Le Quotidien du 16 juin 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Au procès Bygmalion : Nicolas Sarkozy et la fable de « la campagne en or massif »

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 16 Juin 2021

Il lui a fallu dix bonnes minutes. Dix minutes à s’agiter derrière la barre. À hausser le ton. À pointer du doigt ici, un avocat, là, un co-prévenu. À se retourner vers la salle. Mais finalement, Nicolas Sarkozy a fini par trouver le mot exact qu’il cherchait. Un mot qu’il connaît bien pourtant. Du coup, il l’a répété deux fois. « Mais c’est une fable en fait ! C’est une fable ! ». Pendant plus de cinq heures, mardi après-midi, l’ancien chef de l’État a témoigné de sa colère d’être mis en cause dans la vaste affaire d’escroquerie Bygmalion que la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris examine depuis le 20 mai.

Est-ce parce qu’il avait séché toutes les audiences jusqu’ici comme la loi le lui permet ? L’ancien président de la République est apparu agité. Énervé. Tremblant par moments. Débordé par sa propre émotion. Par son propre discours. Comme s’il voulait en dire trop d’un seul coup. Au risque de ne rien dire du tout. Ou de ne rien dire de véritablement compréhensible.

Car pour lui, il n’y a pas d’affaire « Bygmalion ». Du moins pas d’affaire qui le concerne. À rebrousse-poil des années d’instruction, des semaines d’audiences et des dépositions des treize autres prévenus, l’ancien chef de l’État a contesté le fait que sa campagne présidentielle ait coûté deux fois plus cher que celle de ses opposants d’alors, François Hollande et Marine Le Pen. Non, la campagne ne s’est pas « emballée » comme certains témoins l’ont prétendu. Non, il n’avait pas prévu de ne faire « que cinq meetings » avant d’en enchaîner finalement quarante-quatre. « C’est une fable que de penser ça ! […] C’est une insulte à mon expérience politique ! »

La symphonie offerte par « l’ami de Carla » n’était pas gratuite

C’est pourtant le nœud gordien de l’affaire. L’enquête a démontré que la course effrénée à sa réélection avait coûté 42,8 millions d’euros alors qu’il ne pouvait en dépenser plus de 22,5 millions. Pour rester sous le plafond fixé par la loi, un système de fausses factures a donc été mis en place. Et le parti a honoré les additions du candidat. Mais neuf ans après les faits, sept ans après leur révélation par la presse, l’ancien chef de l’État conteste toujours cette analyse purement comptable.

« Moi j’aimerais qu’on m’explique en quoi la campagne de 2012 a coûté deux fois plus qu’en 2007. J’ai fait le même nombre de meetings ! Le même nombre de villes ! Elle est où ma campagne en or massif ? » Faisant tomber un papier de sa petite pochette en carton, l’ancien chef de l’État martèle : « J’aimerais qu’on me dise en quoi ma campagne a été différente de celle de Monsieur Hollande ou de celle de Madame Le Pen ? ».

Et reprenant sa respiration, il enchaîne alors : « On se moque du monde ! L’argent n’a pas été dans ma campagne. Sinon, cela se serait vu ! On aurait dit : ‘’Nicolas Sarkozy est devenu fou ! Il donne du caviar au public de ses meetings !’’ » Du caviar, non. Mais des écrans géants, des TGV pour faire venir des militants, des brassées de drapeaux bleu-blanc-rouge et même une symphonie composée pour accompagner l’arrivée du candidat, oui ! Même si sur ce dernier point, il assure que la musique a été offerte gratuitement « par un ami de Carla », avant de se faire reprendre par le procureur qui sort la facture de l’orchestre d’un montant de… 72 000 euros.

Pas là pour accuser Jean-François Copé mais...

D’une voix calme et implacable qui tranche avec celle du prévenu, Caroline Viguier, la présidente de la 11e chambre, repose alors un par un les éléments qui paraissent incontestables. Mais à chaque fois, il répond : « Non, madame ! Non, madame ! Pardon mais non, madame ! » Et persiste : « Personne n’a démontré que ma campagne avait valu deux fois son prix ! Personne ! »

Et pourtant si... Le système de fausses factures a bien été établi. Cela fait maintenant trois semaines qu’il s’affiche tous les jours sur l’écran géant du prétoire. Nicolas Sarkozy ne peut le contester. Il faut juste lui trouver une autre utilité, une autre finalité. « Moi, je ne suis pas là pour accuser qui que ce soit », attaque-t-il avant de parler opportunément de Jérôme Lavrilleux, le lieutenant de Jean-François Copé qui dirigeait l’UMP, à l’époque… Et de la société Bygmalion dont « le chiffre d’affaires a bien augmenté grâce à la campagne ». Dans la salle, les autres prévenus grognent. Mais Nicolas Sarkozy creuse son sillon.

« Je ne sais pas ce qui leur est passé par la tête, balance-t-il sans ciller. En tout cas, si je n’avais pas eu l’idée de rassembler ma famille politique et de mettre Copé à la tête de l’UMP, personne ne serait ici. Parce que jamais il n’y aurait eu de Bygmalion... ». Le procureur Nicolas Baïetto le relance et pose encore et encore la question pour être bien sûr que Nicolas Sarkozy conteste la finalité du système Bygmalion. « S’il faut mettre les points sur les ‘’i’’, on va les mettre les points sur les ‘’i’’. Parce que c’est Jean-François Copé qui a fait appel à un prestataire qui a été fondé par ses deux anciens chefs de cabinet. On va s’arrêter là... »

Il vaut mieux. Son meilleur ennemi de la droite a bénéficié d’un non-lieu dans ce dossier et ne risque plus rien dans ce dossier. À l’opposé, Nicolas Sarkozy sait trop qu’il risque un an de prison ferme et 3 750 euros d’amende pour financement illégal de campagne électorale. Et surtout l’infamie d’une deuxième condamnation en moins de six mois après celle (trois ans de prison dont un an ferme, lire également : V. Vantighem, Affaire dite « des écoutes Paul Bismuth » : les « amis » Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert lourdement condamnés, Lexbase Pénal, mars 2021 N° Lexbase : N6975BYY) infligée dans le dossier dit « des écoutes de Paul Bismuth ». Vendredi 18 juin au matin, son avocat, Thierry Herzog, plaidera pour lui éviter ça.

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