Lexbase Fiscal n°867 du 3 juin 2021 : Fiscalité financière

[Focus] Le cadre déclaratif des cryptomonnaies, un double chantier

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par Sarah Maubert Mendez - Avocate au Barreau de Aix-en-Provence et Eizer Souidi - Avocat Fiscarea Avocats

le 03 Juin 2021


Si la fiscalité des revenus générés par les cryptoactifs n’a plus de secret pour de nombreux investisseurs, déclarer leur simple détention leur pose toutefois souci. Certains peuvent ainsi être tentés de ne pas déclarer leur portefeuille et de miser sur le caractère volatile et anonyme des transactions pour garder sous silence leur activité.

Pour dissuader de tels comportements, les autorités administratives, nationales et européennes, tentent d’établir un cadre clair et persuasif.

Ce double chantier promet d’être long, mais passionnant.


 

I. Un cadre déclaratif national à parfaire

Le 5 avril 2018, Monsieur Landau remettait un rapport au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, relatif aux cryptoactifs. Il appelait à la mise en place d’un cadre comptable, fiscal et prudentiel entourant les cryptoactifs clair et lisible.

Si l’effort de légifération et de clarification par la doctrine administrative en la matière est incontestable, l’étendue des obligations fiscales déclaratives entourant ces cryptoactifs reste floue à certains égards. Les questions qui restent en suspens, à défaut d’être nombreuses, sont d’une importance pratique majeure car la sécurité juridique et économique des porteurs d’actifs en pâtit directement.

A. Les difficultés pratiques rencontrées depuis l’origine en matière de déclaration

Dans le cadre de l’adoption du projet de loi visant à instituer les articles 150 UA (N° Lexbase : L9065LN3), 150 VH bis (N° Lexbase : L9043LQY), 200 C (N° Lexbase : L8899LNW) et 1649 bis C (N° Lexbase : L9064LNZ) du CGI, le Sénat alertait déjà sur le risque d’adopter une méthode inadaptée aux obligations déclaratives du contribuable.

La méthode de calcul des plus-values résultant de la cession d’actifs numériques s’inspire de la méthode applicable en matière de plans d’épargne en actions (PEA), en ce qu’elle assimile la cession à un retrait partiel imposable à hauteur de la quote-part de valorisation du portefeuille d’actifs numériques.

Dans ce cadre, chacune des cessions génératrices d’une plus-value imposable doit donner lieu au calcul individualisé de la plus-value imposable selon la formule générique déjà évoquée dans l’article de ce numéro sur la détention des cryptoactifs.

Le contribuable réalisant une activité occasionnelle pourra rapidement être dépassé par cette méthode de calcul. Outre la multiplication des calculs à opérer, la capacité du contribuable à retracer l’ensemble des prix d’acquisition des cryptoactifs possédés dans son portefeuille laisse dubitatif.

Dans ces conditions, certains logiciels informatiques fleurissent actuellement. Ces solutions proposent notamment d’importer les échanges réalisés au moyen d’un fichier .API ou .CSV. Si l’adaptation de ces solutions informatiques aux particularités du cadre fiscal français est sujette à caution, le succès de ces plateformes auprès des contribuables – voire de certains conseils – est représentatif des enjeux déclaratifs d’espèce.

Par ailleurs, si les services fiscaux ont publié une annexe n° 2086-SD aux fins de déclaration de ces plus ou moins-values à partir de 2020, cette annexe ne permet de déclarer que vingt opérations. Avec une moyenne maximale de 1,2 opération par mois en moyenne, ce formalisme n’est clairement pas adapté aux habitudes transactionnelles des contribuables se livrant occasionnellement à cette activité.

Seule solution à cette carence, l’impression en plusieurs exemplaires du formulaire n° 2086 en autant d’exemplaires que de transaction à déclarer avec l’établissement d’une mention expresse expliquant les difficultés rencontrées.

Il est par ailleurs conseillé au contribuable de produire un tableau synthétique sur lequel il reporterait l’ensemble de ses transactions.

Un tel tableau devrait faire apparaître la date de l’opération, le prix de cession, le prix total d’acquisition brut, la somme des fractions de capital, le prix total d’acquisition net de portefeuille, la valeur globale du portefeuille d’actifs et la plus ou moins-value en résultant.

Cette solution n’est pourtant pas optimale et pose une dernière difficulté. En effet, le contribuable pourra alors hésiter entre adresser son entière déclaration par voie papier à une date plus précoce (rappelons que pour la campagne déclarative relative à l’exercice 2020, la date limite de dépôt des déclarations papier était fixée au 20 mai 2021) ou, réaliser sa déclaration en ligne tout en adressant son annexe n° 2086 par l’intermédiaire de sa messagerie sécurisée. Il sera alors conseillé au contribuable, à l’occasion de sa déclaration en ligne, qu’il adresse par ailleurs une annexe par messagerie sécurisée.

Ces solutions, imparfaites, sont révélatrices du caractère inachevé et inadapté du cadre déclaratif mis en place par l’administration. Il ne peut qu’être espéré que la prise d’importance des transactions d’actifs numériques, induite par leur démocratisation au cours de cette année 2020, amène l’administration à parfaire ce cadre.

