Lexbase Fiscal n°882 du 28 octobre 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Le régime de la TVA sur la marge en matière immobilière : conditions d’application et détermination du prix de revient pour le calcul de la marge taxable

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 13 octobre 2021, n° 433745, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A172549R)

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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats

le 27 Octobre 2021


Mots-clés : TVA • TVA sur marge • marge taxable 

L’application du régime de la TVA sur la marge en matière immobilière a donné lieu à nombreuses difficultés de mise en œuvre qu’il s’agisse de ses conditions d’application ou en encore des modalités de détermination du montant de la marge, qui constitue l’assiette taxable à la TVA.

Le Conseil d’État dans un arrêt du 13 octobre 2021 s’est prononcé sur les modalités d’application de ce régime qu’il s’agisse de ses conditions d’application et de la détermination du montant de la marge taxable.


 

En l’espèce, il s’agissait d’une société exerçant une activité de marchand de biens qui avait appliqué le régime de la TVA sur la marge dans le cadre de la cession de terrains à bâtir en 2012 et 2013 dans les communes de Gières et de Varces. Cette unité foncière composée des terrains cédés lotis ultérieurement n’était pas qualifiée de terrains à bâtir lors de son acquisition puisqu’une construction était édifiée sur une partie de cette unité. L’administration fiscale a donc considérée que la condition d’identité juridique, c’est-à-dire le fait que le bien acquis a la même qualification juridique que le terrain vendu, n’était pas remplie.

Cette société a également appliqué le régime de la TVA sur la marge à la cession de lots situés à Monestier-de-Clermont et a intégré lors de la revente des lots, dans le prix d’achat de l’immeuble (constituant le prix de revient de l’immeuble), une quote-part du prix d’acquisition de trois parcelles remises à l’euro symbolique à la commune pour un agrandissement de la voirie publique. Ainsi, la quote-part de ces trois lots est venue réduire le montant de la marge taxable.

1. L’existence d’un immeuble bâti lors de l’acquisition d’une unité foncière fait obstacle à l’application de la TVA sur la marge aux cessions de lots provenant de la division parcellaire du terrain

Concernant l’application de la TVA sur la marge à la cession des lots situés dans les communes de Gières et de Varces, le Conseil d’Etat rappelle le principe établit depuis l’arrêt « Promialp » du 27 mars 2020 [1] selon lequel le régime de la marge s’applique « aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’applique […] pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment ».

Autrement dit la présence d’un immeuble bâti lors de l’acquisition d’une unité foncière contamine l’ensemble des parcelles cédées ultérieurement même si elles ont subi une division parcellaire et n’étaient pas le support d’un immeuble bâti lors de leur acquisition.

La décision du Conseil d’État, ne semble pas étonnante, sur le principe, dès lors qu’au moment de son acquisition par le marchand de bien, l’immeuble acquis était qualifié d’immeuble bâti, et cela, même si une proportion minime de sa surface supportait une construction. La cession des lots ultérieure, après division parcellaire et destruction de la construction, étant qualifiée de cessions de terrains à bâtir, il ne pouvait qu’être constaté que la qualification juridique des immeubles cédés n’était pas identique.

Cette décision nous semble pleinement conforme à la jurisprudence récente de la CJUE « Icade » du 30 septembre 2021 [2] qui a confirmé l’existence d’une condition d’identité juridique pour l’application du régime de la TVA sur la marge.

Cependant, d’un point de vue économique, on ne peut que déplorer que l’immeuble bâti vienne contaminer l’ensemble de l’unité foncière acquise, de telle sorte qu’il semble, à ce stade, incontournable pour être en mesure d’appliquer le régime de la TVA sur la marge à une situation telle que celle de l’espèce, d’envisager une division parcellaire avant l’acquisition initiale des terrains par le marchand de biens.

A défaut, la TVA devra être calculée sur le prix total ce qui impactera à la hausse le prix de vente du terrain à bâtir et/ou viendra réduire le gain attendu par le marchand de biens de l’opération de lotissement.

