Lexbase Fiscal n°854 du 11 février 2021 : Contrôle fiscal

[Le point sur...] L’indemnisation des aviseurs fiscaux

Réf. : Décret n° 2021-61, du 25 janvier 2021, pris pour l'application de l'article L. 10-0 AC du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L9372LZ7)

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

le 14 Avril 2021


Le décret n° 2021-61, du 25 janvier 2021, a créé l’article R. 10-0 AC-1 du LPF (N° Lexbase : L9916LZB) pour l’application de l’article L. 10-0 AC du LPF relatif à l’autorisation donnée par le Gouvernement à l’administration fiscale d’indemniser les personnes étrangères aux administrations publiques qui lui ont fourni des renseignements ayant conduit à la découverte de certains manquements à la législation fiscale. Cet article a vocation à faire le point sur la pratique controversée de l’indemnisation des aviseurs fiscaux.


 

Une pratique ancienne, officialisée il y a peu

Pour rappel, l’indemnisation des aviseurs fiscaux constitue une pratique ancienne dont on trouve déjà des traces à l’époque de l’Empire romain. L’administration fiscale française a, pendant longtemps, eu recours à cette pratique opaque et dépourvue de base juridique sérieuse, jusqu’à ce que cette dernière soit officiellement abandonnée par Nicolas Sarkozy en 2004.

Quelques années plus tard, la reconsidération politique de cette pratique a donné lieu à de mémorables volte-face de Michel Sapin, lequel a tout d’abord annoncé en décembre 2015 son intention de reconnaître officiellement cette pratique… avant de se raviser face à l’émoi suscité dans l’opinion publique… puis de revenir à sa position initiale à la suite du scandale des « Panama papers » survenu en avril 2016.

L’article 109 de la loi de finances pour 2017 (loi n° 2016-1917, du 29 décembre 2016, de finances pour 2017 N° Lexbase : L0759LC4, introduit discrètement par voie d’amendement) a permis au Gouvernement d’autoriser l’administration fiscale à indemniser les personnes étrangères aux administrations publiques qui lui fournissent des renseignements ayant conduit à la découverte de manquements à certaines règles et obligations déclaratives fiscales.

Une pratique progressivement étendue par le législateur français

L’article 175 de la loi de finances pour 2020 (loi n° 2019-1479, du 28 décembre 2019, de finances pour 2020 N° Lexbase : L5870LUX) a codifié ce dispositif à l’article L. 10-0 AC du LPF et l’a sensiblement étendu.

Cet article a tout d’abord étendu le champ de ce dispositif à la TVA. Sont visés, sans limitation de durée, les renseignements concernant les opérations de fraude à la TVA dans le cadre des transactions nationales et internationales.

Par ailleurs, cet article a prévu, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, une généralisation de l’indemnisation des aviseurs fiscaux pour les informations relatives à tout autre agissement, manquement ou manœuvre susceptible d’être sanctionné par les pénalités fiscales suivantes :

  • majoration de 80 % en cas de découverte d’une activité occulte (CGI, art. 1728, 1-c N° Lexbase : L9389LH9) ;
  • majoration de 40 % ou 80 % et amendes résultant de l’absence, de l’inexactitude ou de l’omission de déclaration des comptes, contrats de capitalisation et trusts détenus à l’étranger par des résidents de France (CGI, art. 1728, 5, 1729-0 A N° Lexbase : L9388LH8, 1736, IV et IV bis N° Lexbase : L9063LNY, 1766 N° Lexbase : L3336LCK) ;
  • majoration de 40 % ou 80 % en cas de manquement délibéré, d’abus de droit, de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation de prix (CGI, art. 1729) ;
  • amendes en cas d’infractions aux règles de facturation (CGI, art. 1737, I N° Lexbase : L1727HNB) ;
  • majoration de 40 % en cas de non-respect des règles relatives aux transferts de fonds vers ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire de comptes bancaires ou de contrats de capitalisation non déclarés par des résidents de France (CGI art. 1758, al. 1 N° Lexbase : L4641ISP) ;
  • amende de 50 % en cas de non-respect des obligations énoncées à l’article L. 152-1 du Code du monétaire et financier (N° Lexbase : L5907LCR) relatives aux transferts de fonds vers ou en provenance de l’étranger (CGI art. 1758, al. 2) ;
  • majoration de 40 % en cas de non-respect des règles relatives à l’imposition des transferts d’actifs hors de France prévues à l’article 238 bis-0 I, al. 7 du CGI (CGI art. 1758, al. 3) ;
  • majoration de 80 % en présence d’une présomption de revenus lorsque les contribuables ont commis certaines infractions visées par l’article 1649 quater-0 B bis du CGI (N° Lexbase : L0225LNN) (CGI art. 1758, al. 4).

