Le Quotidien du 27 janvier 2022 : Assurances

[Brèves] Le suicide de l’assuré, et l’exclusion légale ou conventionnelle de garantie opposée par l’assureur RC

Réf. : Cass. civ. 2, 20 janvier 2022, deux arrêts, n° 20-10.529 N° Lexbase : A00267K8, n° 20-13.245, FS-B N° Lexbase : A79527ID

Lecture: 13 min

N0201BZH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Le suicide de l’assuré, et l’exclusion légale ou conventionnelle de garantie opposée par l’assureur RC. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/77689084-breves-le-suicide-de-lassure-et-lexclusion-legale-ou-conventionnelle-de-garantie-opposee-par-lassure
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

le 27 Janvier 2022

► Une clause d'exclusion de garantie ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée ;
aussi, en retenant que la clause d’exclusion de garantie des « dommages intentionnellement causés ou provoqués par toute personne assurée ou avec sa complicité » trouve à s’appliquer aux conséquences dommageables de l’acte commis par l’assuré pour (tenter de) mettre fin à ses jours (provoquer un incendie ou se jeter sous un train), tout en précisant que ces dommages sont alors exclus de la garantie de l'assureur, qu'ils aient été voulus, et donc causés par leur auteur, ou qu'ils soient une conséquence involontaire pour l'auteur, qui les a ainsi provoqués directement, la cour se livre à l’interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, laquelle ne peut dès lors être tenue pour formelle et limitée (conditions de sa légalité) ;

► La faute dolosive (exclusive de la garantie de l’assureur) s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ;
la seule vérification du caractère inéluctable des conséquences dommageables de la décision de l’assuré de mettre fin à ses jours en se jetant sur les voies de chemin de fer ne permet pas de caractériser la condition de « conscience du caractère inéluctable », et donc la faute dolosive exclusive de garantie.

À travers ces deux arrêts rendus le 20 janvier 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation revient une nouvelle fois sur la question sensible de l’exclusion de garantie opposée par l’assureur de responsabilité civile aux tiers victimes des conséquences dommageables causées par l’assuré ayant mis fin (ou tenté de mettre fin) à ses jours ; l’occasion de rappeler des règles déjà connues mais dont l’application aux cas d’espèce permet de cerner particulièrement bien les notions en cause.

Les affaires. Dans la première espèce, tentant de mettre fin à ses jours en s'immolant par le feu, une femme avait incendié des couvertures et répandu de l'essence sur le sol, à l'intérieur de son domicile assuré selon un contrat multirisque habitation. L'assureur avait décliné sa garantie pour les dommages occasionnés à l'habitation, compte tenu de l'origine volontaire de l'incendie. La femme et son époux avaient assigné l'assureur devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir, notamment, le paiement d'une provision en application du contrat d'assurance. L'assureur avait invoqué, d’une part, une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat, relative au caractère intentionnel du dommage ; d’autre part l'exclusion légale de garantie prévue à l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH, au titre également d’une faute intentionnelle, ainsi que le prévoit l’alinéa 2 du texte.

Dans la seconde espèce, l’assuré avait mis fin à ses jours en se positionnant sur une voie de chemin de fer à un passage à niveau. La SNCF, arguant d'un préjudice, avait assigné l'assureur en indemnisation, lequel s’était opposé à la demande en invoquant, d'une part, l'article L. 113-1 du Code des assurances et la commission par l'assurée d'une faute dolosive, d'autre part, l'application d'une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat d'assurance.

Dans chacun des deux arrêts, la Cour de cassation se prononce sur la question de la clause d’exclusion de garantie stipulée au contrat dont les conseillers d’appel avaient admis l’application (1) ; s’agissant en revanche de l’exclusion légale de garantie, seul l’arrêt rendu dans le cadre de la seconde affaire se prononce sur cette question, à propos donc de la faute dolosive (2) ; la question de l’exclusion légale de garantie au titre d’une faute intentionnelle soulevée par l’assureur dans la première espèce (3) n’est en revanche pas abordée par la Haute juridiction (la cour d’appel ne s’étant pas elle-même prononcée sur ce point).

