Le Quotidien du 20 octobre 2021 : Avocats

[Questions à...] Questions à Romain Dupeyré Associé/Partner, Avocat aux barreaux de Paris et New York et Louise Tiry-Hesse, Avocate au barreau de Paris

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[Questions à...] Questions à Romain Dupeyré Associé/Partner, Avocat aux barreaux de Paris et New York et Louise Tiry-Hesse, Avocate au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/73478255-questions-a-questions-a-romain-dupeyre-associepartner-avocat-aux-barreaux-de-paris-et-new-york-et-lo
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le 19 Octobre 2021

Lexbase : Quelles mutations identifiez-vous pour votre profession, et comment comptez-vous accompagner vos confrères ?

R. Dupeyré : Les mutations de la profession sont innombrables et rapides : les nouvelles technologies font irruption, le champ d'intervention des cabinets s'étend (conformité, affaires publiques, mandataires immobiliers, sportifs…), de nouveaux concurrents apparaissent sur le marché du droit... Ces transformations créent autant d'opportunités que d'inquiétudes pour les membres du Barreau. L'Ordre est justement l'outil qui, grâce à ses nombreux services, de l'Incubateur au Barreau Entrepreneurial, en passant, entre autres par ses commissions de règlement amiable des conflits et de prévention et traitement des difficultés, doit catalyser les initiatives des uns tout en accompagnant l'évolution des autres. 

Julie Couturier et Vincent Nioré, la Bâtonnière et le Vice-Bâtonnier élus, ont notamment pour souhait de créer une commission de la prospective au sein du Barreau ainsi qu'un fonds d'investissement. Ce sont d'excellentes idées au soutien desquelles nous aimerions nous investir. J'ai commencé ma carrière en tant que collaborateur puis associé d'une SCP de niche avant de rejoindre un cabinet anglais coté sur la Bourse de Londres et qui met l'accent sur l'innovation en proposant notamment beaucoup de services parajuridiques. Je suis par ailleurs actionnaire de deux legaltechs (notamment la société Case Law Analytics). Ces différentes expériences très différentes me permettront de contribuer à ses initiatives.

L. Tiry-Hesse : J’ajouterais que les modalités et conditions d’exercice de la profession évoluent, et nous avons su nous adapter très rapidement aux mesures mises en place pendant le premier confinement. Je pense que les confrères souhaitent plus de mobilité dans leur exercice, mais se rendent également compte de l’importance des échanges en présentiel et des synergies dans un métier qui peut être très solitaire. L’ordre doit permettre à chacun d’évoluer, et à tous de se rassembler.

Lexbase : Comment coordonner défense des périmètres du droit et ouverture du marché du droit ?

R. Dupeyré : Je n'ai jamais aimé l'expression « braconniers du droit » pour désigner certaines sociétés s'aventurant sur le marché du droit, car elle renvoie à l'idée que le droit serait un gibier réservé aux seuls avocats. Le droit n'est pas un gibier. C'est la chose de nos concitoyens et, plus généralement, de tous les justiciables. C'est toutefois une matière fragile et de plus en plus complexe. Il faut s'assurer que l'accès au droit est tout à la fois aisé, voire de plus en plus aisé, mais de qualité. La multiplication de textes de « softlaw » et de « compliance » est également venue brouiller les frontières des prestations réservées aux avocats. Le périmètre du conseil juridique personnalisé doit toutefois être défendu, car c'est sur la base de ces conseils que les justiciables prennent des décisions fondamentales pour leur existence. La défense devant les tribunaux doit, elle aussi, rester tant dans l'intérêt des justiciables, que des avocats et des magistrats, le fait des avocats. L'extension récente du champ de la représentation obligatoire me semble ainsi être une bonne chose.

À l'heure (enfin!) de l'open data des décisions de justice, il faut favoriser le développement d'outils nouveaux pour naviguer dans cet environnement de plus en plus compliqué afin de pouvoir donner rapidement des conseils de qualité. C'est pourquoi il nous semble que l'essor de legaltechs et une bonne chose et que les avocats doivent prendre toute leur place dans cette évolution. Le fonds d'investissement du Barreau (qui pourrait peut-être aussi être abondé par d'autres institutions comme la BPI) est une excellente chose.

