Le Quotidien du 18 octobre 2021 : Environnement

[Questions à...] Quel encadrement juridique de l’utilisation des pesticides ? Questions à Benoit Grimonprez, Professeur à l’Université de Poitiers

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[Questions à...] Quel encadrement juridique de l’utilisation des pesticides ? Questions à Benoit Grimonprez, Professeur à l’Université de Poitiers. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/73344014-questions-a-quel-encadrement-juridique-de-lutilisation-des-pesticides-questions-a-benoit-grimonprez-
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le 15 Octobre 2021

 


Mots clés : pesticides • environnement

L’utilisation des pesticides par le secteur agricole fait l’objet de nombreuses controverses depuis plusieurs années : entre Gouvernements et écologistes, élus locaux, ou simples citoyens inquiets des retombées nocives à long terme de cette pratique sur leur santé personnelle. Elle est pourtant encadrée depuis de nombreuses années au niveau européen, mais aussi par la législation française qui se renforce depuis des années pour tenter de limiter cet usage sans pour autant braquer les professionnels, lesquels arguent de l’absolue nécessité d’utiliser ces produits controversés pour aboutir à des volumes de récoltes convenables, récoltes de plus en plus menacées par le changement climatique. Pour faire le point sur cette thématique, Lexbase Public a rencontré Benoit Grimonprez, Professeur à l’Université de Poitiers*.


 

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les principales dispositions encadrant l'épandage des pesticides ?

Benoit Grimonprez : Il faut déjà comprendre que les pesticides, en droit, sont toutes les substances et produits permettant de protéger les végétaux cultivés, contre les maladies, les ravageurs et la concurrence des plantes indésirables (Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, art. 2 N° Lexbase : L9336IEI). C’est une définition très large qui englobe donc des produits très différents, allant de ceux issus de la chimie de synthèse aux « biopesticides », caractérisés par leur origine naturelle. L’agriculture biologique a, elle aussi, recours aux pesticides dont certains, comme le cuivre, ne sont pas inoffensifs pour l’environnement.

Les règles qui encadrent l’usage des produits phytosanitaires sont dictées au niveau européen par la Directive n° 2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable (N° Lexbase : L9334IEG). En découle, pour les États membres, l’obligation de réglementer les conditions d’emploi des produits, notamment pour protéger les milieux sensibles (aquatiques) et les personnes vulnérables. De nombreuses strates normatives, en France, jouent ce rôle. Dabord les autorisations de mise sur le marché des produits contiennent, en fonction de leur dangerosité, des prescriptions dusage (distances, délai de rentrée dans les parcelles traitées…). Ensuite, la loi confie le soin à l'autorité administrative, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, de prendre toute mesure d'interdiction ou de restriction concernant l'utilisation et la détention des produits (C. rur., art. L. 253-7 N° Lexbase : L3905LTS). Ces règles générales figurent désormais dans un arrêté ministériel du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : Z02938RY), modifié par l’arrêté du 27 décembre 2019, relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques N° Lexbase : Z00256RY).

Enfin se sont empilées, au fil du temps, des dispositions spéciales dans des zones particulières : interdiction des usages dans les espaces publics (C. rur., art. L. 253-7, II) ; mesures de sauvegarde des populations fragiles (enfants, personnes malades ou âgées) (C. rur., art. L. 253-7-1 N° Lexbase : L7352I8S), mais aussi des riverains des zones d’épandage. C’est la loi « Egalim » du 30 octobre 2018 (loi n° 2018-938 N° Lexbase : L6488LMA) qui a imposé que lutilisation des pesticides près des habitations soit subordonnée à la mise en place de mesures de protection devant prendre la forme de chartes dengagement départementales (C. rur., art. L. 253-8 N° Lexbase : L1256LZK). En théorie, lesdites chartes sont donc censées réguler les rapports de voisinage entre agriculteurs et riverains. Le problème est que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont récemment invalidé ces documents, obligeant leurs auteurs à les reprendre entièrement [1].

Lexbase : De nombreux maires, alléguant du caractère trop laxiste de ces dispositions, sont entrés en conflit avec le Gouvernement. Quelle est votre position à ce sujet ?

Benoit Grimonprez : Un mouvement de « municipalisation » des questions agricoles émerge ces dernières années, et ce autant pour des raisons sanitaires, environnementales que par la volonté de relocaliser les systèmes alimentaires. Dans cet esprit, près dune centaine de maires de communes plus ou moins grandes (mais peu rurales), et même deux départements (Seine Saint-Denis et Val-de-Marne), avaient décidé dinterdire sur leur territoire ou de réglementer les usages de pesticides aux abords des habitations ; les zones non traitées pouvaient atteindre 150 mètres. Les préfets ont cependant systématiquement attaqué ces arrêtés reprochant l’incompétence des élus en la matière. Les textes, il faut dire, placent la police des produits phytosanitaires entre les mains exclusives du ministre chargé de l'Agriculture (C. rur., art. L. 253-7 et R. 253-45 N° Lexbase : L9899IBA).

Lexbase : De quelle manière le juge administratif se positionne-t-il en la matière ?

Benoit Grimonprez : Sans grande surprise, les tribunaux administratifs, puis le Conseil d’État, ont censuré cette réglementation locale au motif qu’elle empiète sur une prérogative des seules autorités de l’État [2].

