Le Quotidien du 23 novembre 2021 : Secret professionnel

[Questions à...] Secret professionnel : « On sait désormais ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas » - Questions à Antoine Vey, avocat aux barreaux de Paris et de Genève

Lecture: 7 min

N9490BY7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Secret professionnel : « On sait désormais ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas » - Questions à Antoine Vey, avocat aux barreaux de Paris et de Genève. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/74674990-questions-a-secret-professionnel-on-sait-desormais-ce-qui-est-autorise-et-ce-qui-ne-lest-pas-questio
Copier

par Vincent Vantighem, Grand Reporter à BFM TV

le 26 Novembre 2021

Associé pendant longtemps d’Éric Dupond-Moretti, Antoine Vey a été à l’école du terrain. Celui des cours d’assises mais aussi des affaires financières et du droit international. Depuis que son mentor est devenu ministre de la Justice, il poursuit, sans relâche, sa tâche, jonglant avec les dossiers en permanence. Mais avec toujours le même attachement pour la volonté de défendre. Alors que le projet de loi sur la confiance de l’institution judiciaire a cristallisé toute sa profession, sur la question du secret professionnel, il a accepté de répondre à nos questions * ...

V. Vantighem : Les avocats ont vivement protesté contre certaines dispositions relatives au secret professionnel prévues dans le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » adopté jeudi 18 novembre par le Sénat après l’avoir été deux jours plus tôt par l’Assemblée nationale. Ont-ils eu raison de s’alerter sur ce texte ?

A. Vey : Cela fait partie du processus démocratique que, lorsqu’un projet de loi est en discussion, les acteurs se mobilisent pour défendre leurs intérêts. Il est donc normal que les avocats s’expriment pour tenter d’obtenir une protection du secret la plus absolue possible. Pour autant, une loi est souvent le fruit d’un compromis politique. Au cas présent, le Sénat a restreint le domaine de protection du secret professionnel à des hypothèses désormais énumérées dans la loi et qui relèvent du conseil et non de la défense pénale.

Les avocats devront être vigilants quant à l’application de ces exceptions, mais il demeure que le texte apporte une plus grande protection légale du secret que dans le passé.

V. Vantighem : Au final, Éric Dupond-Moretti est passé en force en prévoyant trois exceptions au secret professionnel, en ce qui concerne les faits de corruption, de fraude fiscale et de financement de terrorisme dans les activités de conseil des avocats. Trouvez-vous cela équilibré ?

A. Vey : Aussi déterminé et talentueux soit-il, en France, ce n’est pas le Garde des Sceaux qui vote la loi. Il me parait incorrect de dire qu’il serait « passé en force » puisque précisément l’élaboration de cette loi a donné lieu à de nombreux échanges à la fois avec les représentants des professions concernées, et avec les parlementaires. Les modifications successives du texte en témoignent. Une fois encore, la loi est forcément le fruit d’un compromis, qui est peut-être un exercice difficile pour certains.

Il faut être clair : sans cette position de compromis, le Sénat n’aurait jamais voté ce texte. Les trois exceptions peuvent être considérées comme des brèches. Comme des brèches qui n’auraient peut-être pas dû être creusées. Mais désormais les choses sont claires pour tout le monde. On sait ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas.

V. Vantighem : Sur Twitter, votre confrère Christian Saint-Palais estime à l’inverse que « demain, d’autres exceptions suivront »… Vous ne partagez pas son sentiment ?

A. Vey : Je n’ai malheureusement pas de boules de cristal jurisprudentielles ! Il est positif que les avocats pénalistes restent vigilants, et la loi pénale est d’interprétation stricte. Mais il est vrai que la pratique judiciaire a tendance à accroître le champ des exceptions pour toujours plus de répression. Il sera donc essentiel, à l’avenir, de se mobiliser pour que les exceptions légales demeurent strictement contenues.

V. Vantighem : Dans votre activité, vous arrive-t-il souvent d’être contacté par des clients qui recherchent votre aide pour mener des activités de corruption ou pour échapper au fisc ? Cela vous est-il déjà arrivé ?

A. Vey : Votre question permet de distinguer ce qui relève de l’activité de conseil de ce qui relève de l’activité de défense. Dans le champ du conseil, il n’est évidemment pas rare que des clients consultent un avocat même s’ils se trouvent dans l’illégalité. La difficulté pratique est que la situation ne se pose pas toujours aussi clairement, et qu’il existe, même pour de grands professionnels toujours un risque d’instrumentalisation de l’avocat. Ce texte place donc l’avocat dans une situation délicate ce qui justifie les inquiétudes de certains.