Cette généralisation s’applique lorsque le montant des droits éludés excède 100 000 euros.

Le décret n° 2021-61, du 25 janvier 2021 a codifié à l’article R. 10-0 AC-1 du LPF l’autorisation du Gouvernement précitée et l’a étendu aux manquements aux règles de la TVA. Il a également permis à l’administration fiscale de procéder à l’expérimentation précitée. Le décret n° 2017-601 (N° Lexbase : L8394LDA) pris pour l’application de l’article 109 de la loi de finances pour 2017 est par conséquent abrogé. Ce décret n° 2021-61 du 25 janvier 2021 est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 28 janvier 2021.

Une pratique existant dans d’autres pans du droit français

La délation rémunérée a d’ores et déjà été institutionnalisée dans différents pans de notre droit afin de faciliter le travail des services administratifs. Les services de police et de gendarmerie peuvent ainsi, depuis la loi Perben II de 2004 (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8), officiellement rétribuer les aviseurs qui leur ont fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l’identification des auteurs de crimes ou de délits. Les rétributions allouées ne sont toutefois pas encadrées. En matière de douanes, la rémunération des aviseurs existe également.

Du reste, l’administration fiscale pouvait, avant 2018, profiter sans réserve et gratuitement des informations fournies par des aviseurs rétribués par d’autres États. L’hypocrisie de cette position a été brillamment résumée par Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie : « En somme, nous refusons de payer pour obtenir des renseignements, mais si un autre État paie ces renseignements et nous en fait profiter gratuitement, cela nous va… ».

Une pratique existant dans d’autres pays

L’indemnisation des aviseurs fiscaux a été mise en œuvre dans plusieurs États (une dizaine selon le rapport d’information du 5 juin 2019 relatif aux aviseurs fiscaux), parmi lesquels on trouve le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Belgique, le Danemark, l’Inde, l’Allemagne et la Corée du Sud.

S’agissant de l’organisation de cette pratique, certains États ont mis en place des portails internet dédiés comme le Royaume-Uni ou des formulaires de dénonciation disponible sur le site du fisc comme les États-Unis. D’autres, comme la Corée du Sud, sont allés plus loin (probablement un peu trop) en créant des académies spécialement dédiées à la formation d’aviseurs professionnels. L’usage des dernières techniques d’espionnage (enregistreurs camouflés dans les sacs à main ou microcaméras déguisées en boutons de chemise) y est, entre autres, enseigné.

Celle-ci peut s’avérer très rentable, en particulier aux États-Unis où les aviseurs peuvent se voir allouer une prime pouvant représenter jusqu’à 30 % des sommes récupérées par le fisc. À titre d’exemple, l’ex-gestionnaire de fortune, Bradley Birkenfeld a récemment reçu une super prime de 104 millions de dollars en récompense de ses révélations sur les pratiques indélicates de la banque UBS. Au Canada, la rémunération peut s’élever jusqu’à 15 % du montant de la fraude.

La rémunération légale des aviseurs est toutefois exclue dans plusieurs États. Certains d’entre eux utilisent ainsi les informations transmises par les aviseurs, sans les indemniser (Autriche, Espagne, Canada pour les fraudes domestiques, Grèce, Portugal, Slovaquie).

La rémunération des aviseurs fiscaux

La rémunération des aviseurs fiscaux est encadrée et limitée. Il est prévu que la rémunération de l’aviseur ne puisse pas dépasser un million d’euros par affaire. Ce plafond a toutefois été vivement critiqué dans deux rapports parlementaires successifs.