A noter toutefois que dès lors que la TVA est due sur le prix total, le régime des droits d’enregistrement sera limité à la taxe de publicité foncière et non aux droits de mutation à titre onéreux, au taux de droit commun, lorsque l’opération est soumise à la TVA sur la marge.

2. L’admission de la prise en compte du prix d’achat des terrains remis à titre gratuit ou pour un prix symbolique à une commune dans le prix de revient

La question posée au Conseil d’Etat relative aux modalités de détermination du prix de revient pour le calcul de la TVA sur la marge est inédite mais elle était attendue.

Sur le plan des principes, il résulte de l’article 268 du CGI que « la base d'imposition [de la TVA sur la marge] est constituée par la différence entre :

1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ;

D'autre part, selon le cas :

a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ;

b) soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ».

L’administration fiscale, dans sa doctrine publiée au BOI-TVA-IMM-10-20-10 (N° Lexbase : X5340ALD), précise concernant la détermination du prix d’achat (ou prix de revient) que « le prix d'achat qui constitue le second terme du calcul comporte toutes les dépenses qui ont été supportées par l'acquéreur à ce titre (notamment les droits de mutation). Par construction, il s'agit de dépenses sur lesquelles aucun droit à déduction n'a pu être exercé, quand bien même elles seraient grevées de taxe rémanente ».

La question posée au Conseil d’État avait donc pour objectif de déterminer si, en l’espèce, l’acquisition des terrains remis à l’euro symbolique à la commune, pouvait être prise en compte pour la détermination du prix d’achat des lots revendus en tant que terrain à bâtir.  

À notre sens, la question ne faisait que peu de doute au vu de la jurisprudence « Terrabâtir » dont les principes pouvaient selon nous trouver à s’appliquer par analogie à la présente affaire [3]. Le Conseil d’Etat a en effet jugé que les équipements et la voirie notamment, remis gratuitement à la commune constituent pour la société un élément du prix des terrains de la zone dont la vente est une opération imposable à la TVA, au cas particulier, les lots vendus à des particuliers et qu’en conséquence la TVA grevant ces éléments « remis gratuitement » ouvraient droit à déduction pour la société.  

Dans ses conclusions rendues sous cet arrêt, le Rapporteur public (M. Fouquet) précisait que ces travaux sont en effet nécessaires à la vente des terrains et que leur coût est donc un élément inévitable du prix de revient des terrains aménagés.

Plus récemment, deux décisions de cours administratives d’appel ont appliqué cette logique pour les modalités de détermination de la marge taxable en indiquant que pouvait être pris en compte dans le prix de revient des lots cédés, les surfaces affectées à la voirie et aux équipements remis par l’aménageur à une commune pour un euro symbolique.

Dans son arrêt du 25 juin 2019, la cour administrative d’appel de Lyon [4] (arrêt sur lequel le Ministre a formé le présent pourvoi en Cassation et qui a donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État sur lequel porte notre analyse), a considéré que la prise en compte, dans le calcul du prix de revient des lots litigieux, du coût d'acquisition de parcelles, acquises pour la réalisation du lotissement en cause et cédées à une commune pour le prix d'un euro symbolique en vue de réaliser un élargissement de la voirie communale, ne conduit nullement à imputer la marge négative dégagée par la vente de ces parcelles sur la marge dégagée par la société requérante lors de la vente desdits lots, mais seulement à prendre en compte le prix d'acquisition de ces parcelles au titre du prix d'achat global de l'immeuble (lequel se retrouvera ainsi dans la fraction du prix d'achat global de l'immeuble devant être imputée sur le prix de cession des terrains lotis).

Plus récemment, la cour administrative de Bordeaux [5] a également précisé que, « en cas de revente par lots d'un immeuble acheté en une seule fois pour un prix global, chaque vente de lot constitue une opération distincte, en raison de laquelle le vendeur doit acquitter une taxe calculée sur la base de la différence entre, d'une part, le prix de vente de ce lot et, d'autre part, son prix de revient estimé en imputant à ce lot une fraction du prix d'achat global de l'immeuble. Il appartient au contribuable de procéder à cette imputation par la méthode de son choix, sous réserve du droit de vérification de l'administration et sous le contrôle du juge de l'impôt. Toutefois, dans le cas où la vente d'un lot s'effectue à un prix inférieur au prix de revient, le contribuable n'est pas en droit de déduire la moins-value résultant de cette vente de la base d'imposition dégagée par d'autres ventes ».