L. Tiry-Hesse : Je pense que l’ouverture du marché du droit le rend également plus visible pour les justiciables, et qu’il nous donne l’occasion de leur montrer que l’avocat doit être un réflexe. L’ouverture du marché du droit contraint également la profession à se réinventer, que ce soit concernant les nouveaux outils, qu’il faut s’approprier ou développer, les honoraires, que les clients veulent plus transparents et prévisibles, et le positionnement. Sur ces points, nous devons faire preuve d’intelligence et de créativité collectives.

Dans l’intérêt de tous, il est également nécessaire de défendre les périmètres de notre profession qui ne peuvent être automatisés et pour lesquels nos conseils, analyses, et expériences constituent une valeur ajoutée qui ne peut être remplacée. Cette défense passe aussi par celle du secret professionnel.

Lexbase : Quels outils pour la formation des élèves et des avocats ?

L. Tiry-Hesse : À l’EFB, j’ai particulièrement apprécié les enseignements pratiques et non théoriques. Je pense qu’il faut favoriser la participation orale et les ateliers en petits groupes, qui permettent de tisser des liens entre les futurs confrères.

Ensuite, pour les jeunes avocats, je pense que la mise en place d’un « mentoring » permettrait de renforcer la formation déontologique et de se sentir accompagné, surtout après la période que nous avons vécue. C’est un projet également porté par Julie Couturier et Vincent Nioré, et l’association AVO’MENTOR. J’éprouverais beaucoup de plaisir à travailler sur cette question ! Le LAB de l'EFB qui sensibilise maintenant tous les élèves aux enjeux de la transformation de la profession au travers d'exercice pratique en petit groupe pendant deux mois avec le coaching d'expert est également un excellent outil.

R. Dupeyré : Dans ce domaine, il me semble important de ne pas réinventer constamment la roue ! Je ne suis pour ma part jamais allé à l'EFB puisque j’ai bénéficié d’une passerelle après avoir passé le barreau de New York. J'ai survécu !

Le rapport « Clavel/Haeri », remis en octobre 2020, préconise de simplifier, raccourcir et professionnaliser la formation des avocats. Des choses ont été faites, comme le recours à un sujet national. Le rapport préconise toutefois de parachever l'ouvrage en organisant notamment une notation nationale et en raccourcissant la formation « théorique ». Ce sont d'excellentes idées. Il faut maintenant les mettre en œuvre !

Lexbase : Quelle « défense numérique » en face de la « justice numérique » ?

R. Dupeyré : La justice numérique nourrit certaines polémiques. Elle peut toutefois offrir des pistes d'amélioration de l'efficacité de la justice. Le dossier pénal numérique par exemple. Il nous semble que la « défense pénale numérique » gagne à pouvoir utiliser cet outil pour un accès facilité au dossier pénal.

De la même manière, dans certaines affaires civiles et commerciales, l'usage de la visioconférence, avec l'accord de l'ensemble des avocats, peut constituer une alternative intéressante afin de limiter des coûts et déplacements et concentrer le temps des magistrats et des avocats sur le traitement des dossiers. Un des collaborateurs du cabinet est ainsi allé plaider hier une demande de mise hors de cause dans une expertise… à Brest … contre une consœur parisienne. L'un et l'autre ont fait 8 heures de train pour plaider 10 minutes. C'est le type d'affaires dans lesquelles il faudrait privilégier les audiences en ligne.

Tout est bien sûr affaire de mesure et l'Ordre a un rôle majeur à jouer afin de se concerter avec les autres acteurs du procès (magistrats, greffiers…) pour s'assurer que les outils numériques sont des atouts et non des freins à l'accès au droit.

L. Tiry-Hesse : La transformation numérique de la Justice est une vraie avancée lorsqu'elle permet de la rendre plus accessible et plus fluide.

Par ailleurs, la période sanitaire que nous avons vécue a contraint la plupart des cabinets à une certaine dématérialisation de leur activité (pour ceux qui ne l’avaient pas déjà entamée). Je trouve cette évolution positive et intéressante, rien que sur un aspect écologique, si cela est maîtrisé.

En revanche, il est indispensable que le développement du numérique ne se fasse pas au détriment des droits de la défense, du principe du contradictoire ou du secret professionnel. Il est essentiel que les parties ne puissent pas se voir imposer de visioconférence.

