Lexbase Affaires n°160 du 24 mars 2005 : Contrats et obligations

[Textes] Vers un contrat de fiducie dans le Code civil ? (aspects de droit civil de la proposition de loi sur la fiducie)

Réf. : Proposition de loi instituant la fiducie

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N2228AID

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par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

le 01 Octobre 2012

D'origine romaine, la fiducie ou fiducia était l'un des plus anciens contrats réels. Limitée au droit des biens, elle consistait en un transfert de droit d'une personne à une autre à une fin précise de gestion ou de garantie (V. sur l'origine de la fiducie, Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, Economica 1981 ; pour une étude plus récente et comparative entre le trust et la fiducie, Fr. Barrière, La réception du trust au travers de la fiducie, Litec, 2004).
Le concept de fiducie est, aujourd'hui, consacré, en droit positif, dans certains pays européens et étrangers : en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg (loi du 27 juillet 2003 relative aux trusts et aux contrats fiduciaires ; v. sur cette loi, A. Prüm, Une fiducie pour les banques?, RDBF, janv.-févr, 2004, p. 3), mais aussi, par exemple, au Québec à l'occasion de la réforme du Code civil en 1994. Le trust, technique proche de la fiducie, l'a, d'ailleurs, précédé dans les pays anglo-américains. Il emporte un dédoublement de la propriété et transfère un droit réel au bénéficiaire de la fiducie. Tel n'est pas le cas de la proposition récente sur la fiducie. S'inspirant du projet de loi -demeuré lettre morte- du 20 février 1992, le Sénateur Philippe Marini a déposé, le 8 février dernier, une proposition de loi pour intégrer, dans le Code civil, le contrat de fiducie. Cette proposition crée un contrat de fiducie, et en précise les effets juridiques, les règles comptables et le régime fiscal (futur article 649 A du Code général des impôts).

La fiducie aurait la nature d'un contrat spécial permettant la réalisation d'un but. C'est une propriété limitée dans le temps et affectée à une finalité. Elle se réalise dans un patrimoine d'affectation. Le propriétaire de cette masse de bien est un propriétaire fiduciaire chargé d'effectuer une mission -gestion, transmission à titre onéreux, garantie- pour laquelle des pouvoirs lui sont transférés. Le texte n'indique pas de transfert de propriété mais un "transfert de droits de toute nature à une personne physique ou morale" (futur article 2062 du Code civil). Le fiduciaire reçoit donc des pouvoirs sur une masse de biens et non la valeur économique de cette masse (V. en ce sens, M. Grimaldi, La fiducie : Réflexions sur l'institution et sur l'avant projet de loi qui la consacre, Répertoire Défrenois, 1991, art. 35085 et art. 35094 ; A. Benabent, La fiducie (analyse d'un projet de loi lacunaire), JCP éd. N, 1993, Doctrine p. 275 ; J.-P. Le Gall, Le concept de fiducie dans le projet de loi sur la fiducie, Gaz. Pal, 1992, p. 507). C'est une propriété instrumentalisée, ou propriété-fonction, d'une toute autre nature que celle instituée par l'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4).

La pratique future du contrat de fiducie révélera son intérêt, mais certaines de ses applications à venir se devinent. Par exemple, la fiducie-sûreté permettra aux biens faisant office de garantie d'être, avant l'appel en garantie, entre les mains du créancier-constituant, ce qui réduit ses risques en cas de défaillance du débiteur. Si tel est le cas, il suffit au créancier de transférer les biens situés dans le patrimoine d'affectation vers son patrimoine personnel.

Quant à la fiducie-gestion, elle peut permettre à des personnes qui n'entrent pas dans les cas d'incapacité prévus par la loi d'être déchargées de la gestion de leur patrimoine en l'attribuant à une personne de confiance.

Si cette proposition de loi aboutit, le livre troisième du Code civil intitulé "Des différentes manières dont on acquiert la propriété" sera complété par un titre XVI bis intitulé "De la fiducie". Le contrat de fiducie prendra place aux articles 2062 à 2070-7 du Code civil et précisera les éléments caractéristiques du contrat de fiducie (I) et ses effets juridiques (II).

I - L'apparition d'un contrat spécial de fiducie

Le futur article 2062 du Code civil définit la fiducie comme une convention par lequel "un constituant transfère des droits de toute nature à une personne physique ou morale dénommée fiduciaire, à charge pour elle de les administrer ou d'en disposer au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires [...]". Le transfert s'opère "dans un patrimoine d'affectation, appelé patrimoine fiduciaire [...] le fiduciaire devenant titulaire ou propriétaire fiduciaire des droits transférés".

Ce contrat suppose l'existence d'un écrit et un accord entre un constituant et un ou plusieurs fiduciaire(s). Les bénéficiaires ont la qualité de tiers au contrat et celui-ci a, en principe, une durée de vie limitée à la réalisation de son objet.

