Le Quotidien du 11 février 2022 : Responsabilité pénale

[Brèves] Chute d’un navire de pêche : la Chambre criminelle requalifie et retient la faute caractérisée

Réf. : Cass. crim., 8 février 2022, n° 21-83.708, F-B N° Lexbase : A39407MU

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par Adélaïde Léon

le 23 Février 2022

► La Chambre criminelle opère en cassation une requalification de la faute la faisant passer de « délibérée » à « caractérisée » en raison du non-respect d'obligations de formation, d'information ou de prévention à caractère général ; si elle y procède elle-même en l’espèce, la Cour rappelle que les juges du fond peuvent procéder à cette requalification.

Rappel des faits. En action de pêche aux nasses, un matelot travaillant sur un navire est tombé à la mer, entraîné par un orin relié aux engins de pêche. Son corps n’a pas été retrouvé.

L’enquête du bureau d’enquêtes sur les évènements de mer et celle de la gendarmerie ont révélé qu’à l’occasion de l’emploi d’une technique nouvelle de pêche aux nasses, peu usitée dans la région, la victime devait fréquemment traverser la partie du pont encombrée par les filins et les orins et qu’à l’occasion de la mise à l’eau d’une nasse, sa jambe a été prise dans un orin solidaire de cette dernière.

En première instance, l’employeur de la victime a été condamné pour avoir involontairement causé la mort de la victime par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail, en l’espèce en lui fournissant un poste de travail inadapté à la nouvelle technique de pêche, en ne consignant pas dans le document unique d’évaluation des risques ces nouveaux risques inhérents à la nouvelle méthode de pêche, et en ne portant pas à la connaissance de l’équipage ce document unique d’évaluation des risques professionnels et en ne dispensant aucune formation aux nouvelles techniques de travail.

Le prévenu a relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. Sur renvoi après cassation (Cass. crim., 15 octobre 2019, n° 18-85.231, F-D N° Lexbase : A9316ZRH), la cour d’appel a condamné le prévenu, pour homicide involontaire, a deux ans d’emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d’amende et deux ans d’interdiction professionnelle.

La cour d’appel considérait que la victime était décédée dans le cadre de son travail après une chute à la mer trouvant son origine dans le fait qu’elle n’avait d’autre choix, pour exécuter son travail, que de se déplacer sur une partie du pont encombrée, rendant tout mouvement inhérent à sa mission porteur de risque, la précaution d’enjamber des obstacles étant largement insuffisante à assurer la sécurité de son lieu de travail.

Les juges d’appel estimaient que l’inadaptation du plan de travail, l’insuffisance des moyens proposés par l’employeur pour remédier au risque de se faire entraîner et l’absence totale de formation à la sécurité dans le contexte très particulier de mise en place d’une nouvelle technique a engendré des conditions d’exercice de travail dangereuses pour la victime, rendant possible sa chute et sa disparition en mer.

Par ailleurs, la cour notait, d’une part, que l’employeur avait pu percevoir, à l’occasion d’une visite sur le bateau pour observer la mise en place de la pêche aux nasses, les difficultés associées à cette nouvelle technique et n’a pas adapté son bateau à ces contraintes de travail, d’autre part, qu’il avait identifié et qualifié d’élevé, dans le document unique de prévention des risques, le risque de se faire entraîner.

Le prévenu a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Motifs du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir déclaré l’employeur coupable d’homicide involontaire alors que la personne physique qui n’a pas créé le dommage mais a uniquement créé ou contribué à créer la situation ayant permis la réalisation de celui-ci, n’est responsable pénalement que s’il est établi qu’elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Le prévenu considérait qu’en l’espèce, la cour d’appel n’avait pas caractérisé cette violation.

Décision. Reprenant les constatations de la cour d’appel, la Chambre criminelle estime qu’il en résulte que l’employeur a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.

La Cour considère ainsi que la faute caractérisée prévue par le dernier alinéa de l’article 121-3 du Code pénal N° Lexbase : L2053AMY est constituée par les manquements constatés par la cour d’appel dès lors que ceux-ci ont eu pour résultat d’exposer autrui à un risque d’une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer.

Par cet arrêt, la Cour de cassation opère une requalification de la faute. Par sa décision, la cour d’appel avait retenu une faute délibérée sans caractériser la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

La Chambre criminelle requalifie la faute pour retenir une faute caractérisée en raison du non-respect d'obligations de formation, d'information ou de prévention à caractère général.

On devine que le respect du contradictoire est en l’espèce assuré par la référence au « rapport » du conseiller à la Cour, dont les moyens sont communiqués aux avocats aux Conseils. La question de la requalification de la faute devait donc avoir été évoquée dans ce dernier, permettant aux parties d’en avoir connaissance et de produire des observations complémentaires.

Si elle y procède elle-même ici, par le sommaire publié sur son site internet en introduction à cet arrêt, la Chambre criminelle rappelle que les juges du fond peuvent eux-mêmes procéder à cette requalification.

Pour aller plus loin : v. N. Catelan, Étude : L'élément moral de l'infraction, La faute caractérisée, in Droit pénal général, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E2908GAX.

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