1. Une clause d'exclusion de garantie ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée

Rappel de la règle. Pour rappel, l’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Or, la Cour de cassation a de longue date posé comme principe qu’une telle clause d'exclusion ne peut être tenue pour formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée (Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, publié au bulletin ; et plus récemment : Cass. civ. 3, 27 octobre 2016, n° 15-23.841, FS-P+B  N° Lexbase : A3270SC4 ; Cass. civ. 2, 26 novembre 2020, n° 19-16.435, F-P+B+I N° Lexbase : A173538R).

Ce principe est donc à nouveau rappelé dans les deux arrêts rendus le 20 janvier 2022.

Application de la clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat. Dans chacune de ces deux affaires, les conseillers d’appel de Dijon et de Douai (CA Dijon, 17 septembre 2019, n° 17/01012 N° Lexbase : A6707ZNQ pour la première espèce ; CA Douai, 7 novembre 2019, n° 18/01471 N° Lexbase : A2484ZUK pour la seconde espèce) avaient admis l’application de la clause exclusive de garantie (formulée en des termes quasiment identiques dans chacun des contrats en cause) s’agissant des « dommages intentionnellement causés ou provoqués par toute personne assurée ou avec sa complicité ».

La cour de Dijon avait en effet retenu qu'il s'en induisait que les dommages résultant d'un incendie intentionnellement déclenché par l'assuré, comme c’était en l'espèce le cas, étaient, dans les termes clairs et précis d'une clause formelle et limitée, exclus de la garantie de l'assureur, qu'ils aient été voulus, et donc causés par leur auteur, ou qu'ils soient une conséquence involontaire de l'incendie déclenché par l'auteur, qui les avait ainsi provoqués.

La cour d’appel de Douai avait de même notamment retenu que l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'exclut pas la bonne compréhension d'une volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par leur auteur qui les a ainsi causés intentionnellement ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour leur auteur, qui les a ainsi provoqués directement.

Sans surprise, conformément à la jurisprudence (rappelée ci-dessus), la Cour de cassation censure chacune des décisions des cours d'appel qui, en statuant ainsi (c’est-à-dire en formulant les précisions soulignées), avait procédé à l'interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, ce dont il résultait qu'elle n'était ni formelle ni limitée, a violé le texte susvisé.

2. Suicide et faute dolosive exclusive de garantie

Définition de la faute dolosive. Les décisions rendues par la Cour de cassation dans le cas d’affaires similaires de suicide ont contribué notamment – et assez largement – à préciser la notion de faute dolosive au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, dont il est désormais parfaitement établi, avec le présent arrêt, qu’il s’agit d’« un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ».

On soulignera que cette formulation constitue une légère variante à une précédente formulation retenue par la Cour suprême - « acte délibéré de l'assuré qui ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre » - et qui relevait l’absence de caractérisation par les juges du fond « de conscience » de l’assuré quant aux conséquences de son acte, pour écarter la faute dolosive (cf. Cass. civ. 2, 10 novembre 2021, n° 19-12.659, F-D N° Lexbase : A74137B8 ; n° 19-12.660, F-D N° Lexbase : A74847BS, sur ces arrêts, v. R. Bigot, A. Cayol, Chronique de droit des assurances – Décembre 2021, Lexbase Droit privé, décembre 2021, n° 888 N° Lexbase : N9770BYI ; Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-11.538, F-P+B+I N° Lexbase : A06493MY ; Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-14.306, F-P+B+I N° Lexbase : A83323L8, sur ces arrêts, D. Krajeski, Le suicide peut être une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, Lexbase Droit privé, juin 2020, n° 829 N° Lexbase : N3848BY8).

Le sens est inchangé, mais la formulation retenue est légèrement simplifiée et la Cour de cassation l’érige en véritable définition de la faute dolosive.

L’application de cette définition de la faute dolosive au cas du suicide de l’assuré permet d’en saisir parfaitement le sens et la portée. Dans la seconde affaire, outre l’application de la clause exclusive de garantie, la cour d’appel avait admis la faute dolosive exclusive de garantie pour débouter la SNCF de ses demandes, après avoir énoncé que les dommages dont celle-ci réclamait réparation avaient été provoqués par la décision de l’assuré de mettre fin à ses jours en se jetant sur les voies de chemin de fer et que ce choix délibéré avait eu pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré.