  • Le contrat comporte six mentions obligatoires requises à titre de validité (futur article 2064 du Code civil).

Seront mentionnés :
- les droits, objet du transfert : le constituant transfère des droits quels que soient leur nature. Ce peut être des biens mobiliers ou immobiliers, des contrats et donc leurs aspects passifs et actifs, des créances -la cession de créance sera d'ailleurs opposable aux tiers de manière simplifiée (futur article 2065 du Code civil)- ;
- la finalité de la fiducie et les pouvoirs d'administration et de disposition du fiduciaire. Cette précision est d'importance lorsque le patrimoine d'affectation porte sur un flux de biens. Dans l'hypothèse d'un contentieux, elle permettra au juge d'apprécier la responsabilité éventuelle du fiduciaire ;
- le ou les bénéficiaires ;
- la rémunération du fiduciaire, le cas échéant ;
- les conditions de transfert des droits ;
- la durée du contrat de fiducie : cette durée ne peut excéder 99 ans. Un contrat de fiducie ne pourra être prorogé au-delà de son terme. Mais, ses bénéficiaires ont la faculté, à leur tour, de constituer un nouveau patrimoine fiduciaire par un contrat de fiducie ayant le même objet que le précédent.

  • Il est passé entre un constituant et un ou plusieurs fiduciaire(s) capable(s) (futur article 2067 du Code civil) -personne physique ou personne morale- ; ces deux qualités ne pouvant être réunies sur une même tête contrairement au trust qui autorise qu'un settlor devienne trustee.

Ce contrat étant conclu intuitu personnae, la confiance entre les cocontractants est de la nature même de la fiducie, proche sur ce point de la technique du mandat. Le fiduciaire doit "réaliser personnellement l'objet de la fiducie" (futur article 2070 du Code civil) en bon père de famille. Il évitera tout conflit entre son intérêt personnel et l'intérêt de la fiducie et il est tenu de rendre compte annuellement de l'accomplissement de ses tâches (futur article 2070 in fine du Code civil). En cas de faute, sa responsabilité sera appréciée comme celle d'un mandataire (V. en ce sens les dispositions du futur article 2070-1 du Code civil). Lorsqu'un délai de dix ans s'est écoulé depuis la signature du contrat, il peut solliciter la révision ou la modification du contrat. De telles demandes suivront le régime des clauses d'inaliénabilité du Code civil, régime prévu aux articles 900-1 à 900-8 du Code civil (N° Lexbase : L3542ABS).

  • Le ou les bénéficiaires de la fiducie sont tiers au contrat.

Le mécanisme de la stipulation pour autrui (C. civ., art. 1121 N° Lexbase : L1209ABE) aura donc vocation à s'appliquer. Le droit acquis par le bénéficiaire est cessible. Une mesure de protection est néanmoins offerte au(x) bénéficiaire(s) et au constituant : ils disposent de l'action paulienne en cas de fraude à leurs droits par le fiduciaire (futur article 2070-4 du Code civil).

  • Ce contrat prend fin lorsque sa finalité s'est réalisée -liée ou non à un événement prévu par le contrat ou par la survenance d'un terme-, par exemple, en cas de fiducie-gestion prévue pour un délai déterminé.

En l'absence de bénéficiaire "les droits et le passif du patrimoine fiduciaire font retour au constituant par l'effet d'une transmission universelle" (futur article 2070 alinéa 2). En cas de décès du constituant, cette transmission accroît la succession.

La fiducie peut, également, dans les cas suivants, prendre fin par décision de justice ou de plein droit -en présence d'une clause résolutoire- : renonciation de leurs droits par les bénéficiaires. Le contrat est en réalité caduc : les biens font retour au constituant sauf s'il est établi que le bénéficiaire n'est plus sain d'esprit ; décès, liquidation ou dissolution du ou de l'un des fiduciaires : les biens font retour au constituant à moins d'avoir contractuellement prévu leur transmission au bénéficiaire.

II - Les conséquences du transfert fiduciaire

L'objet du contrat est un transfert de droits (V. en ce sens, Annexe au Procès-verbal de la séance du 8 février 2005 du sénat, disponible sur www.senat.fr). Ce transfert a trois fonctions distinctes (A) donnant naissance à un patrimoine d'affectation (B).

A - Les fonctions de la fiducie

Trois fonctions alternatives ou cumulatives sont prévues :

- La fiducie-gestion : le bénéficiaire et le constituant sont une seule et même personne. La fiducie permet au constituant de faire gérer un bien ou une masse de biens, dans son intérêt, par un tiers. Au terme du contrat, les biens font retour au constituant.

