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par Virginie Pradel, Fiscaliste
le 08 Décembre 2021
Mots-clés : marchand de biens • intention spéculative • ventes immobilières
Deux décisions récentes de juridictions administratives d’appel apportent des précisions sur l’appréciation de l’intention spéculative des vendeurs pouvant conduire à la requalification d’une opération immobilière en opération de marchand de biens imposable dans la catégorie des BIC.
📌 Rappels liminaires
Selon l’article 35-I-1° du CGI (N° Lexbase : L3342LCR), présentent le caractère de BIC, les bénéfices réalisés par les personnes physiques qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières ou qui, habituellement, souscrivent, en vue de les revendre, des actions ou parts créées ou émises par les mêmes sociétés.
Pour que ces dispositions soient applicables, trois conditions doivent être simultanément remplies :
📌 S’agissant de la notion d’habitude
La notion d’habitude peut tout d’abord résulter de la pluralité des ventes réalisées dans le cadre d'une même opération.
Elle peut également résulter de l'activité passée ou présente du cédant [1].
Dans le cas où le cédant est un professionnel du commerce des biens ou de la promotion immobilière (marchand de biens, promoteur-constructeur, société de construction-vente), il va sans dire que la notion d'habitude est sous-jacente à la profession exercée ou à l'objet social défini dans les statuts.
Dans le cas où un cédant est un particulier, un examen plus approfondi des « antécédents » du redevable peut s'avérer nécessaire. Les opérations qu'il a pu réaliser dans le passé — y compris au cours d'années couvertes par la prescription — doivent être recensées de façon à établir le nombre, l'importance et la fréquence de ces opérations.
Il n'est pas nécessaire que l'activité de marchands de biens soit exercée à titre professionnel ni même à titre principal.
📌 S’agissant de l’intention spéculative
Afin d’apprécier l’intention spéculative entraînant une imposition dans la catégorie des BIC, l’administration fiscale doit nécessairement se placer à date de l’acquisition du terrain même si des éléments postérieurs peuvent être pris en compte pour apprécier l’intention du contribuable au moment de l’acquisition.
Les raisons ayant pu déterminer les aliénations (aliénations volontaires ou forcées, expropriations, difficultés de trésorerie, vente à perte, modification des statuts) n’ont pas d’incidence.
L'intention de revendre s'apprécie d'après les circonstances spéciales à chaque affaire. Les éléments pouvant être pris en compte par l’administration fiscale et les juges sont notamment les suivants :
La jurisprudence du Conseil d'État (CE 3° et 8° ssr, 2 juin 2006, n° 266507, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7250DP9) ayant rappelé à plusieurs reprises que l'intention spéculative s'apprécie au moment de l'achat ou de la souscription et non au moment de la revente, la présomption d'intention spéculative tirée du caractère habituel des opérations réalisées a été supprimée du Bofip en 2017. Il en est également ainsi de la présomption d'intention spéculative qui était établie pour les biens cédés moins de quinze ans après leur construction.
⚖️️ CAA Douai, 18 novembre 2021, n° 19DA01864 (N° Lexbase : A42447EW) : le caractère non constructible d’un terrain lors de son acquisition n’exclut pas l’intention spéculative des vendeurs
En l’espèce, un couple avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration avait constaté qu’ils avaient acquis, le 29 octobre 2005, une parcelle d’une superficie de 26 130 m² et qu’à la suite d’une division parcellaire, ils avaient procédé à la cession de neuf terrains à bâtir (d’une surface totale de 14 791 m²), pour la somme totale de 390 130 euros entre le 31 août 2006 et le 9 mars 2011.
L’administration a estimé qu’ils avaient exercé une activité de marchand de biens. Par suite, elle a remis en cause l’imposition des bénéfices résultant de ces cessions dans la catégorie des plus-values des particuliers et évalué d’office les BIC résultant desdites cessions. Ils ont ainsi été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu.
Le couple a demandé au TA de Lille de leur accorder la décharge de ces dernières. Ce dernier n’a fait que partiellement droit à leur demande. Aussi le couple a-t-il fait appel du jugement.
La CAA de Douai a validé l’imposition du couple dans la catégorie des BIC considérant que la circonstance que le terrain n’était pas constructible au moment de son acquisition n’était pas de nature à démentir l’intention spéculative dès lors que :
⚖️ CAA Marseille, 1er juillet 2021, n° 20MA00416 (N° Lexbase : A22274Y7) : l'intention spéculative du vendeur peut être établie alors que la revente intervient plus de trente ans après l'acquisition
En l’espèce, une SCI avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité, au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 1er juillet 2015, en matière de BIC et de TVA.
À la suite de ce contrôle, l’administration fiscale a estimé que la revente, le 31 mars 2015, de deux terrains à bâtir, acquis le 13 juillet 1978 et le 12 juin 1981, constituait une opération commerciale assujettie à la TVA.
Concomitamment, les revenus déclarés des associés de la SCI ont fait l’objet d’un contrôle à l’issue duquel l’administration fiscale a remis en cause l’absence de déclaration de la quote-part des BIC de la SCI, tels qu’ils ressortaient de la déclaration déposée par cette société au titre de l’exercice clos le 1er juillet 2015, et assujetti en conséquence chacun des associés, à une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu.
Le TA de Nîmes a rejeté la demande de l’un des associés tendant à la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2015. Cet associé a relevé appel du jugement du 20 décembre 2019.
La CAA de Marseille a donné raison à l’associé demandeur, considérant que l’une des deux conditions requises, en l’occurrence la notion d’habitude, faisait défaut.
Concernant l’intention spéculative
La CAA a rappelé que la SCI avait procédé à l’acquisition de deux terrains à bâtir le 13 juillet 1978 et le 12 juin 1981 en prenant l’engagement de les viabiliser et d’y construire des villas dans un délai de quatre ans.
Elle a constaté que les décisions de gestion de la société consistant à inscrire comptablement les terrains en stocks, à porter la TVA déductible sur les actes d’acquisition, à vendre le 3 août 2004 la parcelle cadastrée section CD n° 444 pour un montant de 140 000 euros inscrit dans les produits du compte de résultat au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2004, à louer une autre partie du terrain puis à solliciter un permis d’aménagement obtenu le 26 janvier 2012, confirmaient que la société avait entendu valoriser les terrains avant de les revendre.
Pour la cour l’intention spéculative des associés est établie à la date d’acquisition des immeubles ultérieurement revendus et n’est pas remise en cause par les circonstances que la revente des parcelles est intervenue après plus de trente ans de détention dans le cadre d’une vente à un acheteur unique et que cette vente procéderait d’un désaccord entre associés pour réaliser le programme de constructions de villas initialement envisagées.
[1] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 § 30 (N° Lexbase : X4051ALM).
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