Le Quotidien du 8 mars 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Règlements de compte en hauts lieux entre Éric Dupond-Moretti et les juges de la Cour de justice de la République

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[A la une] Règlements de compte en hauts lieux entre Éric Dupond-Moretti et les juges de la Cour de justice de la République. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/82031598-a-la-une-reglements-de-compte-en-hauts-lieux-entre-eric-dupondmoretti-et-les-juges-de-la-cour-de-jus
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par Vincent Vantighem

le 22 Mars 2022

Il ne manque finalement que la musique de Sergio Leone. Mais c’est un vrai règlement de comptes auquel on assiste au plus haut sommet de l’appareil judiciaire français depuis quelques jours. Ici, personne n’erre dans les plaines, solitaire. Mais dans les ministères et les institutions. Ici, pas de Winchester, Deringer ou Remington. Mais des communiqués et des tribunes libres… Dans ce western moderne, les premiers rôles sont tenus par Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice, et les plus hauts magistrats de France. Ceux qui instruisent la procédure pour « prise illégale d’intérêts » le visant devant la Cour de justice de la République (CJR).

Jeudi 3 mars, à 9 heures, le garde des Sceaux était, en effet, convoqué, rue de Constantine (Paris, 7e arrondissement), devant les trois magistrats de la commission d’instruction de la CJR qui enquêtent sur lui. Pas vraiment d’enjeu : ayant déjà été mis en examen le 16 juillet 2021 pour l’ensemble des faits dont les juges sont saisis, il ne risquait rien de plus. L’audition, comme de coutume, visait surtout à le confronter aux derniers actes d’investigation et à lui demander s’il contestait toujours les faits qui lui sont reprochés, comme il le prétend depuis le départ. « Oh, de ce point de vue là, il n’y a pas de risque », souriait encore la veille, l’un des proches du ministre.

Il en a apporté la preuve lui-même dès le début de l’audition. Comme n’importe quel justiciable en a le droit, Éric Dupond-Moretti a choisi de lire une déclaration liminaire de deux pages et demie pour indiquer qu’il ne répondrait en fait … à aucune question. « J’attends sereinement de pouvoir m’expliquer devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République [lors du procès s’il venait à être renvoyé] pour y défendre mon honneur, et rétablir enfin une vérité que vous ne souhaitez pas voir depuis le premier jour de votre instruction. »

Face à lui, les trois juges n’ont même pas tenté de le faire changer d’avis. « Donc, on comprend que vous ne répondrez pas à nos questions ? », se sont-ils enquis en substance, selon nos informations. « Oui, vous avez bien compris », leur a répondu le garde des Sceaux. À 10 heures, l’audition était terminée et chacun pouvait reprendre ses occupations…

« Partialité » et « inimité » au menu d’une tribune libre dans « L’Opinion »

Mais, dans ce dossier où Éric Dupond-Moretti est soupçonné de s’être servi de son nouveau statut de ministre pour régler ses comptes avec d’anciens magistrats avec qui il avait eu maille à partir lorsqu’il était un ténor des barreaux, rien n’est jamais simple. Le lendemain, vendredi 4 mars, L’Opinion publiait ainsi une « tribune libre » signée « Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux ». À l’intérieur ? La déclaration liminaire qu’il avait lue, la veille, aux trois magistrats de la CJR. In extenso. Et sans autre commentaire. Attention, il ne s’agissait pas ici d’un article émanant d’un journaliste qui aurait dégotté la fameuse déclaration grâce à un précieux travail d’investigation. Mais bien d’un acte de communication d’un ministre empêtré dans une procédure judiciaire depuis plus d’un an. « Oui, c’est une décision de communication assumée », indiquait-on ainsi à la Chancellerie, dans la journée.