- La fiducie-transmission à titre onéreux : le fiduciaire a pour mission de transférer le ou les bien(s) du constituant à un ou plusieurs bénéficiaires après l'écoulement d'un certain temps ou la survenance d'un événement. La fiducie réalise alors un transfert de propriété faisant parfois échapper le bien au régime de l'indivision. En toute logique, le contrat de fiducie ne peut transmettre une masse de biens ou un bien à titre gratuit (futur article 2063 du Code civil), ceci pour éviter les difficultés fiscales et les risques de fraudes aux droits de mutation à titre gratuit.

- La fiducie-sûreté : le constituant est, en principe, le débiteur du ou des fiduciaire(s) ayant la qualité de(s) créancier(s). Si le débiteur paye sa dette, le ou les bien(s) -qui pourront être des créances futures (futur article 2065 du Code civil)- transférés lui seront restitués. Mais en cas de défaillance du débiteur, ils tomberont dans le patrimoine personnel du ou des fiduciaire(s).

Cette fiducie échappe ainsi à la prohibition du pacte commissoire, le ou les biens affectés étant valablement déposé(s) entre les mains du ou des créancier(s) (V. A Maynadier, La fiducie-sûreté face au pacte commissoire : leurre ou panacée?, JCP éd. E, 1998, p. 932). Elle permet, aussi, le recours à une autre technique que celle de la clause de réserve de propriété tout en utilisant, sous une nouvelle forme, la propriété à titre de garantie. La fiducie-sûreté est une garantie autonome, non accessoire à la créance garantie : elle ne s'éteindra pas avec l'extinction de la créance initiale. Elle pourra se doubler d'une fiducie-gestion permettant de gérer un ensemble de biens non statiques. Pour exemple, des instruments financiers affectés à titre fiduciaire à la garantie d'une créance.

B - La masse de biens transférée constitue un patrimoine d'affectation

Il s'agit donc de placer temporairement un ou des bien(s) dans un patrimoine distinct du patrimoine personnel du fiduciaire et qui sont sortis de celui du constituant. Les droits transférés forment un patrimoine séparé à mi-chemin entre le patrimoine du fiduciaire et celui du ou des bénéficiaires. L'enjeu est d'importance : la séparation protège le bénéficiaire et rend effective la frontière entre les intérêts personnels de chacun et les intérêts, par nature, fiduciaires. Mais, ce transfert ne met pas les risques à la charge du fiduciaire (futur article 2066, alinéa 2). La masse transférée ne fait pas partie de sa succession (futur article 2070-5, alinéa 2) et n'est pas sujette à une procédure collective à son encontre (futur article 2070-5, alinéa 1). Les créanciers personnels du fiduciaire n'exercent aucun droit de gage sur cette masse de biens.

Inversement, si les biens sortent du patrimoine du constituant, ses créanciers ne pourront en principe exercer leur droit de gage sur cette masse. Titulaires d'une sûreté publiée avant la conclusion du contrat de fiducie, les créanciers du constituant pourront néanmoins exercer un droit de suite sur le patrimoine du fiduciaire (futur article 2068 du Code civil). Mais, en principe, les droits transférés ne peuvent être saisis que par "les titulaires de créances nées de la gestion, en ce compris de la conservation, de ces droits par le fiduciaire" (futur article 2068 du Code civil, alinéa 2).

Dans un but de protection des créanciers et pour les biens dont la mutation est soumise à publicité, il est nécessaire de préciser le nom du fiduciaire es qualité (futur article 2068 alinéa 2 du Code civil). A défaut, le transfert de droits est inopposable aux créanciers du constituant -si le nom de celui-ci est toujours inscrit- et/ou aux créanciers personnels du fiduciaire -si le nom du fiduciaire es qualité ne figure pas.

Enfin, il est prévu une modification du Code de commerce, d'une part, en vu de soumettre aux nullités de la période suspecte un contrat de fiducie conclu par un débiteur pour des dettes contractées antérieurement (futur 6° de l'article L. 621-107 du Code de commerce) et, d'autre part, dans le but d'établir une présomption d'action de concert si la fiducie porte sur des droits de vote et si le bénéficiaire a la qualité de constituant (futur 5° de l'article L. 233-10 du Code de commerce).

Cette proposition de loi comporte d'autres aspects. Elle propose d'étendre aux fiduciaires, les dispositions relatives au blanchiment de capitaux du Code monétaire et financier (modification des articles L. 562-1 et L. 562-1-2 du Code monétaire et financier) et un certain nombre de dispositions fiscales sont prévues dans un esprit de transparence et de neutralité : le constituant serait réputé fiscalement titulaire des droits mis en fiducie et donc redevable, à ce titre, de l'impôt (sur l'aspect fiscal de la proposition, lire V. Le Quintrec, Le Parlement ouvre la voie à l'introduction de la fiducie en droit français, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N4809ABQ).

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