Mais en application de la définition ainsi rappelée de la faute dolosive, l’arrêt se trouve censuré par la Haute juridiction, faute pour les conseillers d’appel d’avoir caractérisé la conscience que l'assuré avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste.

Comme indiqué plus haut, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur la question, dans le domaine de l’assurance de responsabilité, de la faute dolosive de l’assuré qui se suicide (ou tente de se suicider), et de surcroît en se jetant sous un train. Il ressort en tous les cas que les juges « doivent vérifier que le comportement de l’assuré ne caractérise pas une conscience de mettre en œuvre des moyens qui produiront des conséquences dommageables ». Et précisément dans le cas d’un suicide, tout est question d’espèce.

En effet, il est des cas où les circonstances du suicide ont pu amener les juges à caractériser, sous le contrôle de la Cour de cassation, une faute dolosive, « les moyens employés pour mettre fin à ses jours dépassant très largement ce qui était nécessaire » (une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz installées dans le séjour) (Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-11.538, F-P+B+I, v. D. Krajeski, Le suicide peut être une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, préc.).

En revanche, dans le cas de l’assuré qui se jette sous un train, il apparaît difficile de caractériser cette conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste (cf. présent arrêt du 20 janvier 2022, et précédemment, dans le même sens : Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n° 19-14.306, F-P+B+I ; v. D. Krajeski, Le suicide peut être une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, préc.).

Si la faute dolosive de l’assuré qui se suicide peut être caractérisée dans certaines circonstances, sa faute intentionnelle s’agissant des conséquences dommageables, est bien plus difficile à admettre, dès lors que son intention est précisément de mettre fin à ses jours.

3. Suicide et faute intentionnelle exclusive de garantie

Si l’exclusion légale de garantie avait également été invoquée par l’assureur au titre de la faute intentionnelle (exclusion prévue par l’article L. 113-1, alinéa 2, qui dispose que « Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré »), la cour d’appel ne s’était pas prononcée sur ce point (et par conséquent la Cour suprême non plus), les conseillers ayant admis l’exclusion conventionnelle de la garantie.

On rappellera cependant, si l’argument revient à être invoqué devant la cour de renvoi, que la caractérisation de la faute intentionnelle au sens de ce texte s’avère difficile à admettre, puisqu’elle implique « la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu » (cf. notamment, Cass. civ. 2, 8 mars 2018, n° 17-15.143, F-D N° Lexbase : A6724XG7), que la charge de la preuve de cette volonté pèse sur l'assureur (Cass. civ. 2, 29 juin 2017, n° 16-12.154, F-D N° Lexbase : A7035WL7), et que la Cour de cassation exerce un contrôle sévère concernant la caractérisation par les juges du fond de la « volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu ».

De surcroît, à propos de la recherche de la volonté de l’auteur d’un incendie (qui avait agi, non pas dans le but de mettre fin à ses jours comme en l’espèce, mais dans le but de détruire le bien de sa compagne), la Cour de cassation a récemment mis en relief la distinction de la simple « conscience » du caractère inéluctable de la réalisation du risque (cf. la faute dolosive), de la « volonté » de créer le dommage tel qu'il est survenu (cf. faute intentionnelle), pour en conclure que l’exclusion légale de garantie pour faute intentionnelle ne saurait être opposée à l'assuré, auteur d’un incendie, qui a agi dans le but de détruire le bien de sa compagne, mais qui n'a pas eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu (Cass. civ. 2, 16 septembre 2021, n° 19-25.678, F-B N° Lexbase : A564744W).

Et l’on ajoutera que la Cour suprême a déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question précise de la faute intentionnelle commise par l’assuré qui s’est suicidé (ou a tenté de se suicider), et que l’élément intentionnel (volonté de créer le dommage) apparaît alors bien difficile à admettre (Cass. civ. 1, 10 avril 1996, n° 93-14.571 N° Lexbase : A9356AB7, dans le cas d’une collision volontaire ; Cass. civ. 1, 28 avril 1993, n° 90-16.363 N° Lexbase : A5687C4E, dans le cas d’une explosion au gaz), sachant, comme déjà indiqué, que son intention est précisément de mettre fin à ses jours.

 

newsid:480201

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.