La tribune en question donnait donc l’occasion d’en savoir davantage sur les griefs formulés par le ministre de la Justice envers les trois juges d’instruction – indépendants donc – qui le poursuivent aujourd’hui. Le principal d’entre eux est « la partialité » avec laquelle ils instruisent les plaintes déposées par leurs « collègues dirigeants de syndicats de magistrats » qui avaient qualifié la nomination du ministre de « déclaration de guerre ». Et Éric Dupond-Moretti d’expliquer, en gras dans le texte, que c’est pour cette raison qu’ils ont perquisitionné durant 15 heures, le 15 juillet 2021, les bureaux du ministère, place Vendôme, allant jusqu’à ouvrir les coffres à la disqueuse et à la meuleuse, à aspirer les mails du directeur des affaires criminelles et des grâces et à lui réclamer ses agendas pour vérifier ses rendez-vous, y compris sur une période de prévention dont ils ne sont pourtant pas saisis.

Après la « partialité », c’est « l’inimitié » des juges à son endroit que le ministre a voulu dénoncer dans son propos. Expliquant que deux des juges qui enquêtent sur lui sont d’anciennes présidentes de cours d’assises qu’il a affrontées, « et de quelle manière », lors de sa carrière d’avocat. « Ces relations de travail délétères auraient dû vous conduire à vous déporter de mon dossier », explique-t-il ainsi, renversant la vapeur dans un dossier où le poison du conflit d’intérêts sourd désormais partout…

La colère d’Éric Dupond-Moretti n’aurait sans doute pas été complète sans deux paragraphes consacrés à François Molins. Sans jamais le nommer, le ministre a vertement critiqué l’attitude du procureur général près la Cour de cassation qui a requis l’ouverture de l’enquête le visant mais qui a refusé de témoigner dans la procédure alors que son rôle dans toute cette affaire est trouble. Haines recuites, ambitions contrariées et vieilles vengeances : n’en jetez plus…

Quand Chantal Arens répond par un communiqué

Tout ça serait presque passé inaperçu, dans une actualité occupée à compter les victimes de la dramatique guerre en Ukraine et les intentions de vote dans les sondages alors qu’Emmanuel Macron vient de se déclarer candidat, si Chantal Arens n’avait pas apporté sa pierre à cet édifice de déstabilisation de la Justice avec un grand « J ». Dans un communiqué officiel diffusé par ses services, la première présidente de la Cour de cassation « regrette » que le ministre, mis en examen dans ce dossier, ait communiqué à la presse sa déclaration liminaire.

Se faisant, elle a évidemment pris la défense de ses collègues juges d’instruction visés et qu’elle dirige au sein de la plus haute institution judiciaire française. « Ils conduisent leur mission, de manière collégiale, en toute indépendance et dans le respect du droit. » Allant jusqu’à donner une leçon au ministre, elle y indique aussi qu’il devrait se souvenir que sa mission est de « garantir l’indépendance de la Justice ». « Mettant en cause l’honneur de magistrats instructeurs, [les propos] d’Éric Dupond-Moretti contribuent à fragiliser l’autorité judiciaire, pilier de l’État de droit », balance-t-elle.

Ainsi va donc ce dossier qui pourrit la vie du ministre de la Justice depuis qu’il a posé ses valises, place Vendôme, et dont on se demande bien comment il va terminer, lors d’un éventuel procès devant une formation de jugement, la CJR, si souvent critiquée pour sa mansuétude à l’égard des ministres, seuls prévenus qu’elle peut voir comparaître devant elle. Depuis sa création en 1999, la Cour de justice de la République n’a en effet prononcé que dix décisions : quatre relaxes, deux dispenses de peine, quatre peines de prison avec sursis et aucune de prison ferme...

Mais il est encore bien trop tôt pour évoquer cela. Il faudrait d’abord que les juges qui instruisent cette affaire de « prise illégale d’intérêts » clôturent le dossier. Ce n’est pas encore pour tout de suite : selon les informations de Lexbase, ils avaient, en effet, prévu de reconvoquer Éric Dupond-Moretti pour une ultime audition, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle. Voyant comme la dernière s’est déroulée, ils doivent évidemment se demander, désormais, si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

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