Certaines municipalités, pour autant, ont persisté et signé des arrêtés « nouvelle génération », cette fois fondés sur le droit applicable aux déchets. Le maire de la commune de La Montagne a, par exemple, pu écrire que « tout rejet de produits phytopharmaceutiques hors de la propriété à laquelle ils sont destinés constitue un dépôt de déchets et est interdit sur le territoire communal ». Ingénieuse, cette autre voie a cependant peu de chance de prospérer. En référé, le tribunal administratif de Nantes a considéré que ce type de disposition présente un doute sérieux de légalité dans la mesure où ces produits ne sont pas, par nature, qualifiables de déchet et que les conditions d'usage pour éviter leur entraînement hors de la parcelle relèvent de la compétence du ministre de l’Agriculture [3].

Une victoire est quand même à mettre au crédit du collectif des maires anti-pesticides. Celui-ci a réussi à faire annuler, le 26 juillet dernier, une partie des dispositions de l’arrêté fixant le cadre général de l’utilisation des produits [4]. Dans cet arrêt, le Conseil d’État reproche d’abord aux fameuses chartes départementales d’être défaillantes dans la mesure où elles ne prévoient pas dinformation des résidents en amont de lutilisation des produits. Il juge également, au nom du principe de précaution, que les distances minimales d’épandage des produits suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques sont insuffisantes. Enfin, il reproche au texte de ne pas prendre de mesures pour protéger les personnes travaillant à proximité d'une zone traitée. À la suite de quoi, le Gouvernement dispose de six mois pour corriger sa réglementation.

Lexbase : Quels seront les principaux leviers juridiques à utiliser pour parvenir à une agriculture moins dépendante des pesticides ?

Benoit Grimonprez : La réduction, voire la suppression (on peut rêver), des pesticides de synthèse en agriculture sera nécessairement progressive et passera par une stratégie juridique plurielle. C’est le chemin que j’essaie de tracer au sein du projet FAST (Facilitate public Action to exit from peSTicides) financé par l’Agence nationale de la recherche [5]. J’aimerais, à cet égard, montrer qu’une foule de branches du droit serait à mobiliser (droit des pesticides, politique agricole commune, droit de l’environnement, droit du climat, droit des collectivités locales…). Quant aux outils techniques proprement dits, je pense qu’il faudra moins compter sur un levier miracle que sur la combinaison des différents instruments, de type réglementaire comme économique : il s’agira parfois de bannir et/ou de taxer les substances nuisibles, mais aussi de subventionner, assurer, certifier, payer les pratiques vertueuses…

Les différentes échelles de prise de décision devront également être reliées. S’il est souhaitable d’avoir une gouvernance phytosanitaire bien plus proche des territoires (au sein des documents d’urbanisme, des plans alimentaires territoriaux, des schémas et contrats de gestion de l’eau), c’est aussi à la condition de parvenir à un minimum d’harmonisation des normes au niveau européen et dans le cadre des échanges internationaux. Il serait contreproductif d’imposer à nos agriculteurs des contraintes non compensées financièrement si, dans le même temps, n’est pas régulé le commerce des produits alimentaires étrangers qui arrivent chaque jour dans nos assiettes. 

Gardons à l’esprit que se passer, totalement ou partiellement, des produits phytosanitaires ne peut se faire au détriment de la protection des plantes cultivées, sous peine de menacer notre sécurité alimentaire. Moins de pesticides, ce n’est pas moins de protection des cultures. Cela pour dire que les politiques d’interdiction nous mèneront droit dans l’impasse si elles ne s’accompagnent pas d’une réflexion (agronomique, économique) sur le déploiement des alternatives. Le triste épisode des néonicotinoïdes (insecticides tueurs d’abeilles), d’abord interdits, puis réautorisés jusqu’en 2023, est symptomatique d’une mauvaise gestion du sujet.

Au final, c’est bien l’articulation des « pesticides conventionnels » et de leurs alternatives qu’il faut approfondir juridiquement. Comment faire en sorte que ces dernières remplacent, à niveau d’efficacité comparable, les produits actuellement employés ? Aller dans cette direction supposerait de recenser, voire de normaliser, les méthodes qui fonctionnent ; mais aussi de définir de nouvelles conditions d’évaluation des solutions non chimiques et de leurs contributions à la protection des cultures. Enfin, la diffusion massive des alternatives sur le terrain nécessiterait d’inscrire officiellement le principe de la lutte intégrée (privilégiant les techniques naturelles et préventives) dans les règles qui gouvernent l’entreprise agricole (baux ruraux, régulation foncière, zonages environnementaux, cahiers des charges des productions, etc.).

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

 

[1] Cons. const., décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021 (N° Lexbase : A59554L7) ; CE 3° et 8° ch.-r., 26 juillet 2021, n° 437815, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A36184ZZ).

[2] CE 3° et 8° ch.-r., 31 décembre 2020, n° 440923, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A35354BK).

[3] TA Nantes, 9 avril 2021, n° 2102877 (N° Lexbase : A949748A).

[4] CE 3° et 8° ch.-r., 26 juillet 2021, n° 437815, préc.

[5] V. site Pestidroit.

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