Lexbase Social n°523 du 11 avril 2013 : QPC

[Jurisprudence] Les entreprises en difficulté ne sont pas des entreprises comme les autres (à propos de la décision n° 2013-299 QPC du 28 mars 2013)

Réf. : Cons. const., 28 mars 2013, n° 2013-299 QPC (N° Lexbase : A0763KBU)

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N6553BTU

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[Jurisprudence] Les entreprises en difficulté ne sont pas des entreprises comme les autres (à propos de la décision n° 2013-299 QPC du 28 mars 2013). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8060870-jurisprudence-les-entreprises-en-difficulte-ne-sont-pas-des-entreprises-comme-les-autres-a-propos-de
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 11 Avril 2013

Comme on pouvait le penser, le Conseil constitutionnel, dans une décision en date du 28 mars 2013, a validé l'exclusion des entreprises soumises à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires du champ d'application de l'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6214ISX) qui prévoit la nullité des licenciements pour motif économique en l'absence d'un plan de reclassement suffisant (I). La solution était prévisible, ne serait-ce qu'au regard du caractère extrêmement minimaliste du contrôle exercé par le Conseil sur le respect du principe d'égalité devant la loi en matière sociale (II).
Résumé

Le troisième alinéa de l'article L. 1235-10 du Code du travail, limitant les droits des salariés des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaires lorsque la procédure de licenciement est nulle du fait de l'absence de présentation aux représentants du personnel du plan de reclassement des salariés, n'est pas contraire au principe d'égalité devant la loi.

Commentaire

I - La particularité du régime du licenciement pour motif économique dans les entreprises en difficulté en question

Texte concerné. L'article L. 1235-10 du Code du travail prévoit que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements pour motif économique concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant qu'un plan de reclassement des salariés n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel. L'article L. 1235-11 (N° Lexbase : L1357H97) en tire comme conséquences que les licenciements prononcés sur le fondement d'un plan annulé doivent être eux-mêmes annulés, et que les salariés qui ne demanderont pas leur réintégration percevront une indemnité qui ne peut être inférieure au salaire des douze derniers mois, sans condition d'ancienneté.

Le troisième alinéa de l'article L. 1235-10 dispose toutefois que ces dispositions ne s'appliquent pas aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires (1).

Transmission de la question. C'est cette exclusion qui avait été contestée par le biais d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 9 janvier 2013 (2), cette dernière considérant que "la question posée présente un caractère sérieux au regard de la différence de traitement que les textes instituent".

Un recours rejeté. Compte tenu du caractère très succinct du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel en matière de respect du principe d'égalité devant la loi en matière sociale (3), le rejet de la question était plus que prévisible, et la solution n'est pas véritablement une surprise (4).

Reprenant sa formule traditionnelle selon laquelle "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (5), le Conseil constitutionnel a considéré, d'une part, que l'entreprise "en cessation des paiements" se trouve dans une "situation économique particulière" et que, d'autre part, ce critère de différenciation est "objectif et rationnel [et] en lien direct avec l'objet des dispositions contestées".

II - Un rejet prévisible

Un rejet logique. La solution ne souffre aucune contestation.

Il va de soi que l'exclusion des dispositions imposant la nullité, synonyme de réintégration ou d'une indemnisation renforcée, repose sur des considérations économiques indiscutables, car il s'agit d'éviter aux entreprises en situation de cessation de paiement des charges supplémentaires qui seraient liées soit au défaut, soit à l'insuffisance des mesures contenues dans le plan de reclassement.

Un critère objectif. Ce critère est donc effectivement "objectif", puisque la situation de cessation de paiement, qui constitue le préalable à l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, est constatée matériellement par le tribunal de commerce.

Un critère rationnel. Il est également "rationnel" puisqu'il établit les difficultés économiques de l'entreprise qui justifient que les charges qui pèsent sur elle, singulièrement l'indemnité due par l'employeur au salarié qui ne demande pas la réintégration dans son emploi après l'annulation de son licenciement consécutif à celle du plan de reclassement, soient volontairement réduites.

Il est d'ailleurs très symptomatique que le Conseil se soit essentiellement fondé, dans son considérant 4, sur les conséquences de la mise à l'écart de la nullité, prévues par l'article L. 1235-11, alors que la requérante discutait, pour sa part, le principe même de la mise à l'écart de ses règles présent dans l'article L. 1235-10.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le Conseil constitutionnel se fonde sur le poids économique du régime d'indemnisation des salariés licenciés. Il avait ainsi considéré en 2002 que le législateur pouvait valablement renchérir le coût du licenciement pour motif économique en instaurant des montants d'indemnités de licenciement différenciés selon le motif du licenciement (6).

Un critère en relation direct avec l'objet de la loi. Le motif est également en lien direct avec l'objet des dispositions contestées puisque qu'il s'agit de ne pas ajouter de charges supplémentaires à l'entreprise qui se trouve déjà en situation de cessation de paiement en épargnant à l'entreprise les affres de la réintégration des salariés, et des éventuelles indemnités accompagnant cette mesure.

Des droits minimums sauvegardés. Enfin, et comme le relève également le Conseil constitutionnel, les salariés des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaires ne sont pas privés de tous droits, même si les règles mises en place à partir de 1993 dans le prolongement de l'instauration du plan de reclassement, ne leur sont pas applicables.

En premier lieu, leur sort est contrôlé étroitement par le tribunal de commerce dans le cadre de la procédure judiciaire, à commencer par les conditions de l'ouverture de la procédure. C'est ainsi que l'article L. 631-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L4028HBS) subordonne les licenciements pour motif économique à une condition de fond très restrictive ("lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation") et à l'autorisation donnée par le tribunal à l'administrateur. Les droits collectifs des salariés sont également respectés, notamment ceux du comité d'entreprise qui doit être informé et consulté sur les diligences de l'administrateur "pour faciliter l'indemnisation et le reclassement des salariés". Enfin, et le Conseil prend également soin de le rappeler, les règles imposant un plan de sauvegarde de l'emploi et, en cas de licenciements, un plan de reclassement, s'appliquent, ainsi que les sanctions de droit commun (indemnité au moins égale au salaire des six derniers mois en l'absence de motif économique ou de reclassement, indemnité de licenciement), ce qui atténue la différence de traitement avec les salariés des entreprises in bonis.


(1) Pour le rappel de l'histoire mouvementée de cette exclusion, lire le commentaire aux Cahiers de la décision.
(2) Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-40.085, FS-P+B (N° Lexbase : A7899IZL), v. nos obs., Interrogations sur la constitutionnalité du traitement réservé aux salariés licenciés pour motif économique dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, Lexbase Hebdo n° 513 du 24 janvier 2013, édition sociale (N° Lexbase : N5409BTI).
(3) Voir, en ce sens, notre étude, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit du travail : a-t-on ouvert la boîte de Pandore ?, Dr. soc., 2010, p. 873.
(4) En ce sens notre chron. préc..
(5) Décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988 (N° Lexbase : A8176ACS), cons. 10.
(6) Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, loi de modernisation sociale (N° Lexbase : A7587AXB), cons. 41 et 42. On peut toutefois douter de la pertinence économique de l'argument tiré du caractère dissuasif des indemnités, compte tenu de leur caractère extrêmement modique.

Décision

Cons. const., 28 mars 2013, n° 2013-299 QPC (N° Lexbase : A0763KBU)

Texte validé : C. trav., art. L. 1235-10 (N° Lexbase : L6214ISX)

Mots-clés : licenciement pour motif économique, entreprises en difficultés, plan de reclassement, nullité

Liens base : (N° Lexbase : E9340ESQ)

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