Lexbase : Que pensez-vous du discours sur la défiance des citoyens envers la Justice ? Pensez-vous que cette défiance s’applique aux avocats ?

L. Tiry-Hesse : Le manque de confiance en la Justice est un vrai problème. Il est multifactoriel et provient notamment de la question de l’indépendance des magistrats ainsi que du manque de moyens qui engendre des délais extrêmement longs. Il fait partie de notre rôle, et de notre intérêt, de contribuer à rétablir cette confiance lorsque nous le pouvons.

Je pense que, parfois, cette défiance s’applique à l’avocat, mais surtout concernant les honoraires. Par exemple, en consultations gratuites, certains justiciables n’ont pas le réflexe d’aller consulter parce qu’ils ne savent tout simplement pas combien cela va leur coûter. Il est donc primordial de mieux communiquer (institutionnellement et individuellement) sur la convention d’honoraires obligatoire qui rendra le coût prévisible pour le client. C’est aussi toujours un défi de conserver la confiance du client lorsque, même dans le cadre d'une procédure à bref délai, aucune décision n'a été rendue six mois après l'assignation… la clef est donc la communication. 

Lexbase : Quelles relations magistrats/avocats ?

R. Dupeyré : De meilleures, c'est certain ! Un certain nombre de facteurs tenant tant aux circonstances (crises sanitaires…) qu'à des incidents isolés (quoique graves) ont contribué à tendre les relations. Julie Couturier propose que des Assises Avocats/Magistrats se tiennent chaque année. Elle a raison. Cela permettrait de prévenir certaines difficultés. Je pense qu'il faut aussi être à l'écoute des demandes des magistrats. La récente proposition de la Direction des affaires civiles et du Sceaux d'imposer une synthèse des écritures en 1 000 mots, sous peine de nullité, était une mauvaise idée. Mais, il faut écouter le message sous-jacent et créer un groupe de travail avocats-magistrats afin de réfléchir ensemble à la structuration des écritures, le but étant de préserver la liberté des avocats tout en s'assurant que leurs écritures sont aussi utiles que possible pour les magistrats au moment de rédiger leurs décisions. La Cour de cassation elle-même a fait évoluer sa façon de rédiger ses arrêts. Ils sont désormais plus lisibles. Je pense qu'il ne faut pas se mettre de barrières a priori dans ce domaine.

L. Tiry-Hesse : Ayant une activité presque exclusivement contentieuse, je tiens particulièrement à notre droit de plaider, et à notre liberté dans la rédaction des conclusions. Nous avons suffisamment de règles de procédures pour nous faire sursauter à chaque réception de conclusions de nullité ou d’irrecevabilité. Mais nous avons également tous conscience du manque de moyens dans la Justice et du manque de magistrats. Nous mettons des mois à obtenir des décisions, les brefs délais sont renvoyés des semaines plus tard. Le dialogue est dans l’intérêt de tous. Je pense qu’il ne s’agit pas de mettre de nouvelles règles contraignantes, mais de savoir comment nous pourrions nous entendre pour une meilleure efficacité. 

Lexbase : Remettre le droit au centre de la société : un enjeu ?

R. Dupeyré : Oui, il faut remettre le droit au centre de la société et combattre sans jamais faiblir les tribunaux médiatiques et des réseaux sociaux. Le Barreau compte une commission « Réseaux sociaux » qu'il faut sans doute étoffer afin de contribuer à lutter au mieux contre cette problématique. À la suite de la censure d'une partie de la loi sur les réseaux (ndlr : loi « Avia » N° Lexbase : L4895LXL) par le Conseil constitutionnel, il faudra aussi remettre le travail sur l'ouvrage législatif afin de lutter contre ce phénomène de plus en plus inquiétant. À quoi bon défendre un client après une longue et minutieuse instruction s'il a déjà été condamné par le tribunal médiatique, qui ne connaît ni recours ni oubli.

L. Tiry-Hesse : Je pense que le développement de ce tribunal médiatique est une question sociale. Il participe justement à la défiance de certains citoyens envers la Justice qui préfèrent se tourner vers les réseaux sociaux pour obtenir des réactions immédiates, fortes, et publiques. Il y a un gros travail de pédagogie et de communication pour expliquer aux justiciables les travers et risques de ces pratiques.

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