Ces difficultés ne sont d’ailleurs pas isolées et le contribuable pourra souffrir du défaut de cadre légal de certains biens. L’imbroglio entourant les « non fongible tokens » (ou « NFT » ci-après) en est l’illustration.

B. Le cas particulier des NFT

Si les NFT ont le vent en poupe, cette prise d’importance met un peu plus à mal le cadre fiscal applicable. Ces jetons non fongibles (« Non fongible tokens »), diffèrent des cryptoactifs classiques en ce qu’ils sont caractérisés par leur unicité et de leur caractère identifiable.

Or, comme étudié dans l’article dédié, le cadre juridique de ces NFT interroge. Plusieurs classifications de cet actif peuvent être envisagées, mais ceux-ci restent pour l’heure catégorisés comme étant un actif numérique répondant à la définition de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7609LQU).

Dans ces conditions, les obligations déclaratives pesant sur les NFT sont particulièrement floues. Ces jetons doivent-ils donner lieu à déclaration au titre d’un actif numérique conformément à l’article 150 VH bis du CGI ?

Rappelons d’ailleurs que le décret 2019-656, du 27 juin 2019 (N° Lexbase : L6753LQ8) est venu expliciter les obligations déclaratives pesant sur la cession de tels actifs numériques.

Rien n’est moins sûr, contribuables et conseils confrontés à ces enjeux prêteront particulièrement attention à la réponse qui pourra être apportée à la question écrite n° 22200 de M. Jérôme Bascher (JO Sénat du 15 avril 2021).

À cette occasion, il a été sollicité de la part du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, une prise de position sur la classification des NFT et leur traitement fiscal en matière d’obligations déclaratives.

Cet éclaircissement juridique permettra au contribuable procédant à des cessions de NFT d’appréhender avec plus de sérénité l’étendue de ses obligations déclaratives, nous ne pouvons que regretter que cette précision n’intervienne pas à temps au titre de la présente campagne déclarative.

 

II. Un nouveau cadre déclaratif communautaire à transposer

Conscients du risque de forum shopping induit par la facilité pour un contribuable européen de s’établir dans un autre pays de l’Union ou un pays tiers imposant faiblement ou nullement les plus-values de cession de cryptoactif, l’Union européenne compte se montrer proactive sur le terrain de l’échange automatique et obligatoire d’informations entre ses États membres.

Notons ici que ce transfert de localisation des cryptoactifs hors de France est d’ailleurs facilité par l’absence d’application du mécanisme dit de l’exit tax.

Depuis 2011, l’Union européenne poursuit un objectif de renforcement de la coopération entre États membres pour imposer les contribuables correctement et lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Pour ce faire, l’Union s’est dotée d’une directive, régulièrement amendée, connue sous l'acronyme DAC (pour Directive on Administrative Cooperation).

Si la doctrine s’emploie encore à traiter des enjeux considérables induits par la Directive « DAC 6 » relative aux règles de transparence pour les intermédiaires concevant des montages fiscaux potentiellement dommageables, Bruxelles a d’ores et déjà initié une consultation publique afin d’adopter une éventuelle Directive « DAC 8 » pour plus de transparence fiscale sur les cryptoactifs. Cette proposition de nouvel amendement de la directive initiale de 2011, en consultation publique depuis le 10 avril 2021, propose un renforcement des règles existantes et une expansion des échanges d’informations en vigueur pour inclure les cryptoactifs et les monnaies virtuelles. Les objectifs de la directive sont clairs : permettre aux administrations fiscales d’obtenir les informations nécessaires au contrôle et à l’imposition des contribuables et en particulier les contribuables qui généreraient des revenus via les cryptoactifs.

Deux éléments font aujourd’hui obstacle à la volonté de coopération : d’une part une difficulté pour les administrations nationales d’appréhender concrètement le volume d’utilisation des cryptoactifs par ses contribuables, et d’autre part une disparité des sanctions appliquées par les différents États.

Dans le cas de la première problématique, la directive relève qu’il n’existe pas, aujourd’hui, d’obligation d’échange d’informations par les intermédiaires intervenant en matière de cryptoactifs, alors qu’une telle obligation existe pour les autres intermédiaires financiers depuis DAC 2. Cette obligation d’échange d’informations pourrait alors être étendue aux intermédiaires en matière de cryptoactifs en application des dispositions de DAC 8.

Pour ce faire, il est indispensable que DAC 8 définisse le champ des cryptoactifs et permette surtout l’identification claire de ce qu’est un intermédiaire en matière d’actifs numériques. En matière de définitions, la proposition de directive souligne bien la nécessité d’harmoniser les règles des différents États membres et de piocher les solutions parmi les règles existantes.

Dans le cas de la seconde problématique, un cadre coercitif commun devrait être défini par les pays de l’Union pour sanctionner les manquements aux obligations déclaratives définies par la directive. Par ailleurs, la mise en œuvre des sanctions demeurerait de la compétence exclusive et souveraine de chaque État membre. La coordination des différents États membres devrait permettre d’éviter que les contribuables utilisent la disparité des règles et leur complexité pour faire du tax shopping.

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