Pour mémoire, un premier rapport d’information du 5 juin 2019 relatif aux aviseurs fiscaux a proposé de supprimer le plafond de rémunération en indiquant que ce dernier « n’est pas souhaitable ». En effet, le Parlement a souhaité mettre en place un dispositif puissant, apte à recueillir des éléments sur des fraudes à fort enjeu financier. En limitant l’indemnité à un million d’euros, l’administration limite fortement l’attractivité du dispositif, et ainsi l’importance des informations apportées et des dossiers traités ».

Un second rapport d’information du 25 septembre 2019 relatif au bilan de la lutte contre les montages transfrontaliers a formulé une recommandation similaire visant à « débattre de la possibilité de laisser le directeur général des finances publiques fixer le montant de l’indemnité allouée à un aviseur fiscal, sur proposition du directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales, par référence aux montants estimés des impôts éludés, mais sans plafond, afin de la rendre plus incitative ».

Dans une interview au journal « Le Figaro », l’ancien ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a confirmé que le gouvernement soutenait les amendements déposés par la députée socialiste Christine Pires Beaune, rapporteure du premier rapport susmentionné. Ces derniers visent à supprimer le plafond de leur rémunération maximale, qui ne peut aujourd’hui dépasser le million d’euros. Selon le ministre, certains aviseurs potentiels estiment que le chèque proposé ne vaudrait pas le risque qu’ils prennent en venant voir le fisc. Le ministre a ainsi indiqué que leur récompense et un nouveau plafond, plus élevé, seront fixés par voie réglementaire.

La volonté de rémunérer davantage les aviseurs fiscaux soulève plusieurs questions. Si tout d’abord le plafond actuel d’un million d’euros peut être vu comme visant à indemniser les aviseurs fiscaux pour les risques encourus ou les conséquences matérielles subies, quelle est la justification d’une rémunération substantiellement plus élevée ? Ne risque-t-on pas de créer un véritable appel d’air pour des aviseurs fiscaux très intéressés ? Comment justifier la différence de traitement conséquente entre, d’une part, des lanceurs d’alertes non rémunérés, et d’autre part, des aviseurs fiscaux surpayés au regard du service effectué ?

Jurisprudence relative à la rémunération des aviseurs fiscaux

Le tribunal administratif de Montreuil a rendu en 2020 (TA Montreuil, 5 mars 2020, n° 1808248) la première décision de justice relative à ce nouveau dispositif. Dans cette affaire, un informateur avait transmis à l’administration fiscale par un courrier daté du 4 novembre 2017 des informations relatives à la découverte d’une fraude fiscale qu’aurait commise un tiers. Il a sollicité dans ce courrier une indemnisation dans le cadre du dispositif créé par l’article 109 de la loi 2016-1917, du 29 décembre 2016. L’administration fiscale a refusé cette indemnisation et rejeté le recours gracieux formé par l’informateur, soutenant notamment que les renseignements transmis n’avaient pas permis la découverte d’un manquement puisque ceux-ci l’ont été par courrier reçu le 22 novembre 2017 alors que de telles informations étaient disponibles dans deux articles antérieurs parus dans la presse et datés des 5 et 11 avril 2017. Toutefois, les renseignements fournis par l’informateur constituaient des renseignements d’une nature distincte de ceux parus dans la presse, dans la mesure où ils étaient constitués de douze pages d’argumentation précise et circonstanciée, complétés par des annexes justificatives comportant un acte de donation, des organigrammes et un rapport de gestion.

Le tribunal administratif de Montreuil a jugé qu’il pas nécessaire que l’aviseur n’informe que l’administration fiscale. Comme dans l’affaire en cause, ce dernier peut informer également, voire auparavant, la presse ainsi que la justice, sous réserve qu’il apporte à l’administration fiscale des renseignements qu’elle n’a pas déjà en sa possession.

Du reste, le tribunal administratif de Montreuil a précisé que la décision administrative de refus d’indemniser un aviseur en matière de fraude fiscale pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Compte tenu du pouvoir d’appréciation laissé à l’administration fiscale et de la nature de l’indemnisation en cause (qui ne répond pas à un droit à indemnisation), le juge administratif ne peut se livrer qu’à un contrôle minimum restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, ce qui n’exclut pas un contrôle de l’erreur de droit.

Au cas particulier, les décisions rejetant la demande de rémunération formée par l’informateur étant entachées d’une erreur de droit, le juge administratif les a annulées et a enjoint à l’administration fiscale de réexaminer la demande.

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