Le Conseil d’État dans son arrêt « Société le Rochefort », confirme les principes dégagés par les cours administratives d’appel précitées en rappelant que lors de la revente de lots issus d’un terrain acquis en une seule fois pour un prix unique, il convient de déterminer le prix de revient de chaque lot en lui imputant une fraction de prix global de l’immeuble ou du terrain.

Le Conseil d’État précise que cette imputation permettant la détermination du prix de revient des lots peut être effectuée par une méthode au choix du contribuable, sous réserve, du contrôle de l’administration fiscale.

A notre sens, la méthode traduisant au mieux la réalité économique et soulevant le moins de difficulté devrait être celle consistant à imputer le prix global proportionnellement à la surface de chaque lot.

Dans le cadre de son arrêt, le Conseil d’État rappelle également le principe indiqué dans la doctrine de l’administration fiscale au BOI-TVA-IMM-10-20-10 selon lequel lorsque la revente d’un des lots entraine une moins-value pour le marchand de bien, ce dernier n’est pas en droit d’imputer cette moins-value sur les plus-values constatées par la vente des autres lots.

Puis, il confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel en précisant que lorsque certains lots sont cédés pour un prix symbolique à une commune afin de réaliser des aménagements de voirie, le prix d’acquisition desdits lots peut être pris en compte dans le prix de revient des autres lots cédés en tant que terrain à bâtir. Autrement dit, le prix d’achat de ces lots vendus à l’euro symbolique sera pris en compte dans le prix de revient des terrains à bâtir cédés, venant ainsi, réduire le montant de la marge taxable.

Cette prise en compte qui devrait, selon nous, être réalisée en imputant proportionnellement à chaque lot revendu en tant que terrain à bâtir, une part des lots cédés à l’euro symbolique, devrait permettre de prendre pleinement en compte la réalité économique de l’opération de lotissement.

La solution retenue par le Conseil d’État pour la remise gratuite de lots à une commune doit selon nous trouver pleinement à s’appliquer aux remises gratuites consenties par exemple à des personnes autres que des collectivités publiques comme un syndicat de copropriétaires.

En conclusion, la décision du Conseil d’État, si elle vient confirmer les analyses aujourd’hui retenues sur la condition d’identité juridique, vient sur le second aspect du contentieux, clarifier et sécuriser les modalités de détermination de la marge retenues par les professionnels lors de la remise de lots à titre gratuit ou à l’euro symbolique et qui donnait lieu à de nombreux contentieux.

 

[1] CE 3° et 8° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A42573KU). Lire en ce sens, D. Falco, TVA sur la marge en matière immobilière : la condition d’identité validée par le Conseil d’État, Lexbase Fiscal, mai 2021, n° 865 (N° Lexbase : N3279BY4).

[2] CJUE, 30 septembre 2021, aff. C-299/20, Icade Promotion SAS (N° Lexbase : A776147L). Lire en ce sens, P. Pradeau, O. Galerneau et M. Mathout, L’application du régime de la TVA sur la marge en matière de TVA immobilière – un régime enfin examiné par le juge de la CJUE, Lexbase Fiscal, octobre 2021, n° 880 (N° Lexbase : N8987BYI).

[3] CE 7° et 8° ssr., 7 mai 1986, n° 49991 (N° Lexbase : A3876AMI).

[4] CAA Lyon, 2e, 25 juin 2019, n° 18LY00671 (N° Lexbase : A9341ZG3). Lire en ce sens, F. Laffaille, Régime de TVA sur la marge : la CAA de Lyon conforte sa position, Lexbase Fiscal, septembre 2019, n° 796 (N° Lexbase : N0456BYK).

[5] CAA Bordeaux, 9 juillet 2020, n° 18BX02878 (N° Lexbase : A23843RQ).

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