parties (l'ensemble des intérêts nationaux) n'est que rarement équivalente au tout (l'intérêt européen).

Si bien que, sans être opposée, l'action des Parlements nationaux et celle du Parlement européen ne convergent pas nécessairement et n'ont, en tout état de cause, pas la même signification démocratique. Toutefois, singulièrement depuis le Traité de Lisbonne, le rôle des parlements nationaux a été renforcé pour tenir compte des lacunes de la démocratie européenne. Lacunes relevant plus de l'analyse politique, sociologique ou anthropologique que juridique, et s'agrégeant, notamment, autour de l'absence de véritables partis politiques européens, d'un débat public européen, d'une opinion publique européenne ou, pour le dire d'une formule, du défaut d'un corps politique européen structuré.

De même qu'en 1789-1792, la démocratie et la République viennent d'en haut, véhiculées par -suivant l'expression de Mirabeau- le "souverain Droit", et finissent par s'imposer un siècle après, lorsque "la République atteint les villages", la "chose publique" européenne repose sur un postulat original en forme de pari en vertu duquel elle finira à son tour par irriguer l'ensemble des "villages européens". Car, en définitive, fille du temps et des circonstances plus que du droit, seule l'appropriation de l'Union européenne par l'ensemble de ses citoyens est de nature à en faire un objet substantiellement démocratique.


(1) Les parlements européens et français face à la fonction législative communautaire : Aspects du déficit démocratique, Editions L'Harmattan, 2004.

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