V. Vantighem : Que leur répondez-vous dans ce cas-là ?

A. Vey : Naturellement, l’avocat n’est pas le complice de ses clients, et son rôle est de les aider à se conformer à la loi.

V. Vantighem : La question se pose surtout en matière de fraude fiscale…

A. Vey : Des trois exceptions prévues par la loi, c’est sans doute la fraude fiscale qui occupe un champ matériel plus large que les deux autres. La difficulté sera évidemment de ne pas confondre le conseil en matière fiscale, qui peut conduire à des optimisations, et la fraude fiscale, qui reste une infraction intentionnelle.

Le danger de saisies des consultations d’avocats est que l’interprétation des conseils, relèvera in fine du juge ce qui peut présenter un caractère contestable voire arbitraire. C’est pour cela que désormais, les avocats devront raisonner avec cette hypothèse en tête : leurs consultations pourront être saisies et exploitées contre leur client…

V. Vantighem : Au sujet des perquisitions, le texte maintient la présence du bâtonnier mais ne prévoit pas celle d’un avocat. Qu’en pensez-vous ?

A. Vey : Là encore, il s’agit d’un compromis. Depuis plusieurs années, nombreuses voix ont milité pour la présence des avocats lors des perquisitions, comme lors des gardes à vue. Cette présence me parait légitime. Mais le consensus politique ne s’est pas formé et le régime maintient la présence du bâtonnier ce qui est une garantie minimale mais nécessaire.

V. Vantighem : On le sait, le secret professionnel des avocats est au cœur des réflexions depuis quelque temps. Depuis finalement que deux magistrats du Parquet national financier ont épluché les fadettes de plusieurs avocats dans le but de découvrir qui était « la taupe » ayant informé Nicolas Sarkozy qu’il était sur écoutes dans le dossier dit « Paul Bismuth ». De quel œil avez-vous vu tout ça ?

A. Vey : Les interceptions téléphoniques, s’agissant d’écoutes ou de fadettes, sont par nature critiquables. Cela relève à mon sens encore davantage de l’éthique que de la loi.

Au regard de la nature de l’atteinte à la fois au secret professionnel, mais aussi à la vie privée des avocats, ces mesures devraient rester absolument exceptionnelles. Ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La loi et la jurisprudence doivent donc fermement encadrer le risque de toute dérive. À mon sens, le nouveau texte de loi parait plus protecteur sur cet aspect.

V. Vantighem : En matière de corruption et de fraude fiscale, vous avez défendu Patrick Balkany. En matière de terrorisme, Abdelkader Mérah pour ne citer que ces exemples-là. Quand on accepte de défendre ce type de clients, est-ce qu’on se dit qu’on peut, potentiellement, avoir des problèmes ?

A. Vey : Ce n’est pas parce que certains clients sont médiatisés que la nature de leur dossier les distingue des autres justiciables. La défense pénale est un exercice difficile, dans lequel il faut tâcher d’être rigoureux et je trouve pour ma part plus confortable de l’exercer en équipe. Les évolutions technologiques, comme les écoutes sauvages, sont un danger que nous devrons apprendre à contrôler.

V. Vantighem : Vous pensez que les cabinets d’avocats, notamment les cabinets d’affaires, vont devoir renforcer leurs systèmes de contrôles ?

A. Vey : Non, car dans le monde dans lequel nous vivons, les protections sont inutiles puisqu’elles peuvent toujours être contournées. Comme toute profession, celle d’avocat doit s’adapter aux mutations du temps présent et il est vrai que le secret, principe essentiel de la défense, n’est pas dans l’air du temps…

V. Vantighem : Éric Dupond-Moretti est votre ancien associé. Lui arrive-t-il de vous consulter sur les grands sujets tels que celui-là ?

A. Vey : Pas du tout. À son départ pour la Chancellerie, les choses ont été très claires. Il n’a plus de part ni de rôle dans notre cabinet, et inversement je n’ai aucune interaction avec son action politique. Cependant, je ne doute pas de sa volonté d’essayer de réformer les choses en profondeur, et je mesure en le voyant agir à quel point il est difficile de conduire une action politique.

Par amitié pour lui, il m’arrive d’être choqué par la violence des critiques dont il fait l’objet surtout lorsqu’elles se situent sur le terrain personnel. La réforme de la Justice mérite mieux que des débats de personnes.

* Propos recueillis par Vincent Vantighem, Grand Reporter à BFM TV.

Crédit photo : Cabinet Vey & Associés

newsid:479490

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.